XVII-3 : L'Ordre des Voyageurs
Les Voyageurs arrivèrent à leur destination. Néol s'arrêta pour désigner les trois dernières portes du couloir, d'exquises sculptures aux teints bleu pâle.
« Voici vos quartiers respectifs, annonça-t-il. J'espère qu'ils vous satisferont. »
Galaniel remarqua son nom, gravé en lettres de feu dans sa langue natale, au-dessus de la porte du milieu.
« Vous pouvez vous y reposer et vous changer. Nous restons néanmoins à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, ou vous faire visiter davantage le Sanctuaire. Ah oui, et nous vous préviendrons aussi pour le début de votre Cérémonie d'investiture. »
Il s'écarta pour laisser les prétendants s'approcher de leurs chambres respectives. Les portes étaient de cristal, néanmoins Galaniel ne leur voyait pas de poignée, et encore moins de charnières. De minces filaments bleu clair sortaient du chambranle doré puis s'entrelaçaient pour former un mur ciselé en apparence impénétrable.
Galaniel jeta un regard indécis aux trois Voyageurs. Néol ne put s'empêcher de sourire. Un cycle plus tôt, lui-même se trouvait à la place du jeune homme, tout aussi déboussolé.
« Ces portes, expliqua Würz, n'obéissent qu'à l'occupant de la chambre concernée. Elles sont bien évidemment enchantées. »
Galaniel s'approcha, et se décida finalement à étendre ses doigts en direction des motifs enchevêtrés. Le cristal oscilla, vibra, puis se commença à se liquéfier. Une protubérance ronde se forma sur l'étoile centrale, comme pour réceptionner la main de Galaniel.
Les cinq doigts entrèrent en contact avec la bosse glaciale. Un tintement cristallin se fit entendre ; la surface de la porte scintilla de mille feux. L'un après l'autre, les motifs se désolidarisèrent, les filaments se résorbèrent à travers le chambranle.
Galaniel pénétra sans attendre ; derrière lui, la porte se reconstituait déjà. Les serpentins cristallins ressortaient, ondulaient, s'entrelaçaient, puis se solidarisaient pour reformer les mêmes motifs étoilés.
Galaniel balaya sa chambre du regard. Des murs blancs austères, quelques ornements dorés, une grande fenêtre avec vue sur la cour intérieure.
La lumière du dehors inondait la pièce vide, dénuée de tout mobilier. Seul une sphère rougeoyante grosse comme le poing planait en son centre, à un bon mètre de hauteur. Des flammes la recouvraient, et un mince filament ardent venait rejoindre le sol, au milieu de motifs étoilés.
Galaniel s'approcha, circonspect. Des lettres de feu se tracèrent dans les airs pour afficher un texte en shawnien.
Bienvenue en votre demeure, monsieur Espan.
« Qui êtes-vous ? » Demanda-t-il.
De nouvelles lettres s'agencèrent, pour lui répondre aussitôt.
Je suis le centre nerveux de cette pièce, entièrement à votre disposition. Mon rôle est de réaliser le moindre de vos souhaits dans la mesure de mes capacités. Pour commencer, et comme je sens que ce mode de communication vous perturbe, je vous propose une conversation orale. Vous pouvez définir le timbre de voix qu'il vous plaira.
« Cela me convient, acquiesça Galaniel. Je préfèrerai éviter d'être le seul à parler. »
Voix humaine ou autre ? Grave ou aigüe ? Masculine ou féminine ? Lente ou rapide ? Enrouée, suave, rauque, douce, dure, gutturale, labiale, monovariante, tranchée, colorée, froide, calme, hachée ...
L'énumération des possibilités semblait ne jamais vouloir finir, et la sphère l'inondait sous un choix invraisemblable d'options.
« Qu'importe, maugréa le jeune homme.
— Conversation orale enclenchée. Timbre de voix défini par défaut. Que désirez-vous, monsieur ? »
Galaniel recula d'un pas, surpris. La sphère s'était exprimée d'une voix neutre, sur un timbre métallique, presque robotique.
Un robot. Ou plutôt un programme, même s'il revêtait une forme inattendue. Après tout, il existait déjà sur Zyx des hologrammes d'accueil capables de tenir des conversations cohérentes.
« Bien sûr, reprit la sphère, si une quelconque caractéristique vous déplaît, vous pouvez toujours revenir sur votre décision. Il vous suffit seulement de m'avertir de votre non-satsifaction.
— Je suis assez impressionné, reconnut Galaniel. Tu es une sorte de programme d'interaction avancé, n'est-ce pas ?
— Vous me flattez, monsieur. D'autant plus que vous m'avez encore rien aperçu de mes capacités.
— Pourrais-tu cesser de m'appeler 'monsieur' ? Inutile de s'encombrer de telles formalités.
— Requête enregistrée. Comment dois-je vous nommer alors ?
— Galaniel, cela suffira.
— Entendu, Galaniel. Bienvenue dans votre demeure, donc. Que désirez-vous ? »
Galaniel resta indécis.
« Tout d'abord, est-ce que tu aurais un nom ? Je ne sais même pas comment je dois t'appeler...
— Je n'ai pas de nom. Vous pouvez choisir de me donner celui que vous voulez, et le modifier ensuite à votre convenance. »
Galaniel marqua son étonnement.
« Mais de quelle manière te désignait-on alors, avant mon arrivée ?
— Je n'en ai aucun souvenir. Je crois que je n'existais pas encore, ou alors n'avais-je pas été encore activée. J'ai seulement été programmée pour servir le dénommé Galaniel Zawhyka Espan. Désirez-vous me donner un nom ?
— Je ne sais pas. À vrai dire, je croyais que tu en possédais déjà un.
— Je ne possédais rien avant que vous n'arriviez, tout comme cette pièce n'existait pas. J'ai été créée pour vous, et c'est donc à vous de définir toutes les modalités qui vous satisferont. Je vous informe aussi que je suis capable de changer d'apparence à volonté.
— Tu peux changer de forme ?
— Laissez votre esprit ouvert et pensez à quelque chose, n'importe quoi, j'userai alors de cette morphologie. »
La sphère étincela de mille feux, puis augmenta de volume. Par réflexe, Galaniel recula. Six langues de feu émergèrent, tandis que l'ensemble s'allongeait pour donner forme à un ellipsoïde incandescent.
Les contours se précisèrent. Quatre pattes écailleuses rougeoyantes se matérialisèrent, ainsi que deux grandes ailes ternes. L'avant continua de s'allonger avant de prendre la forme d'une épaisse tête pourvue d'écailles.
Le dragon claqua des dents, puis marcha jusqu'à Galaniel. Son pas faisait trembler le sol.
« Impressionnant. » Siffla le jeune homme, impressionné par un tel réalisme.
La créature était identique au dragon dont Césape avait triomphé. Le moindre détail avait été reproduit avec une précision stupéfiante. Galaniel sursauta, alors que le dragon prenait la parole. La voix métallique était restée la même que précédemment, ce qui conférait une impression plus qu'étrange.
« J'espère que vous m'excuserez. Les dimensions de cette pièce m'empêchaient de prendre les mensurations que vous aviez à l'esprit. J'ai été dans la nécessité de les adapter. »
Le dragon était certes plus petit que celui de Césape, mais n'en demeurait pas moins impressionnant. Il remplissait presque tout l'espace disponible, et pouvait à peine se mouvoir.
« Tu peux changer de taille ? Demanda Galaniel
— Au vu de la situation actuelle, je peux seulement rapetisser. »
Joignant l'acte à la parole, le dragon se rétracta, jusqu'à prendre la taille d'un petit chien.
« Ça suffit, l'interrompit Galaniel. Inutile non plus de devenir microscopique. »
Le petit dragon se mit à voleter dans la pièce, puis se posa sur son épaule. Il se gratta le museau de sa patte griffue.
« Je suis à votre service. Est-ce que vous désirez me donner un nom ?
— Je n'en sais rien. Tu as une proposition ?
— Proposition d'un nom aléatoire : "Hshrakgorch"
— On ne peut pas dire que tu sois particulièrement inspiré, et encore moins poétique... Tiens, tu n'as qu'à prendre "Poétia", ce sera déjà mieux.
— Très bien, que désirez-vous d'autre ? »
Galaniel caressa du doigt les fines écailles du dragon qui se mit à ronronner.
« Tu disais que tu pouvais modifier à ton gré l'agencement de cette pièce.
— Bien sûr, dites ce que vous voulez et je m'exécuterai aussitôt.
— Te serait-il possible de préparer un lit, un bain chaud et des affaires de rechange ?
— C'est comme si c'était fait. Modification en cours. »
Le dragon s'envola de son épaule pour s'immobiliser au centre de la pièce, où se trouvait auparavant la sphère. La colonne de feu réapparut pour le rejoindre au sol, et le fit scintiller de mille feux. Plusieurs rais de lumière frappèrent des points précis de la chambre. Le sol bouillonna, d'épais panaches de fumée rougeâtre se soulevèrent, avant de se matérialiser.
Une fois son œuvre accomplie, le dragon fusa droit vers un mur, et s'y métamorphosa en une horloge parée de flammèches dorées.
Galaniel resta admiratif. Une baignoire de jade remplie d'eau chaude mousseuse l'attendait désormais près de la fenêtre. À sa droite, un large lit à baldaquin trônait sur le carrelage or et blanc, entouré de teintures et motifs bigarrés. Sur la gauche, les portes entrouvertes d'une penderie laissaient entrevoir un choix improbable de vêtements et costumes.
Le tout en moins d'une minute.
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