IV-2 : Rencontre du troisième type



Epithaï, quatorze jours après la mort du Général Chef

Zagnar avait achevé en hâte les ultimes préparatifs. L'heure était désormais venue de partir en personne à bord de son vaisseau. La situation aux frontières occidentales se faisait chaque jour de plus en plus préoccupante. Octale avait lancé des offensives aussi ciblées que dévastatrices, ce qui lui avait permis de prendre pied dans Kalendor. Les armées noires s'étaient repliées, incapables de soutenir plus longtemps l'épreuve qu'elle leur imposait. Certains camps fortifiés, en retrait dans les terres, menaçaient de se retrouver encerclés. D'autres l'étaient déjà et les combats y faisaient rage.

Il fallait qu'il intervienne avant que cela ne tourne au désastre. Dans le pire cas, mieux valait encore replier ses troupes, avant qu'elles ne se retrouvent à la merci de leurs adversaires.

Préoccupé, il progressait d'un pas pressé à travers le couloir. Des murs de pierre noire l'entouraient, décorés par quelques peintures, et percés de vitraux par lesquels filtrait la lumière.

Il accéléra son pas. Les derniers soldats n'attendaient désormais plus que lui pour partir. Il ouvrit à la hâte une porte de bronze qui se referma derrière lui dans un grincement épouvantable. La pièce baignait dans une semi-obscurité à laquelle les yeux de Zagnar ne furent pas longs à s'accommoder. Seules quelques vitres bâchées suspendues au plafond permettaient à de pâles rayons de prodiguer leur lumière tamisée.

Une personne à la forte corpulence et aux vêtements noirs se dressait en face, et lui barrait le passage.

« Excusez-moi, je suis pressé. » Marmonna Zagnar.

L'homme ne prit pas même la peine de lui répondre. Son visage à demi dissimulé par un casque sombre esquissa un sourire mauvais.

Zagnar tenta de le contourner. L'homme se déporta sur le côté pour se retrouver à nouveau devant lui.

« Écartez-vous, c'est un ordre. » Tempêta Zagnar, furieux d'être retardé de la sorte.

L'homme attrapa une lourde hache et la fit tournoyer avant de l'abattre sur le Général.

Le jeune homme ne dut son salut qu'à des réflexes foudroyants. Il plongea sur le côté, et évita de peu le coup mortel. L'homme récidiva sans parvenir à l'atteindre. Son arme pulvérisa une chaise en bois avant d'éventrer une table vermoulue.

Zagnar se releva, dégaina un pistolet et fit feu. Quatre fois.

Les quatre balles fusèrent vers son adversaire avant de s'immobiliser à mi-course. Elles retombèrent l'une après l'autre à terre dans un bruit métallique insignifiant.

Cette vision le décontenança. Il n'avait pas affaire à une brute quelconque, comme il l'avait cru au départ. Seul un garde d'élite d'un autre Général serait capable d'un tel exploit. Ses chances de survies ne s'en trouvaient que d'autant diminuées.

Il n'eut pas le temps d'y réfléchir davantage. Son adversaire s'était déjà rué vers lui, et asséna de toutes ses forces un formidable coup de hache.

L'arme se planta dans un mur qui s'ébranla sous le choc. Zagnar s'était baissé au dernier moment et lui asséna en réponse un coup de coude. Le Général se heurta à une armure dissimulée sous les vêtements en apparence anodins.

Évidemment.

L'adversaire extirpa sa hache du mur balafré et chercha de nouveau à atteindre Zagnar. Le jeune homme jeta son pistolet inutile, et sortit de son fourreau une solide arme ouvragée.

L'épée du Général de Kalendor.

L'adversaire se jeta sur lui avec une sauvagerie telle qu'il ne put qu'à grand-peine contenir son assaut. Une nouvelle fois la hache le frôla alors qu'il se baissait pour l'esquiver. Il riposta aussitôt, et parvint à atteindre son adversaire à la cuisse, sans toutefois l'incommoder.

L'homme enchaîna plusieurs mouvements de hache que Zagnar ne parvint à parer qu'en reculant. Il buta contre une chaise, perdit l'équilibre, tomba à la renverse, tandis que son adversaire se précipitait sur lui.

Il parvint à le déséquilibrer au dernier moment avec ses jambes, puis l'entraîna dans la chute qu'il avait amorcée. Il s'aida d'une prise d'art martial de son père et jeta à terre le colosse dans un fracas assourdissant.

L'homme était à sa merci. Sous la violence du choc, sa hache lui avait échappé des mains pour glisser sous une table. Zagnar se releva pour lui asséner le coup fatal.

À sa plus grande surprise, le colosse évita le coup avec une agilité que ne laissait guère supposer sa corpulence. Il parvint à saisir d'une main épaisse le bras de Zagnar, et l'obligea à lâcher l'arme sous la douleur. Puis il souleva le Général de son autre main et le plaqua contre un mur. Ses doigts fermes le saisirent à la gorge.

Zagnar suffoquait, sa vue commençait à se brouiller. Son règne risquait de n'avoir été que de courte durée.

D'une main tremblante, il chercha un poignard qu'il conservait toujours au cas où... Encore un conseil de son père. Le meurtrier anticipa son geste et écrasa son bras contre le mur d'une poigne implacable. Désormais, la mort du Général de Kalendor devenait inéluctable.

Deux coups de feu retentirent. Le colosse se retourna, desserrant à peine sa prise. Les balles s'immobilisèrent puis retombèrent au sol. Sans aucun ménagement, il jeta Zagnar à travers la pièce. Le jeune homme s'écrasa sur les restes d'une antique table de bois.

Sa vue s'était brouillée, mais le Général entendit sans peine les combats à l'arme blanche qui s'enchaînèrent. Il toussa, essaya de reprendre sa respiration, puis se releva avec difficulté. Son corps l'inondait de messages de douleur qu'il essayait d'ignorer.

Il tituba. Les bruits avaient cessé. Le combat n'avait duré que l'espace de quelques secondes. Deux gardes noirs gisaient à terre, l'un mort, l'autre blessé. Le dernier soutenait une jeune femme qui contemplait, égarée, le corps du colosse décédé.

« Arcale ! »

Il boitilla jusqu'à elle le plus vite possible. Contrairement à lui, sa sœur n'était pas en tenue de combat. Son costume ensanglanté était barré par une profonde entaille.

« Allez chercher un médecin ! » Ordonna-t-il au garde valide qui obtempéra aussitôt.

Zagnar eut une grimace en découvrant la blessure hideuse de sa sœur. Il essaya ensuite de réprimer son émoi afin de ne pas l'alarmer davantage.

« Tu étais en retard. Je suis venue à ta rencontre, hoqueta-t-elle.

— Tiens bon, l'encouragea Zagnar. Le médecin va arriver d'une minute à l'autre.

— D'un autre côté, poursuivit-elle, c'est une preuve que les autres Généraux te craignent... C'est plutôt une bonne nouvelle.

— Je n'appellerai pas cette tentative d'assassinat une bonne nouvelle. » Démentit-il.

Les minutes qui précédèrent l'arrivée du médecin lui semblèrent être les plus longues de sa vie.


Neelhan, communication entre le Commandant de la garde noire et Epithaï, seize jours après la mort du Général Chef

« Nous avons progressé dans le pays presque sans difficulté. Leurs principales défenses avaient déjà été anéanties lors de l'intervention de l'Alliance et la mise à sac de Sif. Le nouveau Général et ses troupes se sont retranchés dans la cité d'Elanis, plus à l'est. Nous allons l'encercler et le prendre au piège. Il ne pourra pas nous échapper.

— Très bien, Commandant.

— Quelle est la situation à Epithaï ?

— Zagnar est parti tôt ce matin pour prêter main forte au sud-ouest, avec deux jours de retard. Comme prévu, il m'a laissée en charge malgré quelques... protestations de ses conseillers. Mais mon état actuel ne m'empêche pas de gérer les affaires courantes.

— Vous avez tous mes vœux de rétablissement, Arcale. »


Nord-ouest du Furthyr, enclave brocélienne, dix-huit jours après la mort du Général Chef

Depuis plusieurs jours, les canons du Furthyr encerclaient l'enclave brocélienne, qui empiétait depuis trop longtemps sur leur territoire. Face à eux, des murs de béton recouverts de barbelés délimitaient la frontière. Sur des kilomètres, tours, miradors, et tourelles de tirs s'étendaient, prêtes à réagir à la moindre occasion.

Tous les canons crachèrent leurs obus dévastateurs dans une même salve. Les projectiles sifflèrent dans la nuit paisible avant d'illuminer le camp adverse.

Des alarmes retentirent. La riposte ne se fit pas attendre. Des crépitements déchirèrent le calme de la nuit. Depuis les deux camps, des escouades de vaisseaux légers prirent leur envol.

Les tourelles antiaériennes couvrirent le ciel d'un déluge de feu. De toutes parts, les missiles des deux camps fusèrent, mus par le même élan dévastateur. Partout résonnait le bruit insupportable des explosions.

La guerre était déclarée.


Sud-ouest de Kalendor, vingt-et-un jours après la mort du Général Chef

Depuis le sommet d'un mirador de son camp fortifié, Zagnar scrutait l'horizon avec anxiété. Les chars d'Octale apparaissaient les uns après les autres, dans un défilé interminable. Une imposante flottille aérienne les accompagnait, et envahissait peu à peu le ciel.

Cette bataille serait décisive. Il devait une fois pour toutes stopper le rouleau compresseur brocélien. Il n'avait déjà pris que trop de temps, et Octale en avait profité pour avancer.

Au sud, ses relations avec le Prince Bleu ne cessaient de se détériorer. Les Orcaliens commençaient à lancer des incursions, et avaient déplacé vers le nord plusieurs postes frontières. Pas encore d'offensive de grande ampleur, mais la léthargie kalendorienne à leur égard risquait de les enhardir.

Zagnar ne pouvait toutefois pas être sur tous les fronts à la fois. Il devait avant tout s'occuper du danger le plus immédiat. À nouveau, il ajusta ses jumelles et fixa l'armée qui avançait vers sa position.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top