XVII-2 : L'Ordre des Voyageurs
Ils descendirent une échelle en bois, pénétrèrent une pièce, puis traversèrent un couloir blanc parsemé de cristaux dorés. Des arches s'ouvraient des deux côtés, à intervalles régulier, et plusieurs ouvertures permettaient à la lumière extérieure de pénétrer. Plusieurs salles se laissaient entrevoir, remplies d'armes et d'équipements de toutes sortes. Les masses d'armes, épées, et lances pouvaient tout aussi bien cotôyer des pistolets soniques, des mitrailleuses, ou des lance-éclairs. Beaucoup d'objets restaient d'ailleurs inconnus aux yeux de Galaniel.
« Est-ce qu'il reste encore beaucoup de Chevaliers Oniriques ? »
Si la question pouvait paraître incongrue, elle n'en préoccupait pas moins Alyne depuis un certain temps. Aux expressions renfrognées qu'eurent les Voyageurs, Galaniel comprit qu'elle venait d'aborder de but en blanc un sujet plutôt délicat.
Néol passa une main gantée dans ses cheveux blonds avant de répondre, quelque peu gêné.
« Leur nombre est difficile à estimer. Mitteï les traque sans relâche, mais les derniers fanatiques de cette secte moribonde savent se dissimuler. »
Son regard se porta vers Galaniel. La question était sans nul doute en rapport avec les événements qui avaient eu lieu durant son test de la Table de Vérité. Les Voyageurs s'étaient montrés divisés concernant la menace qu'il pouvait représenter, mais les Grands Maîtres avaient tranché, et le Guide avait approuvé leur choix. Cette décision n'était plus contestable, et tous devraient désormais s'y conformer.
« Ces illuminés sont persuadés que leur Maître reviendra du royaume des morts afin de les mener à la victoire. Mais je suppose que vous en avez déjà été informé, n'est-ce pas ? »
Galaniel hocha la tête. Il ne parvenait pas à déterminer ce que pensait Néol à son égard. Au contraire, la froide distance d'Alyne était plus que révélatrice ; ses yeux de glace se faisaient porteurs de suspicion. Jamais elle ne baissait la garde en sa présence.
« Pour ma part, grogna Würz, je ne crois pas une seconde aux racontars de ces allumés. Vu la défaite mémorable que leur a déjà infligée Mitteï il y a presque vingt cycles, je pense qu'il leur sera impossible de s'en remettre. On peut dire ce qu'on veut, mais ils ont déjà passé leur temps. Quant aux prétendues réincarnations ou autres rumeurs d'immortalité... »
Il souleva un bras recouvert d'écailles osseuses.
« C'est un gros coup de bluff, à mon avis. La menace est plus que surestimée. »
Séophan l'approuva d'un signe de tête. Seul Néol ne semblait pas convaincu, même s'il ne pouvait qu'espérer que ses compagnons soient dans le vrai.
« Pourquoi Mitteï la prend autant au sérieux, dans ce cas ? Objecta Alyne. S'il n'y avait pas de véritable menace, elle n'aurait pas à s'en charger personnellement. N'importe quel Voyageur pourrait convenir. »
Würz haussa les épaules.
« Je dirais qu'elle en fait aussi une affaire personnelle. Elle était très proche de Gathor, fut un temps, mais elle fut aussi celle qui révéla sa trahison, avant de le vaincre sur Shawn.
— Et puis elle ne manque pas à ses autres obligations pour autant, continua Néol. Elle se préparait à se rendre sur Zyx, par exemple, il y a quelque temps de cela. Nous étions même censés l'accompagner, tous les trois. »
Les yeux vert clair du Voyageur fixèrent Galaniel avec une intensité ambiguë.
« Seulement, et contre toute attente, l'Itinérant qui menaçait cette planète est mort juste avant notre arrivée. »
La pensée que d'autres Voyageurs auraient été présents pour protéger Zyx aurait pu réconforter Galaniel. Somme toute, la mort du Général Chef était inéluctable. Néanmoins, le jeune homme interpréta cette nouvelle d'une toute autre manière.
« Si je comprends bien, notre affrontement avec le Général Chef était donc prématuré. »
Tant de Shawniens étaient morts à ses côtés qu'il n'avait plus même la force de les compter. Il ignorait s'il y avait eu ne serait-ce que des survivants, mais la raison lui interdisait tout espoir.
« Peut-être, répondit Würz. Mais il n'était pas inutile pour autant. Vous avez empêché la guerre, et probablement sauvé des millions de vies. »
Luminosa tournoya autour de la tête de Galaniel.
« Ce qui est singulier, souffla-t-elle, c'est que nous allons quand même devoir y effectuer une mission. »
Le jeune homme eut un mouvement de recul.
« Pourquoi ? Oriale a de nouveau désigné un successeur décidé à poursuivre l'invasion ? »
— Oriale est toujours en guerre, grogna Würz. Aucun Général n'a encore réussi à s'imposer et le conflit risque encore de se poursuivre un certain temps.
— À vrai dire, reprit Néol, ton examen à la Table de Vérité a révélé la présence d'un Chevalier Onirique sur Zyx, ou du moins l'une de leurs connaissances.
— Comment cela ?
— Tu connaissais leur Signe parce que tu l'avais déjà entrevu. La Table n'a fait que l'extirper depuis les tréfonds de ta mémoire, sans doute devrais-je même dire de ton inconscient. Cette information sera plus que profitable à l'Ordre. »
Ladite information surprit Césape au plus haut point.
« Parce qu'il y a des Chevaliers Oniriques sur Zyx ? J'aurais imaginé qu'ils se seraient terrés dans des coins un peu plus reculés. Genre une planète paumée, complètement déserte, où personne n'irait les chercher.
— Et se dissimuler parmi dix-sept milliards d'êtres humains, ce n'est pas si mal, non plus, fit remarquer Néol.
— Mais c'est quand même un monde sous votre juridiction, non ? Il n'y a rien qui aurait pu vous mettre la puce à l'oreille ? » Renchérit Césape.
Un silence gêné s'instaura, avant d'être rompu par Würz.
« Il y a bien eu une évasion assez étrange. Mais maintenant que nous savons qu'un Chevalier Onirique était présent sur cette planète, cela risque de prendre un autre sens.
— Une évasion ? Quelle évasion ? »
Néol haussa les épaules. Il ne considérait pas le sujet comme d'importance.
« Une détenue qui a réussi à échapper au quartier de haute sécurité dans lequel elle était enfermée. Nous avons soupçonné la présence de complicités extérieures, mais elle n'a pas encore été retrouvée.
— C'est une Itinérante ? Demanda Alyne.
— Non. »
L'expression qui se peignit sur son visage dénota le peu de cas qu'elle faisait alors de ce fait divers. Néol avait raison ; le sujet était même sans intérêt. Césape sembla toutefois loin de partager la même opinion.
« Ne le prenez pas mal. Je suis sûr que vous êtes des gens formidables, qui faites un travail formidable, et surtout particulièrement difficile et dangereux, mais, euh... »
Néol lui signe de continuer. Il n'était pas homme à se formaliser des réflexions que pourrait avoir Césape, quand bien-même s'avèreraient-elles injustifiées.
« Je trouve, euh, que ça fait quand-même beaucoup de problèmes. »
Néol fit un sourire.
« Et encore, ce n'est qu'un aperçu, la face émergée de l'iceberg, si vous préférez. Mais c'est aussi le rôle de l'Ordre de résoudre les problèmes, quand les peuples ne peuvent pas s'en charger eux-mêmes.
— C'est notre rôle, en effet, confirma Würz. Nous œuvrons pour le Bien, parfois dans la lumière, souvent dans l'ombre, et nous protégeons les populations de menaces dont elles n'auraient parfois jamais idée.
— Et ce sans la moindre contrepartie ?
— Nous sommes une association tout ce qu'il y a de plus caritative, plaisanta Néol. Plus sérieusement, les principaux dirigeants sont au courant de notre existence et de nos interventions. En conséquence, ils mettent souvent leurs ressources à notre disposition, lorsque cela s'avère nécessaire. C'est d'ailleurs toujours dans leur intérêt.
— Nous leur demandons aussi d'entretenir les Balises, objecta Würz.
— Très juste, il y a les Balises. »
Comme ni Galaniel ni Césape n'en avaient entendu parler, Néol se lança dans une explication un peu plus approfondie.
« Comme leur nom l'indique, ce sont des... balises qui permettent aux Grands Maîtres d'y accéder instantanément, s'ils le désirent. Elles permettent aussi d'augmenter le nombre de Failles entre les mondes sous tutelle des Voyageurs, ce qui facilite nos déplacements.
— Il n'empêche que la population ne connaît pas toujours votre existence, objecta Galaniel.
— C'est vrai, admit Néol, mais la plupart des mondes n'ont aucun contact les uns avec les autres. Une telle révélation risquerait surtout en premier lieu de déclencher de véritables paniques. Ou alors vous risqueriez aussi d'être pris pour des fous. Beaucoup de peuples sont incapables d'imaginer qu'ils ne sont pas les seuls dans l'Univers, même s'ils prétendent le contraire. D'autres ne connaissent même pas la notion de planète. Mais tant que leurs croyances ne débouchent pas sur du barbarisme et de l'intolérance, à quoi cela servirait-il de les faire voler en éclats du jour au lendemain ? »
Galaniel resta silencieux. La réplique de Néol ne manquait pas de sens. Sur Zyx, les aliens n'étaient à la mode que dans les productions cinématographiques et holographiques. Mais de là à les imaginer débarquer pour de vrai, il y avait un pas que bien peu seraient prêts à franchir.
« Peut-être pourriez-vous essayer de le leur apprendre petit à petit, suggéra-t-il finalement.
— Peut-être, sourit Néol. Vous commenceriez par quoi ? Que leur monde n'est qu'une poussière dérisoire, à la dérive dans un Univers infini ? Ou bien qu'une organisation interplanétaire les sauve de dangers dont ils n'ont souvent pas même idée ?
— Tous les peuples n'ont pas atteint un degré d'évolution suffisant pour accepter la vérité. » renchérit Alyne.
Bien qu'encore circonspect, Galaniel préféra néanmoins abandonner le débat. Le jeune homme restait forcé de reconnaître une certaine valeur aux arguments de Néol. Après tout, qu'importait la conception de l'Univers dans la vie de tous les jours ? Si la modifier n'améliorait pas le quotidien, les Voyageurs pouvaient avoir raison de la laisser telle quelle sur les différents mondes.
« Cela reste néanmoins un débat intéressant, concéda Néol. Et les Voyageurs sont loin d'être unanimes à ce sujet. Certains préfèrent éduquer tant que cela ne met pas en péril l'ordre établi, d'autres uniquement lorsque la situation s'impose. Le sujet reste donc ouvert ; cependant nous ne pouvons pas révéler de but en blanc notre rôle en même temps que notre vision de l'Univers. »
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