VII-1 : Le triomphe de Zagnar
Scythlène Scalath, la nièce de Xeo Eclarian, a pris la tête de la résistance du Neelhan afin de reconquérir le trône, et vous a prêté allégeance devant témoins. Je compte rentrer en Brocélie pour vous raconter les détails de vive voix. L'Amiral peut-il envoyer un sous-marin au sud de Sil'Filan ?
Message d'Esmène Vlata, Commandant de la garde rouge, à Octale Zdalavitch, Général de Brocélie, date inconnue.
Cénia, capitale de l'Orcalie, vingt-sept jours après la mort du Général Chef
L'assassin contempla l'assemblage hétéroclite de coussins qu'il venait de poignarder. Il faisait nuit ; si le Général d'Orcalie n'était pas ici, où était-il ?
« Bonsoir. »
Il se retourna aussitôt, déconcerté. Un homme, à la stature élégante, revêtu d'une grande cape bleu sombre le dévisageait, amusé, de ses yeux clairs intenses. Chose rare, sa chevelure était d'un bleu profond, ce qui retirait le moindre doute quant à son identité. Le Général d'Orcalie.
L'assassin s'élança. Il était venu ici pour tuer, il ne repartirait pas sans avoir tué. Son adversaire était désarmé, donc à sa merci, c'était tellement facile...
Le Général leva un bras. L'éclair illumina les teintures bleues et la décoration soignée de la chambre. L'assassin n'eut pas l'occasion d'en voir davantage ; il s'effondra au sol, mort.
Pitoyable.
Il n'était pas très difficile de deviner le commanditaire. Seuls l'Ostrie et Kalendor étaient en guerre ouverte avec l'Orcalie. Et si l'Ostrie parvenait encore à faire avancer ses troupes par-delà la frontière, Kalendor était aux abois. À l'ouest, le rouleau compresseur brocéliens contraignait la nation à dégarnir ses autres fronts plus que de raison. Alors qu'elles s'approchaient pourtant de la capitale, les armées du Prince Bleu ne rencontraient plus de grande résistance.
Le Général se mit à réfléchir. Si Kalendor tentait de le faire assassiner par tous les moyens, alors sa situation devait être encore plus désespérée que prévue. La question n'était plus de savoir si la capitale tomberait, mais plutôt qui de lui ou d'Octale porterait le coup fatal.
La redoutable Octale... Elle le captivait et l'effrayait. Pour l'heure, il préférait maintenir le statu quo avec elle, et prévenir tout incident à la frontière, y compris en territoire kalendorien.
Il se demandait quelle serait sa réaction, s'il était le premier à prendre Epithaï. Toutefois, il ne pourrait pas envoyer d'autres renforts, alors qu'à l'est les combats se faisaient difficiles et incertains. L'Ostrie restait pour l'heure son principal adversaire.
Camp brocélien du fleuve d'Aahrimbald, Kalendor, vingt-huit jours après la mort du Général Chef
Octale ouvrit un œil. Quelques rayons matinaux filtraient à travers la tente. À même le sol, son armure gisait, méconnaissable, réduite à l'état de morceaux disloqués et ensanglantés.
Elle tenta de se lever, grimaça. Une femme à l'armure écarlate se précipita à son chevet.
« Général, hasarda-t-elle, comment vous sentez vous ? »
Octale eut un sourire qui se voulut rassurant.
« Moyen, mais ça ira. »
Le garde n'était pas dupe. Lorsqu'il s'agissait de sa santé, "excellent" signifiait "bien" pour Octale, "bien" signifiait "très moyen", et "moyen" signifiait "très mal".
Le Général tenta d'effectuer un nouveau mouvement, mais la douleur la contraignit à l'immobilisme.
« Vous devez vous reposer, lui conseilla le garde.
— Je suis restée inconsciente longtemps ?
— Toute la nuit. »
Plusieurs personnes s'approchèrent d'elle, désormais qu'elle avait repris connaissance. À en juger par leurs cernes et visages inquiets, elles avaient dû veiller jusqu'à son réveil.
« Thanos n'est pas ici ? » Remarqua Octale.
Un silence remplaça l'effervescence naissante de la tente.
« C'est bien lui qui s'est jeté sur Zagnar ? Il me semblait avoir reconnu sa voix, poursuivit Octale.
— C'était lui. Il a donné sa vie pour vous sauver. » Lui répondit une jeune femme aux cheveux blonds.
Octale tourna la tête dans sa direction. Semnen était l'un de ses gardes d'élite, assignés à sa protection personnelle. D'ordinaire avenant, le regard de la jeune femme fixait le sol. Un épais bandage entourait son bras gauche, en lieu et place de son armure écarlate. Plusieurs pièces avaient été arrachées, et son casque fracassé laissait apercevoir sa chevelure blonde.
« C'était un homme exceptionnel, articula Octale, un homme au courage sans pareil, et sa mort est une grande perte pour la Brocélie. Sa statue sera dressée dans le Mémorial, à Kystan.
— Il en sera fait comme vous le désirez, Général.
— Où en est la situation sur le terrain ? Reprit Octale, inquiète.
— Les Kalendoriens ont réussi à avancer durant la nuit. Ils ont repris un bon tiers des positions qu'ils occupaient auparavant, mais nous avons réussi à tenir la berge.
— Nous sommes du côté est de la rivière, ici, c'est cela ?
— Oui, vous n'étiez pas vraiment en état d'être transportée. Nous vous avons installée au bord du fleuve, près des canons lourds dont nous nous sommes emparés.
— Qu'est-il advenu des deux autres points de débarquement ?
— Nos troupes ont été stoppées au nord et n'ont pas réussi à traverser. Au sud, en revanche, elles auraient passé le fleuve, mais les combats feraient encore rage sur la berge.
— Vous avez construit le pont, comme prévu ?
— Il est sur le point d'être achevé. Nos chars ne devraient pas tarder à pouvoir débarquer. »
Un homme pénétra dans la tente, recouvert de poussière, et l'armure rouge presque en lambeaux.
« Mes respects, Général ! C'est un soulagement que de vous voir à nouveau éveillée. Les médecins étaient loin d'être rassurants à votre sujet, cette nuit.
— Vous apportez des nouvelles du front ?
— Je crains qu'elles ne soient plutôt mauvaises. Enfin je préfère avoir des nouvelles maussades du front et vous rétablie que des nouvelles bonnes en apparence et... bref, la traversée au sud a échoué. Nos troupes ont reflué jusqu'à la rivière. »
Octale resta pensive. Cette position devenait donc l'unique point faible de Zagnar, et le Général ne tarderait pas à faire converger ses troupes ici. À cela s'ajoutait la chute officielle du Neelhan, quelques jours plus tôt. Traduction : les troupes kalendoriennes et wienskroises quittaient le pays pour venir l'arrêter, elle, désormais ennemi numéro un.
Elle soupira. Cette guerre risquait fort de s'avérer beaucoup plus longue et difficile que prévu.
« Il faut que je parle à nos soldats. Qu'ils voient de leurs yeux que je suis toujours vivante. »
Elle ignora la douleur, de même que les réticences de ses médecins, et parvint à s'asseoir sur le bord du lit improvisé.
« Allez les réunir. Tout de suite. » Ordonna-t-elle aux gardes rouges qui ne savaient pas exactement quelle attitude adopter.
Ils choisirent finalement d'obtempérer. Plusieurs sortirent en hâte de la tente tandis que les autres restaient pour continuer d'assurer sa sécurité.
Son bras blanc attrapa un grand manteau rouge orné de serpents écarlates, l'emblème de la Brocélie. Elle grimaça en l'enfilant, et continua d'ignorer les remontrances des médecins.
« C'est de la folie, lui assura l'un d'entre eux. Vous pouvez à peine tenir debout. »
Elle s'appuya sur deux gardes rouges, qui l'aidèrent à se lever puis la soutinrent jusqu'à l'entrée de la tente.
« Laissez-moi, maintenant. » Ordonna Octale, juste avant de franchir le seuil.
Ils obéirent, la laissèrent sortir, seule, sans aide, mais toujours prêts à intervenir en cas de défaillance.
Chaque pas coûtait à Octale plus qu'elle ne l'aurait cru. Ses jambes étaient de plomb, et si ce n'était la volonté de fer elle se serait aussitôt effondrée.
Mais elle était le Général de Brocélie et ne devait pas laisser paraître le moindre signe de défaillance.
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