XXIII-2 : Le Général de Brocélie
Les portes se rouvrirent une poignée de secondes plus tard. Tous deux étaient arrivés à la plus haute pièce du palais. Des tentures pourpres et des draperies écarlates se répandaient jusque dans les moindres recoins. Quelques tableaux ornaient les murs, souvenirs héroïques qui avaient traversé les âges, de même que des fresques d'or et de rubis.
Le principal fait marquant restait cependant le désordre qui régnait en ce lieu. Certes, un bureau ouvragé trônait en plein centre, serti de pierres précieuses, ainsi que quelques armoires luxueuses, mais ces intrépides défenseurs du rangement se trouvaient vaincus, recouverts, submergés, par un amoncellement hétéroclite de livres, papiers, notes, brouillons, discours, expertises, comptes rendus, ouvrages divers et autres lettres officielles.
Près d'une gigantesque baie vitrée, une femme aux longs cheveux roux plongeait son regard sur la capitale, Kystan, qu'empourpraient les irisations du soleil couchant. Elle arborait une longue robe écarlate tandis que, sur sa tête, un diadème pailleté de rubis venait parachever sa crinière de feu. Un A.O.M., comme le reconnut aussitôt Galaniel.
Le visage aussi blanc que la neige, les yeux froids de la femme dévisagèrent les deux arrivants. Le Shawnien, ne sachant trop quelle attitude adopter, opta pour une révérence. À côté de lui, Esmène se mit au garde-à-vous.
« Mes respects, Général ! » s'exclama-t-elle en langue du croissant.
Octale lui fit un sourire.
« Je suis contente que tu nous sois revenue, Esmène. Dès que possible, demande donc à Actyn de te procurer un nouvel uniforme de Commandant, ainsi qu'un nouvel A.O.M. opérationnel.
— À vos ordres, Général !
— Et cesse donc ces formalités, tu peux continuer à m'appeler Octale, comme toujours. Ce n'est pas parce que nous ne nous sommes pas vues depuis un certain temps qu'il faudrait changer nos habitudes.
— Bien, Octale. »
Le Général se tourna vers Galaniel, qu'elle examina un instant.
« Je vois que tu ramènes celui qui a triomphé de Sméarn Pteï.
— C'est bien lui, mais il ne parle que la langue du nord.
— Eh bien, poursuivons cette conversation ainsi. »
Elle lui fit un signe de bienvenue et reprit la parole, tout juste teintée d'un léger accent brocélien.
« Monsieur Espan, je suis très honorée de faire enfin votre connaissance. Il faut dire que votre réputation vous précède, depuis cette célèbre bataille.
— Tout l'honneur est pour moi, Général
— Prenez donc une chaise, je vous prie, et discutons affaires. »
Tous deux s'installèrent tandis qu'Esmène s'adossait contre un mur. Octale poursuivit son discours.
« Comme vous avez déjà dû être mis au courant, votre planète natale, Shawn, menace d'être envahie par le nouveau Général de Kalendor, Zagnar Pteï. Implicitement, nous sommes donc dans le même camp, et je serais prête à lui accorder un soutien stratégique déterminant, afin de contrer les plans de nos adversaires. Toutefois, disons, en contrepartie, j'apprécierais qu'à votre tour vous me rendiez un service.
— Que voulez-vous ?
— Pas grand-chose, à vrai dire. Il s'agirait seulement de réaliser une vidéo dans laquelle vous vous présenteriez en tant que vainqueur du Général Chef, et soutiendriez ma candidature à sa succession. Trois fois rien, comparé à l'aide que je vous propose. »
Galaniel resta silencieux. Il ne connaissait ce camp que depuis quelques jours, et n'appréciait guère l'idée de devoir prendre parti dans cette guerre de succession.
« Pourquoi auriez-vous besoin de mon soutien ? Qu'est-ce que cela vous apportera de plus ? reprit-il, indécis.
— Ce serait déjà un bon moyen de démotiver les troupes de Zagnar et ses alliés, surtout à quelques semaines de l'invasion de Shawn. La situation sur Oriale reste quant à elle toujours assez... compliquée, mais j'espère que cette intervention nous permette de faire pencher la balance de notre côté. »
Galaniel soupira, même s'il n'appréciait pas s'exposer de la sorte, il n'avait pas vraiment le choix... De toute façon, le Commandant de la garde noire connaissait son identité, maintenant, et donc tout Kalendor.
« Admettons que j'accepte, commença-t-il, admettons. Cela vous aiderait à devenir Général Chef et à diriger Oriale tout entière, soit ; mais qu'adviendrait-il ensuite ? Je veux dire, quelles seraient vos positions vis à vis de Shawn et Zyx ? J'ai cru comprendre que ce nouveau Général de Kalendor, Zagnar, avait déjà signé un traité de paix bi-décennal avec la Fédération. Quant à vous, vous n'avez pour l'instant apporté aucune garantie, que je sache, ni pour Zyx, ni pour Shawn. »
Octale croisa ses longs doigts blancs, avant de répondre sur un ton mesuré :
« M'occuper de politique extérieure alors que je n'étais pas encore Général Chef me paraissait prématuré. Vous avez tout à fait raison de chercher des garanties, mais, contrairement à Zagnar, mon vaisseau-mère n'est pas sur le point d'envahir Shawn. Quant à Zyx, je pourrais tout aussi bien faire remarquer que Sméarn avait de même signé un pacte temporaire de non-agression, cette fois-ci de dix ans. Vous savez tout aussi bien que moi ce qu'il est advenu ensuite, et rien n'empêchera son fils de suivre ses traces.
— Je veux bien me prêter à votre vidéo, répondit Galaniel, mais sous certaines conditions. Tout d'abord, vous devez savoir que Shawn ne se mettra pas sous votre tutelle, quelle que soit l'issue des événements. Vous pouvez nous aider, mais nous restons un peuple libre et indépendant, et vous devrez notamment renoncer à toute implantation militaire. »
Octale l'encouragea d'un hochement de tête.
« Ensuite, si je suis intervenu contre Sméarn Pteï, c'était aussi pour empêcher une guerre entre cette lune et Zyx. Je ne pourrai pas vous apporter mon soutien si vous ne faites pas un geste dans ce sens. »
Octale se leva, et fit quelques pas, pensive, avant de répondre.
« Soit. Je vais de toute façon ratifier dans l'heure un traité de paix décennal avec Zyx, et je vous donne ma parole que mes troupes ne profiteront pas de ces événements pour s'implanter sur Shawn. C'est à prendre ou à laisser. »
Un traité à durée déterminée, donc, à l'instar de Zagnar ou de Sméarn Pteï. Néanmoins, le Shawnien ne pouvait pas espérer plus ; en échange d'une simple vidéo, Octale lui offrait déjà beaucoup.
« Très bien, j'accepte. »
Laisser Zagnar agir à sa guise restait de toute façon hors de question. Et, au moins, la paix serait-elle assurée pour la prochaine décennie. Octale dévoila ses dents blanches dans un grand sourire.
« Avant toute chose, reprit-elle, j'aimerais savoir si vous connaissez un moyen simple de prévenir vos concitoyens de cette invasion imminente. »
La technologie de Shawn était beaucoup trop limitée pour espérer joindre la planète par radio. Galaniel soupira.
« Zyx devrait pouvoir leur relayer le message, ne serait-ce qu'en y envoyant un vaisseau. Je serais assez surpris qu'ils ne l'aient pas déjà fait, d'ailleurs... si un vaisseau-mère est en route vers Shawn, ils ne peuvent que l'avoir vu.
— Contrairement à son père, Zagnar est en très bons termes avec la Fédération, fit remarquer Octale. Et il se trouve qu'aux dernières nouvelles, Karl a estimé ses chances de l'emporter à plus de 76 %. Autant dire que les Zyssiens préfèrent ne pas s'attirer son ire.
— Y compris en le laissant dévaster Shawn ? s'emporta Galaniel. Nous avons sauvé leur planète, et ils ne se donnent même pas la peine de nous prévenir lorsque nous sommes menacés ?
— Je comprends votre animosité, mais vous n'avez pas à leur en vouloir. C'est ce que nous nommons, sur Oriale, la politique. »
Galaniel resta silencieux. Comment les Zyssiens pouvaient-il fermer les yeux sur ce qui était sur le point de se dérouler ? Les Shawniens avaient donné leur vie, à peine quelques mois plus tôt, pour empêcher cette guerre. Deux mille combattants, y compris son père, tous morts, à quelques exceptions près.
« Je craignais qu'il s'agisse du seul moyen, mais j'avais envisagé cette possibilité. » reprit Octale.
Elle se tourna vers son Commandant.
« Esmène, fais donc rentrer l'ambassadeur, et prépare-moi un contingent de dix gardes rouges. Les meilleurs, bien entendu.
— Très bien. »
Elle s'approcha d'un interphone et prononça quelques mots en langue du croissant.
Quelques instants plus tard, l'ascenseur s'ouvrait pour laisser pénétrer deux gardes rouges, en compagnie d'un homme d'une cinquantaine d'année. Les cheveux argentés et la barbe soignée, il arborait un costume sombre constellé de fines étoiles blanches en cercle, symbole de la Fédération zyssienne.
Tandis que les deux gardes se mettaient au garde-à-vous, Esmène prit à son tour l'ascenseur pour quitter la pièce.
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