XXIII-4 : Le Général de Brocélie
Une fois les messages enregistrés puis diffusés, Octale raccompagna Galaniel à travers l'appartement. De l'autre côté de la baie vitrée, la nuit étendait son voile sombre sur Kystan, mais la capitale continuait de s'agiter d'une myriade de lueurs. Sans s'arrêter, ils prirent l'ascenseur une nouvelle fois, pour retrouver Semnen à la sortie.
Le garde rouge insista tant et si bien pour les escorter que le Général finit par capituler dans un haussement d'épaules.
« Comme tu veux, mais c'est plus que superflu. »
Elle souffla à l'oreille de Galaniel, en langue du nord :
« Semnen est surprotectrice quand il s'agit de ma sécurité.
— Je ne suis pas surprotectrice, démentit Semnen. Je vous rappellerai que nous avons déjoué pas moins de vingt-sept tentatives ou projets d'assassinats, depuis le début de la guerre.
— Je sais, et pour sept d'entre elles l'assassin présumé avait réussi à pénétrer à l'intérieur du palais. Mais uniquement dans les étages inférieurs, je te ferais remarquer.
— Il y en a un qui a bien failli les dépasser. Vos ennemis ne relâchent pas leurs efforts, et il ne faut pas plaisanter avec les règles de sécurité. Or, il se trouve que la présence constante de gardes rouges à vos côtés en est une. »
Octale haussa les épaules. Même seule, elle ne craignait rien d'un éventuel assassin. Et pourtant, Semnen redoutait cette confiance en soi. À trop vouloir défier, voire nier le danger, le Général risquait de se retrouver vulnérable l'espace d'un instant. Et il ne suffisait que d'une seconde pour que cet instant devînt fatal.
Ils sortirent finalement sur une esplanade circulaire, vaste piste d'atterrissage sur laquelle attendait le vaisseau de l'ambassadeur. Une quinzaine de gardes rouges s'affairaient aux alentours, surveillés par Esmène, désormais en armure. Hupias Ecterian lui-même était présent, et vint aussitôt à la rencontre d'Octale.
« Prenez en grand soin, je vous prie.
— C'est promis, lui sourit le Général. Concernant le retour, cet appareil possède un pilote automatique, c'est bien cela ?
— Tout à fait ; il suffit de bien programmer l'ordinateur de bord, ce que je vous prierais de faire dès votre arrivée. Depuis l'échange, cela ne devrait poser aucun problème à Galaniel. »
Pour l'heure, le Shawnien admirait la merveille de technologie qui lui faisait face. En soi, l'appareil n'était pourtant pas conçu pour être esthétique. Il ressemblait à un cylindre grossier posé sur un côté, la carapace noircie, sèche et rêche, constellée d'un cercle d'étoiles blanches, symbole de la Fédération. Une simple échelle rétractable menait à l'entrée, proche du sommet. Fait curieux pour les Orialiens, l'appareil ne disposait pas de tuyères, ni, en apparence, de tout autre système de propulsion.
Esmène s'approcha.
« Les préparatifs sont terminés, Général, les cargaisons de vivres, d'eau ou d'oxygène ont été transférées à bord. Nous n'attendions plus que vous.
— Très bien, rejoignez tous le vaisseau, nous allons entamer la procédure de décollage. »
Elle fit un sourire à Galaniel.
« C'est à vous de jouer, maintenant. Pour la suite, je vous souhaite bonne chance. »
Ils pénétrèrent dans le vaisseau, acclamés par quelques Brocéliens venus les encourager. Depuis l'Exode, il s'agissait probablement de la première fois que des ressortissants de ce peuple s'aventuraient aussi loin dans l'océan stellaire.
Galaniel s'assit dans le poste de pilotage, à l'avant du vaisseau. Une dizaine de sièges l'entouraient, tous occupés par des Brocéliens dans leurs armures rouges légères, sanglés par d'épaisses ceintures pour la phase de décollage.
À ses côtés, Esmène attendait, le visage teinté d'un mélange d'appréhension et d'excitation.
Le jeune homme alluma l'ordinateur de bord, lui fit vérifier une dernière fois que tous les composants étaient opérationnels, puis entra la destination et calcula la trajectoire à suivre. Le caisson laissé en orbite haute disposait de 0,78 gramme d'antimatière, dont l'annihilation correspondrait à une énergie de cent quarante mille milliards de Joules. L'équivalent d'une bombe atomique, capable de rayer de la carte une ville entière. Par mesure de sécurité, les vaisseaux devaient donc toujours s'en séparer avant d'entamer leur descente vers un corps céleste. Un dispositif spécial les empêchait de toute façon d'atterrir tant que ladite séparation n'avait pas eu lieu.
Galaniel continua d'afficher les calculs de bords. L'annihilation de 0,28 gramme de cette antimatière avec la même quantité de matière permettrait au vaisseau, une fois arraché du sol, d'atteindre la vitesse de croisière de cent kilomètres par seconde, et de rejoindre Shawn – actuellement distante de cinquante millions de kilomètres – en moins de six jours. Ils n'auraient aucun mal à dépasser le vaisseau kalendorien, qui se traînait à une dizaine de kilomètres par seconde, et arriveraient trois semaines avant lui, afin de prévenir la population de l'invasion imminente.
L'esplanade avait été évacuée. Inquiets, les Brocéliens les observaient désormais depuis la salle vitrée.
Galaniel enclencha la procédure de décollage.
Il commença par activer la technologie XOS. Les bobines inductrices ronronnèrent, afin de diminuer la masse gravitationnelle du vaisseau, et donc atténuer l'effet de pesanteur.
Un voyant avertit Galaniel que le champ mésien venait d'atteindre sa valeur finale de 42000 gemas. La masse gravitationnelle du vaisseau n'était désormais plus que de 642,7 kg, contre une masse inertielle de plus de 20 tonnes, qui, elle, était restée inchangée. Le décollage pouvait désormais s'effectuer. Il mit en route la pile à hydrogène, qui vint aussitôt alimenter le générateur à neutrinos. Le flux anisotrope s'enclencha, invisible et silencieux. Ces particules n'interagissaient pas avec la matière, et la traversaient avant de poursuivre leur course à vitesse quasi-luminique à travers l'infini de l'espace. Un tel système de propulsion supprimait donc l'usage de tuyères encombrantes, et s'avérait sans le moindre danger pour l'environnement immédiat.
Le vaisseau se mit à frémir, sans émettre toutefois le moindre son.
Lentement, pesamment, l'appareil commença à s'élever.
Il accéléra, triompha de la force de pesanteur qui, jusqu'ici, le clouait au sol, puis s'arracha de l'esplanade pour s'élancer vers les cieux endormis.
Il lui fallut seulement quelques minutes pour traverser l'atmosphère d'Oriale. Il dépassa la couverture de nuages duveteux, et poursuivit sa course vers les étoiles.
Les passagers conservaient le silence, tandis que Galaniel, tout à sa tâche, vérifiait chaque paramètre du vol. Un fonctionnement nominal, sans la moindre anomalie. Arrivé en orbite géostationnaire, le vaisseau commença à ralentir, puis se rapprocha du caisson d'antimatière.
Kystan n'était plus réduite qu'à un point lumineux, sur le pourtour du grand continent d'Oriale. D'ici, les frontières s'effaçaient entre les différentes nations, au profil de reliefs plus au moins marqués. Ces étendues gelées proches du pôle ne pouvaient appartenir qu'au Wienskor, tandis que Kalendor devait se situer un peu en dessous. Plus bas, vers le centre, ces interminables plaines vertes appartenaient aux Orcaliens, avant de se muer en désert, tout au sud, et de laisser place au Furthyr. Au nord-est, les grandes étendues vertes boisées du Neelhan se rappelaient au souvenir de Galaniel, et se clairsemaient le long de la côte orientale, propriété des Ostrois. Enfin, de l'autre côté, à l'ouest, s'étendaient les côtes tortueuses de la Brocélie, ces falaises de granit prises d'assaut par l'océan, et ces landes balayées par le vent. La nation d'Octale Zdalavitch et de ses gardes rouges.
Un voyant lumineux interrompit leur contemplation pour informer la fin de l'arrimage avec le caisson. Aussitôt, Galaniel enclencha le second moteur ; le vaisseau se mit à frémir.
Des atomes de matière et d'antimatière s'annihilèrent dans la salle de combustion, pour libérer une énergie considérable, transmise au générateur de neutrinos, dont le flux orienté se décupla. Le vaisseau accéléra pour clouer les passagers sur leurs sièges, et les entraîner à travers le vide de l'espace.
Une minute plus tard le moteur se coupa de nouveau, alors que l'appareil atteignait sa vitesse de croisière de 103,1 km.s-1. Emporté par son élan, il rejoindrait Shawn comme planifié. L'ordinateur de bord assurait désormais seul la surveillance de la trajectoire, et déclencherait des alarmes en cas d'imprévu. Les passagers défirent leurs ceintures. En situation d'apesanteur, ils flottèrent dans le poste de pilotage, et s'accrochèrent aux parois pour essayer de se diriger tant bien que mal.
« C'est assez étonnant comme phénomène. » s'amusa Esmène.
Galaniel s'avança du mieux qu'il pouvait pour ouvrir une porte à l'arrière du poste. Le vaisseau possédait quelques petites pièces exigües, des couchettes étroites pour dormir, ainsi qu'un distributeur d'eau et de nourriture pour se ravitailler. Le minimum nécessaire, mais, après tout, ce voyage durerait moins d'une semaine.
« En ce qui concerne l'apesanteur, expliqua-t-il, vous devrez vous y habituer, les appareils de ce type ne sont pas équipés de gravité artificielle.
— Vous avez beaucoup piloté ? lui demanda Esmène.
— Sur Zyx, j'ai déjà effectué en simulateur quarante et une fois le voyage entre Zyx et Rasben. J'ai appris à piloter plusieurs modèles de vaisseaux, destinés à toutes sortes de voyages, parfois aux confins du système solaire. Encore que leur maniement reste toujours très similaire, il suffit juste de savoir bien utiliser l'ordinateur de bord, connaître les consignes de sécurité, ou certaines actions à effectuer en cas de problème. Mais lorsque tout se déroule comme prévu, leur fonctionnement est enfantin.
— Et... vous avez déjà eu des imprévus ?
— Lorsque vous effectuez ces simulations, votre moniteur peut toujours vous en rajouter : tempête solaire, collision avec des astéroïdes ou des débris spatiaux, avarie dans la pressurisation ou le bouclier thermique, panne de l'ordinateur central, blocage des vannes des réservoirs, emballement du moteur à antimatière, les causes peuvent être diverses. J'ai pu toutes les expérimenter, parfois séparément, parfois combinées. Sinon, j'ai aussi effectué un aller-retour avec Rasben, pour de vrai, cette fois-ci, et qui s'est déroulé sans le moindre problème. »
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