XX-1 : Retour sur Oriale
Trop longtemps nous avons considéré que les affaires d'Oriale ne nous concernaient pas. Trop longtemps nous nous sommes enferrés dans l'erreur de les considérer comme contingentes. Notre destin s'est pourtant joué sur cette lune, beaucoup trop souvent, sans que nous n'y prenions part, sans que nous n'y prêtions même attention. Voilà ce qui a mené notre planète aux frontières du chaos.
La question est maintenant : à quoi sommes-nous prêts pour nous rendre maîtres de notre destinée ? Jusqu'où sommes-nous prêts à aller, et à quel prix ?
Extrait d'un discours du Président de la Fédération zyssienne, peu après l'ultimatum du Général Chef.
Galaniel rouvrit les yeux. Il faisait nuit ; seules quelques étoiles projetaient leur pâle lueur sur le champ de bataille abandonné. Le champ de bataille dans lequel le Général Chef avait trouvé la mort. Machines éventrées, armes brisées, et d'autres pièces de métal tordues entouraient le jeune homme.
Sans but, il s'avança parmi les débris. Sa seule question restait de savoir quand est-ce que Seyer pourrait revenir le chercher, quand est-ce qu'il pourrait échapper à ce monde hostile et inconnu. Le Shawnien ne connaissait personne sur Oriale, mis à part Fermal Eclarian, leur allié et Général du Neelhan... et encore, ce n'était que de nom ; il ne l'avait jamais rencontré.
Peut-être la Déesse Cristal aurait-elle pu l'envoyer ailleurs que sur ce monde hostile, mais Galaniel restait conscient de lui valoir la vie. Seule la Pierre d'Origine lui avait permis d'échapper aux armées conjointes des autres Généraux. Peut-être même son retour ici serait-il porteur d'une quelconque finalité, qui lui échappait encore.
Galaniel s'arrêta. Un frémissement s'était fait entendre. Le jeune homme scruta l'obscurité avec anxiété. Un autre, plus près. Des bruits de pas, des pas qui se rapprochaient de lui. Quelques chuchotements étouffés brisèrent le calme de la nuit.
Galaniel fit volte-face et tenta de s'éloigner des inconnus qui, tapis dans la pénombre, continuaient de s'approcher. Peu de chances qu'il s'agisse de simples promeneurs inoffensifs.
Un cliquetis sourd renforça sa conviction. Ils étaient armés. Galaniel accéléra sa course, sans plus prendre la peine d'étouffer le bruit qu'il faisait. Il était repéré, et les hommes s'étaient mis à sa poursuite. Il se figea lorsqu'il comprit que d'autres venaient devant lui, de manière à l'encercler.
Le silence retomba. Il pouvait deviner les armes pointées vers lui, dissimulées par le manteau obscur de la nuit.
Une ombre s'approcha de lui sans le moindre bruit, un fusil pointé dans sa direction.
« Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? » Demanda Galaniel.
Par réflexe, le jeune homme venait de s'exprimer dans sa langue natale, que ses interlocuteurs avaient peu de chances de comprendre. En réponse, quelques mots s'échangèrent dans la nuit, mais leur sens lui échappa. La Stèle lui permettait de comprendre toutes les langues usitées par les Voyageurs, mais ce dialecte ne devait pas en faire partie.
Une lampe torche perça les ténèbres pour éblouir le visage de Galaniel. Le jeune homme recula, et sentit un homme se glisser par derrière. Aussitôt, il le frappa du poing, échappa à un deuxième, se remit en garde.
Sa résistance s'avérait cependant aussi vaine que désespérée. Le froid canon de l'arme scintilla sous la lueur des étoiles, braquée dans sa direction. L'ordre sec et clair qui s'ensuivit restait sans équivoque. Même si Galaniel ne pouvait le traduire, il lui fut aisé d'en deviner la signification. Le jeune homme s'immobilisa. Difficile de leur échapper ; l'homme l'abattrait au premier mouvement.
Une fléchette siffla pour se planter derrière son épaule ; il l'arracha aussitôt.
« Empoisonnée. » Comprit-il.
Ses membres devinrent lourds, ses jambes peinèrent à le porter, tandis que sa vue se brouillait.
Ses doigts lâchèrent la fléchette, ses jambes se dérobèrent sous son poids, et il s'effondra au sol.
Galaniel perdit connaissance.
***
Césape rouvrit les paupières. La pénombre avait succédé à la lumière, et il attendit que ses yeux s'habituent, avant de pouvoir discerner ce qui l'entourait.
Une grotte sombre, des amoncellements d'objets brillants. L'antre du dragon. Une forte odeur de décomposition remontait d'ailleurs jusqu'aux narines du gigan. Le cadavre ne devait pas être loin.
L'espace d'un instant, Césape se demanda s'il n'avait pas rêvé tous ces derniers événements. L'Ordre des Voyageurs, les autres prétendants, Galaniel et Alyne, le Voyage dans l'Éther, la rencontre avec le Grand Esprit, le Grand Maître Seyer... Les pensées s'embrouillaient dans sa tête pour prendre des colorations d'impossible, une fois revenu au monde réel.
Par réflexe, il porta la main à sa besace. La Pierre d'Origine était toujours là, recouverte de coloris verts et bruns. La seule preuve de ce qu'il venait de vivre... encore qu'il ne s'agissait en apparence que d'un caillou, tout au plus avec des couleurs inhabituelles.
Il haussa les épaules, et se dirigea vers l'entrée de la grotte. Une grande masse sombre obstruait en partie la lumière. Le cadavre du dragon, dépecé, rongé par les charognards. D'ici quelques semaines, seuls resteraient des os pour témoigner du combat désespéré des gigans.
Seyer avait donc raison. Au vu de l'état de décomposition, plusieurs jours supplémentaires s'étaient écoulés, voire même une semaine.
Césape sortit de la caverne, pour retrouver la chaude lumière d'un soleil éclatant. En dessous s'étendait l'océan de hautes herbes, qu'interrompaient quelques roseaux plus grands que des arbres. Des attroupements d'herbivores se formaient tout autour, et les dinosaures tendaient leurs cous démesurés vers les sommets pour attraper des baies violacées. Leurs têtes s'ornaient de collerettes chatoyantes, tandis que des écailles saillantes couraient tout le long de leur dos, pour leur offrir une protection rudimentaire.
Le gigan commença la descente de la falaise. Pas de prédateur ou de danger à l'horizon, rien ne l'empêchait donc de rejoindre son village.
***
Galaniel reprit connaissance. Il essaya de bouger, mais des liens solides empêchaient du moindre mouvement. Attaché sur une chaise, le jeune homme balaya du regard la cave humide. Une lampe vétuste crachait une lueur blafarde sur les murs gris, imprégnés par une forte odeur de moisissure. Dans les recoins s'entassaient en désordre des stocks hétéroclites : chiffons crasseux, matelas usés, tables bancales, moteurs abîmés, pièces de rechanges... mais ce qui inquiéta le plus le jeune homme furent ces armes de tous types, depuis les fusils-mitrailleurs jusqu'aux canons à demi-démontés, qui traînaient à même le sol.
Deux hommes discutaient à voix basse, dans une langue qu'il ne comprenait pas. Assis, le premier apparaissait détendu, ses yeux rieurs disparaissaient dans une barbe et des cheveux roux hirsutes. L'autre restait quant à lui adossé contre un mur, morose, la mine patibulaire, et la barbe noire mal rasée. Il ne répondait que par intermittence à son camarade, tandis que ses doigts jouaient avec la lame d'un long couteau cranté.
Tous deux interrompirent leur conversation dès qu'ils se rendirent compte du réveil de Galaniel. Le premier s'approcha du Shawnien pour s'adresser à lui, mais réalisa bien vite que le jeune homme ne comprenait pas un traître mot. Il jeta un regard indécis à son collègue. L'homme arpentait la pièce exigüe et continuait d'ouvrir puis de refermer son couteau avec obstination. Il interrompit finalement son cliquetis insupportable pour échanger quelques mots avec son compagnon. Puis, après un soupir, il vint se placer face à Galaniel, et fixa le jeune homme de ses yeux noirs. Le couteau toujours à la main, il articula plusieurs mots, sans que le jeune homme ne le comprenne davantage. Galaniel se demanda s'il ne faisait que reformuler, ou essayait d'établir le contact dans une autre langue.
Si Seyer ne venait pas le chercher, il devraitsonger à s'échapper. Ses geôliers ne se satisferaient sans doute pas bien longtemps de ce manque de communication. Néanmoins, la solidité des liens ne faisait aucun doute, et Galaniel doutait de pouvoir s'en défaire.
Comme s'il avait deviné le cours de ses pensées, l'homme aux cheveux noirs pointa son couteau dans la direction du Shawnien.
« Hataï ! »
Galaniel se contraignit à l'immobilisme. Il n'était pas en position de force. Il pensa un instant à recourir à la magie, même s'il restait encore loin de la maîtriser. Il ne pourrait cependant pas se servir de ses mains et ignorait s'il possédait encore sa Pierre. Néanmoins, il n'aurait choix que d'essayer si la situation venait à empirer davantage.
Les deux hommes finirent cependant par se désintéresser de lui, et rejoignirent un coin de la pièce pour échanger quelques mots à voix basse.
Le silence retomba au bout d'un instant. Ses geôliers se résolurent à l'attente, ce qui inquiéta encore plus Galaniel, alors qu'ils le fixaient tous deux d'un regard inquisiteur. Apparemment, son sort ne dépendant pas que de leur bon vouloir, et cela ne présageait rien de bon. Tous deux faisaient sans doute partie d'une plus vaste organisation, d'un cartel du crime hiérarchisé ou d'une cellule terroriste. Encore que l'absence d'étendard ou de signe distinctif faisait peut-être plutôt d'eux des mercenaires ou même des contrebandiers.
Il suffisait de voir les armes, ainsi que l'insalubrité de la pièce, afin de s'en convaincre. Aucun étendard, ni même de signe distinctif, avaient-ils seulement une allégeance officielle ?
Une trappe s'ouvrit finalement au fond de la pièce, pour mettre un terme à cette attente insupportable. Deux personnes pénétrèrent, à demi-masquées par le nuage de poussière que souleva leurs arrivées. Un adolescent aux yeux fuyants s'écarta pour laisser passer une femme aux vêtements vert clair rapiécés. D'un visage jeune, elle portait un ample couvre-chef métallique, qui masquait en partie sa chevelure blonde. Sur le côté, une rapière patientait dans son fourreau, tandis que dans son dos, une sarbacane jouxtait des étuis de fléchettes.
Elle échangea quelques mots rapides avec les deux geôliers. L'homme aux cheveux roux lui tendit ce qui ressemblait à un diadème d'émeraude constellé de paillettes scintillantes. L'A.O.M. dont Galaniel avait fait usage au cours de la bataille, et qu'il avait conservé jusqu'ici. La jeune femme fit aussitôt disparaitre l'appareil dans son manteau, puis se tourna vers le Voyageur. Le regard bleu ravivé par l'importance de cette acquisition, elle rejoignit le jeune homme d'un pas décidé.
« Est-ce que tu me comprends quand je parle ? »
Galaniel sursauta. Elle venait de s'exprimer en langue du nord, malgré un certain accent, et le sens s'était aussitôt fait à jour dans l'esprit du jeune homme. Une fois de plus, l'épisode de la Stèle Universelle démontrait son utilité.
« Je vous comprends. » Répondit-il, conscient que sa réaction parlait déjà d'elle-même.
La femme esquissa un fin sourire.
« Je m'appelle Néphyle, et toi ? »
Galaniel hésita durant quelques secondes. Ses interlocuteurs ne l'avaient pas reconnu, mais son père, Zawhyk, avait bouleversé la géopolitique de la lune. À ce stade, difficile de savoir s'il s'agirait d'alliés ou d'ennemis. Quant à son véritable nom, sans doute ne devaient-ils pas le connaître non plus, mais sans doute valait-il mieux jouer de prudence, pour l'instant.
« Césape. » Répondit-il d'une voix neutre.
Il soutint du mieux qu'il put le regard inquisiteur de la jeune femme, avant qu'elle ne reprenne la parole à son tour.
« Césape, répéta-t-elle, si tu nous expliquais donc ce que tu faisais sur cet ancien champ de bataille, avec en ta possession un A.O.M. de la garde verte ? »
Galaniel conserva le silence. Elle voulait des informations, mais il ne pouvait pas lui faire confiance. Le simple fait d'appartenir au peuple de Shawn pouvait se retourner contre lui. Et avancer une explication crédible relevait de la gageure.
« Je pense que tu comprendras que je n'ai pas vraiment de choix. » Soupira la femme.
Elle approcha une main de son visage. Ses doigts se posèrent sur le front de Galaniel.
« Tu ferais mieux de ne pas résister, ou cela risque d'être très douloureux. »
Telle une vague glacée, l'esprit de la femme déferla dans le sien, afin d'y trouver des réponses.
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