III-2 : Les loups dans l'arène


L'annonce jeta un froid sur l'assemblée. Il s'agissait d'un sujet malheureux mais qu'ils seraient obligés de traiter. C'était cette nation qui avait défié le Général Chef malgré son hégémonie. C'était contre cette nation dissidente que tous les autres Généraux avaient mené leurs armées, sous l'égide de Sméarn Pteï. La capitale avait été détruite en moins d'une nuit, écrasée par le nombre. Mais c'était durant cette même nuit que le Général Chef avait trouvé la mort. Des combattants d'une autre planète avaient réussi leur attentat et plongé la lune d'Oriale dans ce vaste chaos politique.

Les traits de Zagnar s'étaient durcis, tandis que les membres de l'assistance se faisaient indécis.

« C'est le seul territoire dont vous ne m'avez pas encore parlé. Son armée a été quasiment anéantie il y a quelques jours dans le cadre de l'Alliance. Seulement, la mort de mon père a sonné la fin de cette opération. Cela leur donne l'occasion de reprendre des forces et de continuer à nous braver.

— En effet.

— Nous ne pouvons pas laisser un tel affront rester impuni sans perdre la face devant les autres Généraux, continua-t-il.

— Autrement dit, vous voulez... venger votre père ? »

Zagnar se retourna, avant de poser ses mains sur la table et de plonger son regard dans celui du Commandant. Ses yeux se voulaient calmes et déterminés mais trahissaient une certaine nervosité.

« Ce que je veux, répondit-il, c'est conserver à notre nation le rôle de leader et rétablir l'ordre sur cette lune. Si nous voulons y parvenir, il va falloir nous préparer à l'offensive. Pour commencer, faire taire le Neelhan qui je le rappelle est la cause de nos problèmes.

— Si vous faites intervenir notre armée, les Généraux frontaliers croiront notre pays vulnérable et risquent de se montrer agressifs. »

Zagnar se mit à arpenter la salle. Son défunt père l'avait lui-même initié à la stratégie militaire. Néanmoins, ce n'était qu'aujourd'hui qu'il pouvait se rendre compte des répercussions qu'impliqueraient de tels choix. L'avenir de tout Kalendor, et même d'Oriale, dépendrait de ses décisions.

« Évidemment qu'ils vont attaquer, se convainquit-il. Ils auront l'impression que je m'apprête à dégarnir mes frontières. »

Il s'avança vers la carte.

« Je ne compte pas envoyer toute notre armée... au maximum un quart, sans doute un cinquième. Le reste suffira pour protéger nos frontières, je pense.

— D'ici là, le Neelhan aura regroupé ses forces. Ce ne sera pas évident de l'emporter avec des effectifs aussi réduits. Nous aurons vingt fois moins de troupes à disposition que lors de la précédente invasion.

— Cela ne posera pas de difficulté si Rhampsodis nous prête l'aide militaire qu'il nous a promise. Je le contacterai à l'instant pour entériner cet accord. Ce fut un allié fidèle de mon père, et l'on peut lui faire confiance. Avec cet appui, je compte sur vous, Commandant, pour venir à bout de ces scélérats.

— Il sera fait comme vous le désirez, Général. »

Zagnar eut un sourire satisfait avant de poursuivre.

« Pour ma part, je me posterai dans le sud-ouest de notre nation afin de défendre nos frontières en personne. Si Octale ou le Prince Bleu veulent venir, eh bien qu'ils viennent ! Ils trouveront à qui parler ! »

Une ovation réjouie accueillit son enthousiasme. Il ne reprit la parole que lorsqu'elle s'estompa.

« Maintenant, vous devez savoir que ma sœur, Arcale, dirigera la capitale et s'occupera des affaires courantes durant mon absence. J'entends que vous lui obéissiez tous comme à moi-même. Sachez que je n'aurai aucune tolérance envers le moindre écart, est-ce bien clair ? »

L'assistance acquiesça dans un murmure tandis qu'il continuait.

« En outre, sachez que je la reconnais comme mon successeur légitime au titre de Général de Kalendor. Comme mon père, il n'est pas impossible que je vienne à tomber un jour au champ d'honneur. Si c'était le cas, j'espère que vous comprendrez l'inutilité d'une guerre de succession stérile. »

Tous les regards se portèrent vers Arcale. La jeune femme ne put s'empêcher de rougir face à l'attention qu'elle suscitait.

« C'est beaucoup d'honneur pour moi, articula-t-elle. Je ferai tout mon possible afin de m'en montrer digne, et participer de mon mieux à la réussite de ton règne. »

Zagnar esquissa un sourire satisfait puis se tourna vers plusieurs responsables.

« Établissez-moi la liaison avec Rhampsodis Ragl. Je compte l'inviter ici même comme il se doit, avec tout le faste et les honneurs possibles. Vous serez chargés de ces préparatifs que je superviserai en personne. Quant à vous, je veux un dossier complet sur mon bureau dès ce soir sur le détail de nos forces militaires. Je m'occuperai de leurs ordres de transfert vers nos frontières et pour l'opération au Neelhan. »

Il pivota ensuite vers le Commandant de la garde noire.

« Je vous confie le commandement de la coalition qui envahira le Neelhan. Ne me décevez pas.

— Ma lame est à votre service, s'inclina-t-il. Je n'aurai qu'une seule question : quel sort devrai-je réserver au Général et sa famille lorsqu'ils seront à notre merci ? »

Les poings de Zagnar se fermèrent. Ses yeux aux sourcils broussailleux se froncèrent.

« Le nouveau Général de Neelhan... Le frère même de celui qui s'était révolté contre mon père...

— Le tuer ne servirait à rien, commenta sa sœur. Au contraire, ce ne serait qu'un symbole d'autant plus fort s'il te reconnaissait en tant que Général Chef.

— Permettez-moi d'exprimer mon désaccord, Général, intervint le Commandant. Il faudrait au contraire éliminer cette famille et plonger leur pays dans un chaos politique total. Les autres Généraux ne nous en craindront que d'autant plus, et réfléchiront à deux fois avant de se dresser face à nous. La peur a toujours été un argument bien plus percutant que la mansuétude. Les Généraux eux-mêmes ne sont que des humains. Beaucoup d'entre eux feront preuve de la même lâcheté que leurs semblables. »

Zagnar leur fit signe de se taire. La mort de son père l'avait bouleversé, même s'il ne voulait rien en laisser paraître. Il ne voulait pas avoir à le remplacer si tôt ; il ne se sentait pas encore prêt pour cela. Mais il fallait bien un nouveau guide pour Kalendor, et Oriale.

Fermal Eclarian, le Général du Neelhan, était lui-même mort au cours de cette nuit fatidique. Son frère Xeo, qui n'avait pas participé à la bataille de Sif, avait alors pris sa succession.

Ses yeux se posèrent sur sa sœur. Devrait-elle payer un jour de la sorte, si lui-même faisait un jour une faute, aussi grave soit-elle ?

« Détruisez leur armée, reprit-il, anéantissez leurs armes lourdes, démontez et emparez-vous de tout ce que vous pourrez... mais saisissez-vous du Général et de sa famille vivants. Vous les ramènerez ici même à Epithaï. Je statuerai moi-même sur leur sort.

« Mais, Général...

— Je veux savoir pourquoi ils se sont révoltés, le coupa-t-il d'un ton glacial. Quel était leur but, leur objectif, si ce n'était de mener leur pays à sa perte.

— Votre père n'aurait pas décidé cela, protesta le Commandant.

— Je ne suis pas mon père ! Seuls mes ordres comptent, maintenant ; et qu'ils vous plaisent ou non, j'entends que vous les respectiez. »

Le Commandant soutint un instant le regard de Zagnar, avant d'opiner de la tête, en signe d'obéissance.

« Ainsi soit-il, alors. »

Zagnar se dressa vers l'assemblée. Sa sœur lui souriait, confiante.

« Mesdames et messieurs, les cartes sont distribuées, à nous désormais de remporter la partie ! »


Epithaï, sept jours après la mort du Général Chef

Rhampsodis s'avança d'un pas lent et mesuré, suivi par de hauts dignitaires. Colosse aux muscles épais, il arborait pour l'occasion un costume de cérémonie au blanc impeccable. Sur son crâne rasé et tatoué s'étalaient les emblèmes de son pays.

De part et d'autre s'étendaient des rangées de soldats kalendoriens, dans leurs uniformes noirs caractéristiques. Les troupes étaient au garde-à-vous, immobiles mais attentives.

Le temps semblait comme suspendu. Le Général du Wienskor gravit une à une les marches sombres. Le palais de Kalendor lui faisait désormais face. Sur les épais murs noirs flottaient des drapeaux aux couleurs et insignes des deux peuples.

Le nouveau Général de Kalendor, Zagnar Pteï, l'attendait en personne. Des insignes dorés flamboyants recouvraient son épais costume noir, comme pour rappeler son rang. Sur le côté, un fourreau d'ivoire accueillait une épée à la poignée ouvragée.

Le jeune homme ressemblait beaucoup à son père, qu'avait connu, craint, et admiré Rhampsodis. Silhouette élancée, menton relevé avec fierté, nez d'aigle, yeux perçants, et cheveux très blonds coupés à ras.

Ses deux sœurs l'encadraient, elles aussi en costumes de cérémonie éclatants, Arcale et Astiana. La première, grande, mince, les cheveux noirs coupés à hauteur des épaules. Elle portait un complet bleu marine très sombre, agrémenté de quelques diamants discrets. La seconde, plus petite, plus juvénile. Sa longue chevelure blonde retombait en cascade sur sa robe blanche garnie de dentelles. Des bracelets dorés apparaissaient sur ses poignets fins.

En retrait, un petit homme au visage fermé observait la scène. Une longue balafre traversait son visage pour lui fermer un œil à moitié. Paré de médailles, son uniforme noir et or faisait de lui le Commandant de la garde noire. D'autres dignitaires suivaient, plus avenants et accueillants, dans leurs costumes respectifs.

Zagnar se détacha du groupe pour tendre la main à Rhampsodis.

« Général du Wienskor, et avant tout très cher ami, c'est pour moi une grande joie que de vous accueillir en ce jour béni. Puisse votre séjour dans notre modeste contrée vous être agréable. »

Rhampsodis esquissa un sourire édenté, et empoigna la main de Zagnar.

« Tout le plaisir est pour moi, Général. Sachez que vous recevrez le soutien que je vous ai promis dans les plus brefs délais. Vous êtes le digne successeur de feu votre père, Sméarn Pteï, et je vous reconnais officiellement en tant que Général Chef. J'espère bien que les autres Généraux auront bientôt la présence d'esprit de faire de même. »


C'est dans la nuit du septième au huitième jour après la mort de Sméarn Pteï, quarante-sixième Général Chef d'Oriale, que Rhampsodis Ragl, Général du Wienskor, prêta officiellement allégeance à Zagnar Pteï, Général de Kalendor. Cet événement constitua la première reconnaissance au titre de Général Chef de la guerre qui s'ensuivit. Le conflit ne pouvait désormais prendre fin que lorsque tous les Généraux auraient prêté serment à l'un d'entre eux.

Le lendemain même, Nadèle Nbremala, Général du Furthyr, signait un pacte de non-agression avec le Général d'Orcalie, en échange de quelques territoires au nord de son pays. Elle signa de même un pacte de paix avec l'Ostrie dont les regards avides se tournaient vers l'Orcalie. L'attention du Furthyr se reporta alors vers les deux enclaves brocéliennes, au nord-ouest de ses terres, ainsi que les îles proches.

Dans les jours qui suivirent, Octale Zdalavitch, Général de Brocélie, lança une invasion de grande envergure sur les frontières occidentales de Kalendor. Le pays envahissait quant à lui déjà le Neelhan, appuyé par son allié wienskrois. De son côté, l'Orcalie postait ses troupes aux frontières des deux belligérants.

Le jeu des alliances et des invasions ne faisait que commencer.

Hupias Ecterian, L'Arrivée au pouvoir du 47ème Général Chef d'Oriale


Poste de frontière kalendorien, quatorze jours après la mort du Général Chef

La femme en armure rouge contempla les décombres du campement fumant. Ses mains gantées se refermèrent sur une longue lame ensanglantée.

À ses côtés, la garde rouge, la garde d'élite de Brocélie, avait assuré sa sécurité toute la nuit durant.

Autour d'eux, l'avant-poste kalendorien n'était plus que ruines. Des cratères boueux défiguraient l'ensemble du camp, résultats d'une série de bombardements acharnés. Les lourds canons de défense gisaient au sol, brisés. Les baraquements saccagés en devenaient méconnaissables.

Aux tirs de missiles et de mitraille intensifs de la nuit avait désormais succédé un silence pesant, un silence de mort.

Incapables de tenir tête face à un tel déluge, leurs opposants avaient préféré se retirer, en vaincus. Seuls les vaisseaux brocéliens au rouge vif et aux silhouettes élancées caractéristiques sillonnaient désormais le ciel. Les vaisseaux noirs kalendoriens qui ne s'étaient pas repliés à temps gisaient maintenant ça et là. Leurs carcasses fumantes rejoignaient celles des autres machines de guerres démantibulées.

Les chars rouges avaient ensuite écrasé toute résistance. Machines de guerre implacables, à l'épaisse cuirasse, et aux triple tourelles lourdes et dévastatrices.

Désormais, les points stratégiques étaient sécurisés. Seuls des bataillons légers s'occupaient encore d'achever les derniers îlots de résistance.

Une grande femme aux cheveux noirs coupés courts s'approcha d'elle. Ses insignes faisaient d'elle le Commandant de la garde rouge, son bras droit.

Esmène Vlata lui fit part de l'information, ou plutôt de la confirmation tant attendue. Il ne restait plus le moindre Kalendorien en état de nuire dans le campement. Ceux qui ne s'étaient pas enfuis étaient tous morts ou capturés. L'avant-poste était désormais sous contrôle brocélien.

Octale retira son casque aux trois longues pointes acérées. Sa longue crinière rousse retomba sur ses épaules recouvertes d'écailles écarlates. Sur sa tête scintillait son A.O.M. personnel, diadème de rubis étincelant.

Elle se tourna vers ses troupes, le regard pétillant. Derrière elle, l'aurore l'irradiait de ses feux vermeils. Enthousiaste, elle brandit sa lame ensanglantée dans la lumière naissante.

« Soldats, nous serons les premiers à Epithaï ! »

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