XIV-1 : Représailles kalendoriennes

Le sacrifice de Zawhyk permit d'éviter la guerre avec Oriale. Alors que tout semblait perdu, les Shawniens se portèrent à notre secours, et causèrent la mort du Général Chef.

Mais la Fédération les ignora, lorsqu'ils eurent à leur tour besoin de notre aide. Quoi qu'il advienne, elle préféra soutenir Zagnar, pour la paix qu'il nous offrait. Parfois, je me demande ce que l'Histoire retiendra de nous.

Hupias Ecterian, Notes personnelles


Kystan, soixante-huit jours après la mort du Général Chef

Elle parcourait les couloirs de son palais, et semait sur son passage surprise et agitation. Elle n'avait pas même pris le temps de se changer, et tous ne la reconnaissaient pas aussitôt. La stupéfaction remplaçait alors l'incrédulité, d'autant qu'elle était supposée décédée depuis plusieurs jours.

Ses yeux brillaient d'une énergie nouvelle, bien qu'elle n'eût pas dormi depuis bientôt quarante-huit heures ; des priorités plus importantes passaient avant tout.

Les gardes rouges s'écartèrent pour la laisser passer, effarés. Elle ouvrit elle-même la porte ouvragée dans un fracas d'apocalypse.

L'assistance, jusqu'ici houleuse, se figea aussitôt, comme si chacun venait d'apercevoir un spectre. Elle les dévisagea un à un, dans le silence le plus total, puis posa ses yeux de braise sur l'homme assis à sa propre place. Le teint de l'Amiral prit une pâleur cadavérique, comme s'il venait d'être poignardé en plein cœur.

Octale appuya son regard, qu'il ne parvint à soutenir. Plus ardent que des roches en fusion, il ne lui donnait pour seule envie que de disparaître.

« Elias, vous me rejoignez à l'esplanade. Seul. » Ordonna-t-elle d'un ton glacial.

***

Un vent frais et paisible accueillit l'Amiral. L'esplanade offrait une vue imprenable sur Kystan, et quelques arbres contribuaient à rendre le cadre encore plus idyllique.

Octale l'attendait déjà, assise en tailleur, en apparence calme et sereine. En apparence seulement, car il la savait capable de tout. Rassemblant son courage, il se décida à avancer vers elle. Il n'avait rien à se reprocher, il ne devait pas avoir à redouter le jugement de son Général.

Elle rouvrit les yeux. La question fusa, froide et cinglante.

« Je peux savoir ce que vous faisiez, à ma place ? »

Il lui bafouilla des explications maladroites. Le déroulement des événements, sa volonté d'empêcher une guerre civile, de sortir le pays de la crise. Octale était prétendue morte, mais il se refusait à l'admettre. En attendant, il espérait maintenir une certaine stabilité, même provisoire, avec le soutien de la garde rouge.

Le Général l'écouta sans mot dire. Elle se contenta de le dévisager, ce qui le mit encore plus mal à l'aise. Finalement, il arriva au bout de ses arguments.

Elle se leva, puis plongea son regard dans le sien.

« Quelqu'un a essayé de m'assassiner. Le Prince m'a juré ses grands dieux ne pas m'avoir dénoncée aux Kalendoriens, reprit-elle, et j'aurais tendance à le croire. Toutefois, quelques Brocéliens connaissaient aussi ma situation.

— Je... je ne vois pas où vous voulez en venir. »

Octale lui fit un sourire aussi charmeur qu'inquiétant.

« Vraiment ? »

D'un seul mouvement, elle le plaqua contre un mur. La prise ferme et assurée, ses doigts refermèrent sur le cou de l'homme leur étreinte d'acier.

« Quelqu'un, ici, a révélé ma situation aux Kalendoriens. Qui ?

— Je... je n'en sais rien. »

L'étreinte se raffermit, et menaça d'étrangler l'Amiral.

« Qui m'a vendue aux Kalendoriens ? Insista-t-elle sur un ton encore plus menaçant.

— Sur ma vie, je vous jure que je ne sais rien de tout cela.

— Sur ta vie ? »

Elle pénétra le regard épouvanté de l'Amiral, chercha la réponse à sa question sans la trouver. Il était sincère. Elle relâcha sa prise ; il recula, se massa le cou, et la contempla, interdit.

« J'ai entendu dire que Nadèle était en route pour Kystan ? Vérifia Octale.

— Euh, en effet, elle est sur le point d'arriver. Elle était disposée à une trêve avec nous. Je pense que cela aurait été bénéfique pour nos deux pays.

— C'est bon, vous pouvez disposer, garde rouge Elias. »

Il marqua sa surprise, puis s'inclina dans le plus profond respect.

« Merci, Général. Ma lame est à votre service.

— Allez me chercher Delma, maintenant. »

***

« Le Général m'a demandé de vous faire patienter quelques instants. Elle s'apprête à vous recevoir en personne. »

Nadèle Nbremala accepta de bon cœur. Le retour d'Octale redistribuait les cartes dans la guerre que se livraient les Généraux. Sans elle, la Brocélie était une nation aux abois, prête à plier face à Kalendor, et avec qui le Furthyr s'exprimerait en égal. Avec son Général, la nation retrouvait sa fierté, sa détermination, et resterait unie sous la même ligne de conduite.

Elle était venue négocier la paix, mais la présence d'Octale la décidait à aller plus loin. Elle n'avait plus le choix, de toute façon. Le nouveau Général d'Ostrie la haïssait personnellement. Il n'avait signé la paix avec l'Orcalie que pour mieux se retourner contre elle. À l'heure actuelle, ses armées envahissaient déjà le Furthyr sans rencontrer de grande résistance. Pour son salut, Nadèle devait chercher un nouvel allié, et Octale avait déjà prouvé sa valeur aux yeux de tous. Kalendor restait de toute façon beaucoup trop lointain et occupé pour lui venir en aide, tandis que l'Orcalie laissait faire. Ne restait plus que la Brocélie, dont les redoutables gardes rouges avaient été à deux doigts de réussir leur tentative d'assassinat.

***

Delma sortit son arme et se précipita vers le Général. Octale avait beau l'avoir démasquée, elle n'en restait pas moins désarmée, donc vulnérable. De toute façon, elle aurait ensuite tout le loisir d'intriguer afin d'imputer cette mort à quelqu'un d'autre. Puis elle prendrait la place de l'Amiral. L'homme avait d'ailleurs lui-même programmé sa chute avec son pacte des cent jours.

Octale s'écarta au dernier instant, riposta du tranchant de la main, et lui fit lâcher l'arme.

« Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour la Brocélie, cracha Delma. Si j'ai révélé votre emplacement aux Kalendoriens, c'était pour mettre fin à cette guerre que nous ne pouvions emporter. »

Octale ramassa l'arme d'un geste fluide, puis la pointa devant elle

« Il y a des règles, trancha-t-elle. Et tu as enfreint la plus importante d'entre elles. »

Geste vif et précis. Malgré son expérience, Delma ne put éviter la lame. Elle tomba à genoux, blessée, la respiration haletante. Le froid de l'acier se posa sur sa nuque. Dans son regard, la morgue fit place à l'appréhension, puis la peur.

« Pitié, Général. »

Le rire clair d'Octale ne fit qu'amplifier l'angoisse de Delma.

« Et puis quoi d'autre, encore ? »

Elle abattit la lame, pour la retirer rouge de sang. On ne trahissait pas le Général de Brocélie sans le payer au prix fort. Puis elle jeta l'épée à terre et, sans un regard pour le cadavre, partit accueillir le Général du Furthyr.

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