XX-2 : Retour sur Oriale
De gigantesques amoncellements de bois se dressaient à l'assaut du ciel. Ce bûcher funéraire représentait le courage démesuré d'un héros, le pourfendeur du dragon, et sauveur de ce village.
Une dernière fois, le sorcier se recueillit devant l'édifice. Ses vœux accompagnèrent l'âme du défunt, et l'encouragèrent pour sa nouvelle vie, désormais qu'elle rejoignait le Grand Esprit.
Le village entier l'accompagnait pour saluer la disparition de leur compagnon. Suivant la tradition, de grands banquets avaient été dressés, à la mémoire du défunt.
Le sorcier tendit une branche enflammée à la famille. C'était à elle que revenait le devoir d'allumer le bûcher, qui marquerait le début des festivités.
« Youhou ! Salut les gars ! »
L'arrivée du trublion fit se retourner l'ensemble de l'assistance, frappée de stupeur.
« Ce... Césape ?
— Ne me dites pas que toute cette cérémonie, c'est pour moi ? »
Le flambeau dans les mains de sa famille répondait aussitôt à sa question.
« Je suis flatté, reconnut-il, en remarquant la taille monumentale de l'édifice funéraire. Je ne m'attendais pas à autant d'égards. Désolé de vous contredire en revanche, mais à ma connaissance je ne suis pas encore mort. Vous devrez donc attendre encore un peu, ou beaucoup, ça ne dépend pas que de moi, enfin, en partie, quand même. Bref, en tout cas, je suis vivant, et bien content de vous revoir. »
***
Néphyle mit fin au contact mental et recula, chancelante, frissonnante. Deux hommes vinrent la soutenir avant qu'elle ne perde l'équilibre. Jusqu'au bout, l'esprit du captif s'était débattu afin de lui compliquer la tâche.
« Oh ! Réveillez-vous ! »
Son corps tremblait encore de cette épreuve inhabituelle. Elle se redressa, essuya d'un revers de coude la sueur froide qui inondait son visage. Ses compagnons restaient suspendus à ses lèvres.
« Vous savez qui c'est, maintenant ? »
Elle hocha la tête.
« Je n'en avais même pas idée. C'est l'homme qui a tué le Général Chef. »
L'assemblée se figea de stupeur. Et encore, elle ne disait pas tout : dans l'esprit tortueux de Galaniel résonnaient les images d'un Ordre galactique, d'un secret qu'elle-même n'était pas censée connaître, un secret porteur d'une puissance écrasante.
« Ce gamin ? Vous plaisantez ?
— C'est le fils de Zawhyk Dremana Espan. Vous avez bien fait de me contacter.
— Et moi qui craignais de vous avoir dérangée pour rien... »
Galaniel les fixait tour à tour de ses yeux sombres, furieux. S'il était toujours attaché, les regards osaient à peine se porter vers lui, désormais. Quelques secondes auparavant, il n'était qu'un vulgaire inconnu, rien de plus qu'une interrogation sans envergure. Désormais, le jeune homme se drapait du rôle de personnage historique.
« Il avait... il devrait avoir une pierre sur lui... » Reprit Néphyle.
Ses interlocuteurs la dévisagèrent sans comprendre. L'homme aux cheveux noirs lui répondit sur un ton inquiet.
« Je ne sais pas. Nous lui avons retiré ses armes, il avait l'A.O.M. ainsi qu'une épée. Je n'ai rien remarqué d'autre de particulier. »
Une pâle lumière émana de Galaniel. Les interlocuteurs s'exprimaient dans leur langue natale, et le jeune homme ne pouvait pas les comprendre. Néanmoins, il venait de réaliser une chose cruciale : il possédait toujours sa Pierre, et ses pouvoirs, bien qu'incertains, lui restaient toujours accessibles.
Les trois hommes s'écartèrent, surpris. Seule Néphyle, le regard encore vague et incertain, sembla trouver un sens à cette situation improbable.
Des flammes dansèrent sur les poignets du Voyageur, les liens qui le maintenaient se consumèrent pour tomber en cendres. Les deux hommes préférèrent s'éclipser hors de la pièce tandis que le jeune homme se levait, les mains recouvertes de flammes inquiétantes.
Par réflexe, l'adolescent pointa un fusil dans sa direction. Aussitôt, Néphyle lui attrapa le bras et articula un ordre clair que Galaniel ne comprit pas.
Son interlocuteur la dévisagea un instant avec incrédulité, avant d'obtempérer et de quitter à son tour la pièce.
Il ne restait désormais plus qu'eux deux.
***
La fête du dernier départ s'était transformée en fête de retrouvailles. Trois jours et trois nuits à festoyer, chanter et danser. Ravi de retrouver les siens, Césape leur avait fait part de son épopée grandiose et interminable, auprès des Voyageurs. D'une verve intarissable, son discours se prolongeait des heures durant. Le moindre détail, même insignifiant, se trouvait magnifié par une improbable cascade lyrique.
Le village suspendu s'était ensuite assoupi pour se remettre des interminables festivités. Seul un silence sépulcral accueillit les deux silhouettes, lorsqu'elles s'avancèrent entre les habitations endormies. Le jour s'était pourtant levé depuis longtemps.
Avachi contre un mur de bois, un gigan grogna, dévoila des crocs jaunâtres, puis leva un œil embrumé vers les nouveaux arrivants.
« Il avait dit que vous viendriez... commença-t-il d'une voix pâteuse. Vous êtes... Seyer... c'est cool... »
Incapable d'ajouter davantage, ses paupières se fermèrent pour le faire de nouveau sombrer dans un profond sommeil. Césape n'avait pas omis de dresser une fresque dithyrambique au sujet du Grand Maître, ce fythélien qui ferait à son tour de lui un messager du Grand Esprit. Toutefois, l'apprenti Voyageur ignorait encore beaucoup de Seyer, et les mots seuls ne pouvaient combler sa méconnaissance.
Le fythélien écarta un rideau de paille et pénétra dans une pièce tamisée, aussitôt suivi par Alyne. Retrouver l'elfine restait en effet le plus simple, grâce à la Balise de la Cité Céleste. Le Grand Maître s'était aussitôt matérialisé dans une grande crypte aux murs blancs et aux colonnades de cristal. Son apprentie l'attendait déjà, prête à repartir, et tous deux ne s'étaient pas attardés. Les rangées de Prêtresses en toge blanches restées à l'écart, presque hostiles, n'incitaient pas de tout façon au tourisme. De tous les Grands Maîtres, il ne devait n'y avoir que Mitteï dont elles acceptaient la présence, et encore...
Concernant Césape, la planète natale du gigan, Gigarosia, possédait-elle aussi une Balise. Le Grand Maître avait toutefois atterri dans une cité troglodyte, à quelques milliers de kilomètres du village de son apprenti. Il avait ensuite dû traverser plusieurs Failles secondaires pour venir jusqu'ici, au terme de trois jours de pérégrination.
Pour Galaniel, il n'existait pas même de Balise sur Oriale, mais seulement sur Zyx. Le Grand Maître aviserait, une fois revenu dans la Fédération. Déjà, il venait de retrouver son deuxième apprenti, l'aède en quête de gloire et d'aventures, occupé à ronfler sur un matelas rudimentaire.
***
« Calmez-vous, tenta Néphyle en langue du nord. Nous sommes dans le même camp. »
Elle étendit ses bras en signe d'apaisement.
« Je comprends que vous ayez subi cette intrusion comme une violation de votre intimité, mais c'était un mal nécessaire. Nous sommes en guerre, et il y a trop d'enjeux pour nous permettre la moindre erreur.
— Prouvez-le ! »
Les mains de Galaniel disparaissaient sous les flammes. Néphyle ne recula pas pour autant, et défit son casque. Entre ses cheveux blonds apparaissait un A.O.M., similaire à celui qu'utilisait Galaniel.
« Je suis membre de la garde verte, la véritable garde verte neelhanaise, celle qui lutte contre l'occupant et ne reçoit d'ordre que du Général légitime. » Déclara-t-elle.
Galaniel fronça les sourcils. Apparemment, la géopolitique de ce pays semblait avoir plus que changé depuis la bataille.
« Vous êtes aux ordres de Fermal Eclarian ? »
Néphyle nia de la tête.
« Fermal Eclarian est mort, de même que son frère Xeo ; je croyais que vous le sauriez. Je suis aux ordres de Scythlène Scalath, la dernière représentante de sa famille. Mais j'en déduis que vous ignorez complètement la situation.
— Vous devriez le savoir, après vous être introduite dans mon esprit ! »
Néphyle hocha la tête, mais cela ne calma pas Galaniel pour autant.
« Une fois de plus, je ne suis pas votre ennemie. Cette intrusion était nécessaire pour m'assurer de vos intentions.
— Et comment voulez-vous que je m'assure des vôtres ? »
Néphyle soupira.
« En tant que garde vert, je ne vous laisserai pas pénétrer mes pensées, si c'est ce que vous voulez savoir. D'un autre côté, je n'essayerais pas de vous parler si vous étiez mon ennemi. Je maîtrise suffisamment bien mon A.O.M. pour pouvoir espérer vous maîtriser.
— Cela reste à voir...
— N'oubliez pas que vous êtes désarmé, contrairement à moi. »
Elle marcha jusqu'à un coin sombre de la pièce pour y retirer un objet métallique que Galaniel reconnut aussitôt. Elle le lui lança, et le jeune homme rattrapa aussitôt l'épée qui était sienne. Les flammes de ses mains se résorbèrent finalement avant de disparaître.
« J'espère que cela vous suffira pour me faire confiance, poursuivit Néphyle. Après tout, c'est maintenant votre planète qui est à son tour menacée de se faire envahir par Kalendor. »
L'annonce fit sursauter Galaniel.
« Comment ça, nous risquons de nous faire envahir ? »
Elle le fixa de ses yeux bleus, indécise, puis décida de faire court.
« Après la bataille, les Généraux se sont entredéchirés afin de succéder au Général Chef. Il en reste encore deux à s'affronter. Le fils de Sméarn Pteï, Zagnar, qui a pris la tête de Kalendor, et en face le Général de Brocélie, Octale Zdalavitch. Nous avons rejoint cette dernière après les représailles et notre invasion par l'armée noire. Zagnar voue en effet une haine féroce aux responsables de la mort son père, donc à nous, les Neelhanais, mais aussi vous, les Shawniens. C'est clair ?
— Euh, à peu près.
— Octale a bien essayé de prévenir vos compatriotes, mais sans succès. Elle s'est tournée vers les Zyssiens qui s'en sont lavé les mains. Il faut dire que ces lâches ont déjà négocié un traité de paix bi-décennal avec Zagnar, et préfèrent le voir arriver au pouvoir. Ils oublient bien vite que son père menaçait de mettre à genoux la Fédération, quelques mois plus tôt, et que son fils nous réserve un sort guère plus enviable. Mais tout ça, ils s'en fichent ; ce ne sont pas leurs affaires, ce ne sont d'ailleurs jamais leurs affaires. Le vaisseau-mère kalendorien est quant à lui déjà parti depuis un certain temps et son arrivée n'est plus qu'une question de semaines. Alors, ce serait une aubaine si vous pouviez contacter vos compatriotes, histoire qu'ils sachent ce qui les attend. Parce que sinon, ça promet. »
Shawn ne possédait presque aucune technologie, et si les Zyssiens refusaient de les avertir, Galaniel n'entrevoyait plus beaucoup d'alternatives. Zagnar avait choisi une proie facile, une planète sans la moindre protection, sans même un dispositif de détection spatiale. Toutefois, les autres Généraux l'ignoraient, ce qui marquerait d'autant mieux son "exploit". Connaissait-il la faiblesse des Shawniens à cause de son père ? En tant qu'Itinérant, Sméarn avait sans doute connu beaucoup de secrets sur les mondes de la Galaxie, des secrets que son fils menaçait maintenant d'exploiter.
Néphyle ne put s'empêcher de remarquer le trouble du jeune homme, et tenta de le rassurer.
« Écoutez, je vais contacter mon supérieur pour l'informer de votre présence. Et puis, peut-être Octale a-t-elle trouvé une solution, entretemps, ou peut-être même que votre arrivée pourra l'aider. Vous êtes l'homme qui a tué le Général Chef, après tout ; c'est un symbole fort. »
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