V-2 : La Stèle Universelle
Sans un mot, des créatures à l'armure dorée les encadrèrent pour leur montrer le chemin. Ils traversèrent le village au sol sablonneux, puis s'arrêtèrent à la hutte de paille qui leur avait été destinée. Les Salvens s'écartèrent aussitôt pour y laisser rentrer les trois arrivants.
Galaniel remarqua aussitôt la table garnie de mets variés et appétissants qui trônait en plein centre. À en juger par le sourire d'Alyne, ainsi que le regard radieux de l'inconnu, il n'était pas le seul à apprécier l'initiative.
Il attrapa un fruit vert oblongue dont il entreprit de découvrir la saveur inconnue. De son côté, l'inconnu ne l'avait pas attendu pour commencer.
« Habituellement, annonça Alyne dans sa langue suave, ce moment est l'occasion de faire connaissance pour les prétendants à l'Ordre des Voyageurs. Nous risquons d'avoir un bout de chemin à effectuer ensemble, alors autant nous présenter tout de suite. »
Son regard s'appuya sur l'inconnu qui mordait à pleines dents dans un gros fruit rose. Il ne sembla pas le remarquer tout de suite, et ne releva la tête qu'au cours du silence qui s'ensuivit.
« Miom, qu'echque vous dijiez ? » Articula-t-il, la bouche pleine, dans une langue aux consonances gutturales.
— Je disais que j'aimerais peut-être connaître au moins votre nom, si cela ne vous dérange pas. Je déteste voyager avec des inconnus.
— Ah, mon nom, répondit-il en s'essuyant la bouche. Je suis le vaillant Césape Victorèle, le pourfendeur de dragons. Ah, et comme vous êtes apparemment des créatures dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à ce jour, je pense vous apporter une information si je vous dis que je suis un gigan. Et comme vous êtes vraiment bizarre à tel point que je me demande si vous n'êtes pas des aliens, et que j'ai aussi accessoirement l'impression d'avoir changé de monde, peut-être cela vous intéresserait-il de savoir que je viens de Gigarosia. Mais mon incommensurable notoriété se serait-elle déjà étendue jusqu'à vos chastes oreilles ? »
Alyne et Galaniel s'échangèrent un regard perplexe. Le nom de leur interlocuteur leur était à tous deux inconnu, de même que son espèce ou même sa planète natale. Césape n'y prêta toutefois pas attention alors qu'il se corrigeait.
« Enfin, pourfendeur d'un dragon pour être plus exact, mais cela n'enlève rien à l'héroïsme de cet exploit. Vous avez seulement déjà vu des dragons ?
— Jamais, avoua Galaniel.
— Une seule fois, répondit Alyne. Grand comme une montagne, et à la sagesse millénaire. On le nomme le Matayella. »
Césape ouvrit des yeux étonnés.
« Je n'en aurais pas dit autant du mien, mais il n'en demeurait pas moins impressionnant, et redoutable. On le nomme, pardon on le nommait, euh... la Sale Bête, je crois. Et vous, vous êtes qui ?
— Alyne ol'Astyn. Je suis une elfine de la Cité Céleste.
— Et moi Galaniel Zawhyka Espan, un humain de Shawn. Ravi de faire votre connaissance. »
Un court silence s'installa, rompu presque aussitôt par Césape.
« Euh, enchanté ; sinon à part ça l'un de vous sait-il ce que l'on fait ici ? »
Alyne eut un mouvement de surprise. Galaniel se sentit quant à lui rassuré de ne pas être le seul auquel des données manquaient.
« Mais comment pouvez-vous être des prétendants au titre de Voyageur et tout en ignorer ?
— Je ne prétends rien du tout, je ne sais pas ce que je fais ici. Je n'ai rien compris à l'accueil de tout à l'heure, ni ce qui a précédé, d'ailleurs. Actuellement, je me demande même si je ne suis pas mort ou en train de dormir. Mais si je dors, il faudra que je l'écrive à mon réveil ; j'ai vraiment une sacrée imagination.
— Je suis aussi enchanté que rassuré de rencontrer quelqu'un qui se trouve dans le même cas que moi. » Assura Galaniel.
Cette déclaration sembla rasséréner Césape, qui adressa un regard reconnaissant au jeune homme. Alyne ne s'emporta toutefois que davantage.
« Vous ne pouvez quand-même pas ne jamais avoir entendu parler de l'Ordre des Voyageurs !
— Jamais avant d'arriver ici. » Affirma Césape.
Elle l'observa un instant, une lueur d'incompréhension dans le regard. Son ton était sincère ; il n'était pas en train de plaisanter ou de jouer une farce quelconque. De quel endroit reculé de la Galaxie pouvait-il donc provenir ?
« Sans doute ce moment de répit est-il aussi destiné à échanger des informations, une fois les présentations effectuées. » Parlementa Galaniel.
Alyne soupira, s'assit sur un tabouret, puis entreprit de leur expliquer la situation.
Les Voyageurs venaient en aide aux mondes qui s'étaient placés sous la protection de la Grande Déesse. Les Pierres d'Origine leur permettaient de se déplacer d'un monde à l'autre, ainsi que d'utiliser la magie. La principale difficulté pour rejoindre l'Ordre résidait dans l'obtention de l'un de ces artefacts. Néanmoins, d'autres épreuves étaient ensuite organisées afin de s'assurer de la vaillance du prétendant en question.
Les Voyageurs étaient les représentants directs de la Grande Déesse. Ils combattaient le Mal et les Ténèbres, qu'incarnaient les Itinérants. Ce regroupement grotesque se faisait une contrefaçon caricaturale de l'Ordre des Voyageurs, et adorait un simulacre de dieu vengeur.
De cet affrontement dépendait l'avenir d'une multitude de mondes.
« Eh ben, c'est un vaste programme, fit remarquer Césape.
— Et c'est surtout un honneur que d'avoir été appelé par la Grande Déesse pour participer à cette noble tâche. Vous avez d'autres questions, sinon ?
— Moi j'en ai une, reprit aussitôt Césape. Tu nous parles de Voyageurs, et c'est très intéressant, mais c'est qui les gens de ce village ?
— Les villageois sont les Salvens. Ce sont des serviteurs de la Grande Déesse. Quant à la femme qui nous a accueillis, il s'agit de la Grande Prophétesse. Elle ne fait pas partie de l'Ordre à proprement parler ; elle est juste ici pour accueillir les nouveaux prétendants.
— J'aurais aussi une question, reprit Galaniel. Lorsque nous étions devant la Stèle Universelle, nous avons reçu les connaissances nécessaires afin de nous comprendre mutuellement.
— C'est cela.
— Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Césape a été le seul à sembler... possédé, et à écrire sur celle-ci. »
Alyne marqua un temps d'arrêt.
« La Stèle Universelle, reprit-elle, regroupe les langues de tous les Voyageurs, depuis la fondation de l'Ordre. Je crois que si un nouveau prétendant utilise une langue différente de celles-ci, il doit l'apposer à son tour. Ce n'est qu'ainsi que ses congénères pourront le comprendre.
— Cela signifie que je suis le premier de mon peuple à pouvoir devenir Voyageur ?
— Sans doute.
— C'est la top-classe ! » S'enthousiasma-t-il en lançant un fruit en l'air.
Galaniel resta pensif, tandis qu'Alyne observait avec consternation Césape croquer à pleines dents son repas. Les explications d'Alyne signifiaient aussi qu'il y avait, ou qu'il y avait eu un Voyageur parlant sa langue natale. Il pensa de nouveau à son père, dont l'appartenance à cet ordre étrange lui apparaissait maintenant de plus en plus évidente. Des absences répétées, souvent lointaines, des explications vagues et contradictoires... N'était-ce pas le destin même de leurs membres, comme semblait le dire Alyne ?
Toutefois, si Galaniel se retrouvait ici, cela était dû au fruit du hasard plutôt qu'à une quelconque volonté de son père. Zawhyk ne l'avait jamais encouragé à prendre part à ce combat sur Oriale, bien au contraire.
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