Le magistrat-président s'interrompit, tandis que la Pierre de Galaniel irradiait d'une soudaine lueur vive. Face au Conseil interloqué, le Voyageur prit son artefact entre ses mains.

« Veu... veuillez m'excuser. » bafouilla-t-il.

Les informations de la Pierre se firent aussitôt jour dans son esprit. Une Faille était sur le point de s'ouvrir, non loin, à l'intérieur de la cité. Une Faille qu'emprunteraient trois Voyageurs, le Grand Maître Seyer Askhalomène, ainsi que ses deux autres apprentis, Alyne ol'Astyn et Césape Victorèle.

Un toussotement discret ramena Galaniel à terre. Le magistrat-président le dévisageait avec étonnement, de même que tous les autres membres du Conseil, ainsi que d'Esmène.

« Monsieur Espan, seriez-vous, par le plus grand des hasards, un Voyageur ? »

La question du magistrat-président le prit de court. Ainsi, le Conseil connaissait déjà l'existence de l'Ordre, alors que lui-même l'ignorait encore quelques mois plus tôt. Sans tergiverser davantage, le jeune homme répondit par l'affirmative. Le Conseil constituait la plus haute autorité de son peuple et il lui faisait confiance.

« Shawn fait donc partie des planètes sous la protection des Voyageurs ? enchaîna-t-il aussitôt.

— Pas exactement. Leur Ordre nous a bien fait de nombreuses propositions, mais, jusqu'ici, et contrairement à la Fédération, nous avons toujours préféré une certaine neutralité. »

Galaniel se tourna vers Esmène.

« Et votre Général, a-t-il choisi un camp ?

— Bien sûr que non. La Brocélie est indépendante et souveraine.

— Et Zagnar ?

— Peut-être a-t-il un penchant pour les Itinérants, en raison de sa filiation. Toutefois, il n'en est lui-même pas un et je doute qu'il puisse laisser une quelconque puissance étrangère lui dicter sa conduite. »

Le magistrat-président prit de nouveau la parole, son regard fixé sur Galaniel et sa Pierre.

« Et à part vous, d'autres Voyageurs auraient-ils décidé de nous aider, quand bien même nous ne sommes pas à proprement parler sous leur protection ?

— Je participerai à cette bataille, quoi qu'il m'en coûte, répondit le jeune homme. Tout ce que je peux vous dire de plus, c'est que le Grand Maître chargé de ma formation, ainsi que ses deux autres élèves, s'apprêtent actuellement à rejoindre Shawn. Même si je ferai tout mon possible afin de les convaincre de nous aider, je ne peux cependant pas répondre pour eux. »

D'autres questions, plus administratives, suivirent : l'évacuation des enfants et inaptes au combat, une évaluation plus détaillée des forces en présence, et enfin le logement des gardes rouges. La Grande Arène fut réquisitionnée pour l'occasion, et permettrait même d'accueillir encore quelques centaines de personnes. Par la suite, lorsque les renforts commenceraient à affluer, les magistrats envisageraient des tentes, ainsi que de les loger chez les habitants.

Une fois la séance close, les magistrats quittèrent leurs sièges en bois pour ouvrir de nouveau la lourde porte de fonte du Conseil. Quelques personnes attendaient dans la grande salle, mais l'une d'entre elles se détacha de la baie d'avrec pour venir à leur rencontre. Encapuchonné dans une grande cape orange, il révéla aussitôt son visage, ses cheveux à la teinte identique, ses oreilles doubles élancées, ainsi que ses yeux d'un violet profond.

Galaniel le reconnut aussitôt et voulut prendre la parole, mais fut devancé par le fythélien.

« Bonsoir, Galaniel, et bonsoir à vous, magistrats du Conseil de Shawn. Mais, avant toute chose, permettez-moi de me présenter : Seyer Askhalomène, Grand Maître Voyageur.

« Comme vous le savez sans doute déjà, votre planète se trouve, à l'heure actuelle, sous la menace d'un Général d'Oriale. Cependant, comme vous n'êtes pas un monde sous sa protection, l'Éternel n'a pas enjoint de Voyageurs à venir vous prêter main-forte. La guerre contre les Itinérants ou la traque des Chevaliers Oniriques restent en effet prioritaires. »

Alors que Galaniel s'apprêtait à protester, le Grand Maître poursuivit sa tirade.

« Aussi, je ne m'adresserai donc à vous qu'à travers un cadre strictement personnel. Zawhyk Dremana Espan fut autrefois mon apprenti, un ami sincère, même, et tenait ce monde, votre monde, en grande estime. Sa fin nous a tous peinés, mais je n'oublie pas qu'il s'est avant tout battu pour préserver l'avenir de son peuple, de sa planète. Comme chaque Voyageur cherche à le faire.

« Il est mort en héros, pour triompher du Mal, et je refuse que ce monde pâtisse des choix difficiles qu'il eut à faire. C'est pourquoi je suis venu vous proposer mon aide, de même que mes apprentis, Alyne ol'Astyn, Césape Victorèle... »

Galaniel reconnut les deux silhouettes qui traversèrent la salle pour se porter jusqu'à eux. L'une, frêle et chétive, l'autre, au contraire, massive et imposante.

« ...ainsi que Galaniel Zawhyka Espan, bien sûr, que je n'ai plus besoin de vous présenter. »

Le visage de Seyer était demeuré digne, presque impassible. Mais, même s'il essayait de le dissimuler, sa voix restait porteuse d'une profonde émotion.

« Vous avez toute notre reconnaissance, reprit le magistrat-président. Cette aide nous sera d'un grand secours, et représente bien plus que ce que nous aurions pu espérer. »

Césape donna une tape sur l'épaule de Galaniel et manqua de faire tomber le jeune homme à terre, tandis qu'Alyne, plus discrète, les rejoignait.

« Eh bien ! On est à nouveau au complet, fit remarquer le gigan.

— En effet, admit-elle, pour le meilleur et pour le pire.

— Vous avez aussi accepté de nous aider, tous les deux ? s'enthousiasma Galaniel

— En tant que Voyageuse, répondit Alyne, j'ai juré de combattre les Ténèbres, quelle que soit la forme qu'elles puissent prendre. Ce monde n'est sans doute pas sous notre juridiction, mais ce n'est pas pour autant que je ne devrais pas intervenir. Le Général qui vous menace, Zagnar Pteï, est avant tout le fils d'un Itinérant qui, il y a encore quelques mois, gouvernait la même nation. C'est donc autant votre combat que le mien.

— Ouais, et moi je suis là parce que c'est mal d'envahir une planète, ou quelque chose comme ça, renchérit Césape. Et puis, cela permettra de rajouter de nouveaux exploits à mon actif. J'ai promis à ma tribu de leur narrer en détail mes glorieuses aventures, lorsque je reviendrai, alors autant ne pas les décevoir. »

Le magistrat-président esquissa un fin sourire. La bataille s'annonçait peut-être rude, mais la présence de Voyageurs le rassurait aussi beaucoup, surtout avec un Grand Maître.

Peut-être finirait-il par accepter les propositions de l'Ordre, après tout...

Hyktacrite, Grande Arène, trois jours plus tard

Les doigts incandescents de Seyer désagrégèrent une planche de bois pour laisser retomber une myriade de morceaux larges comme le pouce.

« Cela va bientôt faire trois jours que j'essaie de vous initier à la télékinésie, rappela le fythélien. Aussi, j'aimerais bien un minimum de résultats. »

Il étendit un bras. Une dizaine de copeaux s'élevèrent.

« Galaniel, je te l'ai dit et répété, tout est une question de concentration, ainsi que d'expérience. Donc, on recommence jusqu'à ce que tu y arrives. »

Le jeune homme raffermit sa volonté, imagina une bulle protectrice tout autour de lui. Aucun projectile ne devait passer, aucun projectile ne devait l'atteindre. Un premier copeau fusa, tel une flèche, pour s'immobiliser finalement, à quelques centimètres de son torse. Galaniel fit un sourire, il le contrôlait désormais par télékinésie. Puis il le laissa retomber à terre. Aujourd'hui, le jeune homme n'aurait pas à se relever couvert de bleus au terme de cette séance d'entraînement.

Il releva la tête pour constater que de nouveaux copeaux filaient droit vers lui.

Désemparé, il freina le premier, dévia deux autres de justesse, vit les suivants arriver. Il paniqua, et, d'instinct, dressa un mur de flammes pour interrompre leur course. Des résidus carbonisés retombèrent au sol tandis que s'évanouissait déjà le sortilège.

Un nouveau projectile traversa la fumée, avant qu'elle ne finisse de se dissiper, pour le prendre de court. Percuté de plein fouet, Galaniel fut projeté à terre, tandis que les autres copeaux poursuivaient leur route, au-dessus de lui.

Galaniel se releva finalement, la tête endolorie.

« S'il s'agissait d'une balle réelle, tu serais mort à l'heure qu'il est, fit remarquer Seyer.

— Vous en avez envoyé plusieurs en même temps, cette fois-ci, protesta Galaniel

— Parce que tu crois peut-être que ce ne sera pas le cas, sur le champ de bataille ? Tu seras ciblé de toutes parts, et tu dois donc apprendre à contrôler tous les projectiles, quelle que soit leur provenance. Quant à ton mur de flammes, il te sera inutile sur le terrain, face à des balles réelles.

— C'est difficile...

— Tes adversaires n'auront aucun égard pour tes faiblesses, au contraire, ils chercheront à les exploiter pour te vaincre. C'est pour cela que tu dois n'en avoir aucune. »

Il étendit à nouveau la main au-dessus des copeaux restants, qui se levèrent à leur tour.

« On recommence. »