XVII-1 : L'Ordre des Voyageurs



En des temps immémoriaux, le Tout-Puissant décida de se retirer du Monde qu'Il avait Lui-même créé.

Ce n'était nullement un acte d'abandon, puisque Ses Archanges continuent de répandre Sa bonne parole et d'exprimer Sa Volonté.

La raison de Son départ fut d'offrir à Sa création le plus grand bien qui soit : la Liberté, le choix final entre Bien et Mal. Ainsi, chaque acte, chaque décision, chaque parole restera soumise à Son Jugement Final.

Grand Livre de la Lumière, chapitre 1, verset 7


Tous trois avançaient dans un petit couloir sombre, à l'extrémité éclairée par une ouverture lumineuse.

« J'ai l'impression d'être dans le couloir aux esprits, souffla Césape. D'habitude, je crois que c'est quand on est mort. Ce n'est pas rassurant. »

Trois silhouettes se découpaient dans la lumière, en face d'eux. Trois Voyageurs.

Le premier était un jeune humain aux longs cheveux blonds. L'une de ses mains gantées se posait sur le pommeau ciselé d'une fine rapière, rangée dans son fourreau. Il arborait un costume impeccable aux tons d'or, que recouvrait une cape bleue translucide. Ses yeux vert clair balayèrent les nouveaux arrivants, puis il leur adressa un large sourire.

« Je vous souhaite la bienvenue à l'Ordre des Voyageurs. Nous sommes ici pour vous faire visiter le Sanctuaire, ainsi que de vous accompagner à votre Cérémonie d'investiture. Nous répondrons de plus à chacune de vos questions. Mais avant cela, permettez-moi de me présenter : je me nomme Néol l'Eosien. »

Une petite luciole tourna autour de sa tête, et l'éclaira de sa pâle lumière verte, avant de se poser sur son épaule.

« Je vous présente aussi Luminosa. Elle vous fait savoir qu'elle est enchantée de pouvoir vous rencontrer et que c'est un honneur pour elle. »

Il l'effleura du bout d'un de ses doigts gantés, tandis que le deuxième personnage se présentait à son tour. Bipède, un peu plus grand que son congénère, il portait quelques vêtements bleus et noirs. Sa peau se couvrait d'écailles grandes comme la main, d'un bleu profond, tirant sur le violet, à l'exception des épaules et coudes, qui prenaient une teinte rouge vif. Ses bras et jambes ne terminaient par trois longues griffes étincelantes, tandis que deux ailes sombres se dressaient dans son dos. Deux petits yeux noirs perçaient sa tête allongée, ainsi que de deux orifices sur les côtés, qui devaient lui tenir lieu d'oreilles. Son menton bleu proéminent vibra alors qu'il prenait la parole. Sa voix grave résonna, marquée par des consonnes rugueuses.

« Mon nom est Würz Karken. C'est avec joie que je vous servirai de guide. N'hésitez donc pas à faire appel à moi en cas de besoin. »

Le dernier Voyageur était plus petit qu'un homme. Bipède courbé, au dos voûté, et emmitouflé dans une grande cape grise. Sa tête triangulaire, ainsi que ses bras, étaient couverts d'écailles très fines aux teintes vert pâle et brunes.

Néol prit de nouveau la parole.

« Je me permets de vous présenter notre compagnon, Séophan Cürz. Comme tous ceux de son peuple, il est malheureusement aveugle, et s'exprime par ultrasons. En revanche, son ouïe couvre une large bande de fréquences : il peut donc vous entendre et vous comprendre sans problèmes. »

Deux grandes antennes, recouvertes de poils fins sensibles, frémissaient sur la tête écrasée de Séophan. Il pouvait les orienter à l'envie et ne s'en privait pas.

« Ah, et ne vous inquiétez pas si vous entendez parfois quelques sifflements aigus. IL communique parfois à la limite de l'audition, même si cela ne suffit pas pour le comprendre. C'est possible aussi que ça dépende de votre âge, en fait. » Expliqua Néol.

Séophan avait sorti une tablette de cire pour y tracer des inscriptions dans sa langue natale. Un entrelacs de courbes et de traits, que les prétendants déchiffrèrent sans la moindre peine.

Je vous souhaite la bienvenue à l'Ordre des Voyageurs et vous félicite de votre réussite aux épreuves qui ont été les vôtres. Puisse l'avenir vous être favorable.

Les pouvoirs de la Stèle démontraient une fois leur incontournable utilité pratique. Galaniel repensa non sans un certain amusement à son laborieux apprentissage de la langue unifiée des Zyssiens. Son arrivée chez les Voyageurs lui permettait désormais de comprendre, et même d'utiliser, les langues d'une multitude de planète.

À son tour, Néol dévisageait les nouveaux arrivants. Leurs visages et vêtements étaient maculés de boue, et il supposa sans se tromper qu'ils avaient contourné par les marécages. Après tout, eux trois l'avaient aussi fait le cycle précédent, suite à une intuition de Séophan. Des anguilles géantes les avaient alors assaillis, juste avant qu'ils n'atteignent le Sanctuaire.

Le premier à prendre la parole était un géant velu, aux bras démesurés et aux larges paffes griffues. Il était vêtu de peaux de bête sommaires et portait une lourde et imposante hache dans le dos.

« Euh, moi c'est Césape, enchanté. »

Il essayait de se donner bonne contenance avec sa voix forte, mais ne parvenait à masquer son émotion. Néol lui adressa un sourire en guise de réponse. Lui-même n'en menait pas large alors qu'il était à sa place, à peine un cycle plus tôt.

Le suivant était un humain. Ses cheveux noirs ébouriffés recouvraient un visage empreint de détermination dans lequel brillaient deux yeux sombres. L'état d'usure de son équipement noir témoignait de la fureur des combats qu'il avait eu à traverser.

« Je me nomme quant à moi Galaniel Zawhyka Espan, déclara-t-il dans sa langue natale. C'est un honneur pour moi que de faire votre connaissance. »

Ce nom n'était pas inconnu aux Voyageurs. Galaniel n'était pas le premier Espan à rejoindre leurs rangs.

La dernière arrivante appartenait au peuple incontournable de la Cité Céleste, ce que criait à tous sa physionomie. Ses oreilles triangulaires arrondies ainsi que sa peau très pâle, presque blanche, pouvaient en témoigner. Ses cheveux coupés à hauteur des épaules prenaient la couleur de la neige, et ses grands en amande celle de la glace.

« Mon nom est Alyne ol'Astyn. C'est une grande joie pour moi que de pouvoir rejoindre à mon tour cet Ordre aussi honorifique.

— Tout le plaisir est pour nous, s'inclina Néol. Jamais je n'aurais imaginé avoir à accueillir parmi nous un edelweiss aussi resplendissant que vous. »

Césape murmura à l'oreille de Galaniel.

« C'est quoi, un edelweiss ? »

Le jeune home n'en avait pas non plus la moindre idée. Néol se tournait désormais vers eux deux.

« Quant à vous, valeureux combattants, sachez que je suis extrêmement flatté que de pouvoir vous rencontrer, et même ravi à l'idée de pouvoir effectuer de futures missions à vos côtés. »

Würz grogna.

« Quand tu auras fini de les assommer avec tes platitudes, il sera peut-être temps de passer aux détails pratiques.

— Hum, veuillez excuser mon ami Würz, il est un peu bougon, ces derniers temps.

— Tu dis ça depuis que nous nous sommes rencontrés. Mais maintenant que nous nous sommes tous présentés, il serait certainement possible de passer à autre chose. »

Séophan répliqua par un sifflement ultrasonique que seule Alyne put percevoir. Il approuvait Würz.

Luminosa tournoya puis se posa sur le doigt de Galaniel, sans paraître s'intéresser à cette joute verbale. Deux ailes d'un bleu translucide s'agitaient sur son corps au vert iridescent. De loin, sa tête prenait des formes presque humaines.

« Je sais ce que tu penses, souffla-t-elle d'une voix presque inaudible. Tu es d'ailleurs le seul à y penser, mais sache que je ne suis pas une Voyageuse reconnue en tant que telle. Je ne fais qu'accompagner Néol dans ses déplacements. »

Des images traversèrent son esprit. D'abord celle de Luminosa, qui se promène d'une fleur à l'autre, sur son monde natal ; puis son errance à travers une grande ville aux tours noires. Néol est avachi sur la table d'une terrasse de café, encadré par des bouteilles vides renversées. Méconnaissable, ses vêtements miteux contrastent avec l'apparence soignée qu'il a offerte aux trois nouveaux arrivants.

La fée se pose sur lui, et lui arrache un grognement. Il ouvre malgré tout un œil vitreux, imbibé d'alcool, puis sursaute.

La vision s'effaça pour faire place à une nouvelle.

Le jeune homme se dresse au sommet d'une tour d'acier. Blessé, mais triomphant. À ses pieds, la Bête s'étale sur le toit, morte. Bipède, un peu plus grande qu'un humain, des bras trapus émergent de son corps caparaçonné pour s'achever en griffes démesurées. Dans son dos, un noir d'encre se soulève pour donner naissance à deux ailes de nuit.

Mais Néol ne porte déjà plus la moindre attention à la monstruosité vaincue. Son regard reste fixé sur un détail, en apparence insignifiant. Fasciné, il s'approche du pendentif qu'elle porte au cou, vers cette pierre intrigante qui semble l'appeler de toute son âme. Il la saisit à l'instant même où Luminosa se pose dessus.

« Galaniel ? »

La vision s'estompa. Luminosa redécolla de son doigt pour tournoyer en cercles concentriques autour des interlocuteurs.

« Arrête de les importuner, Luminosa, gronda Néol, ils ont eu suffisamment d'épreuves pour aujourd'hui. »

Elle siffla, vexée.

« Bon, je pense qu'il est temps de vous faire visiter la Cité. » Déclara Würz.

Néol approuva d'un signe de tête.

« Suivez-nous donc, je vous prie. »

Ils leur emboitèrent le pas. Néol leur détaillait avec soin l'agencement du Sanctuaire, l'emplacement des salles d'entrainement, la salle des repas, les quartiers résidentiels... Il s'avéra néanmoins assez vite que le Sanctuaire n'était pas aussi grand que le pensait Galaniel. Il ne s'agissait en réalité que d'un seul bâtiment circulaire, à la manière d'un colisée. Seul point notable, les étages plus que surélevés, de trois à quatre mètres de haut. Malgré sa taille déjà imposante, Césape aurait pu mesurer trois bonnes têtes de plus sans avoir à se plaindre du plafond.

Néol leur fit traverser une porte de fonte, pour les mener à une grande balustrade qui encerclait la cour intérieure. En-dessous, les suivantes s'échelonnaient jusqu'à atteindre le sol, soutenues par d'innombrables colonnades blanches, tandis que des escaliers et échelles de bois permettaient de passer de l'une à l'autre.

Les trois prétendants purent ainsi apercevoir plusieurs Voyageurs s'entrainer, discuter, ou même se promener. Leurs apparences étaient d'une rare diversité ; des dizaines d'espèces, de civilisations, de mondes, étaient représentées à travers cet Ordre.

« Tiens, les villageois sont là, eux aussi ? » Remarqua Césape.

Dissimulées dans les recoins, des silhouettes aux armures d'or montaient la garde, impassibles. Galaniel plissa les yeux.

« Euh, tu es sûr que ce sont les mêmes ?

— Eh, bien sûr que ce sont les mêmes. Tu ne reconnais pas, euh, machin, là ? Et là aussi, euh, l'autre, quoi.

— Tu voudrais dire qu'ils seraient arrivés avant nous ?

— Ils ne sont pas passés par la forêt, si c'est ce que vous voulez savoir, répondit Néol. Disons que le Guide, ou quel que soit le nom que vous donnez à notre Dieu, leur a fait économiser ce trajet. »

Le regard de Galaniel se porta de l'autre côté de la cour. Les constructions circulaires se rejoignaient et un bâtiment impressionnant venait assurer la jonction. Des marches de nacre s'élevaient jusqu'à une ouverture monumentale, encadrée de colonnes d'or. De part et d'autre, se dressaient des sculptures de marbre blanc démesurées.

En comparaison, les Voyageurs qui passaient à proximité semblaient être des fourmis minuscules.

« Ceci est le Temple, informa Néol. C'est ici que réside le Guide, et seuls les Grands Maîtres sont autorisés à y pénétrer.

— Et qui sont-ils, ces Grands Maîtres ? Demanda Césape.

— Mitteï, Oukouakouloumé, et Seyer, énuméra Néol. Vous aurez l'occasion de les rencontrer tout à l'heure, au cours de la Cérémonie d'investiture. L'un d'entre eux se chargera d'ailleurs de votre initiation, afin que vous deveniez à votre tour des Voyageurs à part entière. »

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