III-1 : Les loups dans l'arène


Sept Généraux règnent sur Oriale, chacun à la tête d'une nation de son unique continent. Cependant il est de tradition que les Généraux choisissent l'un d'entre eux afin de lui donner autorité sur la lune toute entière. Ce dernier joue ainsi le rôle de représentant pour toute affaire extérieure. Il peut aussi s'impliquer dans la politique des six autres Généraux, mais sans remettre en cause leur légitimité.

Ce Général, qui prend alors le titre de Général Chef, doit être désigné par ses pairs à l'unanimité. Parfois, l'un d'entre eux est suffisamment populaire et apprécié (ou craint et respecté) et la désignation peut s'effectuer à l'amiable. D'autres fois, les Généraux restent divisés en plusieurs camps. Il n'est alors pas rare que leur conflit politique prenne une tournure militaire.

Hupias Ecterian, Mœurs et coutumes d'Oriale la méconnue


Lune d'Oriale, Epithaï, deux jours après la mort du Général Chef

« Mes concitoyens, amis et frères ; comme vous le savez déjà, notre bien-aimé Général Chef, Sméarn Pteï, est décédé au cours d'un lâche guet-apens. Les instigateurs de ce crime odieux regroupent aussi bien la nation félonne du Neelhan, que des étrangers shawniens, maudits soient-ils.

Comme vous, je ne peux que rester sans voix devant un meurtre d'une telle cruauté. Le Général Chef a été de son vivant un guide infaillible, un stratège avisé, un souverain juste. J'espère qu'il a représenté à vos yeux la même image que celle du père bienveillant qu'il a été pour moi durant toutes ces années.

C'était un homme d'une grande valeur, aux convictions sincères et franches. Il ne pliait jamais devant l'adversité, soucieux qu'il fût de hisser notre nation au rang glorieux qui lui était dû. S'il est mort, ce ne doit pas être en vain, son œuvre dans laquelle il a investi tant d'efforts ne doit pas être oubliée, son nom ne doit pas être effacé. Au contraire ; il en va de notre devoir de perpétuer le combat dans lequel il s'était engagé, de poursuivre l'œuvre dans laquelle il s'était si durement investi.

Aujourd'hui, je me présente devant vous pour achever le travail qu'il avait entamé, ce travail que de fatales circonstances ont interrompu. Je me présente devant vous, conscient des difficultés et embûches qui se dresseront sur ma route, sur notre route. Néanmoins, je sais que nous parviendrons à les surmonter, je sais que nous continuerons de dresser le flambeau qu'il nous a légué.

Sachez aussi que je montrerai la plus grande fermeté vis à vis de ceux qui veulent faire basculer notre monde dans le chaos. En seulement deux jours, des événements graves se sont succédés, animés par ces mêmes agitateurs aux viles intentions. L'Alliance que menait notre vénéré Général Chef a été brisée, et des émeutes sont apparues au sein même de notre nation. Des Généraux avides de pouvoir en ont profité pour trahir l'ordre établi, et fouler aux pieds les valeurs et préceptes qui nous étaient si chers.

Nous ne laisserons pas se perpétrer impunément de tels actes ! De tels crimes ne resteront pas impunis ! Les Généraux félons et leurs complices seront châtiés ! Et la mémoire de notre vénéré maître préservée.

C'est en ce jour à mon goût beaucoup trop prématuré que je succède officiellement à mon père. C'est en ce jour que je prends la tête de cette nation, aussi chère pour moi qu'elle ne l'a été pour lui. Je m'engage devant vous tous réunis à poursuivre ses projets et de faire de mon mieux afin de lui rendre honneur. Par ce serment, je m'engage à vénérer, chérir et faire prospérer la glorieuse nation de Kalendor, et ce, quel qu'en soit le prix à payer, y compris mon propre détriment.

Je m'incline devant vous aujourd'hui avec humilité, dans l'espoir de réussir à être à la hauteur de la tâche titanesque qui m'incombe. Mais, quoi qu'il en soit, je vous jure solennellement que je mettrai tout en œuvre, que je me battrai de toutes mes forces, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir afin d'y parvenir. J'espère un jour pouvoir représenter pour vous la même image du Général aussi brillant et admirable qu'avait été mon père.

Gloire et honneur à Kalendor ! »

Discours de Zagnar Pteï, quinzième Général de Kalendor, prononcé au cours de son intronisation devant le peuple


Zagnar pénétra dans la pièce. De part et d'autre, les murs étaient recouverts de portraits à la gloire de son père et ses prédécesseurs. Il jeta un regard attristé sur le bureau de bois sculpté, au fond de la pièce. Le meuble débordait de monceaux d'ouvrages, parchemins hétéroclites, relevés importants, secrets tactiques et autres lettres officielles. C'était ici que son père avait pris de nombreuses décisions, du temps de son règne. Désormais, ce serait à son tour d'occuper ce poste, à son tour de s'asseoir dans ce fauteuil dans lequel tant d'autres l'avaient précédé.

Il s'approcha d'une grande table circulaire ouvragée posée au centre de la pièce. Une carte de la lune d'Oriale avait été gravée à sa surface. Les rayons de lumière traversaient les vitraux bigarrés et venaient faire scintiller son métal poli.

De hauts dignitaires s'affairaient, et s'échangeaient des papiers, des propos ou bien des prévisions plus ou moins convaincantes. Zagnar les dévisagea de ses yeux d'aigle. Il les connaissait déjà presque tous, et restait convaincu de leur loyauté. Après tout, ils en avaient déjà fait preuve à l'égard de son père.

Son arrivée fut remarquée par une jeune femme. Les cheveux noirs coupés courts, le costume au ton bleu très sombre, elle interrompit aussitôt sa conversation animée.

« Longue vie et prospérité à notre nouveau Général ! »

Elle s'inclina pour le saluer, suivie des autres dignitaires qui de même coupèrent net leurs discussions.

« Mes amis, articula Zagnar, embarrassé, je vous remercie du soutien que vous m'apportez dans ce moment délicat. »

Son regard tomba sur les liasses de papier que plusieurs tenaient à la main.

« Vous vous êtes déjà remis au travail ?

— Nous n'attendions plus que ta venue, répondit la femme. Nous sommes impatients de tes premières décisions en tant que Général, et futur Général Chef. »

Zagnar esquissa un sourire.

« Comment ont réagi les autres Généraux ? »

Un homme se détacha des autres, le teint blafard, les yeux vitreux, et les cheveux décolorés. Une cicatrice traversait son visage sur presque toute sa hauteur, et lui fermait à moitié un œil. Il portait son uniforme noir dont les insignes dorés rappelaient à tous son rang de Commandant de la garde noire. Cela faisait de lui le bras droit du Général, un poste qu'il occupait depuis plus de quinze ans, sur décision de Sméarn Pteï. Malgré des antécédents troubles et incertains, ses états de service restaient irréprochables. Il avait enterré son nom comme son passé le jour de son entrée dans la garde noire. Tous se référaient désormais à lui comme "le Commandant", y compris en dehors des frontières de Kalendor.

« La situation est délicate sans être désespérée, répondit-il. Les Généraux hésitent à vous reconnaître comme successeur digne au titre de Général Chef, et dénoncent principalement votre jeunesse et votre inexpérience.

— C'était malheureusement à prévoir. Les Généraux se soucient actuellement moins de l'avenir et de la gloire d'Oriale que de leurs intérêts personnels.

— Il vous a été relativement facile de vous proclamer Général de Kalendor. Néanmoins, cela risque de ne pas être la même chose pour le titre de Général Chef.

— Je ne peux que remercier mon père de m'avoir déjà désigné en tant que successeur de Kalendor. Tous les Généraux n'ont pas cette présence d'esprit.

— Je ne peux que reconnaître l'inutilité d'une éventuelle guerre de succession. Nous aurons déjà bien assez de mal à faire reconnaître nos droits sans devoir en plus nous préoccuper de notre situation intérieure. Il n'est pas rare cependant que les membres d'une même famille s'entretuent dans l'espoir d'accéder au titre de Général. »

Son regard étrange se porta avec une expression indéfinissable sur la femme qui avait salué l'arrivée de Zagnar.

« Ma sœur et moi apportons toutes deux notre soutien indéfectible à notre frère, l'assura-t-elle. Ce n'est qu'ensemble que nous parviendrons à triompher de nos ennemis. Nous ne faisons ainsi que respecter la volonté de feu notre père. Et puis, en dehors de ces raisons politiques, nous n'oublions bien sûr pas les liens familiaux et sentimentaux qui nous unissent.

— Et c'est tout à votre honneur, Arcale, s'inclina le Commandant.

— Nous sommes entre personnes de confiance, assura Zagnar. Si vous pouviez donc continuer de m'informer au sujet de la situation extérieure...

— Bien entendu. Un Général nous a néanmoins contactés dès l'annonce de votre intronisation, à savoir Rhampsodis Ragl. Il m'a ainsi fait entendre qu'il était prêt à vous reconnaître en tant que Général Chef. Il n'attendait que la fin de votre intronisation afin de pouvoir officialiser ces déclarations. Il espère aussi que ses aides militaire et politique seront pour vous des ressources appréciables dans la guerre qui se présage.

— Je suis heureux de voir qu'il en est au moins un qui soit resté fidèle à notre cause. Sinon, pas d'autre réaction semblable de la part des autres Généraux ?

— Hélas non, les cinq autres se sont montrés au mieux indifférents, au pire hostiles à votre succession. Les Généraux d'Ostrie et du Furthyr, Mang Tsalan Xersang et Nadèle Nbremala, semblent faire mine pour l'instant que vous n'existez pas. Ils ne se sont pas permis la moindre remarque sur votre intronisation à la tête de Kalendor. Ces Généraux ne vous considèrent pour l'instant ni comme un allié, ni comme un ennemi. Ils n'ont de toute façon de frontière commune avec nous. Leur principale préoccupation risque d'être leurs plus proches voisins.

— Si mes souvenirs sont exacts, Mang Tsalan Xersang avait constitué un adversaire acharné lors de la dernière guerre d'Oriale. Il a toujours affirmé qu'il aurait pu la remporter s'il n'y avait pas eu mon père pour lui prendre la place de Général Chef. Nul doute qu'il cherchera à prendre sa revanche.

— Vous avez tout à fait raison, mais la donne a beaucoup changé depuis la dernière guerre. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que ce Général soit toujours capable de s'en rendre compte avec discernement.

« Pour en revenir aux autres Généraux, Octale Zdalavitch s'est montré assez vive au sujet de votre succession. Plusieurs escarmouches ont déjà eu lieu à nos frontières. Certains vaisseaux ont tenté de s'infiltrer pour bombarder avec plus ou moins de succès plusieurs points stratégiques. Elle n'a pour l'instant mené aucune action de grande envergure, mais nos observateurs ont relevé d'importants mouvements de troupes. À court terme, nos frontières de l'ouest sont donc menacées.

« Au sud, en revanche, le Prince Bleu est resté coi, mais cela ne durera sans doute pas. Sachez qu'il ne vous apporte pas son soutien. Il a fait renforcer les défenses de ses postes frontières et verrouiller tous les accès à son pays. À long terme, il pourrait profiter de la situation pour grignoter des territoires du sud.

— À vrai dire, ce pays me préoccupe quelque peu. Son armée est en nombre la plus importante de toutes celles des Généraux d'Oriale.

— L'Orcalie possède en effet de puissantes ressources ainsi qu'une armée et une population d'importances. Seulement, ces atouts sont aussi à double tranchant. Les autres Généraux se méfient donc d'elle plus que les autres. Parfois, ils l'attaquent en priorité, et sont peu enclins à effectuer des alliances stratégiques avec elle. Pour l'heure, le Prince Bleu semble proposer des traités de paix à ses voisins en échange de terres.

— Je vois, il peut être tentant de s'assurer d'abord une trêve avec cette nation. Cela permet ensuite de concentrer ses forces contre les autres Généraux...

— Ce sera à vous seul d'en décider, mais réfléchissez toujours bien aux conséquences de vos actes.

— Je ne compte m'incliner devant aucune nation, aussi puissante soit-elle. J'instaurerai un pouvoir fort, qui ne pliera devant aucune intervention étrangère. »

Zagnar se mit à arpenter la pièce, pensif.

« En premier lieu, et avant même de s'occuper de ces Généraux, il faut aborder le problème du Neelhan. »

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