Cette journée fut, je crois, la pire expérience de mon existence.

La peur de la mort, la violence des combats, cet enfer sanglant, constituent un spectacle que je ne suis pas près d'oublier et qui, des années plus tard, revient encore me hanter dans mes nuits les plus noires.

Et Galaniel restait là, à nos côtés, comme toujours. Lui, qui, lorsqu'il eut triomphé du Mal, partit le traquer jusqu'aux derniers recoins de la Galaxie. Sa présence nous a aidés à surmonter ces épreuves, nous a toujours redonné espoir. Plus qu'un homme, il est devenu un symbole, pour nous, pour tous.

Lisdon Sman, Mémoires

Les premières lueurs de l'aube traversèrent la baie d'avrec de l'Œil de l'Aigle. Depuis cette salle, au sommet de la résidence du Conseil, elle-même à flanc de falaise, les magistrats bénéficiaient d'une vision panoramique sur toute la cité d'Hyktacrite. Tout d'abord, le centre-ville, ses bâtiments aisés ou administratifs, quelques tours et colonnades ainsi, bien sûr, que la place du Cristal. Très intéressé par cet artefact sacré, Seyer avait réuni des magiciens tout autour, afin d'en exploiter les possibilités jusqu'ici incertaines. Le magistrat-président esquissa un sourire. Il avait assisté aux réunions entre le Voyageur et les magiciens, à leurs hypothèses, mais surtout aux avantages stratégiques qu'ils permettraient d'offrir. Son regard se détacha finalement du bloc de plusieurs mètres de hauteur à la radiance bleue translucide, avant de dépasser la première muraille historique. Au-delà s'étendaient de nouvelles habitations, jusqu'à la seconde muraille. Trois entrées, trois principales artères à travers la ville : sud, est et nord. Des barricades envahissaient désormais les rues, mais ne pourraient empêcher bien longtemps l'avancée de chars kalendoriens. Trois points faibles, donc, avec, sur chacun, des groupes de combattants déjà positionnés, dont au moins un Voyageur. Au sud, Alyne ol'Astyn, à l'est Galaniel, appuyé par Esmène et les gardes rouges et, enfin, au nord, Seyer Askhalomène ainsi que son dernier apprenti, Césape Victorèle.

À l'ouest, derrière le Conseil, les montagnes et les reliefs accidentés empêcheraient toute offensive kalendorienne d'envergure. Et puis, les loups de Shawn ne feraient pas de quartier à quiconque s'aventurerait sur leur territoire. Néanmoins, par mesure de sécurité, un dernier groupe de Shawniens assurait bien sûr la protection des magistrats.

Un hurlement de métal se fit entendre. Le vaisseau-mère kalendorien s'approchait de la cité, tous moteurs actifs, accompagné par une escouade de chasseurs noirs. D'une esthétique discutable, l'appareil ressemblait à un gigantesque pavé aux bords arrondis, recouverts de tôles noires et grises, ébréchées, colmatées, bricolées. Ses innombrables propulseurs crachaient des flammes d'un bleu verdâtre écœurant.

Il se positionna au-dessus de la ville, tandis que, juste en dessous, le Cristal redoublait d'éclat. Les canons noirs se déployèrent, étincelèrent. Il n'y aurait pas d'ultimatum, pas d'offre de reddition ; les missiles fusèrent sur la cité.

Le magistrat-président suivit du regard les traînées de fumées s'approcher, juste avant que le ciel ne se constelle d'explosions. Un dôme rouge translucide apparut au-dessus de la cité, comme matérialisé par les déflagrations, avant de se fondre à nouveau dans la fumée.

« Qu'est-ce qui vient de se passer ? s'offusqua Zagnar.

— Nos missiles ont explosé à mi-parcours, aucun d'entre eux n'a atteint sa cible.

— On modifie la stratégie initiale ! Déployez les unités terrestres ! Je veux que cette satanée cité ne soit plus qu'un monceau de ruines fumantes avant ce soir !

— Si je peux me permettre, Général, nos capteurs ont indiqué une augmentation soudaine de luminosité depuis un point de la ville, lorsque nos missiles ont explosé. »

Un point rouge s'afficha sur l'écran. La place du Cristal.

« Sans doute s'agit-il d'une sorte de générateur...

— Dans ce cas, nous le détruirons ! » tonna Zagnar.

Le Cristal de Shawn.

Un parfait catalyseur pour les pouvoirs conjugués des magiciens shawniens. Un monolithe, implanté ici depuis des millénaires, avant même l'arrivée des humains. Devenu objet de culte, à la gloire de la Déesse Cristal, la ville s'était peu à peu construite tout autour.

Une puissance contenue émergeait du bloc glacé, une pulsation, à l'intérieur, une aura magique qui lui rappelait des souvenirs difficiles.

Le Grand Maître secoua la tête.

Difficile d'en avoir le cœur net, sans forer le Cristal, mais les Shawniens ne le permettraient pas. Déjà, ils n'avaient accepté qu'à contrecœur d'utiliser son pouvoir latent, afin de créer ce dôme protecteur, au-dessus de la cité. Ils n'avaient pas vraiment eu le choix, d'ailleurs, mais échapperaient ainsi aux bombardements. Seul restait l'assaut terrestre, que déclencherait Zagnar.

Le dôme s'interrompait plusieurs mètres avant le sol. Sans doute aurait-il été possible de lui faire épouser le relief, mais Kalendor se serait alors contenté de bombarder, des jours durant, jusqu'à l'épuisement des mages. Avec cette ouverture délibérée, le Général n'attendrait pas. Il se croyait en supériorité tactique et numérique, tandis que tout Oriale attendait ses prétendus exploits.

Ils se battraient sur le terrain, une situation presque équitable. L'occasion pour Zagnar de briller, mais aussi de tomber.

Dissimulés derrière une colline de glace, des canons firent feu. Leurs projectiles traversèrent le ciel avant d'éclater à leur tour sur le dôme, juste au-dessus de la muraille de pierre.

Des soldats s'approchèrent de la cité. Césape raffermit sa prise sur son imposante massue.

« Nous y sommes. » constata Seyer.

Quelques chars noirs suivaient. Seyer étendit sa main pour faire jaillir un éclair de feu. Une explosion fracassante balaya le premier véhicule, des débris de métal et de glace retombèrent tout autour.

Quelques magiciens suivirent son exemple. Des rayons bleutés fusèrent, abîmèrent quelques chars, mais n'eurent pas d'effet aussi spectaculaire. En réponse, plusieurs chars firent feu, à leur tour. Leurs missiles explosèrent avant même d'atteindre leur cible.

Les Shawniens décochèrent leurs flèches. Beaucoup ricochèrent sur les équipements noirs, quelques-unes firent mouche. Les Kalendoriens répliquèrent par une grêle de balles qui furent déviées, stoppées, désintégrées, parfois même renvoyées, par les magiciens comme le Grand Maître.

« Ils ne sont pas tellement nombreux, remarqua Seyer.

— Euh, tu es sûr ? C'est plutôt une bonne nouvelle, ça, hasarda Césape.

— Il s'agit sans doute d'une diversion, à moins qu'une seconde vague ne suive derrière. Je me charge déjà de ceux-là, restez en retrait. »

Le fythélien enjamba la protection de pierre pour sauter à terre, quelques mètres plus bas. Sans se soucier des projectiles qui fusaient de part et d'autre, il s'avança, d'un pas décidé, en direction des ennemis. Des murmures surpris parcoururent les rangs des Shawniens.

« Je suis le Grand Maître Voyageur Seyer Askhalomène, et cette planète est sous ma protection personnelle. Votre Général, Zagnar Pteï, comprendra certainement ce que cela signifie. Alors, pour la dernière fois, je vous somme de retourner sur votre monde natal. »

Seule une grêle de balles lui répondit ; toutes s'immobilisèrent à quelques centimètres, jusqu'à former un véritable mur de métal. Les tirs cessèrent, tandis que plusieurs soldats reculaient, indécis.

« À mon tour, maintenant. »

Toutes les balles fusèrent en sens inverse, dans toutes les directions, pour revenir à leurs propriétaires. Les soldats s'effondrèrent, à l'exception d'une poignée d'entre eux, recouverts d'une armure caractéristique.

La garde noire de Kalendor.

Épées au clair, tous se ruèrent sur le fythélien. Seyer dégaina sa rapière, se baissa, esquiva, contre-attaqua. Ses adversaires tombaient les uns après les autres. Insaisissable, le moindre de ses mouvements nimbé d'une aura lumineuse, le Grand Maître se déplaçait, frappait comme l'éclair.

Césape resta bouche bée, à l'instar des Shawniens. La garde noire elle-même s'avérait incapable de faire face au Voyageur. Il se déplaçait plus vite que l'œil ne pouvait le suivre, ses mouvements se faisaient flous, imparables. Une rangée de chars étendit des canons, dans sa direction. Les explosions parcoururent la neige sans l'atteindre, certains obus explosèrent à mi-parcours.

Le fythélien étendit les bras. Des morceaux de glace s'arrachèrent du sol, les débris métalliques frémirent, puis virent tournoyer autour de lui, jusqu'à former une tornade mugissante. Le Grand Maître s'éleva dans les airs ; à l'instar de sa Pierre d'Origine, ses mains irradièrent d'une intense lueur orange.

Alyne soupira. Face à son insistance, Seyer avait finalement accepté de la laisser elle-même garder cette entrée. Mais, à l'inverse de Galaniel ou de Césape, elle n'avait pas besoin de protection personnelle. Leurs ennemis ne seraient rien de plus que des humains, et, puisqu'il le fallait, elle prouverait une fois de plus sa valeur. Parmi toutes les prétendantes, elle avait été seule à triompher des épreuves du Matayella, elle était l'une des élues de la Grande Déesse, et bientôt l'une de ses Archanges. Que pouvait-elle donc craindre, ici ? Seyer était sans doute un Grand Maître, mais restait loin d'égaler la puissance et la perspicacité de Mitteï.

Un sourire éclaira son visage lorsqu'elle aperçut les ridicules humains s'approcher de sa position. Enfin. Elle n'attendait que ça. Des éclairs bleus crépitèrent sur ses mains de nacre, tandis qu'à ses côtés les Shawniens encochaient leurs flèches.

Avec un peu de chance, ce front ne serait peut-être pas secondaire.