Épilogue
Sanctuaire des Voyageurs
Épuisé, Galaniel se jeta sur un matelas moelleux. Comme à chaque jour, l'entraînement de Seyer se rappelait à ses muscles endoloris.
Des bruits se firent entendre, il redressa la tête, sursauta.
Assis sur le rebord de la fenêtre, une silhouette au bleu translucide l'observait, souriante.
Galaniel se redressa aussitôt, se leva en vitesse, fit quelques pas dans sa direction.
« Je... je n'avais donc pas rêvé. » balbutia le Shawnien.
À son tour, le spectre descendit du rebord pour marcher jusqu'à lui.
« Quand bien même aurais-tu rêvé le jour ou, plutôt, la nuit de ton arrivée chez les Voyageurs, cela signifierait-il pour autant que je ne suis pas réel ? Peut-être es-tu encore en train de rêver, d'ailleurs. »
Galaniel resta interdit l'espace d'un instant ; Zawhyk continua de lui sourire.
« Je suis venu te féliciter pour ton combat, sur Shawn. Je te l'ai déjà dit, mais je suis fier de toi, je serai toujours fier de toi.
— Comment réussis-tu à apparaître de la sorte ? Tu es... enfin...
— Mort, effectivement. Mais qu'est-ce que la mort, sinon le passage dans un autre monde ? Même ici, il existe des Failles que d'anciens Voyageurs peuvent parfois détecter. Ces apparitions restent cependant instables, maisje devrais toujours pouvoir te parler lors de la prochaine intronisation desVoyageurs. Ta formation sera terminée, alors, et il sera temps... »
La voix de Zawhyk devint murmure, son image s'effaça. Sa forme se désagrégea pour ne plus laisser qu'une myriade d'éclats. À leur tour, ces étincelles vinrent s'évanouir autour du jeune homme.
« Temps de quoi ? demanda Galaniel.
— Que tu achèves ce que je n'ai pu terminer. »
Lune d'Oriale, Epithaï, lendemain de la reddition de Rhampsodis
Les soldats déplaçaient les décombres du bâtiment effondré, en quête de survivants. Octale supervisait elle-même les secours et masquait mal sa nervosité. Excepté un miraculé wienskrois, indemne, ils n'avaient jusqu'ici retrouvé personne de vivant. Toute la nuit durant, ils avaient mobilisé des effectifs, fouillé, creusé, déplacé des pierres. L'aube pointait déjà, mais le Général n'avait pas pris la moindre seconde de repos.
Esmène...
Des soldats lui firent signe. Elle accourut aussitôt.
Kystan, capitale de la Brocélie, trois jours plus tard
L'ovation salua son apparition. Partout, hommes, femmes et enfants s'entassaient dans les rues, aux balcons, jusque sur les toits. Les drapeaux vermeils s'agitaient, les banderoles aux effigies de la Brocélie, dragons, serpents, criaient sa victoire.
Déesse à la robe écarlate, la chevelure rousse impeccable rehaussée par un diadème de rubis scintillant, elle s'avança, encadrée par ses fidèles gardes rouges. Les acclamations, applaudissements, vivats enthousiastes accompagnèrent chacun de ses pas. Aujourd'hui, elle propulsait la nation au premier rangde la lune, elle accédait à un pouvoir qu'aucun Brocélien n'avait connu depuis plusde trois siècles.
L'un après l'autre, chaque Général vint s'agenouiller devant elle pour lui rappeler son allégeance : Scythlène Scalath, Général du Neelhan ; Nadèle Nmabara, Général du Furthyr ; le Prince Bleu, Général d'Orcalie ; Arcale Pteï, Général de Kalendor ; Xelang Ramngorath, Général d'Ostrie ; et, enfin, Melchor Ragl, frère de Rhampsodis et nouveau Général du Wienskor.
Octale se tourna alors vers le peuple venu acclamer son triomphe, vers la marée rouge amassée, enthousiasme, face au palais. Un sourire radieux sur le visage, elle leva ses bras blancs en signe de victoire. Une nouvelle salve d'applaudissements éclata, encore plus forte que les précédentes.
Elle avait réussi. Elle avait remporté la guerre.
En ce jour mémorable, à la suite de Sméarn Pteï, elle entrait dans l'Histoire au titre de Général Chef.
Le quarante-septième Général Chef d'Oriale.
Kystan, le soir même
Esmène rouvrit les yeux. Vaincue par la fatigue, elle avait dormi une bonne partie de la journée, une de plus. Le bloc de pierre qui l'immobilisait l'avait en partie protégée, mais elle lui devait aussi trois membres dans le plâtre, ainsi que de multiples contusions.
Elle resterait encore immobilisée de nombreuses semaines, mais, au moins, la guerre avait pris fin, Octale triomphait. Pour les années à venir, les lettres vermeilles de la Brocélie écriraient l'Histoire d'Oriale.
Epithaï, au même instant
La tête embrumée par un alcool qu'il n'avait pas l'habitude de consommer, Asax claudiquait dans une ruelle sordide. Toute sa vie durant, il s'était efforcé d'atteindre des objectifs, même illusoires, mais, pour la première fois, sans doute, il ne savait plus quel chemin suivre. Cette guerre l'avait vidé de toute volonté. En une année, il avait tué à n'en plus finir, pour un Général qui n'en valait pas la peine. Il s'était répété que l'homme importait peu, qu'il se battait d'abord pour son pays, que la victoire légitimiserait ses actes.
Zagnar était mort ; Kalendor avait perdu la guerre.
Il avait haï Rhampsodis, il l'avait haï avec une intensité rare dans sa vie, haï pour sa trahison, haï pour ses crimes envers Kalendor. Une haine sourde, dévorante, glaciale.
Il l'avait tué. Il n'avait fait preuve d'aucune pitié. Comme à son habitude.
Et, pourtant, le Wienskrois avait raison, sur un point : leurs vies étaient semblables, toutes deux bâties sur les mêmes rivières de sang. Combien d'existences avait-il lui-même balayées, au Neelhan, en Brocélie et même sur Shawn ? Combien de morts, de familles brisées ? Et, surtout, pour quel résultat ? Tout ça pour quoi ?
Ses yeux se perdirent dans le miroitement de l'eau glacée. Ses pas l'avaient mené sur un pont.
Comment en était-il arrivé là ? Vide, glacé, son cœur ne battait plus que mécaniquement, comme le pâle souvenir d'une époque révolue.
Il avait connu le bonheur, une fois. Deux années, évaporées dans les limbes du temps.
Il ferma les yeux.
Arthia...
Le passé sombre et tumultueux de son enfance l'avait rattrapé. Une vengeance. Une cicatrice. La fin de son paradis.
Il n'aurait jamais dû survivre. Tant de combats, tant d'ennemis : Xeo, Scythlène, Ephas, Néphyle, Esmène, Octale, Galaniel, les Voyageurs, Arcale, Rhampsodis... Combien étaient morts de sa main, combien avaient alimenté cette infernale spirale funèbre, alors qu'ils cherchaient à venger des proches ? Après tout ce temps, comment se faisait-il qu'aucun n'eût réussi à lui faire subir le même sort ? Comment était-il encore vivant ?
Il s'approcha du rebord. Comme tout garde noir, il savait nager, mais qu'il vînt à plonger et il savait que l'eau sombre l'emporterait à jamais. Il errait dans un purgatoire éternel, le cauchemar de sa propre existence, mais il pouvait aussi choisir d'abandonner, cesser de se battre, fermer les yeux, une dernière fois.
Il resta un instant immobile, hypnotisé par la mort toute proche, sa seule et dernière compagne. Elle n'attendait plus qu'un geste de lui pour l'emporter à son tour. Un seul geste, pour tout arrêter.
Il allait mourir, ce soir, ou plutôt une part de lui était déjà morte dans cette guerre. Ses mains tremblantes sortirent des armes rougies de sang, causes de tant de souffrance.
Les corps métalliques s'enfoncèrent dans la rivière, puis disparurent dans les eaux tumultueuses. Asax se rasséréna. Il fit volte-face et s'enfonça dans la nuit. Le Commandant était enterré. Sa vie venait de prendre un nouveau tournant. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentit libre.
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