XVI-2 : Le Sanctuaire



La prairie redevint telle qu'elle était avant le combat. Un champ vert continu, avec en son centre une superbe fleur aux pétales roses. Il ne restait plus la moindre trace des événements qui venaient de se dérouler.

« Rien qu'une fleur, hein ? » Réprimanda Galaniel.

Des crépitements continuaient de parcourir les doigts du jeune homme ; il leva un regard inquiet vers Alyne.

« Euh, c'est normal, ça ? »

Sur toute la surface de ses mains les étincelles naissaient, bondissaient, se déplaçaient dans la plus parfaite anarchie. L'elfine se rapprocha de lui.

« Cela peut arriver ; tu dois avant tout te calmer. Inspire profondément, fais le vide dans ton esprit. »

L'une après l'autre, les étincelles se résorbèrent puis disparurent, ses mains redevinrent tout à fait normales. Le jeune homme avait peine à croire qu'elles aient pu lancer un sort quelques instants plus tôt.

« Merci. »

Il en profita pour rendre à Alyne sa double lame.

« Merci pour l'arme, aussi. Ça m'a été plus qu'utile.

— Ce n'est rien. »

Après mille difficultés, Césape parvint enfin à se remettre debout. Il chancela, peina à retrouver son équilibre, ricana.

« Il a bien raison de s'être calmé. Je peux être très méchant quand je m'énerve. »

Il bâilla à s'en décrocher la mâchoire.

« Tu es sûr que ça va ? Demanda Galaniel, inquiet.

— T'es un pote pour moi. Je ne savais même pas que tu existais avant de te rencontrer. »

Il se gratta la tête, ce qui ne fit qu'ébouriffer encore plus sa fourrure.

« J'ai bien envie de faire une bonne sieste, on est bien ici, non ?

— Certainement pas, trancha Alyne. Je te rappelle t'on doit arriver au Sanctuaire avant le coucher du soleil. Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Moi, rien. »

Elle le dévisagea avec attention. Les yeux de Césape étaient rougis et son visage plus hagard que jamais.

« Je ne te l'ai pas dit, mais tu combats très bien, continua le gigan, sur un ton amorphe. C'était très beau, vraiment. On pourrait être copains si tu étais plus sympa. »

Galaniel se rapprocha d'Alyne et baissa la voix pour ne pas être entendu de leur compagnon.

« Qu'est-ce qu'il a ? »

Alyne haussa les épaules.

« Je ne sais pas exactement, mais je pense que ça devrait lui passer. Il serait plus prudent de nous remettre en route ; on avisera si ça venait à empirer. »

Césape s'était mis à chantonner. Galaniel ramassa son épée, ainsi que la lourde hache du gigan.

« Il vaut mieux ne pas nous attarder dans cette clairière, déclara-t-il. Tu te sens capable de nous suivre ?

— Mon frère, je te suivrai jusqu'au bout du monde. Tu es mon meilleur pote. »

Il attrapa non sans peine sa hache que lui tendait Galaniel, mais faillit la laisser tomber.

« Eh, mais c'est vachement lourd, ton truc. T'es sûr que tu veux pas le garder ? »

À contrecœur, Galaniel accepta. Comme l'avait si bien dit Césape, cette arme était tout sauf légère.

« Je te la rendrai quand tu iras mieux. En attendant contente-toi de nous suivre, d'accord ?

— Pourquoi les arbres sont tout violets ?

— Contente-toi de nous suivre, répéta Alyne.

— Oui chef. »

Césape pouffa de rire, mais la suivit néanmoins. Chaque pas se faisait un exploit, alors qu'il manquait de tomber à chaque instant.

« Le sol pourrait arrêter de bouger, ce serait plus facile pour marcher. D'ailleurs, pourquoi on marche déjà ? On pourrait faire une pause, mes frères. Moi, je suis épuisé. »

Il bâilla de nouveau à s'en décrocher la mâchoire, mais continua néanmoins à suivre ses compagnons tout en chantonnant.

Alors qu'il marchait, Galaniel contemplait sa main droite avec fascination. Il claqua des doigts. Rien ne se produisit. Il fit une deuxième tentative, puis une troisième. Une flamme se dessina au cœur de sa paume. Il en ressentait la chaleur, mais elle ne le brûlait pas pour autant. Elle ne consumait aucun combustible, et pourtant elle continuait de briller. Une entorse sérieuse aux lois de la physique conventionnelle, mais qu'il avait déjà eue l'occasion d'observer sur Shawn.

Il referma sa main, puis la rouvrit. La flamme avait disparu.

« Un don de la Grande Déesse, intervint Alyne. Cela nous sera plus qu'utile.

— Nous avons été transformés en magiciens avec... nos Pierres, c'est cela ? »

Alyne hocha la tête.

« La Source a permis de te lier à ta Pierre, le véritable pouvoir des Voyageurs. Mais tu n'en as encore vu qu'une partie. Ce n'est qu'une fois qu'après avoir reçu la bénédiction de la Grande Déesse qu'elles révéleront l'ensemble de leurs potentialités.

— Hein, quoi ? Quelles potentialités ? »

Alyne se retourna pour dévisager Césape. Apparemment, le gigan venait d'émerger de sa léthargie.

« Le passage d'un monde à l'autre, répondit-elle. Ce n'est pas pour rien que l'Ordre des Voyageurs s'appelle comme ça.

— Wouah, ça c'est vraiment classe. Et ça pourrait peut-être nous permettre de rentrer chez nous. »

Il bâilla.

« Tu te sens comment ? S'enquit Galaniel.

— Euh, moyen. J'ai l'impression de ne pas avoir dormi de la nuit, ce qui n'est qu'à moitié vrai, pour tout dire. Au fait, qu'est-ce que tu fais avec ma hache préférée ? »

***

Ils arrivèrent devant un lac, qu'encadraient des arbres aux fruits inconnus. De l'autre côté, une construction de pierre se laissait entrevoir dans la végétation.

« Euh, c'est ici qu'on est censé arriver ? Vérifia Césape. J'aurais imaginé quelque chose d'un peu plus, je sais pas, moi, dégagé, cossu. Une entrée un peu classe, quoi.

— C'est ici. » Confirma Alyne.

Le gigan balaya du regard la surface d'eau claire. Seule une dizaine de mètres les séparaient du Sanctuaire des Voyageurs.

« Bon, alors qu'est-ce qu'on attend ? Vous savez nager, au moins, tous les deux ? »

Alyne l'arrêta d'un geste.

« Ce n'est pas le problème. Un dernier danger rôde dans ce lac, un danger redoutable, à ce que j'ai ouï dire. Libre à toi bien sûr d'aller le réveiller.

— Ah, on fait quoi alors ?

— À moins que vous n'ayez envie d'affronter un monstre marin tentaculaire, on peut contourner. Nos péripéties précédentes m'ont déjà suffi. »

Elle désigna l'extrémité droite du lac. En cet endroit, l'eau paraissait beaucoup moins profonde, et s'étalait en un gigantesque marécage aux colorations verdâtres.

Ils s'y engagèrent, tout en restant à l'affût du moindre danger. Seul Césape préféra grimper aux arbres, puis sauter d'une branche à l'autre au-dessus de leurs têtes.

« Vous devriez faire comme moi, ricana le gigan, c'est quand même beaucoup plus pratique. En plus, c'est plein de boue votre truc.

— Je ne sais pas si je le préférais comme avant. » Soupira Alyne.

Césape se balança sur une branche, puis s'arrêta pour fixer son interlocutrice. Pas après pas, l'elfine avançait avec précaution dans le liquide visqueux et nauséabond.

« Tu ne peux pas utiliser la magie pour éviter ça ? Si ça se trouve, c'est plein de bestioles, d'ailleurs.

— Je pourrais très bien utiliser la magie, rétorqua Alyne. Je pourrai même voler, si je le désirais. Mais je ne gaspillerai pas le don de la Grande Déesse à des seules fins de confort, alors qu'un danger pourrait survenir à tout instant.

— À quoi ça sert d'avoir des pouvoirs si c'est pour ne pas les utiliser. » Ricana Césape en reprenant ses acrobaties.

Un craquement sourd se fit entendre ; une branche venait de se briser sous son poids. Le gigan chuta à toute vitesse avant de venir s'écraser dans la boue et d'asperger au passage ses deux camarades.

« Beurk, fit-il en se relevant. C'est encore plus répugnant que ça en a l'air.

— Voilà exactement ce qui se passe quand on fait le mariol ! Explosa Alyne. Je ne comprends même pas comment la Grande Déesse a pu accorder Sa grâce à un comique de ton genre !

— Euh, je lui demanderai si j'en ai l'occasion. En attendant, ils ne sont vraiment pas solides, les arbres, dans cette région. N'allez pas croire que ce sont mes talents d'acrobate qui ne seraient qu'approximatifs, mais quand bien même, je vous serai gré de garder cela entre nous. Inutile d'ailleurs de faire tout un plat pour un simple imprévu passager. »

Il allait s'ébrouer, quand Alyne le fusilla du regard.

« Bon, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme qui dirait une vague et désagréable impression qu'on va quand même m'en vouloir.

— Évidemment ! Tonna Alyne. Tu n'apportes que des catastrophes ! Non seulement tu commets des gaffes monumentales, mais tu nous impliques dedans à chaque fois ! »

Elle secoua ses bras pour retirer la boue qui les recouvrait. Son vêtement de cérémonie, jusqu'ici blanc et impeccable avait pris les teintes vaseuses d'un chiffon infect.

« Ce serait monotone si je n'étais pas là, se défendit Césape. Vous vous ennuieriez, sans moi.

— On s'en passerait bien, de tes fantaisies !

— Du calme, on est presque arrivés, non ? Je vous suis tranquillement, et on n'en parle plus, d'accord ? Il n'y a plus rien qui peut nous arriver, maintenant, n'est-ce pas ?

— Mouais. »

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