XXIII-3 : Le Général de Brocélie
« Mes respects, monsieur l'ambassadeur, s'inclina Octale.
— Général, fit-il de même.
— J'ai réfléchi à votre proposition, et il me paraît tout à fait naturel que nos deux peuples cohabitent tous deux en harmonie. C'est pourquoi j'ai décidé de signer le traité de paix que vous me proposiez.
— Vous m'en voyez ravi, Général.
— Bien sûr, j'apprécierais qu'en compensation, ou plutôt disons en gage d'amitié entre nos deux peuples, vous me prêtiez votre vaisseau personnel, pour seulement quelques jours. Soyez assurés que nous ne tenterons pas de le démanteler, de l'abîmer, ou d'en rechercher le fonctionnement. Il ne participera de plus à aucun combat, et n'interféra pas non plus dans la stratégie ou la politique intérieures à Oriale. »
Le visage jusqu'ici avenant de l'ambassadeur se ferma aussitôt ; seule Octale continua d'afficher un sourire de façade.
« Avec tout le respect que je vous dois, Général, reprit-il sur un ton glacial, pourrais-je vous demander à quelles fins vous compteriez utiliser mon appareil, le cas échéant ?
— Disons que je m'investirai brièvement dans une mission humanitaire sur Shawn. En échange de votre accord et de vos qualités de pilote, je m'engagerai alors à ratifier un traité de paix décennal. »
L'ambassadeur fronça les sourcils.
« Humanitaire, vraiment ?
— Je compte seulement aider le peuple de Shawn à s'assurer un avenir meilleur, sans pour autant lui imposer ma présence, sous quelque forme que ce soit. Je ne vois pas quel autre terme serait plus approprié pour désigner cette mission. »
Elle extirpa de son bureau deux feuilles soignées, et tendit un exemplaire à l'ambassadeur. L'homme chaussa de fines lunettes pour examiner le contenu.
« Tout est en règle, reprit Octale, il ne manque que votre signature, et la mienne, bien évidemment. Bien sûr, une fois l'opération arrivée à terme, vous serez libre de retourner sur Zyx, vous avez ma parole de Général, monsieur l'ambassadeur. »
Elle se saisit d'un stylo d'or ciselé.
« Votre popularité sur Zyx sera évidente, après un tel coup d'éclat : faire signer la paix aux deux prétendants encore en lice, préserver la Fédération de toute guerre pour la prochaine décennie. C'est beaucoup, comparé au peu que je vous demande. »
L'ambassadeur soupira. Depuis des jours, Octale était restée insensible à ses arguments, mais elle n'attendait que le moment de tourner cette signature à son avantage. L'autre Général, Zagnar, s'était montré beaucoup moins difficile. La médecine de Zyx avait sauvé la vie de sa sœur cadette, Astiana, après la bataille d'Epithaï, et même remplacé l'un de ses bras par une prothèse mécanique. Bien sûr, il restait ce silence négocié... si Zagnar se voulait l'ami de la Fédération, il ne cachait pas son animosité envers Shawn.
Et puis, bien qu'en difficulté, Octale restait toujours capable de remporter cette guerre de succession. Comme toujours, mieux valait s'assurer de son pacifisme avant qu'elle ne devînt un jour Général Chef.
« Général reprit-il, je ne pourrais que me réjouir de voir ce traité complété par nos signatures respectives. Cependant, les lois de la Fédération nous interdisent de prendre part aux affaires intérieures à Oriale. Je ne peux donc pas légalement participer à une telle opération.
— Cette affaire n'est pas à proprement parler intérieure à Oriale, elle concerne surtout la planète Shawn, qui devrait mériter plus d'attention de votre part. Vous ne pouvez quand même pas rester les bras croisés face à l'invasion d'un Général aussi peu scrupuleux.
— Je regrette, mais je ne peux pas aller contre la volonté d'un Général tant que ses actions ne concernent pas notre Fédération. Je dois en premier lieu obéir aux règles que nous nous sommes fixées. »
Octale siffla de mécontentement, et se tourna vers Galaniel. Le visage assombri, le jeune homme n'avait perdu aucune miette de cette conversation.
« C'était cela, votre moyen de rejoindre et prévenir Shawn ? demanda-t-il.
— Si vous en connaissez un autre, je suis preneuse. »
Galaniel acquiesça et se tourna vers l'ambassadeur. Un vaisseau zyssien restait la meilleure des solutions, et permettrait de rejoindre Shawn en à peine quelques jours. Mais encore fallait-il convaincre son propriétaire.
« Mes respects, monsieur l'ambassadeur. Vous pouvez tout aussi bien ne prêter que votre appareil, sans pour autant prendre part à cette mission. Je serai notamment en mesure de le piloter, et il vous sera rendu dès que possible.
— À qui ai-je l'honneur ? »
Bien que ce geste lui en coûtât, Galaniel lui tendit une main, qu'empoigna l'ambassadeur. Si Karl avait effectué des calculs, peut-être tous les Zyssiens n'étaient-ils pas du même avis quant aux décisions à prendre en conséquence.
« Je me nomme Galaniel Zawhyka Espan, répondit-il. Je suis Shawnien, et j'ai participé à l'échange entre nos deux planètes, il y a deux années zyssiennes. Nous avons laissé des scientifiques venir étudier la magie sur notre monde ; en échange, vous nous avez permis de venir sur votre planète afin d'y découvrir vos technologies. »
Les yeux de l'ambassadeur s'illuminèrent. Contrairement aux Zyssiens, certains Shawniens étaient en effet capables de faire usage de magie, comme ils l'appelaient. Les études avaient permis de mettre en évidence que les magiciens parvenaient à influencer les champs mésiens, déjà connus pour leurs propriétés antigravitationnelles. Si la technologie XOS (du nom de ses inventeurs : Xavier, Orgard, et Selena) permettait ainsi de faire léviter des vaisseaux, elle ne devenait alors qu'un cas d'application particulier. Une meilleure compréhension de ces phénomènes et du comportement des champs mésiens promettaient alors des perspectives jusqu'ici insoupçonnées.
« Galaniel Zawhyka Espan, reprit l'ambassadeur, songeur, vous ne seriez pas le fils de Zawhyk Dremana Espan, qui a orchestré cet échange ?
— C'était mon père, en effet.
— Enchanté, reprit l'ambassadeur, pour ma part, je suis Hupias Ecterian. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais j'ai aidé monsieur Espan, je veux dire votre père, à mettre en place cet échange. »
Quelques lointains souvenirs rappelèrent à Galaniel que l'homme avait sans doute accueilli les Shawniens sur Zyx, au terme d'un discours magistral.
L'ambassadeur continuait de l'examiner avec attention. Si, de son côté, Hupias ne se souvenait qu'avec difficulté du jeune homme, il se rappelait parfaitement Zawhyk. À bien y regarder, leur lien de parenté pouvait se laisser deviner, d'ailleurs. Mêmes cheveux d'un noir de jais, même yeux sombres, dans lesquels transparait cette volonté de fer, ce courage fou, cette ténacité admirable. Un regard empli aujourd'hui d'un reproche silencieux, un reproche qui ne faisait que d'autant mieux lui renvoyer le poids de sa culpabilité.
Il tourna la tête. Octale avait conservé les traités à la main, énigmatique, et continuait d'attendre son approbation, une approbation qui conditionnerait non seulement l'avenir de Shawn et d'Oriale, mais aussi celui de Zyx.
Hupias eut un soupir. Comment une simple signature pouvait-elle remettre en question le futur de tout un système solaire ? Comment pouvait-il accepter une telle responsabilité ?
La Fédération n'accepterait jamais une telle expédition, même pour venir en aide aux Shawniens. Néanmoins, une fois le traité signé, le peuple ne pourrait qu'approuver, et peut-être les dirigeants ne lui en tiendraient pas trop rigueur.
Seul restait Zagnar, qui leur demanderait sans doute des comptes. Quoique... la Fédération pourrait toujours nier une quelconque implication, ou reporter toute la faute sur son fonctionnaire incompétent.
Prendre une telle décision, sans accord préalable, risquait fort de tracer un trait définitif sur sa carrière. Le choix demeurait difficile, mais Zawhyk s'était sacrifié pour sauver Zyx de la guerre. À son tour, il se devait d'aider la planète natale de ce héros, désormais qu'il n'était plus là pour la protéger. Un simple retour des choses.
« Très bien, accepta-t-il. Il ne sera pas dit que je vous aurai empêchée de secourir nos amis shawniens, puisque c'est uniquement ce que vous comptez faire, n'est-ce pas ?
— Oui, vous avez ma parole. »
Hupias sortit un stylo d'une de ses poches supérieures.
« Au nom de la Fédération et par les pouvoirs qu'elle me prête en me nommant son modeste représentant, et cætera et cætera, je suis donc disposé à ratifier le traité proposé, même si, chuchota-t-il, cela doit me pousser à vous laisser mon vaisseau personnel, avec lequel, je l'espère, vous ne vous ferez pas remarquer.
— Pour fêter cette nouvelle, je vous propose de rester mon hôte pendant les prochains jours, et, une fois votre vaisseau revenu, vous serez libre de rentrer chez vous. »
Hupias ratifia les deux feuilles, puis les tendit ensuite à Octale qui fit de même, avant de lui rendre un exemplaire. Soulagé, l'ambassadeur s'inclina une dernière fois pour leur souhaiter congé, puis repartit, accompagné par les deux gardes rouges.
Octale entraîna ensuite Galaniel vers un coin de la pièce. Des cages en osier se laissaient apercevoir, entre des piles de livres renversées. À l'intérieur, sifflaient plusieurs serpents, aux écailles rouges ou noires. Octale suivit son regard.
« Vous n'aimez pas les serpents ? demanda-t-elle.
— Ce ne sont pas mes créatures préférées, avoua Galaniel. Ils sont venimeux ?
— Leur poison est fulgurant, s'amusa-t-elle, ne les énervez pas quoi qu'il arrive. »
Elle souleva une tenture, pour dévoiler une porte, et s'engagea dans un escalier de pierre. Le jeune homme la suivit aussitôt, enthousiaste de pouvoir s'éloigner de ces ravissantes créatures.
« Les serpents symbolisent ma nation, continua le Général, et, pour tout dire, je les apprécie beaucoup. Ils sont à la fois imprévisibles et dangereux, à l'instar des humains. S'ils connaissent votre force et que vous les respectez, ils feront de même envers vous. En revanche, s'ils décèlent en vous la moindre peur ou faiblesse, ils n'hésiteront pas à frapper les premiers. »
Ils arrivèrent dans une pièce sombre, encombrée de fils, d'appareils radio, vidéo, d'enregistreurs, ou même d'émetteurs. Des étagères recouvraient les murs, encombrées de boîtes ou d'enregistrements de toutes sortes. Enfin, une verrière laissait entrevoir les antennes disposées sur les toits extérieurs.
Une femme s'approcha d'Octale pour la saluer. Plutôt chétive, le teint blafard et les yeux cernés, ses vêtements légers laissaient entrevoir des bras maigres aux mains osseuses.
« Préparez le matériel, ordonna Octale. Nous allons effectuer un communiqué de première importance. »
La femme partit allumer une caméra et un micro dans un recoin de la pièce, régla plusieurs paramètres, puis supervisa l'enregistrement. Octale commença par annoncer les engagements qu'elle avait pris vis à vis de Shawn et de Zyx, puis elle profita d'une pause pour tendre une feuille à Galaniel. Le discours que le jeune homme devrait réciter, en grande partie des éloges vis à vis de la Brocélie et de son Général, pourquoi Octale serait la plus apte à diriger Oriale, ainsi que son soutien inconditionnel. Surtout, il rappela son rôle dans la mort de Sméarn Pteï, que la parole du Général vint elle-même confirmer.
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