Chapitre 3
Devant moi, les ruines du Temple s'étendent comme les restes d'un géant abattu. Jadis, cet endroit sacré devait briller de majesté, avec ses colonnes imposantes et ses fresques divines, mais aujourd'hui, il n'est plus qu'un champ de désolation. Les colonnes sont brisées, effondrées comme des membres mutilés, les murs ne sont que gravats épars, et le vent, en soufflant à travers les débris, emporte avec lui la poussière d'une gloire passée. Ce qui devait être ma porte de sortie est maintenant un piège mortel.
Je fouille les ruines avec une froide détermination. Il doit y avoir quelque chose à récupérer, un vestige du passé, un artefact sacré qui aurait survécu au massacre. Mais non, tout a été réduit en cendres ou pillé. Les reliques précieuses, gardiennes d'un pouvoir autrefois vénéré, ont disparu, emporté par ceux qui ont eu la chance de fuir avant moi, ou volées par des charognards.
Sous un amas de pierres, mes yeux accrochent les éclats d'un miroir, éparpillés comme les fragments d'une mémoire brisée. Un miroir autrefois enchanté. En m'approchant, je sens que sa magie s'est éteinte, son pouvoir désormais dissipé. Je n'ai plus d'autre choix que de trouver un autre Temple. Mais où ? Men, la ville au Sud-est, se trouve à des semaines de marche, et chaque pas dans ces contrées infestées par la famine et la guerre me rapprocherait de la mort.
L'idée de traverser ces terres dévastées à pied est une folie. Ceux qui errent ici, des âmes affamées et désespérées, vendraient leur propre sang pour survivre un jour de plus. La faim est devenue une arme. Dans ce chaos, je ne serais qu'une proie, un dommage collatéral sur leur route vers la déchéance.
Je ne peux pas mourir maintenant. Pas avant d'avoir atteint mon objectif.
Le soleil commence à se lever, illuminant les ruines avec une lumière cruelle. Je suis déjà à une distance respectable de la ville, mais je sais qu'ils me chercheront. Peut-être pas tout de suite, mais si je suis découvert par hasard, ils me tueront sans hésiter.
Je ne suis pas prêt à mourir. Pas encore.
**
Sur la route, je croise des traces de vie, mais je réussis à éviter qu'on me remarque. Le campement devant moi est pitoyable. Une trentaine de Félianthropes et de Lupémorphes y ont établi un refuge de fortune, essayant de survivre malgré la famine qui les ronge. Deux enfants se battent pour une miette de pain, leur maigreur trahissant la lente agonie qui les attend. Ils mourront tous, s'ils ne finissent pas par se dévorer entre eux avant de succomber à la faim.
Je les observe un moment. La misère règne ici, et pourtant, même dans cette faiblesse, je vois encore une lueur de violence dans leurs yeux. Les plus robustes tiennent à peine debout, mais ils protègent farouchement leurs maigres possessions. Le camp est une scène de désolation. Les abris sont rudimentaires, faits de bâches usées et de branches. Les visages émaciés de ces créatures trahissent leur détresse, leur désespoir. Ce ne sont pas des ennemis à craindre. Ils ne sont que des survivants, déjà à moitié morts.
Je m'apprête à m'éloigner discrètement, me fondant dans l'obscurité des arbres, quand un mouvement furtif attire mon attention. Un chat. Mais ce n'est pas un simple animal. Ses yeux brillent dans l'ombre, et je comprends immédiatement qu'il s'agit d'un Félianthrope. Son regard perçant est chargé d'une hostilité indéniable. Ce n'est pas un hasard s'il m'a repéré.
Mon cœur bat plus vite, mais pas de peur. Pas cette fois. Je ne suis pas une proie, pas comme eux. Lentement, je commence à reculer, mes sens en alerte, mais le Félianthrope avance d'un pas, ses muscles se tendant sous sa fourrure lisse. Il est prêt à bondir.
Sans réfléchir davantage, je tourne les talons et m'élance dans la forêt, fendant les branches qui fouettent mon visage, mes pieds martelant le sol meuble. Derrière moi, j'entends le grondement sourd de la bête et ses pattes frôlant le sol avec une agilité déconcertante. Le Félianthrope me poursuit, rapide, féroce. Une créature rusée et dangereuse.
Bordel.
Je m'arrête net, prenant conscience de ma folie. Fuir n'est pas une solution. Pas pour quelqu'un comme moi. J'ai oublié qui je suis. Ce Félianthrope, aussi sauvage soit-il, n'est qu'un prédateur défendant son territoire. Il ne cherche pas la vengeance. Il ne me tuera que si je lui en donne une raison. Je dois reprendre le contrôle de la situation.
Je me retourne lentement, mes genoux touchant le sol dans un geste de soumission calculée. Mes mains viennent se poser contre ma poitrine, protégeant mes organes vitaux, une posture que les Félianthropes reconnaissent. Un message clair : je ne suis pas une menace.
Le Félianthrope s'arrête, méfiant. Il me fixe un moment, ses yeux jaune luisant dans l'ombre. Puis, sous mes yeux, il commence à changer. Sa forme se modifie, et bientôt, une silhouette humaine se dresse devant moi. C'est une femelle. Sa peau d'ébène capte la lumière vacillante du feu lointain. Elle est majestueuse, un mélange de puissance et de grâce. Ses yeux félins, toujours aussi perçants, scrutent mon âme, cherchant à y lire la moindre trace de tromperie.
Ses lèvres, pleines et sensuelles, sont maculées de sang, témoignant d'un récent repas de chasse. Mais c'est sa chevelure qui attire immédiatement mon regard. Un afro volumineux, une couronne de boucles crépues, trônant comme une auréole de pouvoir et de fierté autour de sa tête.
Elle est un être magnifique, mais elle reste un obstacle.
— Je ne cherche pas à nuire, dis-je d'une voix calme, maîtrisée. Je me suis perdu. Je veux seulement partir sans créer de problème.
Elle continue de me fixer, silencieuse, ses yeux fouillant chaque recoin de mon être. L'air autour de nous semble se figer, le bruissement des feuilles se fait à peine audible. Cette femme pourrait être ma fin. Mais elle ne l'est pas. Pas aujourd'hui.
— Vous êtes sur mon territoire, finit-elle par dire d'un ton ferme, mais sans colère. Prouvez que vous n'êtes pas une menace.
Un sourire intérieur naît en moi. Elle cherche une preuve ? Je suis la plus grande menace que ce monde ait jamais connue, mais elle l'ignore encore.
Après un moment de silence pesant, elle me tourne le dos, ses épaules toujours tendues, mais son corps trahissant un relâchement. Elle n'attaquera pas. Pas cette fois.
— Suivez-moi, ordonne-t-elle d'une voix autoritaire.
Je me relève, mes mouvements lents et mesurés, et la suis à travers la forêt. Chaque pas me rapproche de ma survie. Nous marchons en silence, le bruit de nos pas étouffé par la terre meuble. Les arbres se resserrent autour de nous, et la lumière du jour perce à peine le feuillage dense. Le sol est un tapis de feuilles mortes, crissant sous mes bottes. Je garde mon objectif en tête : gagner du temps, trouver un moyen de fuir.
Nous arrivons finalement dans une clairière éclairée par plusieurs feux de camp. Le campement est misérable, mais il est leur refuge. À notre arrivée, tous les yeux se tournent vers moi. Leurs regards sont emplis de suspicion et d'hostilité. Je sens la tension dans l'air, prête à exploser au moindre faux pas.
Un mâle s'avance vers nous, avec ses yeux flamboyants de défiance.
— Qui est cet étranger, Nyala ? grogne-t-il, sa voix grondant comme un orage lointain.
— Il s'est égaré sur notre territoire, réplique Nyala avec calme. Il passera la nuit ici. Il n'est pas une menace.
Le mâle me fixe, visiblement mécontent, mais il ne dit rien de plus. Les autres me dévisagent aussi, certains avec curiosité, d'autres avec une froide méfiance. Je sens leur regard peser sur moi, mais je ne fléchis pas. Je ne suis pas l'un d'eux. Je ne le serai jamais.
Nyala me conduit vers une tente à l'écart des autres, plus grand, mieux construite.
— Vous pouvez dormir ici, dit-elle, écartant le rabat de la tente. Mais vous devrez travailler pour votre nourriture et pour tout le reste.
Je hoche la tête, sans un mot. Mon esprit est ailleurs, déjà à penser aux moyens de m'échapper d'ici. Je m'assieds sur le sol dur de la tente, mes muscles tendus par la méfiance et la vigilance. Ce camp ne sera qu'un passage. Rien de plus.
Je m'assieds sur le sol dur, mes pensées tournées vers un seul objectif : m'échapper. Ce camp, avec ses habitants à moitié morts, n'est rien de plus qu'une halte temporaire dans ma quête. Nyala s'accroupit à l'entrée de la tente, ses yeux félins toujours aussi perçants, cherchant à me percer à jour.
— Vous ne semblez pas vouloir rester ici, observe-t-elle, ses paroles résonnant comme une évidence.
Elle a perçu mon impatience.
Je ne réponds pas, me contentant de la fixer. Mon silence en dit plus long que n'importe quelle excuse.
— Dites-moi, que cherchez-vous vraiment ? ajoute-t-elle, sa voix basse, presque un murmure.
Je ne perds pas mon temps à tourner autour du pot.
— Un cheval. Je dois continuer ma route.
Elle hoche la tête, prenant un instant pour réfléchir, avant de répondre.
— Une calèche passe ici tous les deux jours, finit-elle par dire. Vous pourriez en voler un, mais il faudra attendre deux jours.
Le délai ne m'enchante guère, mais je n'ai pas d'autre choix. Je hoche la tête en silence. Deux jours. Deux jours à passer parmi ces créatures, à attendre une opportunité. C'est un risque calculé, et je suis prêt à le prendre. Le camp est en proie à la misère, et tout ici pue la faiblesse. Je pourrai les manipuler si nécessaire.
La nuit tombe rapidement, enveloppant le camp dans une obscurité glaciale. Je m'allonge sur le sol dur de la tente, mon esprit constamment en éveil, analysant chaque bruit, chaque souffle du vent. Le moindre faux mouvement pourrait signer ma mort. Ce monde est un jeu mortel, et je n'ai aucun remords à l'idée de sacrifier des pions pour avancer.
Le lendemain matin, je suis réveillé par les premiers rayons du soleil filtrant à travers la toile de la tente. L'air est froid, mordant, mais je suis vivant. Pour l'instant. Nyala m'attend à l'extérieur, ses yeux brillants d'une méfiance constante.
— Vous devez travailler si vous voulez manger, dit-elle sans préambule.
Je n'ai pas besoin qu'on me le rappelle. Pour rester sous leur radar, je dois jouer leur jeu. Je la suis, mes pas silencieux dans la neige. Elle m'emmène vers un tas de bois à couper, parmi d'autres membres du camp qui s'affairent à diverses tâches. L'endroit est toujours aussi misérable, et chacun semble jouer un rôle dans cette survie désespérée.
— Commencez ici, ordonne-t-elle d'un ton qui n'accepte aucune réplique.
Je prends la hache et commence à couper le bois, mes gestes précis, calculés. Chaque coup résonne dans l'air froid, une musique monotone qui rythme ma journée. Mon esprit, lui, est ailleurs. Deux jours. Je dois rester concentré. Survivre. Ce n'est qu'une épreuve de plus dans ce long chemin vers la vengeance.
Lorsque le soir tombe, mes mains sont salies, mes muscles tendus, mais je reste impassible. Nyala m'apporte un bol de nourriture, un ragoût informe qui semble aussi appétissant que de la boue.
— Merci, dis-je sans grande conviction, avalant quelques bouchées.
Le goût est immonde, mais je me force à manger. Tout est une question de survie. Nyala esquisse un sourire énigmatique avant de répondre.
— Ne me remerciez pas encore. Il vous reste une autre journée à écouler ici.
Je ne réponds pas, me contentant de la fixer. Le ciel s'obscurcit à nouveau, et le froid mordant de la nuit me pousse à retourner dans la tente. Demain sera décisif.
Le deuxième jour passe dans un flou. Chaque mouvement est une répétition du précédent : travailler, attendre, observer. Je passe la journée à réparer des tentes déchirées par les intempéries, mais mon esprit est toujours focalisé sur une seule chose : partir.
En fin de journée, alors que la lumière décline, Nyala s'approche de moi, ses yeux scrutant les miens.
— La calèche passera demain matin. Soyez prêt.
Je hoche la tête, le cœur battant plus fort. C'est ma chance.
Cette nuit-là, je dors à peine. Mon esprit calcule chaque détail de ce qui doit se passer. Le plan est simple, mais dangereux. La moindre erreur pourrait me coûter la vie. Mais la perspective de retrouver enfin ma liberté me tient éveillé.
**
L'aube se lève enfin. Le froid est plus intense, chaque souffle d'air gelé me rappelant à quel point ce monde est hostile. Nyala m'attend déjà à l'extérieur, ses bras croisés. Sans un mot, elle me guide à travers la forêt jusqu'à un point surélevé qui surplombe la route en contrebas. Nous restons cachés, guettant l'apparition de la calèche.
Enfin, je l'aperçois, avançant lentement sur le chemin boueux. Un véhicule lourd, tiré par des chevaux fatigués. C'est mon moyen de fuite. Mon esprit calcule déjà les options. Une embuscade rapide. Prendre le contrôle. Partir.
Nyala me jette un regard, puis murmure :
— C'est votre chance. Si vous voulez vraiment partir, c'est maintenant.
Avant que je ne puisse répondre, elle me pousse brusquement. Le monde bascule alors que je tombe de la pente escarpée, dévalant sur plusieurs mètres avant de m'écraser lourdement devant la calèche. Le choc me coupe le souffle. Je me redresse tant bien que mal, ma tête tournant légèrement. Bordel.
Le garde qui conduit la calèche tire violemment sur les rênes, arrêtant les chevaux. Il descend précipitamment, son arme à la main, ses yeux pleins de méfiance.
— Qui êtes-vous ? gronde-t-il, sa voix rauque résonnant dans l'air froid.
Je m'apprête à répondre, à improviser une excuse, mais une autre présence se fait sentir. L'air devient plus lourd, une pression oppressante que je reconnaîtrais entre mille. Le garde s'efface, et une silhouette imposante émerge de la calèche.
Satan.
Son regard brûle de colère contenue, son aura écrase tout autour de lui. Un rictus cruel déforme ses lèvres alors que ses yeux se posent sur moi. La rage émane de lui comme une chaleur infernale.
— Toi. Le mot fuse comme un venin. Traître. Tu as osé fuir dans la nuit ?
Mon corps se tend instinctivement. Je tourne la tête, apercevant Nyala, toujours en haut de la colline. Elle me regarde, impassible, son visage fermé. Elle m'a trahi.
— Attrapez-le ! ordonne Satan au garde.
À suivre ...
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