IV-1 : Rencontre du troisième type
L'Antichambre est un lieu hors du temps et de l'espace, créé par le Tout-Puissant pour plus de commodité. Les lois qui régissent le réel n'y sont pas les mêmes.
Grand Livre de la Lumière, chapitre 14, verset 2
Galaniel se réveilla en sursaut. Ses yeux balayèrent le nouvel endroit immatériel dans lequel il se trouvait. Le sol brillait d'une lueur blanche éblouissante. D'apparence inconsistant, il n'en supportait pas moins son poids.
Ses souvenirs lui revinrent en tête. Le Général Chef, la pierre, le Titan. Il porta la main à sa poche. La mystérieuse pierre était toujours là, et émettait une faible lueur. Dans quel nouvel endroit avait-il encore été projeté ?
Il sursauta, alors que se faisait entendre le souffle régulier d'une présence étrangère, près de lui. Galaniel se redressa d'un bond, se retourna, et porta la main à son arme. Son regard étonné dévisagea l'inconnue qui lui faisait face.
Elle avait reculé, surprise par sa réaction. Une tunique blanche la recouvrait, sur laquelle des fils d'argent venaient tracer des motifs étranges. De loin, sa stature pouvait la faire passer pour une humaine, ce que démentait ensuite sa morphologie. Son nez fin se discernait à peine dans l'océan de neige que formait son visage. Son menton s'effaçait ensuite, comme pour rendre sa face plate et uniforme. Ses cheveux blancs impeccables retombaient à hauteur de ses épaules, et masquaient en partie ses oreilles triangulaires arrondies. Mais surtout, deux immenses yeux en amande perçaient son visage, et resplendissaient d'un bleu de glace.
Galaniel resta un instant immobile, le souffle court. Il n'avait jamais vu ou ouï dire l'existence de créature semblable auparavant. Néanmoins, il n'était plus seul dans cet endroit inquiétant, et cette seule pensée le remplissait de joie et d'espoir.
Il s'aperçut qu'il avait gardé son épée à la main. Il s'empressa de ranger son arme, et écarta les mains en signe de paix
« Qui que vous soyez, je ne viens pas en ennemi. »
Elle lui répondit dans une langue douce et mélodieuse sans qu'il ne comprenne un traître mot. À l'évidence, elle n'avait pas grandi sur Shawn ou Zyx. Ne restait qu'Oriale, même si cela s'avérerait étrange. Toutefois les légendes les plus folles circulaient parfois au sujet de cette lune
Il abandonna son dialecte shawnien, et essaya la langue unifiée de la Fédération zyssienne. À en juger par l'expression de désappointement sur le visage de l'inconnue, le résultat fut tout aussi infructueux. Galaniel poussa un soupir de découragement. Il ne savait parler que ces deux langues et se demandait désormais comment communiquer avec elle.
Ses questions sans réponses achevaient de le frustrer. Savait-elle où ils étaient et ce qu'ils faisaient ici ? Comment s'était-elle retrouvée ici ? Qui était-elle ?
Autant d'interrogations auxquelles elle ne pourrait pas lui répondre, et qu'elle se posait peut-être aussi à son sujet.
L'inconnue ébaucha un sourire navré, puis ferma les yeux. Galaniel tressaillit en ressentant son esprit effleurer le sien.
Plus par réflexe que résolution nette, il ferma aussitôt son esprit. Aidé de l'A.O.M. qu'il portait toujours sous son casque ébréché, il érigea en panique un mur mental impénétrable. Il ne pouvait de toute façon pas faire confiance au premier venu, après tous les dangers qu'il avait traversés.
Il sentit l'esprit étranger tâtonner, évaluer ses défenses, hésiter, puis finalement refluer sans insister.
L'inconnue rouvrit les yeux, puis recula de quelques pas. Elle entama avec ses bras une longue série de gestes dont la signification échappa à Galaniel. Elle abandonna en définitive, après avoir constaté que même sa gestuelle demeurait incomprise.
Galaniel se demanda si sa méfiance n'avait pas été disproportionnée. Il l'examina de plus près. Elle restait immobile à quelques pas de lui, une lueur d'appréhension dans les yeux. Il se prit à songer qu'il ne devait lui-même pas être des plus rassurants. Son apparence restait celle d'un guerrier aux intentions insondables. Un casque ébréché masquait à moitié son visage, sur lequel s'étalait une barbe de trois jours. Enfin, de la boue et du sang séché venaient recouvrir sa combinaison sombre rapiécée.
Un éclat attira son regard. Des armes luisantes dorées avaient été fixées dans le dos de l'inconnue. Il n'avait pas affaire à n'importe qui. Du coin de l'œil, elle continuait de l'examiner avec une insistance qui le décontenançait. Elle restait sur le qui-vive, à une distance suffisante pour parer à toute éventualité.
Sa silhouette fine et fragile n'était qu'une apparence à laquelle Galaniel ne se fiait pas. Sans doute avait-elle dû triompher des mêmes épreuves pour arriver jusqu'ici. En ce cas, il ne pouvait s'agir que d'une redoutable guerrière.
Galaniel ferma à son tour les yeux. S'ils voulaient communiquer, ils ne pourraient le faire que par la pensée, ce qu'elle avait dû tenter de faire auparavant. Il s'aida de son A.O.M. pour projeter son esprit à la rencontre de celui de l'inconnue.
Ce fut presque sans surprise qu'il se heurta à une défense impénétrable et sans faille. Il n'insista pas et rouvrit les yeux.
Le regard de l'inconnue semblait rassuré. Elle hésita, puis tenta de nouveau d'établir un contact mental, ce qui leur permettrait enfin de pouvoir s'échanger des informations.
Galaniel abaissa ses défenses mentales pour laisser son esprit se porter à la rencontre du sien. Ce procédé le laissait en grande partie à sa merci, mais sa curiosité l'emportait sur sa méfiance naturelle. De plus, il était certain qu'elle ne cherchait comme lui qu'à établir le dialogue.
Il tressaillit alors que l'esprit de l'inconnue s'infiltrait à travers le sien. Des odeurs, des sons, des musiques, des images d'un monde inconnu lui parvinrent pêle-mêle. Une cité de cristal démesurée se précisa peu à peu.
Galaniel en eut le souffle coupé. Des tours effilées s'élançaient avec une audace inouïe vers un ciel translucide de lapis-lazuli étincelant. Un entrelacs dense de ponts ouvragés traversait des gouffres abyssaux pour les relier les unes aux autres.
Toutes les constructions, aux tons clairs azurés dans l'ensemble, scintillaient de mille feux. Leurs faces taillées réfléchissaient le moindre rayon à l'infini. La cité toute entière se trouvait nimbée d'un halo de lumière irréel, presque insoutenable. Dans les hauteurs se multipliaient les jardins suspendus dans lesquels s'étalaient des feuillages au bleu violacé.
« Je me dénomme Alyne ol'Astyn. Ce que vous entrevoyez ici est mon monde natal : la Cité Céleste. »
Le dialogue mental ramena Galaniel à la réalité. À son tour, il présenta son identité.
« Pour ma part, je m'appelle Galaniel Zawhyka Espan, enchanté de faire votre connaissance. »
Il rassembla des souvenirs au sujet du village de son enfance.
Il s'agissait d'un modeste regroupement de chalets en bois massés au bord d'un ravin vertigineux. Des barricades sans prétention entouraient l'ensemble endormi sous un épais manteau neigeux. Quelques cheminées fumaient çà et là, seules preuves de vie de ce village pour l'instant en léthargie. À quelque distance se dressaient des arbres majestueux, le feuillage habillé de blanc. Quelques flocons descendaient du ciel dans le plus parfait silence.
« Voici le village de mon enfance : Epadonas. » Annonça Galaniel alors que la vision se précisait.
Il laissa son interlocutrice découvrir les vastes étendues sauvages enneigées. Le paysage alternait plaines argentées, forêts de hauts conifères, ainsi que des à-pics, ravins, ou montagnes. Souvent, le relief donnait naissance à des pentes plus ou moins uniformes. Les Shawniens prenaient alors plaisir à les dévaler, leurs pieds ajustés dans de larges skis triangulaires.
« Maintenant, hasarda Galaniel, impatient d'avoir des réponses, sauriez-vous par hasard où nous nous trouvons ?
— Mais dans l'Antichambre, bien sûr, lui répliqua aussitôt Alyne, interloquée. C'est ici que sont réunis les prétendants à l'Ordre des Voyageurs avant d'entamer leur périple initiatique. »
Galaniel demeurait perplexe. Alyne se sentit obligée de lui fournir des informations supplémentaires.
« Dans notre monde, une série d'épreuves est organisée à chaque décade, afin de choisir une prétendante. Le Matayella lui remet ensuite une Pierre d'Origine. »
L'œuf grisâtre se matérialisa dans l'esprit de Galaniel. Deux orifices de pierre restaient fermés et ressemblaient à des yeux endormis. L'objet était similaire à celui qu'il avait dérobé au Général Chef. C'étaient ces Pierres qui conféraient leurs pouvoirs aux Voyageurs.
« Si vous êtes ici, c'est forcément que vous en avez une, vous aussi. »
Galaniel acquiesça.
« Et... en quoi consiste exactement cet Ordre des Voyageurs ? » Demanda-t-il.
Alyne marqua son étonnement face à cette question, comme si elle croyait la réponse à la portée du premier venu.
« À veiller sur les différents mondes sous l'égide de la Grande Déesse, bien sûr... Mais comment avez-vous pu être choisi si vous en ignorez tout ?
— Tout s'est passé très vite, se défendit Galaniel. Je n'ai pas vraiment eu le temps de réaliser ce qui m'arrivait. Nous allons rester encore longtemps dans cet endroit ?
— Nous attendrons le temps que la Grande Déesse juge nécessaire. » Lui répondit-elle, non sans une pointe de dévotion.
Galaniel sentit l'esprit d'Alyne s'effacer, et commencer à se retirer du sien. Le contact mental lui requérait un effort conséquent. Elle devait déployer une attention de tous les instants afin de ne pas agresser par inadvertance l'esprit du jeune homme.
Le Shawnien rouvrit les yeux, puis s'assit sur le sol rigide, bien décidé à prendre son mal en patience. Ses doigts se refermèrent sur la Pierre d'Origine qu'il possédait désormais. Rien ne la distinguait d'un vulgaire caillou si ce n'était cette aura étrange qu'il semblait percevoir. Ou peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination maintenant qu'il savait ce qu'elle signifiait.
Penser à la Pierre le ramena au Général Chef, à la bataille sur Oriale, et la mort de Zawhyk. Galaniel fronça les sourcils.
Je suis le voyageur Zawhyk Dremana Espan.
N'était-ce pas les mots mêmes que son père avait hurlés ? Pris dans le tumulte des combats, il s'était à peine étonné de ce qualificatif. Combattant, guerrier, ou meneur auraient sans doute été mieux appropriés ; mais Zawhyk avait préféré se qualifier de voyageur. Certes, le Shawnien avait effectué de nombreuses excursions sur sa planète natale, mais aussi Zyx, ou même Oriale. Cependant, plus Galaniel y pensait, et plus il était persuadé que son père avait un lien avec l'Ordre des Voyageurs. Peut-être en avait-il même fait partie.
Cela permettait au moins d'expliquer la magie dont il avait fait usage au cours de la bataille. Mais dans ce cas pourquoi ne pas lui en avoir parlé de son vivant ? S'il avait été lui aussi en possession d'une Pierre d'Origine, il ne le lui avait jamais révélé. C'était même la première fois que Galaniel entendait parler d'un tel objet.
Il abandonna finalement ces préoccupations pour s'interroger au sujet de cet Ordre dans lequel le destin l'avait précipité. De même, il se demanda en quoi consisterait le périple initiatique dont Alyne avait fait mention.
Et le temps s'écoula.
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