I-1 : L'appel

Le Ragnarok mit fin au Deuxième Monde ; Dieux Anciens et Titans s'affrontèrent pour la dernière fois, dans une bataille qui ne connut que des vaincus.

Deux frères s'élevèrent alors, afin de remplacer les divinités déchues.

Ahura Mazda et Ahriman.

Lumière et Ténèbres.

Leur avènement marqua le début du Troisième Monde.

Alors la guerre commença.

Une guerre interposée, les disciples du Clair contre les adorateurs de l'Obscur, les Archanges Blancs contre les Anges Noirs.

Une guerre étouffée, sournoise, parfois masquée, parfois ouverte, mais toujours omniprésente.

La Guerre qui perdure depuis plus de trois mille cycles.

La Grande Prophétesse, Histoire Passée des Trois Mondes


Le ciel noir se zébra de lumière. Alors que l'éclair s'effaçait, un grondement sourd lui répondit au loin.

Galaniel, tout à sa mission, n'y prêta pas la moindre attention. Allongé sur le sol humide, masqué par les buissons qui l'entouraient, sa présence se fondait dans l'obscurité. Depuis le sommet de la colline, il continuait de scruter le campement adverse à l'aide de puissantes lunettes à vision nocturne.

Ce dernier se trouvait être en pleine effervescence. Partout les soldats s'agitaient pour se regrouper en différentes unités, sous les ordres de leurs supérieurs attentifs. Les pilotes rejoignaient leurs vaisseaux légers tandis que les mécaniciens effectuaient d'ultimes vérifications. Le regard de Galaniel se porta en direction du poste de communication principal. Une forêt d'antennes et de paraboles se dressait entre les préfabriqués, non loin du centre de la base.

Des Bazarcs, ces géants mécaniques à quatre bras pilotés par des humains, encadraient les bâtiments de leurs puissantes carrures d'acier. Ils étaient accompagnés par des gardes d'élite en uniforme noir armés jusqu'aux dents et qui s'activaient tout autour. Enfin, des tourelles de tirs automatiques avaient été disposées dans les moindres recoins pour protéger cet objectif stratégique.

Galaniel repéra un nouveau mouvement de troupes au cœur de la base. Les cinq Généraux étaient enfin sortis du bâtiment central, à demi enterré dans le sol. Ils se préparaient à donner l'assaut définitif. Le Général Chef semblait quant à lui se faire attendre.

Ils se séparèrent un à un. Chacun rejoignit son armée respective, en bordure de la base.

Galaniel n'eut que le temps d'en dévisager deux, qui n'avaient pas encore mis leurs casques. Le premier, un colosse au crâne rasé et tatoué, invectivait ses soldats avec mépris. Il arriva en quelques enjambées à son vaisseau personnel. Recouvert d'un épais blindage, l'appareil d'un blanc uniforme était affublé de réacteurs et de canons proéminents. Il décolla dans un vacarme insoutenable, et couvrit le tonnerre qui ne faisait pourtant que s'amplifier. Une horde de vaisseaux semblables au sien, à peine plus petits, le rejoignit en formation serrée.

Le second Général était une femme énergique à la longue chevelure rousse. Débordante de vivacité, elle bondissait de tous côtés pour tout vérifier, tout superviser, tout contrôler elle-même. Comme tout semblait en ordre, elle ajusta son casque écarlate et bondit dans son vaisseau personnel, la Flèche Rouge. Large d'à peine un ou deux mètres, l'appareil s'étirait sur sept bons mètres de longueur. À l'avant, la pointe s'achevait par un canon unique, capable de tirer des rayons de feu. À l'arrière, de puissants réacteurs permettaient au vaisseau des accélérations fulgurantes.

Galaniel remarqua que tous les autres Généraux décollaient de même, suivis par leurs flottilles respectives. Le gros des troupes terrestres avait quant à lui déjà quitté le campement.

L'assaut de Sif, la capitale du Neelhan, débutait. Le nouveau Général, Fermal Eclarian allait devoir affronter l'alliance orialienne pour avoir refusé de prêter allégeance au Général Chef.

Il attendit encore quelques minutes et s'aperçut qu'il pleuvait dru, chose qu'il n'avait pas même remarquée jusqu'alors. Au sol, les troupes terrestres continuaient de s'éloigner de la base, et ne pourraient plus être rappelées qu'avec difficulté. Dans le ciel, les vaisseaux des Généraux disparaissaient déjà à travers les nuages pour bombarder la cité proche. Galaniel sortit un appareil biscornu de sa poche hermétique. Il devrait se dépêcher, et espérer que tout se déroule comme prévu.

Déjà l'Araignée Noire du Général Chef s'activait. Ce monstre de métal, haut d'une dizaine de mètres, repliait ses pattes. Il se préparait à décoller, et superviser l'affrontement imminent.

Galaniel déploya une antenne de métal, et commença à pianoter sur des touches triangulaires. Il fallait faire vite. Les réacteurs de l'Araignée s'allumaient, perçant les ténèbres opaques d'une lueur bleu-vert pâle.

Son cœur battait à tout rompre ; pourquoi ne se passait-il donc rien ? Il fut d'abord assailli d'un doute, vis-à-vis de la fiabilité de son appareil, qu'il avait pourtant revérifié des centaines de fois. Alors que les secondes s'égrenaient, il commença à s'interroger au sujet du Général Chef. Pouvait-il avoir été informé, même en partie, de l'opération qu'ils menaient ? Allait-il réagir conformément à ce qu'ils avaient prévu ?

Galaniel poussa un soupir de soulagement lorsqu'il vit les réacteurs s'éteindre. Des soldats noirs s'en approchèrent alors que le vaisseau déployait ses larges pattes, comme prêt à soutenir un éventuel combat terrestre.

Galaniel se leva alors sous la pluie battante. De nouveaux éclairs déchirèrent le ciel, pour l'écraser d'un fracas insoutenable. Dès que le vacarme commença à s'estomper, le jeune homme imita le cri d'un crelar, un oiseau typique de la faune orialienne. D'autres cris lui répondirent. Il renvoya le signal de confirmation en le modulant comme prévu.

Des traînées de flammes traversèrent le ciel illuminé par l'orage. Galaniel saisit d'une main un fusil-mitrailleur, et de l'autre un lance-éclair, capable de paralyser, voire tuer des groupes entiers d'adversaires. Enfin, une épée restait accrochée à sa taille, et pourrait lui servir dans certains combats rapprochés.

Il était prêt. Il s'y préparait depuis longtemps. Il observa les projectiles enflammés qui continuaient de tracer des paraboles de fumée dans le ciel. Le fracas parvint à couvrir le tonnerre déchaîné alors qu'ils s'écrasaient sur le poste de communication. Pris au dépourvu, des soldats affolés couraient çà et là dans le campement. S'ils disposaient de tourelles de tirs et d'armes antiaériennes perfectionnées, cette technologie avait été impuissante à contrer des tirs de catapultes montées dans la nuit.

Galaniel se retourna. Comme prévu, ils étaient là. Deux mille guerriers intrépides, prêts à sortir de la forêt sans feuilles. Ils s'y terraient depuis des jours, dissimulés dans des souterrains. Ils n'attendaient que ce moment. Leur guide s'avança, pour balayer du regard le campement qui s'étalait à ses pieds. Il portait des vêtements blancs, qui offraient un contraste flagrant avec l'équipement noir de Galaniel. Néanmoins, et contrairement au jeune homme, son rôle ne serait pas de passer inaperçu.

Une lueur éclaira son visage fatigué. Sous ses longs cheveux noirs brillaient deux orbes gris intenses, témoins d'une perspicacité et d'une volonté à toute épreuve. Une volonté à laquelle celle de son fils semblait vouloir faire écho.

Il échangea un regard entendu avec ce dernier, avant de prendre la parole. Derrière eux, les catapultes renvoyaient déjà une deuxième salve de projectiles enflammés.

« Ainsi, nous y voilà, annonça-t-il. En quelques minutes vont se jouer des mois, des années de préparation. »

Galaniel hocha la tête, bien conscient des enjeux, de ces enjeux qui l'empêcheraient d'abandonner. Sans ajouter davantage, son père se tourna en direction de ses troupes.

« Dans un instant, il n'y aura plus de retour possible. Êtes-vous prêts ? » Hurla-t-il.

Ses troupes galvanisées lui répondirent par une clameur qui se mêla au mugissement de la tempête. Nul ne s'apprêtait à faire demi-tour en cet instant fatidique.

« Aujourd'hui, nous ne nous battons pas seulement pour Zyx. Nous nous battons pour Shawn, pour notre patrie et nos familles. Ne nous arrêtons pas, mes amis, combattons ensemble sans relâche et l'Histoire retiendra nos noms. Les noms de ceux qui auront su se dresser avant tous face à la tyrannie imminente ! Nos noms ! »

L'homme tira de son fourreau une longue épée à la lame ouvragée, puis jeta un coup d'œil à ses troupes restées en retrait. Elles piétinaient d'impatience, prêtes à déferler sur leurs ennemis pour leur porter le coup fatal.

Il leva son arme, aussitôt illuminée par l'orage qui ne faisait que s'amplifier. Le vent commença à souffler, emportant çà et là des branches d'arbres noires et agitant l'herbe avec sauvagerie. Un torrent d'eau se déversait du ciel et transformait le sol en boue infâme. Couvrant le tumulte des éléments déchaînés, il cria de tous ses poumons la phrase que tous attendaient, le signal qui allait précipiter la chute du tyran.

« Pour la Liberté ! »

Une clameur sourde lui répondit. Il s'élança, suivi aussitôt par ses hommes qui déferlèrent depuis l'orée du bois. Malgré quelques tirs de canons désordonnés, la vague des fiers guerriers atteignit la base de la colline en quelques secondes.

Tous s'arrêtèrent comme un seul homme alors qu'ils arrivaient à la première rangée de barbelés. Des soldats s'étaient positionnés, retranchés derrière des fortifications sommaires, et firent feu sur les guerriers de Shawn. Aucun projectile n'atteignit néanmoins l'armée désormais immobile qui leur faisait face. Les balles s'arrêtèrent dans leur élan, et la course des projectiles lourds s'incurva, les faisant éclater aux abords.

Le meneur s'avança alors dans la pénombre. Les tirs avaient cessé, le temps semblait comme suspendu. Les grondements du tonnerre s'étaient tus, comme si le ciel lui-même retenait son souffle. D'un geste négligent, il rangea l'épée translucide qu'il gardait toujours à la main. À la lueur d'un éclair, tous purent voir son visage déterminé, qu'encadraient les mèches de ses cheveux noirs secoués par la tempête mugissante. Ses doigts se refermèrent sur une lance dont il effleura la pointe du dos de sa main. Celle-ci se mit à briller d'une lueur bleutée intense. D'un geste rapide et précis, il la projeta sur les barbelés. La lance se fixa dans le sol meuble.

Une sphère bleutée se forma tout autour, sous les yeux ébahis des soldats qui tirèrent dessus sans résultat. Elle continua à grossir jusqu'à atteindre deux bons mètres de diamètre en l'espace d'une poignée de seconde. Puis elle éclata dans une explosion silencieuse mais dévastatrice.

Les barbelés avaient été arrachés, laissant apparaître une ouverture béante. L'homme dégaina alors à nouveau son arme. Il s'élança à l'intérieur du campement adverse, suivi de près par Galaniel ainsi que le reste des troupes. Nul ne semblait pouvoir être en mesure de lui résister. Les projectiles tirés étaient déviés ou même désintégrés, si bien qu'aucun ne semblait pouvoir l'atteindre. En réponse, des rayons mortels s'échappaient de sa main gauche, et l'éclairaient un court instant de leur lueur bleu pâle, avant de foudroyer les soldats ciblés.

Galaniel l'accompagnait, débusquait les ennemis tapis dans le noir, et faisait aussitôt feu avec ses armes. Mû par son instinct, il se retourna. Il scruta l'obscurité sans rien apercevoir de particulier. Un éclair zébra le ciel au dernier instant pour laisser apparaître un garde dissimulé derrière un muret à demi effondré. Le canon de son arme s'illumina. Il fit feu.

Trop tard pour l'éviter. Galaniel eu l'impression que son cœur s'arrêtait de battre. Que le temps ralentissait sa course mortelle comme pour mieux lui faire ressentir son impuissance.

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