XXII-2 : Les survivants
Epithaï, la nuit même
Les yeux de Zagnar restaient fixés sur le portrait-robot, entre ses mains. Un visage esquissé par une mine de graphite, des cheveux noirs abondants, des yeux sombres, environ la vingtaine. Un meurtrier de la pire espèce.
Ses doigts se crispèrent, tandis qu'une bouffée de rancœur remontait dans sa poitrine. Son regard se porta vers le Commandant.
« Vous confirmez qu'il s'agit bien de lui ?
— Tout à fait, Général, Galaniel Zawhyka Espan. »
Si le Commandant s'astreignait à un stoïcisme remarquable, Arcale et Astiana, masquaient mal leur émoi. La première ne cessait de s'agiter, nerveuse, fébrile, tandis que la seconde, adossée contre un mur, yeux exorbités, masquait sa bouche des mains.
« Je pense que vous savez ce que tout cela signifie. » reprit le Commandant.
Zagnar se leva.
« Il a disparu du champ de bataille après avoir volé la Pierre de mon père, et réapparait maintenant avec des pouvoirs magiques... Voyageur, donc. »
Arcale fit une grimace tandis qu'Astiana étouffait une exclamation. Zagnar soupira.
« Je me suis juré de ne pas utiliser la Pierre de ce Zawhyk avant d'avoir accédé au titre de Général Chef... et de toute façon, il est trop tard, désormais. »
Il posa les poings sur son bureau.
« Voyageur ou pas, cela ne retire cependant rien à son acte. Je n'ai peut-être pas ses pouvoirs, mais cela ne m'empêchera pas de faire justice. D'autant que, comme vous le dites, il reste avant tout un mortel, encore loin d'égaler son démon de père.
— Tout à fait, Général. »
Une lueur mauvaise étincela dans les yeux de Zagnar.
« Votre initiative était la bonne, Commandant ; Kalendor ne doit pas se permettre la moindre pitié. Il vous a peut-être échappé une fois, mais cet exploit sera son dernier. »
Ses doigts se refermèrent sur la poignée de l'épée de son père. Une épée, qui par le bras d'un fils, pourrait bientôt venger la mort de son porteur.
« Car j'en fais aujourd'hui le serment, jura Zagnar, je le tuerai de mes propres mains. »
***
« Esmène Vlata est arrivée. »
Galaniel redressa la tête à l'annonce de Qnaua. Esmène Vlata, rien de moins que le Commandant de la garde rouge en personne. Elle traversait le Neelhan après avoir échappé aux geôles kalendoriennes, et s'était proposée d'escorter le jeune homme jusque devant Octale.
Les deux Shawniens s'échangèrent une poignée de mains. Tous deux ne s'étaient rencontrés que depuis deux jours, mais l'heure était déjà venue de se séparer.
« Bonne chance pour la suite, Galaniel, commenta Qnaua, à toi, mais aussi pour Shawn. »
Néphyle s'aida de béquilles pour s'approcher d'eux. Les cheveux blonds en désordre, elle apparaissait épuisée, mais son rétablissement n'était désormais plus qu'une question de temps.
« Ce fut un véritable honneur, reprit-elle. Mes pensées vous accompagnent.
— Je suis content de vous revoir sur pieds. J'espère que votre combat portera ses fruits, vous le méritez. »
Nouvelle poignée de main. Les yeux de la jeune femme restèrent fixés sur Galaniel, presque admiratifs. Elle hésita.
« Une dernière chose... au sujet de l'A.O.M. que vous possédiez...
— Feu votre Général, Fermal Eclarian, nous avait seulement prêté ces appareils, avant la guerre. Je vous le laisse donc ; de toute manière, je n'en aurai plus besoin, désormais. »
Néphyle le remercia d'une voix tremblante.
« J'espère qu'il pourra remplacer celui que vous avez perdu en me protégeant, continua Galaniel. Faites-en bon usage. »
Il se détourna, puis adressa à tous deux un dernier signe de main. Une certaine effervescence gagnait le campement alors que les rejoignait Esmène, enveloppée dans une grande cape sombre. Elle ne portait pas d'armure rouge, pas le moindre insigne brocélien, mais seulement un équipement rudimentaire semblable à ceux des résistants. Son visage de marbre restait à découvert, fatigué mais déterminé, tandis que ses cheveux courts luisaient d'un noir aussi profond que la nuit.
Elle essaya de parler en langue du croissant alors que Galaniel arrivait devant elle, pour constater qu'il ne la comprenait pas. Elle se résigna finalement à utiliser la langue du nord, celle de leurs ennemis, et la seule qui leur permettait de se comprendre.
« Je suis Esmène Vlata ; enchantée de vous rencontrer. »
Elle lui tendit une main que Galaniel empoigna. Du coin de l'œil, elle ne pouvait s'empêcher de détailler le jeune homme. S'il avait à peine la vingtaine, son acte de bravoure marquait déjà l'Histoire d'Oriale. Peu importaient ses véritables capacités, il représentait avant tout un symbole, un espoir, capable de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.
Elle lui adressa un sourire.
« Notre Général est impatiente de faire votre connaissance, monsieur Espan. »
Elle se décala pour se mettre en route, aussitôt suivie par Galaniel. Qnaua et Néphyle les regardèrent s'éloigner, jusqu'à ce que les arbres les masquent à leur vue. Le reste ne dépendait plus d'eux, désormais.
***
Plusieurs journées de marche, entrecoupées de traversées souterraines par wagonnet, furent nécessaires pour rejoindre l'océan oriental.
Tous deux s'arrêtèrent dans plusieurs campements rebelles, tout aussi rudimentaires que le premier, si ce n'était encore plus. Les Neelhanais se montraient souvent curieux, plein d'espoir, mais dépités de ne pouvoir s'exprimer directement avec Galaniel.
Pas le moindre imprévu ne vint ternir leur voyage. Sans doute le Commandant les recherchait-il encore, mais ils ne croisèrent pas le moindre Kalendorien. Les forêts restaient de véritables coupe-gorges pour les soldats noirs, et malgré leurs armements vétustes, les résistants avaient l'avantage du terrain. Les embuscades, les pièges, s'enchaînaient dans la végétation. L'un des campements avait même réussi à s'emparer d'un char ennemi, désormais repeint en vert, et devenu symbole de victoire.
Pour reprendre l'avantage, les Kalendoriens pouvaient toujours bombarder la forêt, ou envoyer des blindés raser les arbres. Néanmoins, toutes ces machines de guerre combattaient sur le front ouest, contre la Brocélie. Faute d'alternatives, Zagnar laissait faire le Général pantin, qui manquait de moyens et peut-être même d'une certaine volonté. Aussi la résistance continuait-elle de vivoter, et même de s'étendre.
La forêt se déchira pour laisser place à une plage de sable fin, qu'enflammaient le pourpre et l'écarlate d'un soleil couchant. Galaniel savait que l'océan recouvrait la majorité de la lune, mais il n'avait encore jamais eu l'occasion de contempler une telle étendue d'eau. L'immensité miroitante se poursuivait bien au-delà l'horizon, et ses vagues régulières faisaient penser à la respiration d'un géant endormi.
Le jeune homme retint une exclamation de surprise lorsque s'ouvrirent les flots calmes. Le hurlement des turbines déchira l'air, une coque rougeoyante émergea du bouillonnement d'écume. Un monstre de métal, bardé de canons et de tourelles, un titan des profondeurs, revenu respirer à la surface quelques instants.
Le sous-marin de l'Amiral Elias en personne. Le Seigneur des Océans.
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