XXIV-1 : Le retour de l'enfant prodige


Rasben représente la principale source d'énergie de la Fédération. Son orbite oscille entre 95 et 105 millions de kilomètres de distance du Soleil, son atmosphère est presque inexistante, et sa gravité, environ deux fois moindre que celle de Zyx. Sa surface se caractérise par des températures très marquées, de -150°C la nuit jusqu'à 300°C le jour. Aucune vie n'existe sur ce monde hostile, à l'exception des complexes de minage zyssiens ou de production d'énergie. Les centres de fusion nucléaire parsèment ainsi le sous-sol et viennent alimenter les générateurs d'antimatière. Les capsules produites sont ensuite installées dans des stations spatiales, qui renvoient l'énergie à la surface de Zyx sous forme de faisceaux micro-ondes. Enfin, elles servent aussi comme carburant pour les trajets interplanétaires.

La consommation totale d'énergie de Zyx par an se chiffre actuellement à 7.10^21 Joule, soit 4,1.10^11 Joule/habitant, ce qui correspond à une fabrication de "seulement" 39 tonnes d'antimatière par an.

Hupias Ecterian, Chroniques du monde moderne


« Veuillez rejoindre vos sièges et boucler vos ceintures. Enclenchement de la phase d'atterrissage d'ici quinze minutes. »

Galaniel s'installa dans le siège de pilotage pour vérifier une dernière fois tous les paramètres de vol. Comme prévu, le vaisseau s'apprêtait à se poser aux abords d'Hyktacrite, cité du Conseil de Shawn et centre névralgique de la planète.

Les gardes rouges le rejoignirent pour s'harnacher à leurs sièges respectifs. Quelques minutes plus tard, Galaniel confirmait la procédure à l'ordinateur. Le moteur à antimatière se réactiva pour faire vrombir le vaisseau tout entier. Les réacteurs à neutrinos se réenclenchèrent et agencèrent leurs flux d'émissions de sorte à retourner le vaisseau. Puis le régime du moteur s'amplifia pour entamer une brutale décélération.

Il ne se coupa que quelques minutes plus tard, et le caisson à antimatière se détacha du vaisseau pour rester en orbite haute. La pile à hydrogène prit le relais pour contrôler la descente à travers l'atmosphère.

Sur les écrans, Shawn continuait de se rapprocher, gigantesque sphère de neige et de glace. Seule une bande de verdure interrompait cette uniformité, au niveau de l'équateur, mais s'effacerait bien vite avec l'arrivée de l'hiver.

Enfin, après un temps indéfini, mais qui sembla une éternité aux gardes rouges, un dernier choc fit frémir l'appareil avant qu'il ne s'immobilise. Le moteur se coupa, de même que les réacteurs à neutrinos, et le champ mésien s'estompa peu à peu.

« Procédure d'atterrissage achevée. » conclut l'ordinateur de bord.

La trappe de la cabine s'ouvrit et l'échelle extérieure se déplia jusqu'à rejoindre le sol.

Galaniel confirma aussitôt le retour du vaisseau sur Oriale en pilotage automatique, puis sortit de l'appareil afin de poser de nouveau le pied sur sa planète natale. Enfin. L'air frais de Shawn s'engouffra dans ses poumons pour lui procurer une rare sensation de bien-être. Même s'il n'était venu à Hyktacrite que deux fois, la première pour le Tournoi des Glaces, la seconde pour retrouver Zawhyk, avant son départ sur Oriale, ces paysages, ces collines, ces falaises proches lui étaient familiers. Il était de retour chez lui.

Les gardes rouges le rejoignirent et fixèrent aussitôt les quadrupèdes gris cuirassés, occupés à brouter tout autour d'eux. Un troupeau d'horchins. Galaniel aperçut le berger, non loin, et le salua de la main. Médusé, l'homme continua de dévisager le vaisseau comme les gardes rouges. Sans aucun doute, cette rencontre avec des extrashawnestres constituait une première pour lui.


Hyktacrite, salle du Conseil, le soir-même.

Le magistrat-président prit la parole. Recouvert d'habits blancs immaculés, la barbe d'argent soignée, sa voix grave restait calme et posée, malgré la gravité de la situation.

« Ainsi, ce Général d'Oriale, Zagnar Pteï, aurait envoyé un vaisseau-mère jusqu'à nous, résuma-t-il. Et vous êtes bien sûr que son objectif est uniquement militaire ?

— Au vu de ses discours, ainsi que de la quantité d'hommes et d'armes qu'il a envoyés, je doute que son objectif soit une simple rencontre amicale, ironisa Esmène.

— Je le savais ! tonna un autre magistrat. Nous n'aurions jamais dû laisser ce Zawhyk Espan interférer avec cette lune maudite ! Tôt ou tard, nous aurions eu à en subir les conséquences !

— Nous aurions surtout eu à les subir si nous n'étions pas intervenus, argumenta Galaniel. Mais, cette fois-ci, il aurait été impossible de faire face. Aujourd'hui, au contraire, nous pouvons au moins compter sur le soutien d'un Général, Octale Zdalavitch, et ne devrons affronter qu'un seul vaisseau-mère, sur les trois d'Oriale.

— Monsieur Espan, laissez-moi vous dire deux choses : primo, le Général censé nous soutenir nous a seulement envoyé dix combattants ; secundo, je me refuse à toute reconnaissance qui nous conduirait à une autre invasion, plus douce et plus lente.

— Notre Général ne vous imposera pas de présence militaire, ni contrepartie d'aucune sorte, si c'est ce que vous voulez savoir ! s'indigna Esmène.

— Mes frères, calmez-vous, je vous en conjure. » intervint le magistrat-président.

Une fois le brouhaha naissant dissipé, il reprit la parole.

« L'heure n'est plus aux atermoiements sur les choix du passé. Ils sont faits, nous ne pouvons revenir dessus. Maintenant, pour faire face à l'avenir, j'aurais besoin de votre attention la plus complète. »

Il se tourna vers Esmène.

« Madame Vlata, j'aurais une dernière question à vous poser. Zawhyk et ses combattants étaient des Shawniens, je le concède, et ont entraîné la mort du précédent Général Chef. Cependant, ils n'ont agi que selon leur libre arbitre, et en aucune manière sous le couvert du Conseil, qui s'est lui-même refusé à toute intervention armée. En d'autres termes, Shawn n'a jamais déclaré la guerre à Oriale, Zagnar en est-il conscient, ou serait-il possible de le raisonner ?

— Je ne sais pas quelle est la teneur exacte des informations dont il dispose, mais, à mon avis, Zagnar n'en est plus à ce détail près. Il a besoin de prouver sa valeur aux yeux des autres Généraux pour écourter une guerre dans laquelle il s'enlise. Punir les ennemis de son père n'est qu'une raison officielle, et ne vient donc qu'après. Vous pouvez toujours essayer de le raisonner, comme vous dites, mais je doute qu'il daignera seulement vous écouter. »

Le Conseil marqua un signe de dépit. Lorsque Zawhyk était venu leur proposer de combattre le Général Chef, les magistrats, divisés, indécis, avaient essayé de trouver une solution qui pût satisfaire le plus grand nombre. Ils l'avaient laissé attaquer, mais sans s'impliquer eux-mêmes, de crainte d'éventuelles représailles. Ils espéraient récolter les points positifs des deux options, mais le contraire s'était déroulé : Zawhyk était mort, et Shawn, désormais sur le point d'être envahie. Ils auraient dû faire un choix, bien avant, choisir de soutenir Zawhyk de toutes leurs forces, sans égards pour l'ire des Généraux, ou, au contraire, l'empêcher de mener à bien une telle expédition.

« Soit, reprit le magistrat-président. Tant que possible, nous préférons éviter la guerre, mais nous ne pouvons pas non plus rester sans réagir si l'armée d'un Général débarque chez nous. Nous sommes restés libres et indépendants des millénaires durant, et nous entendons bien le rester. »

Il interrogea du regard les autres membres du Conseil, qui opinèrent de la tête.

« Si un Général arrive sur Oriale sans la moindre velléité, nous l'accueillerons avec les honneurs qui lui sont dus, confirma un autre magistrat, mais si ses intentions ne sont pas louables, nous ne nous laisserons pas asservir. »

Le Conseil rendait son verdict : si Zagnar cherchait la guerre, il l'aurait, sans compromis. Le vaisseau-mère n'arriverait pas encore avant une vingtaine de jours, aussi les Shawniens auraient le temps de se préparer au pire.

« Si nous avons été envoyés par notre Général, reprit Esmène, c'est aussi pour vous informer des armes dont dispose notre ennemi, ainsi que de ses éventuelles stratégies.

— Nous vous écoutons, Madame Vlata. »

Afin d'affirmer sa domination sur Shawn, Zagnar envahirait en priorité ce qui se rapprochait le plus d'une capitale, ou tout du moins de la cité la plus importante, à savoir Hyktacrite. Le choix apparaissait d'autant plus clair que, sur Shawn, la population s'essaimait en villages jusqu'aux frontières septentrionales, et que les villes se faisaient rares. La prise d'un tel centre névralgique permettrait donc de marquer les esprits, tant shawniens qu'orialiens.

« Il se peut que Zagnar vous fasse part d'un ultimatum ou d'une proposition de reddition avant son offensive, comme il en est parfois d'usage sur Oriale. Néanmoins, il n'y est pas pour autant tenu et peut très bien entamer dès son arrivée un bombardement méthodique.

« Afin de renforcer sa victoire, le Général cherchera sans doute à s'emparer de toute marque de pouvoir shawnienne. Il pourrait choisir de faire des prisonniers, afin de mieux humilier ses adversaires, mais détruire la cité jusqu'à sa dernière pierre reste une option plus qu'envisageable. Son invasion terrestre pourrait ensuite être menée dans le but d'achever les derniers survivants.

— Vous pensez vraiment que ce Général serait capable d'en venir à de telles extrémités ? »

Une ombre passa dans les yeux d'Esmène.

« N'attendez pas de compassion de sa part. Au Neelhan, ses troupes ont dévasté Sif, la capitale, puis Elanis, pour ne plus laisser que des champs de ruine. Outre les exactions civiles, le sort des prisonniers n'est guère enviable, d'ailleurs. »

Ses mains se crispèrent tandis qu'elle continuait.

« Vous ferez ce que vous voulez, mais, pour ma part, je ne laisserai pas les Kalendoriens me prendre vivante, pas une nouvelle fois. »

Face à l'appréhension des Shawniens, elle coupa finalement court à la conversation pour se lancer dans un exposé détaillé des armes kalendoriennes : chars, canons, vaisseaux, fusils, mitrailleuses automatiques, armes lourdes, exosquelettes...

« Les Barzacs sont peu nombreux, mais redoutables, poursuivit-elle. Les soldats adversaires sont protégés à l'intérieur d'une épaisse sphère de métal, reliée à six membres articulés. Deux jambes pour assurer la locomotion, et quatre bras, avec à disposition des lames de deux mètres, ainsi que des armes lourdes.

— Comment faites-vous pour les vaincre, de votre côté ?

— Généralement par des tirs de canons ou des chars...

— Et ils n'ont pas de point faible ?

— Ils n'ont pas été conçus pour en avoir. Face à l'un d'entre eux, faites surtout très attention à ne pas sous-estimer ni sa force, ni ses réflexes. »

Elle fit une pause avant d'aborder son dernier point.

« Enfin, il faut que je vous parle de la garde noire, le dernier grand atout de nos adversaires, et de loin le plus dangereux. Un groupe de soldats d'élite, tous équipés d'A.O.M. »

Elle désigna l'appareil fixé sur sa chevelure noire, un diadème de rubis orné de paillettes scintillantes.

« A.O.M., ou Amplificateur d'Ondes Mentales, détailla-t-elle. Ces appareils ont été conçus lors de l'Exode et nous n'avons pas été capables d'en fabriquer d'autres, depuis. Ils permettent notamment d'user de télékinésie à courte distance, et donc de devenir, dans une certaine mesure, insensible aux projectiles ou même d'éventuels sorts magiques. Pour les vaincre, donc, vous ne pouvez utiliser que des armes blanches, mais, vous vous en doutez, le corps à corps se trouve être leur domaine de prédilection. »

De son côté, Shawn ne comportait pour seules armes que des épées ou des arcs. Le dernier conflit en date remontait à plus de neuf années shawniennes, avec l'assaut de yekters sur les villages du nord. Néanmoins, chaque habitant apprenait à se défendre dès son plus jeune âge, ne serait-ce que contre les bêtes sauvages ou d'éventuels brigands.

Et puis, la planète comportait un certain nombre de magiciens, dont les capacités seraient plus qu'utiles face à Kalendor.

Le magistrat-président attrapa une fiole vermeille, puis se rapprocha d'une demi-sphère au liquide bleu, posée sur un socle dans le fond de la pièce. Sans hésiter, il déboucha le flacon pour en verser le contenu. Les volutes se répandirent jusqu'à coloniser tout l'espace, jusqu'à remplacer l'ancienne teinte.

La sphère irradiait maintenant d'un éclat rouge vif.

« À cette heure-ci, toutes les séphones de Shawn viennent de prendre la même couleur, expliqua-t-il à Esmène. Notre planète est en guerre, et les différentes cités ne tarderont pas à nous envoyer des renforts. »


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