VII-2 : Le triomphe de Zagnar
Elle apparut en plein jour, revêtue de ses apparats de Général. Malgré ses blessures, malgré son visage livide et ses traits émaciés, ses yeux ardents brûlaient d'une détermination implacable. Deux braises qui transperçaient une mer de neige, deux braises qui réchauffèrent le cœur de ses troupes pour leur redonner espoir.
Une ovation enthousiaste salua sa sortie ; les soldats affluaient en masse pour assister à son discours.
« Je serai brève, mais je ne commencerai pas sans saluer le courage indéfectible dont vous avez fait preuve. »
Des applaudissements l'acclamèrent.
« Ce courage, reprit-elle, pour lequel vous n'avez pas baissé les bras, pour lequel vous n'avez pas abandonné votre prochain, ce courage, c'est grâce à lui que nous sommes encore ici ! Que je suis encore ici ! »
Nouvelle vague d'applaudissements, dont l'entrain lui donna la force de poursuivre.
« Un jour, on m'a demandé à quoi l'on pouvait reconnaître la valeur d'un soldat. D'aucuns, que je ne citerai pas, pensaient qu'elle se mesurait à l'aune de ses victoires ; mais je vais vous dire ce que j'en pense. »
Elle suspendit sa phrase. Tous restèrent accrochés à ses lèvres, dans un silence total.
« La vraie valeur d'un soldat, poursuivit-elle, ne peut être appréhendée que dans l'adversité. Les valeureux sont ceux qui ne s'enfuient pas, n'abandonnent pas leurs semblables lorsque vient le danger. Ce sont ceux qui décident de faire front, quoi qu'il advienne.
« Soldats, harangua-t-elle, hier, chacun d'entre vous s'est montré plus valeureux que l'ensemble de l'armée kalendorienne. Suite à l'une de ses traîtrises, Zagnar a sans doute interrompu notre avancée spectaculaire, mais il ne pourra jamais nous arrêter, il ne pourra jamais nous vaincre. Vous avez dressé un bouclier que ni lui, ni ses chars ne pouvaient franchir, vous, les véritables héros de cette guerre ! Je suis fière de vous, et c'est pour moi un véritable honneur que d'être votre Général. »
Elle s'inclina, saluée par une ovation encore plus forte que les précédentes.
« Ce rôle, je continue à l'assumer, et j'espère pouvoir faire preuve du même courage et de la même abnégation. Ces valeurs qui vous font mériter votre patrie, ces valeurs qui vous permettent de dire, les yeux emplis de fierté : nous sommes Brocéliens ! »
Les applaudissements accueillirent sa harangue avec allégresse. Les yeux d'Octale brillèrent d'une lueur étrange, indéfinissable.
« Du fond du cœur, merci, à chacun d'entre vous. »
Ses derniers mots avaient été prononcés dans un murmure que peu eurent l'occasion d'entendre. Elle s'écarta, puis tituba jusqu'à sa tente, encadrée par des gardes rouges, incapable d'ajouter un seul geste ou mot.
Ce n'est qu'une fois rentrée que ses jambes se dérobèrent sous elle. Les gardes rouges l'empêchèrent de tomber, et la réinstallèrent sur son matelas de fortune.
« C'était de la folie. » Bougonna un médecin furieux.
Octale lui fit un sourire. Dehors, les cris et applaudissements retentissaient encore. Elle toussa.
« Je leur ai redonné confiance et espoir. Vous ne pensez donc pas que cela valait le coup ?
— Vous avez surtout mis une fois de plus votre vie en danger.
— Et alors ? Eux la risquent bien chaque jour pour moi. »
Le médecin soupira. Comme toujours ses arguments resteraient vains face au Général de Brocélie.
« Vous pouvez disposer, reprit Octale. Il y a certainement d'autres blessés qui attendent vos soins.
— Il n'en est pas question ! Vous êtes encore loin d'être rétablie !
— Je me sens beaucoup mieux, mentit-elle. Au besoin, si mon état venait à empirer, la garde rouge viendrait vous solliciter. Et de toute façon, c'est un ordre.
— Je suppose donc qu'il est inutile de discuter...
— En effet. »
La bataille du fleuve d'Aahrimbald marqua un tournant dans cette guerre. Pour la première fois, l'avancée inexorable des armées rouges avait été stoppée. Les jours suivants, les deux camps s'enterrèrent sur leurs positions, incapables l'un comme l'autre de briser les défenses ennemies. Il n'y eut d'ailleurs pas d'opération de grande envergure, du moins pas dans l'immédiat.
Deux jours plus tard, Octale Zdalavitch, Général de Brocélie, prononçait une oraison funèbre à l'occasion des soldats tombés au champ d'honneur. Thanos Esvalia reçut ainsi à titre posthume la plus haute distinction possible, à savoir la construction de sa statue dans le Mémorial de Kystan.
Hupias Ecterian, L'Arrivée au pouvoir du 47ème Général Chef d'Oriale
Epithaï, trente-sept jours après la mort du Général Chef
L'allée principale avait revêtu ses apparats de fête. Depuis son char couvert de pétales, Zagnar saluait la foule du bras gauche, triomphant. Le droit restait quant à lui en bandoulière, emmailloté dans d'épais bandages qu'il exhibait comme blessure de guerre.
Partout dans la capitale se murmuraient les détails de son affrontement décisif contre les forces brocéliennes. Sa stratégie implacable, tout d'abord, mais surtout son duel héroïque contre Octale, qui avait in fine trouvé plus fort qu'elle.
Tous voulaient voir ce héros qui promettait un règne aussi éclatant que celui de son père. Tous se pressaient entre les maisons de pierre noire, pour venir former une foule compacte. Certains montaient sur les toits afin de mieux apercevoir leur guide, si redouté des autres Généraux.
Zagnar, grisé, savourait les délices du pouvoir, mais surtout, ceux encore plus enivrants de la victoire et de la gloire. En moins de deux semaines, trois hauts faits d'armes venaient d'être accomplis : la chute du Neelhan, l'arrêt de l'avancée brocélienne, et enfin le sauvetage de la capitale des griffes du Prince Bleu. Un sauvetage orchestré grâce aux renforts revenus du Neelhan, ainsi qu'une portion non négligeable des troupes du front ouest, pour l'instant figé. Le Commandant avait alors pris la tête de cette armée, et rencontré celle du Prince Bleu au sud d'Epithaï.
L'affrontement avait duré deux jours, puis les Orcaliens s'étaient repliés en désordre, dispersés, égaillés. La voie était désormais presque libre jusqu'à leur propre capitale, vers laquelle le Commandant marchait en ce moment même.
Toutes les menaces qui encerclaient Epithaï à peine quelque jour plus tôt s'étaient dissoutes comme fumée au vent. L'autorité de Kalendor se faisait désormais inexorable et sa gloire éternelle.
Zagnar exultait. Son triomphe était total et son autorité que mieux raffermie. Il harangua la foule. Ces victoires n'étaient qu'un début, et bientôt les Généraux renégats se jetteraient à ses pieds pour supplier son pardon.
Il fit le compte. Le Wienskor l'avait rejoint, le Neelhan était tombé, la Brocélie stoppée net, et Octale mourante. Quant à l'Orcalie, elle perdrait sa capitale dans les deux semaines à venir.
Ne restaient plus que deux nations. Tout d'abord le Furthyr, mais dont l'armée vétuste ne se souciait pour l'instant que de la Brocélie ; puis l'Ostrie, avec qui les rapports se faisaient tendus. Des discussions houleuses se succédaient encore au sujet de la frontière avec le Neelhan. Néanmoins, Rhamsodis ne désespérait toujours pas de conclure un arrangement à l'amiable.
Zagnar gravit les marches de son palais, pour être tout d'abord accueilli par ses deux sœurs, Arcale et Astiana. Elles le félicitèrent pour ses exploits, bientôt rejointes par des dignitaires admiratifs qui se répandirent de même en éloges.
Son pouvoir, autrefois critiqué à demi-mot par certaines mauvaises langues, n'avait jamais été aussi ferme et assuré.
Et Zagnar entendait bien qu'il le reste.
Il se tourna de nouveau vers la foule compacte qu'il salua une dernière fois. Trépignante, elle bondit de joie et l'acclama de plus belle.
D'ici peu, tous l'auraient reconnu en tant que Général Chef.
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