II-1 : Le dernier Titan


Les Titans sont des créatures légendaires dont les Dieux Anciens ont triomphé afin d'assurer leur pouvoir. Si la plupart ont été anéantis au cours du Ragnarok, il en existe un, du nom de Raghlöor, qui ait reconnu la suprématie de la Lumière, et qui depuis des temps immémoriaux teste la valeur et la bravoure de ceux qui osent se mesurer à lui. Son épreuve est une condition nécessaire afin de pouvoir devenir un Archange de la Lumière.

Grand Livre de la Lumière, chapitre 13, verset 2


Planète Zyx, Barcad, deux semaines avant la mort du Général Chef

Stakis effleura de ses doigts le panneau à reconnaissance tactile de son appartement. La porte coulissante se releva sans le moindre bruit et se referma juste après son passage.

Il jeta sans ménagement son veston sur un canapé confortable à trois places puis ouvrit un réfrigérateur encastré dans le mur. Sa main plongea dans l'ouverture glaciale pour en ressortir un flacon pyramidal qu'il déboucha aussitôt.

Sa boisson à la main, il balaya d'un coup d'œil le modeste deux pièces dans lequel il vivait. Des notes griffonnées, des bibelots, des boites triangulaires de jeux vidéo envahissaient son unique table. Des didacticiels informatiques dépassés ainsi que des encyclopédies s'y agglutinaient à leur tour dans la plus parfaite anarchie.

Dans un recoin traînait un parchemin rougi par des signes cabalistiques. À ses côtés, des flacons d'encre et des fusains accompagnaient une anachronique plume d'oie.

Stakis poussa du pied les emballages abandonnés qui traînaient à même le sol. Entre deux traités de philosophie, se cachaient de vieilles puces et autres constituants électroniques en cours de bricolage. Plus loin trônait un laser démonté, résultat d'une nuit en quête d'inspiration pour ses œuvres poétiques et littéraires.

Il sirota sa boisson et posa son regard sur un mur recouvert d'affiches de films et d'emblèmes politiques méconnus. Par-dessus venaient se rajouter des notes manuscrites, des textes et images imprimés, ainsi que des symboles ésotériques.

Stakis chassa une pile envahissante de musique underground, puis s'affala dans son canapé. Les albums allèrent rejoindre un grimoire annoté découvert par hasard dans une décharge publique.

Il claqua trois fois des doigts. Un hologramme se précisa en face de lui, en plein centre du chaos de la pièce. Il s'agissait d'un tableau qui regroupait toutes les chaînes de diffusion. Sans hésiter, son doigt traversa l'une des cases. Une journaliste virtuelle apparut aussitôt pour relater les dernières informations d'intérêt.

« Malgré les efforts de nos ambassadeurs, le Général Chef d'Oriale, Sméarn Pteï continue de refuser la prolongation du traité de paix décennal. Depuis une heure, il a ainsi lancé un ultimatum à notre Fédération, afin qu'elle se place sous sa 'protection' dans les quinze jours. Le Président de la Fédération, soutenu par Karl, a répliqué avec la plus grande fermeté, malgré le risque d'une escalade. Voulez-vous plus de précisions sur les moyens de défense de Zyx ou accéder à une autre information ? »

Stakis avait déjà eu connaissance de ces informations. Le Général Chef était devenu le principal sujet de conversation sur Zyx depuis le début la crise, quelques jours plus tôt. À l'annonce de ces nouvelles, les marchés avaient vu leurs cours s'effondrer, et un véritable vent de panique avait balayé la planète. Bien que technologiquement supérieure, la Fédération ne disposait en effet pas d'armée. Jusqu'ici, elle n'avait maintenu la paix que par la diplomatie, ou en échange de plans d'aide économique ou technologique.

Sméarn Pteï lui-même avait signé un traité de paix décennal avec Zyx peu avant son arrivée au pouvoir. Néanmoins, le Général Chef ne l'avait jamais renouvelé.

Et le traité devenait caduc dans quinze jours.

L'hologramme avait laissé place à des spots télévisés personnalisés en attendant la réponse de Stakis. Des slogans qui vantaient la marque de nettoyage express 'Labull', une nouvelle boisson fruitée au goût 'exceptionnel', ainsi que d'anciens composants électroniques vendus au rabais.

La journaliste réapparut sans prévenir, pour stopper net le déluge d'informations publicitaires.

« Information de dernière minute, annonça-t-elle. Nous venons d'apprendre qu'un des Généraux d'Oriale, en l'occurrence le Général du Neelhan, serait décédé en des circonstances troubles. Son fils, Fermal Eclarian, aurait aussitôt pris sa succession et se serait refusé à toute allégeance vis à vis du Général Chef. De fait, il entrerait ainsi en rébellion ouverte vis à vis du pouvoir central d'Oriale.

« En parallèle, Karl a fait savoir que des vaisseaux de transport étaient en route depuis Shawn. Il pourrait s'agir des vaisseaux offerts à un combattant de cette planète, quelques jours plus tôt. Son nom complet nous a enfin été dévoilé : Zawhyk Dremana Espan. »

Stakis faillit s'étouffer alors qu'il avalait une nouvelle gorgée de sa boisson. Espan ? Le même nom de famille que Galaniel ! Galaniel, qui était retourné sur sa planète d'origine alors qu'éclatait la crise avec la lune ! Et voilà que maintenant la planète Shawn s'apprêtait à prendre part au conflit qui se déroulerait sur Oriale !

Stakis se souvenait de l'arrivée de cet homme mystérieux du nom de Zawhyk. Originaire de Shawn, il avait pris part à l'Assemblée à une entrevue qui n'avait pas été retransmise. Cela avait effectivement donné lieu à l'offre controversée d'une poignée de vaisseaux de transport zyssiens. Néanmoins, jamais Stakis n'aurait pensé qu'ils pussent être utilisés de la sorte.

Il repensa à Galaniel, qui avait quitté Zyx alors que des rumeurs inquiétantes commençaient à se propager. Il était plus que probable qu'il l'ait fait pour prendre part à ce combat que nul ici n'avait su voir venir. Sans doute avait-il été motivé par ce Zawhyk, qui semblait disposer d'une bien meilleure information que les Zyssiens.

Stakis claqua des doigts, contrarié. L'hologramme se dissipa aussitôt. Le souvenir de Galaniel le tourmentait. Il était doué, prometteur, tandis que la planète de naissance et l'âge concordaient. Sans doute était-il un peu plus âgé que prévu, mais difficile de savoir avec certitude. Il l'avait laissé partir avant d'être sûr, avant de pouvoir être définitivement sûr.

Son regard tomba sur une plaquette plastifiée qu'il ramassa. Un jeu vidéo, le Défi des Maîtres du Combat. Un jeu de combat aussi proche de la réalité que l'on pouvait l'être. Un jeu dans lequel une parfaite connaissance des arts martiaux et du maniement des armes était requise pour triompher. Ce réalisme exacerbé avait toutefois aussi beaucoup contribué à l'insuccès du jeu. Les joueurs actuels préféraient la plupart du temps pulvériser des hordes d'aliens à grand renforts de pistolasers.

Malgré quelques difficultés compréhensibles, Galaniel y avait fait preuve d'une habileté remarquable. Il avait réussi à passer presque tous les Maîtres du combat. Seul restait un cyborg, dont les vainqueurs – s'il y en avait – devaient se compter sur les doigts de la main.

Stakis passa la main dans ses longs cheveux blonds ébouriffés, et posa son regard sur un insigne affiché sur un mur. Un cercle surmonté de deux lignes qui partaient de son centre pour former un V qui dépassait des bords du cercle. Le symbole des Chevaliers Oniriques.

Contre toutes ses attentes, cependant, Galaniel ne l'avait jamais reconnu. Il ne l'avait même jamais remarqué, parmi les posters hétéroclites qui garnissaient les murs. Ne l'aurait-il pourtant pas dû, s'il était vraiment Celui qui avait annoncé son retour, Celui qu'ils attendaient toujours ?

Mais peut-être avait-il besoin de temps pour reconnaître ce signe de ralliement. Peut-être sa mémoire ne s'était-elle pas aussi bien conservée que ce qu'il avait prévu. Peut-être le Rituel avait-il été en partie altéré par ses ennemis, vingt ans auparavant.

Une autre explication plausible lui traversa l'esprit. Galaniel, s'il était bel et bien celui qu'il croyait et qu'il espérait, aurait très bien pu se méfier de lui. Après tout, les informations dont avaient disposé leurs adversaires vingt ans de cela étaient difficiles à expliquer. Les événements qui s'étaient déroulés pouvaient même remettre en question la probité d'un ou plusieurs Chevaliers Oniriques.

Stakis soupira. Il était à peine né à cette époque, mais cela ne le rendait pas fiable pour autant. Leurs ennemis étaient partout ; mieux valait faire confiance au moins de personnes possibles.

Maintenant, Galaniel allait sans doute être amené à affronter l'armée du Général Chef au péril de sa vie. Stakis ferma les yeux. Cela ne faisait que renforcer sa conviction. Que Galaniel le sache déjà ou non, qu'il lui fasse confiance ou non, il ne pouvait être que l'Élu. Tôt ou tard, il reviendrait guider les Chevaliers Oniriques, comme il l'avait fait avant sa mort.

Tout cela à condition qu'il ne meure pas maintenant. Stakis soupira de nouveau. Ce qui était fait était fait, il était de toute façon trop tard pour le changer. Il adressa une prière silencieuse afin de revoir Galaniel le plus tôt possible, puis sortit de son appartement afin de se changer les idées.


Lieu indéfini, quelques secondes après la mort du Général Chef

Galaniel observait avec étonnement le lieu dans lequel il se trouvait désormais. Il flottait dans un long couloir, irradié par une lumière blanche surnaturelle. Il avait la sensation d'avancer, comme entraîné par une force irrésistible. Encore que le terme d'avancée se faisait difficile à définir. Ses yeux ne lui renvoyaient à l'infini que des images identiques et se faisaient incapables de confirmer une quelconque progression.

Il sentit une chaleur apaisante l'envahir peu à peu puis se dissiper aussi vite qu'elle était venue. Il porta la main à son bras gauche qui s'était blessé auparavant contre un morceau de métal. Il ne restait plus la moindre trace de cet événement, pas même une cicatrice sur sa peau redevenue lisse.

Il se demanda un instant s'il n'était pas mort. Il se remémora la dernière action qu'il avait effectuée avant de se retrouver ici. Il avait enclenché quelque chose sur un objet inconnu, puis le champ de bataille avait disparu dans une lumière insoutenable. Il pouvait très bien avoir amorcé une quelconque grenade même s'il ne parvenait pas à comprendre son action du moment.

Il se rendit compte que sa main droite tenait toujours l'objet ovoïde en question, qui palpitait désormais d'une lueur irréelle. Il ne s'agissait pas d'une arme qui avait précipité sa mort, bien au contraire. Quel que soit le lieu dans lequel il se trouvait, il le préférait de loin au champ de bataille. Les Généraux d'Oriale l'avaient encerclé de leurs armées ; il aurait été fait prisonnier, si ce n'est pire.

La lumière s'atténua jusqu'à ce que le couloir se dissipe. Une grande coupole lui succéda, soutenue par d'innombrables piliers et les arcades que perçaient d'apparentes portes de métal fermées.

Le Shawnien avança sur les dalles de pierre qui pavaient le sol. La salle semblait vide et déserte ; seul un épais rocher trônait en son centre.

Alors que Galaniel s'approchait, les détails se précisèrent pour lui révéler une statue de pierre renforcée de métal. Sans doute devait-elle représenter un quelconque guerrier légendaire, non sans une certaine exagération. La carrure se faisait imposante, les épaules démesurées, et le corps, massif et parallélépipédique. Une tête aplatie était posée sur le buste de la statue. Elle semblait aussi massive, mais restait chétive en comparaison au reste du corps.

Galaniel eut un sourire. L'homme ainsi représenté ne l'avait sans doute pas été pour ses qualités intellectuelles.

Il recula d'un bond, alors que la statue se mettait à frémir.

Ou plutôt la créature, car il ne s'agissait pas d'une statue.

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