VI-2 : Affrontements orialiens
Extrémité occidentale de la mer d'Elenan, vingt-cinq jours après la mort du Général Chef
« Torpilles parées.
— Feu. »
Plusieurs bruits sourds se firent entendre. Seize traînées sifflèrent à travers l'eau pour rejoindre le navire adverse. Des explosions retentirent, et illuminèrent la nuit d'un feu d'artifice étincelant.
« Rechargez ; ne leur laissez pas l'occasion de riposter. »
Ils n'en eurent pas le temps. Le faible blindage du navire avait déjà été ébranlé par les torpilles. Quatre vaisseaux rouges déchirèrent le ciel et l'achevèrent de leurs missiles.
Le bâtiment en feu entama sa descente irrévocable vers les fonds marins. Ses habitants se jetaient déjà par-dessus bord pour l'abandonner.
L'homme se mit à sourire. Octale s'était enfin décidée à lui envoyer des renforts. Ceux-ci ne seraient pas de trop pour faire face à la déferlante du Furthyr. L'enclave comme les îles proches étaient sur le point de tomber, écrasées par le nombre. Blocus aériens, maritimes, bombardements, et parachutages étaient devenus monnaie courante.
Mais celui que tous nommaient désormais l'Amiral, avec déférence ou avec crainte, n'avait pas reculé. Depuis une semaine, il opposait une résistance aussi acharnée qu'héroïque. Ces places ne tomberaient pas ; il en avait fait le serment. Les frontières du sud devaient être sécurisées pour qu'Octale puisse envahir Kalendor en toute sécurité. Pour cela, il comptait sur ses stratégies impeccables, des troupes limitées mais motivées, ainsi que des armes récentes et efficaces.
La flotte du Furthyr, bien que quatre ou cinq fois plus nombreuse, n'était composée que de navires légers. Ses bâtiments se faisaient décimer les uns après les autres par les sous-marins brocéliens. Quant à son aviation, elle restait de même vétuste et mal entraînée.
« En surface ! »
Les flots s'ouvrirent pour laisser émerger la gigantesque carcasse de métal. De profil triangulaire, le bâtiment disposait d'une multitude de canons, ainsi que de tourelles antiaériennes. À l'arrière venaient se fixer de puissantes turbines, complétées par d'autres moteurs le long de la coque pour plus de maniabilité.
L'arme absolue d'Octale pour régner sur les mers.
Le Seigneur des Océans.
Fleuve d'Aahrimbald, Kalendor, vingt-sept jours après la mort du Général Chef
Zagnar avait fait de son mieux pour motiver les troupes qui lui restaient. Rien n'était encore joué. Le Général ne cessait de répéter qu'Octale tomberait un jour ou l'autre, tout comme ses parents étaient tombés de la main de Sméarn Pteï. Malgré les replis et défaites qui s'enchaînaient face aux Brocéliens, il tentait de leur faire garder espoir et de leur donner l'envie de se battre.
L'annonce de la chute officielle du Neelhan y avait en grande partie contribué. Un pantin à sa solde avait été nommé à la tête de cette ridicule nation et n'avait pas manqué de lui prêter allégeance.
Deux Généraux étaient désormais de son côté. Il n'en restait plus que quatre.
Des pourparlers étaient en cours avec le Furthyr, et les relations avec l'Ostrie encore tendues mais lointaines. Les seules véritables menaces à son futur titre de Général Chef restaient ainsi la Brocélie et l'Orcalie.
Octale et le Prince Bleu.
Deux adversaires qui, s'ils n'avaient conclu aucune alliance l'un envers l'autre, avaient pris soin de s'éviter. Octale avait contourné l'armée du Prince vers le nord, pour filer droit vers Epithaï. De leur côté, les Orcaliens avaient choisi de conforter leur avancée sur toute la frontière sud. Eux aussi se rapprochaient de la capitale, et menaçaient à tout instant de prendre Zagnar en étau avec les Brocéliens.
Le Général de Kalendor ne pouvait compter pour l'instant que sur lui-même. Il devrait leur faire face le temps que le Commandant revienne du Neelhan avec une portion appréciable de l'armée kalendorienne. Il laisserait à Rhampsodis la charge de surveiller les frontières de ce pays. Si l'Orcalie représentait une menace évidente, l'Ostrie s'était déjà empêchée d'envahir et d'annexer plusieurs territoires avant la chute officielle.
Aujourd'hui, le Général devrait affronter Octale. Une fois de plus. Celle qui tel un démon de feu hantait ses nuits et alimentait ses pires cauchemars. Celle qu'il n'avait toujours pas réussi à stopper et qui ne se laisserait pas plier.
De l'autre côté du fleuve scintillant, les armées rouges s'avançaient, en parfait ordre. Octale avait divisé ses forces pour tenter de traverser en trois points distincts. D'après les renseignements d'espions kalendoriens, elle-même se trouvait dans l'unité centrale. Celle qui avançait droit vers lui. Celle qui livrerait la bataille la plus féroce.
Après quelques ordres brefs, Zagnar descendit du char sur lequel il se trouvait. Déjà des essaims de vaisseaux rouges vrombissaient vers eux. Le Général s'installa dans une tourelle de défense antiaérienne ; ses troupes étaient prêtes pour l'affrontement.
Les vaisseaux noirs traversèrent le ciel, pour rencontrer leurs ennemis. Plus épais, disposant d'un meilleur blindage, ils étaient toutefois moins maniables que leurs adversaires, et ne tardèrent pas à être mis en difficulté. Les hordes rouges leur livraient un combat aérien acharné, se jouant des défenses antiaériennes. Les appareils virevoltaient de toutes parts, plongeaient, mitraillaient, tournoyaient, esquivaient, se regroupaient, et frappaient avec une précision mortelle.
Le regard fixé en direction de la nuée écarlate qui envahissait le ciel, Zagnar faisait feu sans discontinuer. Plusieurs vaisseaux rompirent les combats, moteurs en feu, ou aile à demi arrachée, d'autres s'écrasèrent à la suite d'une vrille incontrôlée. Tout cela ne représentait cependant qu'une ridicule portion de l'essaim qui sifflait au-dessus de sa tête.
Au moins, les redoutables chars d'Octale stationnaient hors de portée, de l'autre côté du fleuve. Zagnar avait fait abattre tous les ponts, quelques jours plus tôt, pour ne pas avoir à les affronter dans l'immédiat.
Cela n'empêchait toutefois pas les Brocéliens de mettre à l'eau une flottille de barges légères afin de tenter une traversée.
Les Kalendoriens ne furent pas longs à réagir. Les lourds canons postés sur la berge firent feu. Des gerbes d'eau se soulevèrent. Les explosions fracassèrent les fragiles barges et stoppèrent net l'avancée des Brocéliens sur le fleuve. Pour l'instant.
Seuls quelques tirs légers se firent entendre en riposte.
Zagnar n'eut pas le temps de savourer cette victoire qu'une solide escouade de vaisseaux rouges le survola de près, en formation triangulaire.
Tous abandonnèrent une nuée de projectiles qui retomba sur les centrales antiaériennes.
Zagnar plissa les yeux. Ce n'étaient pas des projectiles.
Les gardes rouges allumèrent les propulseurs fixés dans leurs dos. Les appareils freinèrent leur descente, et leur permirent d'atteindre le sol sans encombre, malgré quelques tirs légers.
Ces propulseurs, s'ils pouvaient s'avérer pratiques, avaient pour principal défaut leur autonomie limitée, principale raison pour laquelle les Kalendoriens avaient abandonné les recherches à ce sujet.
Octale posa pied à terre, sans se préoccuper des soldats noirs qui se regroupaient autour d'elle.
Dans quelques secondes ils seraient morts.
« Appel prioritaire aux unités de la garde noire. Rejoignez la centrale antiaérienne principale. Zone D114. »
Octale tendit le bras. Une roquette surgit de son armure pour faire exploser la batterie endommagée qui lui faisait face.
Ses gardes rouges l'encadraient, et lui assuraient une protection impénétrable. Elle tourna la tête ; plusieurs de ses unités investissaient une tourelle antiaérienne encore intacte, abandonnée par les Kalendoriens. Elles ne tarderaient pas à les retourner contre les vaisseaux noirs.
Rien ne l'arrêterait ; elle poursuivit sa route à travers les défenses kalendoriennes.
Zagnar sortit sa lame d'un geste vif, et tua d'un geste le soldat qui s'approchait par derrière. La confusion était totale. Les Brocéliens se posaient de toutes parts, et les Kalendoriens refluaient en désordre vers l'est, incapables de contenir Octale.
Plusieurs batteries de tir étaient tombées aux mains de l'ennemi. Elles faisaient désormais feu sur les vaisseaux noirs ou même d'autres batteries de tir encore restées sous contrôle kalendorien.
Un obus explosa tout près, pour projeter des débris en tous sens. Il ne restait rien de la batterie dans laquelle Zagnar se tenait quelques minutes plus tôt. Le Général pesta, rassembla quelques gardes noirs, et s'attaqua aux soldats qui atterrissaient aux alentours.
Octale continuait sa progression, imperturbable. Les batteries tomberaient ou seraient détruites. Elle tua deux Kalendoriens d'un revers foudroyant de sa lame et en blessa un autre au bras dans le même mouvement.
Les trois derniers prirent la fuite.
Deux gardes rouges pénétrèrent dans la tourelle encore en état de fonctionnement.
Octale poursuivit son avancée.
Zagnar lança la garde noire à l'assaut des positions prises par les Brocéliens, ainsi que celles sur le point de tomber. Les lames s'entrechoquèrent bientôt dans un corps à corps sans merci, que venait recouvrir un manteau de poussière.
Le Général de Kalendor n'était pas en reste. Encadré par ses soldats, il se démenait, furieux, et frappait de toutes parts tel un dément.
Il manqua de peu d'être blessé, mais un garde noir s'interposa au dernier instant, avant de le laisser achever son assaillante.
Les Kalendoriens avaient cessé de reculer. Mieux, il avait l'impression que la garde noire, une fois ressaisie, commençait à reprendre du terrain, mètre après mètre.
Une tourelle explosa sur sa droite. Sabotée par les Brocéliens avant que ses troupes ne la reprennent. Il acheva un adversaire, ressortit son épée écarlate, voulut s'éponger le front, se cogna à son casque, s'immobilisa.
Juste en face d'eux, la silhouette rouge d'une femme perça la grisaille opaque. Elle s'avança d'un pas calme, sans la moindre hésitation.
Son corps fin et élancé était revêtu d'une armure d'écailles écarlates, que venaient renforcer plusieurs plaques de métal. Un casque rouge protégeait sa tête, hérissé de trois grandes pointes acérées, ainsi que d'autres protubérances plus petites. Il laissait cependant dépasser ses cheveux roux, cettecascade de feu qui retombait sur son dos et ses épaules.
Ses mains gantées levèrent une épée ensanglantée ; plusieurs gardes rouges la rejoignirent.
Octale Zdalavitch, le Général de Brocélie.
Zagnar sentit une appréhension atroce l'envahir. Ses doigts se crispèrent sur l'épée qu'il tenait.
Les combats semblaient avoir cessé ; le silence était retombé autour d'eux.
Le calme avant la tempête ; l'œil du cyclone.
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