XXI-1 : La capitale effacée



N'épargnez jamais vos ennemis, car, loin de vous porter la moindre reconnaissance, la haine qu'ils vous voueront n'en sera que plus féroce.

Commandant de la garde noire de Kalendor


Galaniel suivait Néphyle entre les bâtiments difformes. Des plantes grimpantes envahissaient les murs vacillants, mais ne suffisaient pas à masquer les innombrables impacts de balles.

Sif. Ou plutôt ce qu'il en restait. Autrefois capitale du Neelhan, la cité avait connu sa fin la nuit même de l'opération contre le Général Chef. De leur côté, les Shawniens avaient sans doute réussi leur assassinat, mais ici, les armées coalisées des Généraux avaient écrasé toute résistance. Les habitants avaient fui vers l'est et n'étaient jamais revenus ; seuls restaient quelques contrebandiers ainsi qu'une poignée de caches d'armes.

Néphyle s'arrêta, imitée par Galaniel.

En face d'eux, la silhouette sombre d'un quadrupède massif se détachait dans la pénombre. Le dos bardé de pointes saillantes, sa tête épaisse reniflait le sol, comme à la rechercher d'une piste quelconque.

Sans prêter attention aux deux bipèdes, il se remit finalement en marche pour disparaître dans une ruelle envahie de ronces.

« Un gorgar, souffla Néphyle. Ils n'ont pas coutume de s'attaquer aux humains, tant que l'on n'attire pas leur attention. »

Ils poursuivirent leur route pour arriver à une impasse. Néphyle porta ses mains en porte-voix et imita le cri d'un oiseau nocturne inconnu de Galaniel. Un silence s'instaura d'abord, puis une réponse identique traversa le calme de la nuit. Néphyle se tourna vers le Shawnien.

« Nous pouvons y aller, il n'y a pas de danger. »

Leur interlocuteur les attendait au fin fond d'une impasse encombrée de débris. À l'instar de Néphyle, son costume rapiécé était coloré de vert, symbole de la garde d'élite du Neelhan. Sur sa tête, un vieux casque ovoïde ouvert à l'avant laissait entrevoir un visage jeune, aux cheveux châtains coupés courts. Il s'approcha d'un pas mal-assuré. Dans ses yeux verts pointait une lueur d'inquiétude, peut-être même de panique. Galaniel crut même repérer quelques gouttes de sueur sur ses tempes tremblantes.

« Ephas, j'ai une excellente nouvelle... » Commença Néphyle.

Mais Ephas ne l'écoutait pas, le regard rongé par les remords et l'amertume.

« Je suis désolé, répondit-il.

— Désolé ? De quoi ?

— Ils sont arrivés avant, je n'ai rien pu faire.

— Bonsoir. »

Un homme se détacha des ténèbres. Plus petit que la moyenne, revêtu d'une armure souple aux insignes d'or, son visage disparaissait derrière un casque noir. Il s'approcha de ses interlocuteurs sans se presser, d'une démarche tout à fait naturelle.

Il continua de s'exprimer en langue du nord, ce qui permettait à Galaniel de le comprendre.

« Je crois que votre compagnon a quant à lui une exécrable nouvelle à vous annoncer. Mais que voulez-vous, on ne peut pas tout avoir... »

Esphas resta immobile tandis que l'homme dardait sur lui la pointe d'une longue lame effilée. Galaniel comme Néphyle effectuèrent un mouvement de recul. De l'autre côté de la rue, cinq hommes aux armures noires se révélèrent à leurs tours.

Pris au piège.

« Comment avez-vous... » Hasarda Néphyle, interloquée.

Elle dégaina d'une main son sabre ébréché.

« Comment ? Un véritable jeu d'enfant, reprit l'homme. Quoi de plus facile que d'extirper des renseignements à des contrebandiers, seulement préoccupés par leur enrichissement personnel ?

— Vous...

— Mes troupes procèdent en ce moment même à l'arrestation des autres terroristes. Tous les quartiers de la ville sont bouclés ; autant dire que vous n'avez plus la moindre chance. »

Les gardes continuaient de s'approcher par l'arrière. Galaniel avait dégainé son épée mais craignait de ne plus pouvoir faire grand-chose.

« Jamais le Neelhan ne vous appartiendra, cracha Néphyle. Nous nous battrons jusqu'au dernier, s'il le faut.

— Voyons, il est tout à fait inutile d'envisager de telles extrémités. Votre nouveau Général Chef l'a bien compris, d'ailleurs, lorsqu'il a prêté allégeance à Zagnar.

— Ce pantin n'a aucune légitimité. »

Les gardes n'étaient plus qu'à quelques pas, et Galaniel se tenait prêt à parer toute attaque.

« Vous exposerez vos arguments politiques plus tard, souffla-t-il à Néphyle. Il y a plus urgent pour le moment. »

L'homme se tourna vers lui.

« Vous pouvez toujours me remettre vos armes, suggéra-t-il. Je ne vous ferai aucun mal si vous vous rendez. Dans le cas contraire, votre combat n'aurait d'autre issue que votre perte. »

Galaniel interrogea Néphyle du regard. Pour elle, la reddition ne semblait pas être une option envisageable. Elle brandit son arme et bondit aussitôt vers l'inconnu. Galaniel resta quant à lui immobile, prêt à recevoir les gardes qui à leur tour s'élancèrent vers lui.

Les épées s'entrechoquèrent avec une telle violence que Néphyle faillit perdre la sienne. Elle avait la sensation d'avoir frappé un mur. L'homme avait paré sans la moindre difficulté son assaut, mais Ephas en profita pour lui échapper. Le Neelhanais attrapa un morceau de ferraille, essaya d'atteindre leur adversaire.

L'homme se décala sur le côté, aussi vif que l'éclair. Sa riposte fusa aussitôt vers le visage d'Ephas. Le garde vert recula d'un bond, et n'échappa que d'un cheveu à la mort avant de perdre l'équilibre. Il s'écrasa dans la masse hétéroclite de débris.

Dans le même instant, l'homme interrompit un assaut en traître de Néphyle. Son coude rencontra la jeune femme avant qu'elle ne puisse abattre son arme, les deux lames se croisèrent. Les attaques s'enchaînèrent, implacables.

Galaniel réfréna les crépitements qui parcouraient ses mains. Il ne connaissait que trop bien les armures noires qui lui faisaient face. La garde d'élite de Kalendor, capable d'utiliser leurs A.O.M. pour faire usage de télékinésie, ce dont lui-même était incapable. Ses adversaires pourraient arrêter les balles, mais aussi dévier d'éventuels sorts magiques.

Il raffermit sa prise sur son épée, la seule défense qu'il lui restait. Trois gardes se portèrent vers lui, arme au clair, tandis que les deux autres partaient prêter main-forte à leur chef.

L'assaut fut brutal, implacable. Les trois gardes se coordonnèrent pour l'encercler, et ne lui laissèrent pas la moindre échappatoire. À peine avait-il pu échanger quelques passes que le contact d'une lame dans son dos le contraignit à l'immobilisme.

En dernier recours, le Shawnien essaya de déployer les capacités de son A.O. M., mais resta incapable de pénétrer leurs esprits. Des murs lisses, durs et froids comme du métal. Des vétérans confirmés.

Une seconde lame se posa sur son ventre, comme pour lui retirer tout espoir.

Pas après pas, Néphyle reculait, incapable de reprendre l'avantage. Les mouvements de l'homme se faisaient trop vifs, trop rapides, trop maîtrisés pour elle. Elle ne put contrer une nouvelle attaque, et son arme lui échappa des mains. Déjà, l'épée de son adversaire enchaînait, tournoyait, et elle bondit en arrière pour lui échapper de justesse.

Son dos rencontra le mur froid d'un bâtiment ; elle s'immobilisa, horrifiée. La pointe de la lame ennemie se posa sur sa gorge.

« Vous ne m'aurez pas vivante. » Siffla-t-elle.

Son adversaire la plaqua contre le mur, avant qu'elle ne puisse esquisser le moindre mouvement. Il trancha aussitôt les lanières de cuir qui retenaient son casque, et le jeta au loin. Sa main écarta les cheveux blonds de Néphyle pour attraper un diadème d'émeraude constellé de paillettes scintillantes.

« Un A.O.M, murmura-t-il.... Vous aviez effectivement réussi à en subtiliser une poignée. La perte de deux d'entre eux sera un véritable coup dur pour vous. »

Il lança le précieux appareil à l'un de ses gardes. Le second pourchassait déjà Ephas, qui essayait d'escalader un monticule de gravats pour s'échapper.

« Contacte les renforts pour l'opération "balayage souterrain", et mets-moi cet A.O.M. en sécurité.

— À vos ordres, Commandant. »

L'homme se tourna de nouveau vers Néphyle.

« Je n'ai pas voulu prendre ce risque avec votre compagnon, mais maintenant que vous n'avez plus votre protection mentale, vous allez me révéler où se situe l'entrée de votre réseau souterrain. »

Affolée, elle sentit l'esprit glacial du Commandant s'engouffrer à travers le sien.

Galaniel lâcha son arme, que s'empressa de récupérer un garde noir. Apparemment, ils le préféraient vivant. Ou tout du moins se voyait-il octroyer un sursis incertain.

« À genoux ! »

Le jeune homme s'exécuta, les mains en évidence. Un Kalendorien lui retira son casque, et lui arracha aussitôt son A.O.M., tandis qu'un autre attrapait un pistolet. Sans doute pensaient-ils qu'il ne pourrait désormais plus dévier leurs balles.

Qu'importe, il en était déjà incapable depuis le début.

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