X-2 : Traité de paix
Fleuve d'Aahrimbald, cinquante-sept jours après la mort du Général Chef
Des alarmes retentirent. Les moteurs hurlèrent, et la poignée d'appareils restés présents prit aussitôt son envol.
Toute intervention terrestre aurait été signalée depuis longtemps. Il s'agissait d'une escadre de vaisseaux blancs, les forces aériennes peu nombreuses mais bien réelles de Rhampsodis Ragl, Général du Wienskor.
Le combat aérien ne tarda pas à s'engager, âpre et acharné. Si les Brocéliens pouvaient compter sur leur maniabilité, les vaisseaux blancs possédaient un blindage épais, d'où leur surnom de "forteresses volantes". Et surtout, ils étaient deux à trois plus nombreux que leurs adversaires.
Des tourelles de défense firent feu, mais furent aussitôt bombardées. Plusieurs vaisseaux rouges s'écrasèrent, en flammes.
Les escadrons blancs arrivaient au camp, trop nombreux pour pouvoir être comptés. Leurs bombes ravagèrent d'abord le sol, avant d'être remplacées par des parachutistes.
« Je croyais que Rhampsodis ne disposait que d'une aviation limitée ! S'emporta Octale.
— Nous manquons de chiffres, mais au vu de ce que nous savons, il s'agirait au moins de la moitié de ses appareils, peut-être les trois-quarts.
— Mais il est fou ! Nos troupes vont bientôt arriver à Epithaï, et il ne trouve rien de mieux à faire que de tous les envoyer ici. »
Une explosion toute proche fit trembler la tente dans laquelle Octale se trouvait.
« Nous ne pouvons pas tenir tête face à une telle puissance de feu. Le plus sage est d'abandonner le campement, proposa-t-elle.
— Nous venons de perdre les communications avec une ligne de défense. Ses parachutistes progressent dans le campement.
— Évidemment ! C'est un arrière poste. Il n'y a ici que quelques gardes et des blessés, tout au plus. Donnez l'ordre à toutes les unités de se replier de l'autre côté de la rivière.
— Général, je crains que cela ne soit plus possible... »
Octale sortit de la tente pour contempler, effarée, les hautes flammes danser sur l'eau du fleuve. Une nappe de naphte se répandait depuis le nord, transportée par le courant.
Les quelques ponts de fortune, simples modules flottants consolidés par quelques barres de métal, n'étaient désormais plus que de gigantesques brasiers. Ils ne tardèrent pas à se disloquer, puis disparaitre dans les profondeurs du fleuve.
Un obus explosa non loin. Les combats continuaient de se rapprocher. Les soldats de la garde blanche atterrissaient çà et là, puis engageaient aussitôt le combat contre les Brocéliens désorganisés.
« Vous devez rejoindre votre appareil, Général, nous ferons tout notre possible pour les retarder. »
Octale jura, exaspérée. Elle détestait devoir abandonner les siens dans de telles circonstances.
« C'est après vous qu'il en a. Vous ne devez pas tomber entre ses mains.
— Je sais. »
Un vaisseau blanc se détacha du tourbillon aérien pour plonger vers la tente d'Octale, et ouvrit le feu sans hésiter.
Plusieurs missiles la réduisirent à néant en l'espace de quelques secondes.
« Vous croyez qu'ils avaient réussi à localiser ma tente ?
— Je n'en sais rien. Mais le doute est permis.
— Le poste radio vient de me contacter. Rhampsodis aurait diffusé un message : « Livrez-nous Octale, ou mourez. » C'est bien après vous qu'ils en ont.
— Il essaie de nous monter contre vous surtout, mais ça ne marchera jamais. »
Octale enjamba les débris d'un lourd canon, entre les tentes éventrées, pour rejoindre l'aire de décollage.
« Nous sommes arrivés. » Commenta un garde.
Il était plus que temps. Les dernières troupes terrestres se repliaient sur la base en effervescence. Dans le ciel, les vaisseaux blancs tentaient de bombarder la piste improvisée, malgré les défenses antiaériennes.
Octale s'était arrêtée contre un mur, une main crispée sur les côtes.
« Général ? Vous vous sentez bien ?
— Très bien, mentit-elle. La Flèche Rouge a bien été transférée au hangar 6B ?
— C'est le cas.
— Rejoignez des appareils s'il en reste et allez-vous-en. Je ne veux pas d'héroïsme inutile. Tentez de négocier une reddition de la base si possible.
— Vous êtes sûre d'être en état de piloter ? »
Son visage était livide, sa respiration haletante, et son pouls s'accélérait. Ses blessures commençaient à peine à guérir, et ne manquaient pas de le lui rappeler. Néanmoins, ce n'était pas le moment d'abandonner.
« Je vais très bien, répéta-t-elle. Et souvenez-vous : pas d'héroïsme inutile.
— À vos ordres, Général. »
Elle les quitta à regret, et s'aventura au hangar 6B, par miracle encore intact. Elle détestait devoir fuir de la sorte un combat, mais les circonstances le lui imposaient.
Elle se hâta. Les combats à l'intérieur même du camp ne cessaient de se rapprocher, et la plupart des pistes était déjà endommagée.
Elle s'arrêta l'espace d'un instant pour souffler, puis pénétra dans le hangar. Des soldats s'y affairaient encore ; ils se mirent au garde à vous aussitôt qu'ils la reconnurent.
« Général !
— Nous n'avons pas de temps à perdre en formalités. Retournez à vos postes, soldats. »
Elle saisit un casque pour l'ajuster sur sa tête, puis grimpa en hâte dans son vaisseau.
Des tirs à l'entrée du hangar détournèrent son attention. Des gardes blancs essayaient d'entrer, et la reconnurent alors qu'elle prenait place dans son appareil. Les Brocéliens ripostèrent aussitôt, dissimulés derrière caisses et fûts, et les contraignirent à se mettre à couvert.
Octale referma son cockpit, puis enclencha la commande de tir. La mitraille balaya plusieurs Wienkrois, et contraignit les derniers à refluer vers l'entrée. Aussitôt, elle enclencha les moteurs de son appareil. Un rugissement épouvantable lui répondit.
La Flèche Rouge s'ébranla, puis roula jusqu'à l'entrée.
Une grêle de balles l'accueillit alors qu'elle sortait du hangar. Octale baissa la tête. Il ne s'agissait que d'armes légères. Elle parvint à dévier la plupart des tirs, et les impacts restants s'avérèrent sans gravité.
Derrière elle, le hangar se faisait déjà bombarder. Octale lança ses moteurs à plein régime et s'élança sur une piste encore à peu près intacte.
Contrairement aux appareils kalendoriens ou wienskrois, les chasseurs brocéliens ne pouvaient pas décoller verticalement. De fait, ils se révélaient particulièrement vulnérables au sol, sur de grandes pistes dégagées. Une fois en l'air, ils compensaient néanmoins cet inconvénient par leur vitesse et leur maniabilité inégalées.
Des tirs ennemis effleurèrent la Flèche Rouge. Plus au loin, un vaisseau blanc bombardait la route.
L'appareil n'avait toujours pas atteint sa vitesse limite. Une explosion toute proche manqua de le renverser. Elle garda ses yeux fixés sur le compteur de vitesse. Si elle tentait de décoller immédiatement, ce serait le décrochage, puis l'écrasement immédiat.
« Pourvu qu'ils n'atteignent pas un moteur. » Pria-t-elle.
Une portion de piste dévastée se rapprochait à toute vitesse devant elle. Vitesse limite ou pas, elle devrait décoller avant ; jamais l'appareil ne franchirait cet épais cratère.
Un tir lointain et mal ajusté l'atteignit à l'arrière. Des voyants d'alerte s'affichèrent sur son tableau de bord. Un moteur avait été endommagé et menaçait de prendre feu si elle continuait de le solliciter à un tel régime.
Avec délicatesse, elle redressa le nez de l'appareil, pour franchir d'extrême justesse la balafre qui traversait le sol. La Flèche Rouge retomba au sol, hésita entre ciel et terre, puis reprit son vol à la limite du décrochage.
Les roues basculèrent et s'intégrèrent dans le fuselage, ce qui permit au vaisseau de prendre plus de vitesse.
De nouveaux tirs fusèrent autour d'elle. Un moteur continuait de perdre de la puissance, et elle peinait à rééquilibrer son assiette. Plusieurs vaisseaux blancs la prenaient en chasse.
Toujours en rase-mottes, elle slaloma à quelques mètres du sol pour échapper aux tirs toujours plus proches.
Ils ne lâcheraient pas prise, et ses moteurs endommagés ne l'aideraient pas à leur échapper. Un voyant s'alluma, pour l'informer d'une transmission non sécurisée, qu'elle accepta aussitôt. Les hauts parleurs grésillèrent.
« Octale. Je suis ravi que vous acceptiez de me parler.
— Qui êtes-vous ? »
Elle connaissait déjà de la réponse, mais préférait en avoir confirmation. En outre cela lui permettrait peut-être de gagner du temps. Elle évita de nouveaux tirs ennemis, puis activa un processus de refroidissement sur un moteur en surchauffe.
« Rhampsodis Ragl, voyons, Général du Wienskor. Vous ne m'aviez pas reconnu ? Octale, combien de temps allez-vous continuer à vous acharner de la sorte ? Mes vaisseaux vous suivent de près ; je vous offre la possibilité de vous rendre, sinon vous serez abattue.
— Je m'acharnerai jusqu'à ce que tous m'aient reconnue en tant que Général Chef. Et ce n'est pas votre tentative dérisoire qui me fera renoncer. »
Quelques vaisseaux rouges, bien qu'en sous-nombre évident, s'étaient joints à elle pour protéger sa fuite. Ils engagèrent aussitôt un combat désespéré contre les hordes blanches.
« Zagnar Pteï est le seul qui puisse diriger Oriale, asséna Rhampsodis. Et il n'y aura pas de pitié pour ses opposants.
— Comme si ce gamin inexpérimenté et orgueilleux en était capable. Il n'a jamais eu l'étoffe d'un chef.
— Tant pis pour vous. »
Octale s'apprêtait à redresser l'appareil pour passer au-dessus des flammes de la rivière. Une brusque secousse fit trembler la Flèche Rouge ; des voyants d'alerte s'allumèrent en désordre.
L'appareil perdit de l'altitude, et piqua du nez vers l'incendie. Par une manœuvre désespérée, Octale effectua un virage serré vers la gauche. Le vaisseau frôla le mur ardent, manqua de prendre feu à son tour, et hurla de plus belle sous l'effort. Cloué sur son siège, le Général encaissa tant bien que mal la force centrifuge.
Son appareil effleura le sol à la vitesse de l'éclair. Encore étourdie, la vision brouillée, Octale avait toutes les peines du monde à maintenir une trajectoire à peu près rectiligne. Le fuselage était endommagé, ce qui n'arrangeait rien.
Elle n'apercevait plus de vaisseaux rouges à l'arrière, mais deux appareils ennemis, de même que deux autres à l'avant.
Elle effectua quelques acrobaties d'autant plus risquées que son altitude restait dérisoire.
Nouvelle connexion non sécurisée.
« Je suis derrière vous, Octale. C'est terminé. » Annonça Rhampsodis d'une voix sans âme.
Derrière elle, un vaisseau blanc se préparait à faire feu. Suffisamment proche pour rendre toute esquive impossible. Rhampsodis triomphait. Ainsi, ce serait à lui qu'incomberait l'honneur d'achever le Général de Brocélie, celle qui avait failli mettre Kalendor à genoux.
Octale coupa tous ses moteurs, et sortit les volets d'atterrissage pour freiner son appareil. Rhampsodis la dépassa, emporté dans son élan, et manqua de peu son tir. À la limite du décrochage, elle réactiva aussitôt les moteurs.
« Tel est pris qui croyait prendre. » Siffla-t-elle.
Elle déchaîna toute sa puissance de feu. Les tirs, d'abord déviés, finirent par atteindre l'épais blindage blanc. De la fumée s'échappa ; puis Rhampsodis s'écarta, pour atterrir en urgence.
Octale ouvrit à nouveau le feu sur les deux appareils qui venaient droit vers elle. Ils firent de même.
Plusieurs impacts retentirent, et le Général n'évita que de justesse la collision avec l'un des vaisseaux. Erreur de pilotage, ou tentative délibérée ?
Les commandes ne répondaient presque plus. Une aile avait pris feu, et les messages d'avarie ne cessaient de défiler sur le tableau de bord. Il restait encore un vaisseau blanc à l'arrière, qui ne manqua pas d'ouvrir le feu.
La Flèche Rouge trembla sous les impacts répétés. Plusieurs pièces se détachèrent. Elle devait se poser. L'appareil tout entier n'était plus qu'une carcasse métallique en flammes et en perte de vitesse et d'altitude.
Le fleuve serpentait à sa droite et formait une large boucle pour repasser devant elle. L'eau était calme ici, sans doute parce que le naphte déversé n'était pas parvenu jusqu'ici, consumé bien avant. Peut-être pourrait-elle tenter de traverser.
Un nouvel impact lui fit frôler le sol. Elle devait se poser avant le fleuve, même si c'était de la folie. Elle chercha à sortir les trains d'atterrissage qui ne répondirent pas. L'appareil érafla le sol ; elle n'aurait d'autre choix que de le poser sur le ventre.
De nombreux tirs achevèrent de l'endommager. Octale ne le contrôlait déjà presque plus. Bête de métal agonisante entraînée dans sa course mortelle, il heurta de nouveau le sol, rebondit, et secoua le Général en tous sens. Son hurlement se prolongea des centaines de mètres durant, avant qu'il ne s'immobilise enfin, à deux pas du fleuve.
Face à lui serpentait l'eau calme, comme indifférente à cette tragédie.
Octale défit les sangles qui la ceinturaient, ouvrit la verrière fracassée, s'extirpa de l'appareil en flammes, courut...
Elle se jeta à terre alors que retentissait une explosion, juste derrière elle. Des débris enflammés volèrent en tous sens, pour marquer la fin de la Flèche Rouge. Puis elle se releva sans s'attarder, et reprit sa course.
Le vaisseau blanc l'avait déjà repérée. Il piqua vers le sol en vrombissant, et ouvrit le feu. Les explosions soulevèrent la terre alors qu'elle plongeait dans l'eau.
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