XXI-3 : La capitale effacée


Galaniel se réceptionna du mieux qu'il put parmi les débris. Tous ses membres lui faisaient mal, mais rien de cassé, apparemment. Il se redressa aussitôt, balaya la situation d'un rapide coup d'œil, puis courut vers Néphyle.

La jeune femme restait adossée à un mur, maculée de sang comme de poussière.

« Néphyle ? Néphyle ? »

Elle respirait toujours, bien que de façon erratique et saccadée. Elle rouvrit les yeux.

« Je ne peux plus marcher, l'informa-t-elle. Vous devez partir d'ici. »

Il attrapa son épaule pour l'aider à se remettre debout.

« Je ne vais certainement pas vous laisser ici. De toute façon je n'ai aucune idée par où aller. On était tout près, non ? »

Elle tendit un bras mal assuré pour désigner des débris qui recouvraient la rue.

« Par ici. »

Le Commandant avait à son tour sauté de la fenêtre, après avoir examiné la situation d'un seul coup d'œil. Il ne restait plus qu'un seul garde noir occupé à combattre Ephas. Non, leur monticule s'éboulait, pour entraîner les deux adversaires dans un nuage de poussière. Seul le Neelhanais se releva, et récupéra l'épée rougie de son adversaire.

Le Commandant s'élança. Des renforts le rejoignaient, depuis l'entrée de la ruelle, mais il ne devait pas perdre de temps. Déjà, Galaniel et Néphyle disparaissaient derrière une anfractuosité, entre des murs à demi-effondrés. Ses yeux se posèrent sur le garde étendu au sol, une lame dans le torse, et il siffla de mécontentement. Sans doute aurait-il mieux fait de tuer la Neelhanaise ; quelles informations pouvait-elle encore leur livrer, de toute façon ?

À sa grande surprise, Ephas se porta vers lui pour lui barrer la route.

« Hors de mon chemin ! » grogna le Kalendorien.

Les épées s'entrechoquèrent ; leurs regards se firent face.

« Je ne vous laisserai pas passer, assura le garde vert. Vous ne me vaincrez pas une seconde fois.

— Face à moi, tu n'as jamais eu la moindre chance. »

Ephas s'élança, frappa de toutes ses forces, enchaîna attaques, parades et contre-attaques. Il crut discerner une faille dans la défense du Commandant, et fit virevolter son arme pour lui trancher la tête. Le Kalendorien se baissa à l'ultime seconde et enfonça aussitôt sa lame dans le torse du garde vert. Ephas recula, tituba, et s'effondra, mort.

Galaniel et Néphyle poursuivirent leur course du mieux qu'ils purent à travers un couloir étroit. L'eau suintait à travers les parois ébréchées, tandis que quelques sphères phosphorescentes leur crachaient une lueur blafarde depuis le plafond. Derrière eux résonnaient les pas des gardes noirs sur leurs talons, toujours plus proches.

« Stop ! » cria Néphyle.

Ils s'arrêtèrent alors que le corridor s'interrompait pour laisser place à une grande salle aux murs vert sombre incurvés. La jeune femme fit signe au Shawnien d'abaisser un levier rouillé, ce qu'il s'empressa de faire. Une lourde herse s'abattit aussitôt derrière eux, pour couper net la course des Kalendoriens.

Le Commandant fulminait. Pour tout l'avenir de Kalendor, il ne fallait pas qu'ils lui échappent. Il sortit une arme à feu, et la glissa entre les barreaux. Sans doute serait-elle inutile, alors que Galaniel possédait non seulement un A.O.M., mais aussi des pouvoirs magiques. Néanmoins, il ne lui restait que peu d'options, et il n'était pas encore certain de toutes les capacités du jeune homme. D'autres gardes noirs l'imitèrent.

« Tu... tu sais arrêter les balles ? » souffla Néphyle, prise d'un doute soudain.

Galaniel s'empressa de répondre par la négative, et de lui donner son A.O.M. Néphyle eut à peine le temps de le poser sur sa tête que les fusils crachaient la mort en même temps.

Les balles s'arrêtèrent à quelques centimètres d'eux, avant de retomber au sol, inutiles.

« Arrêtez les tirs ! » ordonna le Commandant.

Ses yeux clairs intenses rencontrèrent le regard livide et mal-assuré de Néphyle. La Neelhanaise avait sans doute plus de ressources que ce qu'il avait présupposé. Puis ses yeux se tournèrent vers Galaniel, aussi froids et implacables que la mort.

« Ce n'est pas terminé. » assena-t-il de sa voix glaciale.

Il fit demi-tour pour disparaître à travers le couloir sombre.

« Placez des charges d'explosif, ordonna-t-il aux gardes noirs. Nous faisons sauter cette herse. »

Galaniel aida Néphyle à traverser la salle. Trois réseaux de rails démarraient ici, puis s'enfonçaient dans des tunnels obscurs. Ils se dirigèrent vers des wagonnets en fonte, à moitié rongés par la rouille.

Déjà, une explosion sourde retentissait derrière eux. Sans perdre de temps, les gardes noirs investirent les lieux, de nouveaux tirs fusèrent. Galaniel aida Néphyle à se hisser dans le véhicule rudimentaire, avant de la rejoindre. Il était plus que temps ; les gardes arrivaient jusqu'à eux. D'une main, la jeune femme releva un levier encastré pour retirer le frein. Le véhicule s'ébranla, entraîné par la pente naturelle du sol.

« Vous n'avez rien ? » demanda-t-elle.

Galaniel répondit par la négative. À part quelques bleus et écorchures, il s'en tirait à très bon compte, pour l'instant. Il observa plus attentivement son interlocutrice. Le visage pâle, les traits émaciés, elle reprenait peu à peu son souffle.

« Et vous, ça va ?

— Je survivrai, grimaça-t-elle. Occupez- vous plutôt de savoir ce qu'ils sont en train de préparer. »

Galaniel risqua un rapide regard. Il abaissa aussitôt sa tête lorsque des balles commencèrent à fuser.

« Alors ?

— Ils sont en train de prendre un autre wagon pour se mettre à nos trousses. Apparemment, ils n'ont pas l'air de vouloir nous laisser filer. »

Le wagon prenait de la vitesse. Il acheva de quitter la salle voûtée pour pénétrer dans un couloir taillé à même le roc.

« Il ne faut pas qu'ils nous rejoignent, répondit Néphyle.

Elle voulut se lever, mais grimaça aussitôt. Ses blessures l'empêchaient de bouger.

« Vous êtes sûre que ça va ? » s'inquiéta Galaniel.

Son visage blanchissait davantage après chaque seconde ; elle semblait sur le point de perdre connaissance.

« Ne vous préoccupez pas de moi, répondit-elle. Gardez votre attention sur nos poursuivants.

— Ils sont en train de nous rattraper. » s'alarma Galaniel.

Plusieurs balles criblèrent le wagonnet, et contraignirent le Voyageur à baisser la tête.

« Si vous êtes un magicien, vous devriez pouvoir les arrêter. » hasarda Néphyle.

Galaniel contempla ses doigts, désormais dépourvus d'étincelles, les referma, les ouvrit à nouveau. Il n'arrivait plus à lancer de sort. Cette panique naissante ne l'aidait certainement pas.

Il se contraignit à ralentir sa respiration comme Alyne le lui avait conseillé, ignora le danger imminent, rouvrit sa main une nouvelle fois.

Une étincelle qui s'amplifia ; une flammèche qui s'intensifia.

Il se releva, brava le danger imminent, la grêle de balles qu'il ne pouvait dévier. Ses deux mains jointes étincelèrent tel un soleil ardent. Une première langue de feu s'abattit sur ses adversaires.

Les flammes s'incurvèrent dans leur course, et ne firent qu'effriter la paroi de roche. Les gardes noirs pouvaient déjouer les sorts. La balle qui effleura sa joue lui rappela qu'il ne pouvait toujours pas dévier leurs projectiles. Il s'accroupit à nouveau, le visage irradié par la douleur. Néphyle eut une exclamation inquiète qu'il ne comprit pas. La panique l'avait fait parler dans sa langue natale.

Ses yeux se portèrent en direction du plafond. Ces tunnels n'étaient plus entretenus depuis des mois, et certaines portions menaçaient déjà de s'effondrer. Il joignit les mains et déchaîna toute sa puissance magique sur des roches en équilibre instable.

Le feu frappa de plein fouet, fit fondre en partie la voûte branlante, déstabilisa l'édifice. Une pierre se détacha pour s'écraser au sol, bientôt suivie par d'autres. L'éboulement résonna dans le tunnel jusqu'à former un mur compact de gravats.

Galaniel ne voyait désormais plus trace des Kalendoriens.

Néphyle tourna les yeux vers le jeune homme qui s'affalait à côté d'elle, haletant, épuisé, les membres tremblants. Dans sa tête continuait de résonner un mal de crâne insoutenable, sa vue se brouillait, ses sens s'engourdissaient.

Elle ne parvenait plus à bouger et même parler lui devenait difficile. Elle eut à réunir ses dernières forces et volonté pour ne plus prononcer qu'un dernier mot, une dernière question lancinante.

« Alors ?

— Le couloir s'est effondré derrière nous, souffla Galaniel. Nous devrions être tirés d'affaire. Heureusement, d'ailleurs, je crois que je serai incapable de réutiliser la magie avant un certain temps. »

Il se tourna vers elle.

« Tenez bon. »

L'image continua de se déformer, les paroles se firent de plus en plus lointaines, presque inaudibles. Elle avait accompli sa mission, le plus important. Galaniel rejoindrait le prochain poste de contrôle, sain et sauf, à l'abri du Commandant et de ses sbires. Sa dernière pensée fut pour Ephas et son sacrifice pour leur faire gagner du temps. Puis elle perdit connaissance.

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