XXIV-5 : Le retour de l'enfant prodige
Hyktacrite, la nuit même
Une femme à la longue chevelure blonde, les yeux embués. Ses traits sont tirés, suppliants, pâles, amaigris. Tristesse. Elle s'endort dans un cercueil de glace. Il voudrait parler, dire qu'ils se reparleront à nouveau. Le silence reste total, pesant, opprimant. Il sait que la fin est proche. La Mort l'attend, elle a déjà frappé, et elle le cherche, toujours. Il a voulu s'opposer à elle, mais nul ne le peut. Il a perdu, tout n'est plus qu'une question de temps. Dernier regard. Yeux fermés, la femme se repose ; il espère que ce ne soit pas pour l'éternité. Vide intense, froid qui lui mord la peau. Lui-même n'a plus longtemps à vivre. Le poison coule dans ses veines. Il tente de lui résister, mais ses forces continuent de l'abandonner, peu à peu. Presque tous ses compagnons sont tombés, mais certains ont échappé à la Mort, par-delà les autres mondes. Grâce à sa magie.
Froid. Ce monde maudit, cette caverne de glace sera son tombeau. Dehors, elle surveille, elle le cherche, elle le traque. La Mort.
Un cube de pierre insignifiant, posé sur un autel de glace. L'objet de tant de convoitises, cet artefact que désire tant la Mort. Elle ne l'aura pas. Il se terre dans sa dernière cache, la plus reculée, la plus secrète. Des sortilèges dissimulent l'entrée, elle ne le retrouvera pas.
Il se traîne vers une pièce taillée dans la glace. Il est condamné, le temps est venu, mais ce combat ne prendra pas fin ici. Toujours ce froid, mordant, piquant, vif, agressif, insoutenable.
Marzog se réveilla d'un bond, en sueur ; son cœur battait la chamade. Le même cauchemar, qui lui revenait chaque nuit, maintenant. Chaque fois, des fragments se précisaient, le rêve s'allongeait et l'angoisse se renforçait. Il resta un instant immobile, les yeux ouverts dans la pénombre. Il ne connaissait pas cette femme à l'agonie, il ne l'avait jamais vue, mais son visage éveillait pourtant un écho familier.
Incapable de trouver le sommeil, il préféra se lever, puis arpenta la pièce. Chaque nuit, détail après détail, ses impressions se faisaient plus perceptibles, plus sensibles, plus réelles. Que devait-il en conclure ? Parfois, il se demandait si ce cauchemar n'était pas prémonitoire, il redoutait de devoir combattre un être qu'il n'avait encore jamais rencontré, mais dont le seul nom le remplissait de terreur. La Mort.
Mais ce n'était qu'un rêve, rien de plus, l'imagination de son propre esprit. Seule la peur du rêve pouvait à nouveau l'engendrer chaque nuit. Et puis, nul ne prédisait l'avenir à travers ses songes, de toute façon.
Il voulut prendre l'air frais de la nuit, puis s'arrêta. Sur le balcon, deux personnes discutaient à mi-voix. Galaniel, ainsi que leur mère, Ethmine. Il tendit l'oreille, pour se rendre compte qu'elle lui confiait un événement resté secret jusqu'ici.
Frontières septentrionales de Shawn, 17 ans zyssiens, 9 ans shawniens plus tôt
Des cris et des bruits d'armes se firent entendre. Ethmine interrogea Zawhyk du regard. Inquiet, son mari attrapa une dague, ainsi qu'une vieille épée dans un recoin de la hutte. Dehors, des hurlements lugubres déchirèrent la nuit.
« Je vais juste voir ce qui se passe, déclara-t-il. Je reviens aussitôt. »
Il ouvrit la porte. Des villageois couraient entre les bâtiments, affolés, pour converger vers la clôture de protection.
« Sois prudent. » lui souffla Ethmine.
Marzog, adorable nouveau-né d'à peine un mois, dormait à poings fermés dans son berceau. Tout près de lui, Galaniel, à peine âgé d'une année shawnienne, explorait son aire de jeu remplie de jouets en bois.
Zawhyk ne fut pas long à comprendre l'origine des cris. La barricade de bois était éventrée en plusieurs endroits, et une horde de yekters envahissait le village. Géants bipèdes, aux crânes plats et aux fourrures grises et blanches, ils faisaient tournoyer d'épaisses massues pour tout dévaster sur leur passage. D'ordinaire, ces créatures ne dépassaient pourtant jamais les frontières septentrionales ; Zawhyk n'en voyait d'ailleurs que pour la première fois.
La porte éclata, les copeaux de bois voltigèrent à travers la pièce. Le yekter ricana, tandis qu'il s'avançait dans la hutte, tête baissée. Face à lui, Ethmine dégaina une épée.
« Sors d'ici. » ordonna-t-elle aussitôt, d'un ton qui se voulait le plus ferme possible.
Le yekter grogna. Il tourna la tête ; ses yeux s'agrandirent à la vue des deux enfants apeurés. Ses babines se retroussèrent pour dévoiler d'épaisses dents jaunes pointues. Il voulut avancer, mais Ethmine se mit en travers de son chemin.
« Pour la dernière fois, sors d'ici. »
Sa masse rencontra la Shawnienne pour la projeter dans un recoin de la pièce. Il s'approcha des deux enfants, désormais sans défense, la raison de sa présence. Sans marquer d'hésitation, il leva son arme.
Dans un sursaut désespéré, Ethmine lui bondit sur le dos, essaya de le frapper avec une arme improvisée. Il se débattit, la Shawnienne glissa sur les cristaux de sa fourrure, retomba au sol, puis constata, horrifiée, la masse qui s'apprêtait à l'achever.
Le mouvement du yekter s'interrompit. Sa fourrure se colora de rouge, une épée le transperçait de part en part. Le monstre s'effondra, tandis que Zawhyk retirait son arme, une lueur noire dans le regard. Nul ne s'attaquait à sa famille sans en payer le prix.
Ethmine se releva pour se précipiter vers ses enfants, tandis que Zawhyk s'accroupissait pour examiner la masse du yekter. Une pierre étrange l'ornait, une pierre qui attirait son attention, appelait sa présence. Il étendit la main.
L'instant d'après, il avait disparu.
***
Ethmine se tut. Elle avait terminé son récit, expliqué à son fils comment Zawhyk était devenu Voyageur, et, en même temps, l'avait mis en garde contre un danger indéfinissable.
« Tu es sûre qu'il en avait après nous ? demanda Galaniel
— Sûre et certaine. J'ai croisé son regard. Vous étiez le but de cette attaque, ou, du moins, l'un de vous deux.
— C'était lui aussi un Itinérant ?
— À vrai dire, Zawhyk s'est renseigné, après ces événements. Les yekters ne peuvent pas devenir Itinérant ou Voyageur, ils sont trop primitifs pour cela. Pareil pour l'attaque, d'ailleurs, quelqu'un ou quelque chose de très puissant les y a sans doute poussés.
— D'où venait la Pierre d'Origine du yekter, alors ?
— Probablement d'un Voyageur, ou un Itinérant, qui a eu le malheur de s'aventurer dans ces régions inhospitalières.
— Je ne comprends pas, pourquoi s'en prendre à un nouveau-né ? »
Ethmine haussa les épaules.
« Je n'en sais rien, nous ne l'avons jamais vraiment compris. Zawhyk n'a jamais su qui aurait pu commanditer une telle attaque. Cependant, je sais aussi qu'il avait des doutes concernant l'intégrité de certains Voyageurs ; il ne leur faisait pas toujours confiance.
— Donc un Voyageur pourrait en être à l'origine ?
— C'est possible, tout comme il est possible que ce soit un Itinérant. Je ne peux pas te répondre à ce sujet. »
Dans ses yeux, l'inquiétude se faisait palpable. Elle poursuivit.
« Après cet événement, nous nous sommes ensuite installés plus au sud. Nous voulions que vous meniez une enfance normale et pensions tout danger écarté. Zawhyk veillait sur Shawn, et nous avions mis suffisamment de distance avec les yekters pour les empêcher de nous atteindre.
« Mais, maintenant que tu es à ton tour devenu Voyageur, il fallait que je t'en informe. Tu dois savoir que tu es sans doute important aux yeux de certains ennemis, des ennemis que tu devras peut-être même combattre. Je veux que tu fasses très attention à toi.
— Je ferai attention, je te le promets. »
Ethmine soupira.
« Zawhyk m'avait dit la même chose. »
***
Depuis une colline voisine, dissimulé dans le manteau sombre de la nuit, l'homme contemplait Hyktacrite. Le vaisseau-mère atteignait la planète, les Kalendoriens attaqueraient le lendemain.
Les Shawniens s'étaient retranchés, derrière les murs, et se tenaient désormais prêts à les accueillir. Quelque part, au milieu d'entre eux, un homme, celui qu'il espérait, celui qu'ils espéraient tous.
Dubitatif, l'homme avait tout d'abord fait peu de cas de l'information de Rneigl, que lui-même avait reçue d'une source extérieure, un dénommé Stakis Lomen. Une supposition, un doute, concernant un Shawnien, Galaniel Zawhyka Espan, lors de l'échange sur Zyx.
Puis la bataille contre le Général Chef avait eu lieu.
Un véritable massacre, moins de survivants que les doigts d'une main, mais toujours ce Galaniel. Selon la rumeur, le jeune homme était même responsable de la mort du Général. Quel meilleur signe, quelle meilleure preuve espérer ? Né tout près des frontières septentrionales, dix années shawniennes plus tôt, le doute n'était désormais plus permis.
Après toutes ces années d'espoir, Il revenait enfin.
« Alors, tu vas vraiment y aller, en pleine bataille ? »
La question du kergon coupa le cours de ses pensées.
« Il le faut bien, Al'. » lui répondit-il.
Il avait sans doute retrouvé l'Élu, mais les Voyageurs aussi, peut-être soupçonnaient-ils même déjà son identité. Ils le surveilleraient, désormais, l'emmèneraient à l'autre bout de la Galaxie, et feraient tout pour le mettre hors de portée. Pire encore, ils pourraient même essayer de le retourner contre eux, contre ses anciens disciples, les Chevaliers Oniriques.
Il n'avait d'autre choix que d'agir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top