XXIV-3 : Le retour de l'enfant prodige


Hyktacrite, Grande Arène, sept jours plus tard

L'épée à la main, Galaniel virevoltait en tous sens face à un adversaire imaginaire. La nuit était tombée depuis plusieurs heures, Seyer avait réuni des mages shawniens pour aborder la protection de la cité, et avait donc laissé quartier libre à ses élèves.

Galaniel avait d'abord voulu se reposer, mais avait été incapable de trouver le sommeil, malgré son corps fourbu. L'image noire du Commandant lui revenait en mémoire, toujours plus présente, toujours plus oppressante.

Esmène lui avait fait part des derniers développements, qu'Octale avait transmis. Les Zyssiens venaient de signer une paix définitive avec Zagnar, en échange d'un aller-retour avec Shawn. Le Général, son Commandant, ainsi que de nouveaux gardes noirs, prendraient part à la bataille.

Les doigts de Galaniel se crispèrent. Hupias Ecterian, pour avoir voulu aider Shawn, avait perdu son poste d'ambassadeur. Une fois de plus, les Zyssiens ne défendaient avant tout que leurs propres intérêts, sans égards pour leurs alliés.

Ils permettaient aux Kalendoriens d'envoyer leurs meilleurs éléments ; ils permettaient de laisser venir le Commandant.

Galaniel s'était renseigné auprès d'Esmène. L'homme était un combattant hors pair, devenu une véritable légende, sur Oriale, tant sur le maniement des armes que de la stratégie militaire. Un adversaire implacable, que même Octale redoutait.

Face à lui, le jeune homme ne faisait pas le poids, et, pour l'avoir affronté, il ne le savait que trop bien. Il redoutait de se retrouver face à lui, de nouveau, dans la bataille. Il redoutait de devoir encore se battre pour sa vie. Il redoutait ce qui pourrait advenir, malgré ses alliés, malgré sa Pierre.

Zagnar, le Commandant, chaque Kalendorien voulaient sa mort. Il était devenu un symbole, mais aussi l'ennemi à abattre.

« Tiens, tu es encore là, à cette heure-ci ? »

Alyne venait de pénétrer dans les gradins de l'arène et descendit vers lui. Sans prendre la peine de tourner la tête, Galaniel lui répondit aussitôt.

« Je pourrais te poser la même question.

— Nous autres, elfines, avons besoin de moins de sommeil que les humains. Cela représente surtout du temps perdu. »

Il acheva son enchaînement par un mouvement vif du poignet, puis se tourna vers son interlocutrice. Alyne s'était assise sur un rebord de pierre.

« Tu ferais mieux d'apprendre à maîtriser les pouvoirs de ta Pierre, commenta-t-elle, étant donné ton niveau actuel.

— C'est pour me dire ça que tu es venue ?

— Ne t'imagine pas que je suis venue à cause de toi ; j'ignorais d'ailleurs que tu étais là.

— Si tu étais aussi douée que tu le prétends, ironisa Galaniel, tu aurais dû repérer l'aura magique de ma Pierre, et donc savoir que j'étais là. »

Le visage d'Alyne s'était fermé. Si elle ne maitrisait pas encore complètement toutes les subtilités de sa propre Pierre, elle n'allait certainement pas le lui avouer.

« Les gardes noirs sont capables de contrer les sorts magiques, et donc les pouvoirs de nos Pierres, expliqua Galaniel. S'ils décident de s'en prendre à toi, tous tes sorts magiques ne te seront d'aucun recours. »

Alyne haussa les épaules, peu convaincue.

« Gardes noirs ou pas, ils restent des humains, bien incapables de me faire quoi que ce soit.

— Je te rappelle que j'ai bien réussi à te tenir tête, lors de notre dernier affrontement.

Les yeux d'Alyne se froncèrent.

« Mais tu es resté incapable de l'emporter. »

Galaniel soupira, avant de reprendre.

« Il y a peu, j'ai participé à une compétition, sur ma planète, le Tournoi des Glaces. J'étais dans la catégorie junior, ceux qui venaient d'atteindre leur majorité depuis la dernière compétition... »

Ses yeux noirs rencontrèrent le regard froid d'Alyne.

« J'ai fini quatrième. Je pense que, sur Shawn, seulement, il doit y avoir au minimum une centaine de combattants, si ce n'est un millier, qui soient meilleurs que moi. Quant à Oriale, elle est au moins dix fois plus peuplée ; je te laisse conclure. »

Galaniel se détourna, finalement, et fit tourner son épée entre ses doigts.

« Si tu veux ne serait-ce qu'un conseil, méfie-toi de la garde noire kalendorienne. »

Alyne effectua une moue dubitative, qui n'empêcha pas Galaniel de continuer :

« J'ai été pris dans une escarmouche sur Oriale. J'ai dû en affronter plusieurs, et je peux te confirmer qu'ils étaient redoutables. Mais ce n'était encore rien, face à leur Commandant. Face à lui, je n'étais rien de plus qu'un débutant, il m'a désarmé sans la moindre difficulté.

— S'il était si fort, pourquoi est-ce que tu es encore vivant, alors ? persifla Alyne.

— Je ne me suis pas laissé exécuter ; et puis, il faut croire que je cours plutôt vite, surtout lorsque ma vie est en danger. »

Alyne leva des yeux éberlués.

« Tu as... fui ?

— Je dois avouer que l'idée de me retrouver embroché me paraissait assez peu enviable.

— Mais c'est... lâche !

Galaniel planta son regard dans le sien. Ses yeux sombres étincelaient d'une lueur qui la mit mal à l'aise.

« J'ai vu la mort plusieurs fois en face, parfois de très près ; je l'ai vue emporter des compagnons, des amis, qui se tenaient à mes côtés. Mais je n'ai jamais cessé de combattre. Dans quelques jours, je combattrai encore, jusqu'à mon dernier souffle, s'il le faut, comme je l'ai toujours fait. Je ne me suis jamais dérobé, quand bien même il fallait mettre ma vie en danger, alors s'il y a bien un qualificatif dont je refuse d'être affublé, c'est bien celui de lâche. Et encore moins par quelqu'une qui n'a fait qu'entrevoir de loin les affres de la Galaxie, confortablement installée dans sa cité de cristal. »

Il n'avait pas haussé la voix, pourtant ces mots pénétrèrent Alyne avec l'efficacité d'un poignard. Elle baissa la tête, mais refusa de ravaler son orgueil et sa fierté sur ce terrain glissant.

« Je serais restée, moi. Je l'aurais combattu et vaincu, ou alors c'est que je ne suis plus une elfine.

— Tu serais donc une elfine morte à l'heure qu'il est, quel bel intérêt pour l'Ordre ! »

Alyne resta un instant interdite face à son aplomb. Il savait qu'elle n'aurait pas reculé, et c'était justement ce qui l'inquiétait.

« Tu as seulement déjà participé à une vraie bataille, à une vraie guerre ? » reprit Galaniel.

Elle dénia de la tête.

« Non, celle-ci sera mon baptême du feu.

— Les massacres inutiles ne font pas gagner les guerres. Quand l'ennemi est plus fort, il faut savoir d'abord se replier, quitte à mieux le frapper ensuite, c'est ce que l'on appelle une stratégie.

— Encore faut-il qu'il soit plus fort.

— C'est vrai, j'oubliais ton infinie connaissance des atouts kalendoriens. »

Elle le fixa de ses yeux clairs avec une intensité peu commune. Une flamme inquiétante y dansait, mélange de défi et d'assurance. Il crut voir des étincelles bleutées parcourir ses doigts blancs, avant de se résorber.

« Je n'ai peut-être pas cette expérience, comme tu te plais à me le rappeler, mais je m'y suis préparée toute ma vie. J'ai voué mon existence à devenir Voyageuse et je sais que je ne faillirai pas, le moment venu. »

Galaniel préféra hausser les épaules, puis s'écarta. Elle lui attrapa le bras, et plongea son regard dans le sien.

« Nous ne sommes pas ici par hasard. Nous avons été choisis, par la Grande Déesse. Tes dires étaient peut-être vrais, avant, mais, maintenant, nous sommes les porteurs de Sa Volonté, et nos Pierres sont là pour nous le rappeler. Nous ne sommes plus quelques-uns parmi la multitude, nous sommes Ses Archanges, les représentants de la Lumière. »

Elle le lâcha, mais ne le quitta pas du regard pour autant. Ses yeux de glace étincelaient dans l'obscurité.

« Commandant ou pas, les Kalendoriens vont perdre cette bataille. Nous sommes trois Voyageurs, plus un Grand Maître, et c'est déjà plus que suffisant. »

Galaniel hocha la tête.

« Merci, d'être là. Je sais que tu n'avais pas vraiment de raison de venir.

— J'ai déjà expliqué mes raisons, trancha Alyne. Et puis, cette bataille ne sera rien d'autre qu'une formalité.

— Une bataille, ce n'est jamais une formalité.

— Tu ferais mieux d'arrêter de ressasser ta peur de leur Commandant, et d'accorder plus de foi au choix de la Grande Déesse. »

Elle mit un terme à la conversation et se détourna pour repartir d'où elle était venue. Sans répondre à sa réplique acide, Galaniel la suivit du regard. Avait-elle tout à fait tort ? Ses peurs, ses appréhensions, se cristallisaient sur le Commandant, alors que Sméarn Pteï avait représenté un ennemi autrement plus redoutable.

Seul, en combat singulier, il savait ne pas pouvoir triompher. Cependant, les Shawniens, les gardes rouges, Césape, Alyne, et même le Grand Maître Seyer, se battraient à ses côtés. Il n'était pas seul et, quelque part, la Déesse Cristal veillait sur eux.

À lui de ne pas les décevoir.

Ses doigts se refermèrent à nouveau sur le pommeau de son épée, dont sa vie, sa survie même, dépendraient d'ici peu. Dans l'obscurité la plus profonde, sa compagne d'acier trancha la nuit de sa danse aussi furieuse qu'imaginaire.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top