En politique, il n'y a ni amis, ni ennemis. Seulement des individus à la recherche d'objectifs définis, et qui donnent parfois lieu à des alliances précaires.

Commandant de la garde noire de Kalendor

Néphyle rouvrit les yeux. Du vert, des arbres, des fougères l'entouraient. Près d'elle, une silhouette, un homme drapé d'un épais manteau bleu-vert, le visage dissimulé derrière un masque de bois.

« Qnaua... »

Sur ses mains achevait de se résorber une faible lueur.

« Tu es hors de danger, lui répondit-il. Tu as seulement encore besoin de repos. »

Mouvement. Des brancardiers l'emmenaient. Elle n'eut que le temps d'entrapercevoir Galaniel, toujours vivant, se rapprocher du magicien. Une vingtaine d'autres résistants les entouraient, sur le qui-vive. Elle ferma les yeux, rassurée.

« Vous... vous êtes un magicien ? » demanda Galaniel, plus pour engager la conversation que pour une réelle confirmation.

Qnaua hocha la tête, avant de lui répondre dans un shawnien parfait.

« Nous pouvons nous tutoyer, tu sais. Après tout, nous sommes non seulement de la même planète, mais avons aussi combattu ensemble, il y a plusieurs mois. »

Galaniel esquissa un mouvement de surprise.

« Vous avez... tu as participé à la bataille contre le Général Chef ?

— En effet, même si mon visage portera à jamais les stigmates de ce jour funeste. »

Après une telle hécatombe, Galaniel n'osait même plus espérer retrouver des survivants. Il avait vu tant de personnes perdre la vie... même son propre père, pourtant Voyageur, n'avait pas survécu.

De son côté, Qnaua avait été laissé pour mort, et n'avait dû sa survie qu'à des contrebandiers venus glaner quelques pièces. Il était ensuite resté au Neelhan, et avait appris à maîtriser la langue de ce pays, malgré des débuts difficiles. Lorsque Kalendor marcha sur cette nation, il décida alors de reprendre les armes. Ce peuple les avait aidés à renverser le Général Chef, il lui devait même la vie, et désormais ce serait son tour de lui venir en aide.

Néanmoins, il resta incapable ne serait-ce que de ralentir la progression des armées noires et de leur impitoyable Commandant. Très vite, il se retrouva contraint de fuir vers l'est, pour rencontrer, presque par hasard, un groupe de fugitifs. Trois femmes et un homme, qui sondèrent son esprit afin de s'assurer de sa bonne foi. Esmène Vlata, une autre femme, elle aussi garde rouge, ainsi qu'Ephas, un ex-criminel qui, dans la confusion, s'était échappé des cachots d'Elanis. Tous trois escortaient Scythlène Scalath, dernière survivante de la famille régnante, et, à leurs yeux, seule héritière légitime du Neelhan.

Quelques semaines plus tard, la résistance prenait racine, tandis que Kalendor, malmené sur son front ouest, rapatriait le gros de ses troupes.

« Y-a-t-il eu d'autres survivants à la bataille ? »

Cette question tournait désormais en boucle dans l'esprit de Galaniel. Si Qnaua avait survécu, pourquoi pas d'autres ? Le désastre avait-il été aussi important que ce qu'il croyait ?

« Il y en a eu d'autres, oui, à ma connaissance. Apparemment, un autre mage aurait rejoint les rangs du Prince Bleu, le Général d'Orcalie. J'ai aussi entendu dire qu'une femme assignée aux catapultes aurait réussi à rejoindre nos vaisseaux de transport et s'enfuir. Sauf impondérable, le pilotage automatique devrait l'avoir ramenée sur Shawn, avant que les vaisseaux ne retournent sur Zyx, comme prévu.

— Et... c'est tout ? »

Le jeune homme ne masquait pas son désappointement. Le Général Chef avait sans doute trouvé la mort, mais les Shawniens avaient payé le prix fort, dans cette bataille.

« Je n'ai pas d'autre information à te donner, avoua Qnaua. Tu es le troisième survivant dont j'entends parler. Et, pour tout dire, je ne pense pas qu'il y en ait d'autres. »

Ainsi, sur les deux mille guerriers de Zawhyk, seul trois, dont eux deux, étaient encore en vie. Il ne s'agissait plus d'un carnage, mais d'une véritable extermination. Le jeune homme se demandait encore ce qui lui avait permis de faire partie des rares survivants. La réponse lui sautait cependant aux yeux : la chance, et uniquement la chance. Sans doute était-il habile aux armes, mais de bien plus expérimentés étaient restés sur le champ de bataille. Dont Zawhyk, lui-même, malgré tous ses pouvoirs.

De même pouvait-il interpréter la mort du Général Chef. Ses talents avaient sans doute joué un peu, mais cette victoire restait avant tout le fait de son père, le résultat de son combat acharné. Et puis que dire du retour des autres Généraux, de cette demi-seconde d'inattention qui avait fait basculer la situation ? Cruelle ironie du sort. Ceux-là même qui avaient prêté allégeance à leur Chef, ceux-là même qui revenaient pour assurer sa sécurité, avaient indirectement causé sa mort.

« Nous allons bientôt arriver au campement. » commenta Qnaua.

Galaniel ne put s'empêcher de remarquer les Neelhanais dissimulés dans les frondaisons. Hommes et femmes arboraient flèches, sarbacanes, parfois fusils. Le magicien suivit son regard.

« L'endroit est bien évidemment surveillé. » expliqua le magicien.

Alors qu'ils progressaient, quelques constructions de bois se laissèrent entrevoir, entre les arbres.

« C'est ici qu'a trouvé refuge le Général du Neelhan ? Demanda Galaniel

— Le Général ? Non, elle n'est pas ici. Pour des raisons de sécurité, sa cache est encore mieux dissimulée. Rares sont ceux à en connaître la localisation précise. »

Plusieurs soldats les entouraient, désormais. Tous portaient des équipements légers rudimentaires, et seuls quelques fusils vétustes venaient compléter leur armement archaïque.

Galaniel supposa dès le premier regard qu'il s'agissait d'un poste secondaire, d'un point de surveillance ou de ralliement. Qnaua mit cependant aussitôt fin à ses espoirs. La résistance ne comportait en tout et pour tout qu'une poignée de campements, et celui-ci restait l'un des plus importants. À la question du jeune homme concernant le nombre total de résistants, le magicien avança le nombre d'un millier.

Autant dire une goutte d'eau dans un océan de tempêtes. Rien qui ne soit en mesure de rivaliser avec les armées noires, ni même de véritablement les inquiéter. Que pourraient quelques sarbacanes contre les chars noirs, qu'espéraient des flèches contre des mitrailleuses ? Les résistants ne faisaient que survivre dans les forêts, grâce au soutien du Général de Brocélie. Leurs rares armements modernes étaient tous de facture brocélienne, et même des vivres étaient fournies depuis la côte. Mais que ces aides viennent à s'interrompre, et leur mouvement se dissiperait aussitôt, incapable ne serait-ce que de nourrir ses propres combattants.

Les deux Shawniens continuèrent de discuter jusqu'à ce que la nuit recouvre le campement de ses ombres inquiétantes. Qnaua n'hésitait pas à retracer en détail ses péripéties depuis la mort du Général Chef, des difficultés à mener cette rébellion, de ses affrontements avec les Kalendoriens, de l'aide que pouvaient apporter ses pouvoirs pourtant modestes. Un Neelhanais vint finalement les interrompre tous deux, pour glisser à l'oreille du magicien quelques mots que Galaniel ne put comprendre.

« Bonnes nouvelles ? » S'enquit le jeune homme, incapable de déceler la moindre émotion derrière le masque bigarré de son interlocuteur.

Qnaua croisa les mains, une lueur étrange dans les yeux.

« Nous avons reçu un message de la part d'Octale Zdalavitch. Elle aimerait te rencontrer, personnellement. »

Comme Galaniel restait silencieux, il ajouta :

« Tu pourrais être un atout dans cette guerre, non seulement pour elle, mais aussi pour Shawn. »

Le Commandant de la garde noir savait, désormais, et à travers lui, toute la nation kalendorienne devenait son ennemi mortel. Qu'il le veuille ou non, le jeune homme faisait déjà partie intégrante de l'échiquier politique de cette lune.

« Je te sens dépité, constata Galaniel. Tu ne m'accompagneras pas ?

— Ma place est désormais ici, au Neelhan. Je dois beaucoup à cette nation ; je m'y suis reconstruit une vie. Même si j'en avais l'occasion, je ne repartirais pas sur Shawn. Il ne me reste de toute façon plus de famille là-bas. Quant à mes amis, tous étaient à mes côtés lors de cette bataille, contre le Général Chef. »

Il soupira.

« Des gardes rouges t'amèneront à leur Général. De toute façon, Octale Zdalavitch est sans doute la seule à pouvoir venir en aide à Shawn, comme au Neelhan. Mais si je peux me permettre un conseil, reste quand même sur tes gardes. Son ambition reste de devenir le nouveau Général Chef, et son aide sert avant tout ses propres intérêts. Je ne l'ai encore jamais rencontrée, mais on la dit habile à manier les cœurs des hommes. Quoi qu'il advienne, prend bien garde à ne pas la sous-estimer. »