Chapitre 1

Un monstre, dans ce monde, n'est rien d'autre qu'une anomalie. Pourquoi une anomalie, me demanderez-vous ? C'est simplement le fruit d'une union impie entre deux espèces qui ont osé transgresser les lois divines. Une union que la Déesse Célestia réprouve avec une rigueur impitoyable, ordonnant l'éradication sans merci de ces enfants. Ils ne doivent pas survivre. Pas un souffle ne doit leur être accordé.

Ces enfants, pourtant nés de l'amour, sont perçus comme des abominations. Non seulement à cause de leur nature hybride, mais aussi à cause des actes qu'ils ont dû commettre pour assurer leur survie. Agir avec compassion ? C'est une idée risible dans ce monde où la gentillesse n'a jamais sauvé personne. Ces enfants ont été contraints de se plonger dans la brutalité, non par choix, mais par nécessité. Ils ont tué, massacré, non par plaisir, mais pour venger leurs frères et sœurs fauchés par une cruauté qui ne connaît pas de fin. La pitié ? Elle ne doit pas exister dans nos cœurs. La pitié mène à la faiblesse, et la faiblesse à la mort.

Suis-je devenu un héros tragique, un de ces êtres voués à venger la mort de leur père ? Peut-être. Ou peut-être que la vengeance est simplement la norme, un code que chacun doit apprendre à suivre dans ce monde impitoyable. Mon père était une anomalie, tout comme moi. Un être dont on ne savait rien, sinon qu'il était craint. De quelles espèces était-il issu ? Quelles capacités possédait-il ? Combien de temps aurait-il dû vivre ? Tant de questions laissées sans réponse, car personne n'a cherché à les poser. Il était plus simple de l'éradiquer.

Je me souviens encore de ce jour fatidique où tout bascula. Même les plus puissants ont des faiblesses, et la sienne, c'était nous. Ses enfants. Ses capacités déclinaient à mesure que nous grandissions, et ce soir-là, nous étions devenus des adultes. C'est alors qu'ils vinrent. Les soldats du Temple l'attaquèrent dans la nuit, et ils le tuèrent sans pitié. Ils exposèrent ensuite sa tête décapitée, pour que le monde entier puisse la voir. Sa mort apporta une joie cruelle à ceux qui le craignaient.

Cette tragédie acheva de briser notre famille déjà fragile. Notre deuxième père, autrefois notre pilier, sombra dans la folie après la mort de son bien-aimé. Igor, mon frère aîné, choisit la voie du pouvoir politique. Il s'allia à Elba de Les Daelys, la future reine du Monde de la Surface, espérant obtenir par cette union un accès à l'influence. Quant à notre sœur Yelena, elle se tourna vers les Enfers, devenant la conseillère de la reine des Enfers, plongeant dans les abysses pour échapper à notre réalité déchirée.

Et moi ? Mon ambition ne réside pas dans le pouvoir politique. Ma quête est différente. Elle passe par la force militaire et la maîtrise absolue de toutes les formes de savoir. Je dois tout apprendre, tout connaître. Chaque espèce, chaque plante, chaque créature, chaque stratégie. Mon but est de devenir une encyclopédie vivante, un être capable de dominer non par la force brute, mais par le savoir. Ce monde me sera soumis, non par l'épée, mais par l'intellect.

Je ne recherche pas simplement des connaissances pour mon propre plaisir. Ce savoir est une arme. Une arme que je brandirai pour venger la mort de mon père. Chaque fragment de savoir me rapproche du contrôle, et ce contrôle me permettra de détruire ceux qui ont causé notre chute. Rien ni personne ne doit pouvoir me surprendre ou me surpasser. Je dois maîtriser chaque recoin de ce monde. Rien ne doit rester obscur à mes yeux.

C'est pourquoi je suis ici, à Xuz. Un pays forgé dans le sang, un empire militaire jusqu'au cœur, ravagé par la Guerre de Mille Ans. Ici, les tactiques de guerre sont vénérées comme des doctrines divines, et l'obsession pour le pouvoir absolu est la seule religion. J'ai choisi cet endroit pour parfaire mon apprentissage. Je dois m'immerger dans ce bain de sang, apprendre leurs stratégies, comprendre leur soif de domination. Seuls les plus forts survivent dans un tel environnement, et je serai le plus fort.

Avoir un frère qui règne sur la Surface m'octroie des privilèges inestimables. Grâce à sa position, j'ai accès aux miroirs cachés du public dans les Temples sacrés. Ces artefacts m'ont permis de me retrouver en l'an 2133, dans le village de Min, en pleine Guerre de Mille Ans.

— Camarade ! Viens vite ! Aujourd'hui, on reçoit Dsaépi Satan, s'écria mon camarade de chambre.

Ici, dans cette académie militaire, tout le monde vénère Dsaépi Satan. Il n'est pas encore le tyran qui fera trembler le monde entier, mais il est déjà redouté. Fils du roi, il est préparé depuis sa naissance à gouverner d'une poigne de fer. Il mène son peuple dans une guerre sans fin, une guerre qui n'a plus de sens, mais qui continue simplement parce que personne ne se souvient pourquoi elle a commencé. C'est un prince prometteur, mais son avenir est déjà marqué par le sang.

Je n'ai guère à me plaindre. Dans cette école, je vis dans le confort, tandis qu'à l'extérieur, la famine dévaste le monde. Le peuple souffre, privé de tout pour nourrir la machine de guerre insatiable. Les soldats, eux, vivent dans le luxe. Un luxe que je partage. Pourtant, je ne ressens aucune gratitude. Ces privilèges me sont accordés parce que je les ai gagnés, et je ne suis redevable de rien.

Nous attendons à l'entrée de l'académie, alors que le vent glacial de ce mois Kronor fouette nos visages. La neige épaisse recouvre tout d'un blanc immaculé, mais sous ce manteau de pureté se cache une réalité bien plus sombre. Je resserre mon long manteau noir, le tissu lourd et épais me protégeant à peine du froid mordant. Nous sommes là, immobiles, attendant que les portes s'ouvrent.

Et enfin, elles s'ouvrent. Dsaépi Satan apparaît, imposant dans toute sa splendeur. Son visage ovale, encadré par des mèches sombres négligemment ordonnées, trahit la noblesse de son sang. Ses sourcils épais encadrent des yeux noisette perçants, et ses lèvres pleines, légèrement entrouvertes, ajoutent une sensualité calculée à son allure. Il n'est pas simplement beau, il est magnifique d'une froideur souveraine. Sa tenue, un mélange de raffinement et de rigueur, évoque à la fois la noblesse et la domination. Il est tout ce qu'un roi devrait être.

Nous nous inclinons tous, et il nous adresse un sourire presque sincère. Presque. Derrière ce sourire se cache déjà l'ombre de ce qu'il deviendra. Je comprends, à cet instant, pourquoi tant de gens croient en lui. Il aurait pu être un grand roi. Mais son destin est scellé, tout comme le mien. Il sombrera dans la folie et le cannibalisme, et je me demande, en cet instant, si je ne devrais pas intervenir. Si je le voulais, je pourrais tout changer. Un mot, un geste, et l'avenir prendraient une autre forme. Mais est-ce réellement ce que je souhaite ? La destinée a ses raisons que nous ne comprenons pas toujours, et changer le cours du destin pourrait signifier la destruction de mon propre avenir.

Les portes se referment derrière nous, et nous nous pressons vers la salle de cours. Aujourd'hui, c'est lui, Satan, qui nous enseignera. Une rare opportunité d'apprendre la magie satanique, une forme de pouvoir abolie dans mon époque, mais encore en vigueur ici.

— Je vous fais l'honneur de ma présence, alors ne me décevez pas, déclara-t-il d'un ton impérieux.

Sa voix résonne avec une froideur calculée, et je sens les autres élèves frémir. Il parle de la guerre, de cette guerre qui dévaste tout sur son passage. Nous sommes des enfants nés dans ce chaos, des soldats en devenir, formés pour poursuivre cette folie. Pour renforcer son royaume, il a développé une magie supérieure, une magie qui surpasse toutes les autres. Une magie mortelle.

— Sachez-le, toute puissance a un prix à payer, continue-t-il, et ce prix est encore plus élevé si vous n'écrivez pas vos sorts. La magie satanique ne se pratique pas sans sacrifice. Elle exige une partie de toi. Une vie, un membre, ou ce que tu as de plus précieux. Le prix est toujours à la hauteur du pouvoir que tu désires obtenir.

Ses paroles tombent comme des couperets dans le silence de la salle. Je vois les visages de mes camarades se tordre sous l'effet de la peur. Ce qu'il décrit n'est pas une simple magie, mais une force indomptable qui se nourrit de ceux qui l'invoquent. La magie satanique exige un tribut trop lourd pour de jeunes gens de vingt-trois ans, encore naïfs face à la cruauté du monde. Mais cette crainte, je la méprise. Craindre l'inévitable est inutile. La mort viendra, que nous l'acceptions ou non.

Le prince Satan observe ses futurs soldats avec une satisfaction froide. Il sait que ces jeunes, malgré leur peur, se soumettront. Il anticipe leurs doutes et les balaie d'un simple sourire ironique. Il comprend leur terreur, mais il sait aussi comment les manipuler. C'est là son véritable talent : transformer la peur en dévotion.

— La peur est naturelle, continue-t-il avec une voix douce et persuasive. Elle est le fruit de notre époque. Nos familles, nos foyers, nos terres sont dévastés par cette guerre. Mais vous avez un avantage que d'autres n'ont pas : vous êtes les maîtres de cette magie. Vous seuls possédez ce pouvoir. Ensemble, nous pouvons ramener la paix.

Ses paroles sont comme du venin. Lentement, elles s'insinuent dans l'esprit de mes camarades, détruisant leurs dernières résistances. Je les vois se redresser, leurs yeux auparavant troubles s'illuminent d'une nouvelle détermination. Le Prince Satan a su leur insuffler un espoir, une illusion de grandeur, un mensonge qu'ils sont prêts à accepter.

Moi, je reste silencieux, analysant chaque mot, chaque geste. Je comprends parfaitement ce qu'il est en train de faire. Il ne fait que jouer un rôle, un rôle auquel il croit à moitié, mais il sait que le véritable pouvoir n'est pas celui de la magie, mais celui de l'influence. Manipuler les esprits est une forme d'art. Et, en cela, il est un maître.

— Je vois que vous comprenez l'importance de notre mission, reprend-il. Vous avez une opportunité unique. Celle de changer le cours de l'histoire. Mais cela exige des sacrifices. Êtes-vous prêts à en payer le prix ?

Le silence s'installe de nouveau. La question flotte dans l'air, pesant, presque tangible. Je vois les têtes hésiter, mais peu à peu, les signes d'acquiescement se multiplient. Ils sont prêts à suivre le Prince, prêts à accepter l'idée de sacrifier leur vie, leur corps, leur humanité pour une cause qu'ils ne comprennent pas vraiment.

Satan sourit. Un sourire rempli de fierté et de satisfaction. Il sait qu'il les tient. Il sait que leur loyauté ne vacillera plus.

— Très bien, dit-il en se redressant. Préparez-vous. L'entraînement commencera dès demain. Nous n'avons pas de temps à perdre. Nous devons être prêts pour ce qui nous attend.

Et ainsi, l'entraînement commence. Un entraînement d'une brutalité inouïe, une épreuve où chaque erreur se paie par la mort. Chaque faux pas, chaque écart de prononciation dans les incantations peut entraîner la destruction de celui qui s'aventure à manier cette magie. Les cadavres s'accumulent rapidement, des témoignages silencieux de la cruauté et de l'impitoyabilité de cet endroit. Ici, il n'y a pas de place pour la faiblesse. Ceux qui échouent sont balayés sans la moindre hésitation.

Mais malgré cette terreur omniprésente, quelque chose en moi s'épanouit. Cette magie, qui semble puiser dans l'essence même de mon être, dans ma force vitale, ne me détruit pas. Elle m'exalte. Chaque jour, je sens mes limites être repoussées, ma puissance grandir. Ce monde de douleur et de mort devient pour moi une forge, un lieu où mon esprit et mon corps se durcissent, se perfectionne. Le savoir que j'acquiers ici me rendra invincible.

Nous sommes réveillés avant l'aube, arrachés au sommeil par des coups de fouet ou des sorts douloureux. L'obscurité glaciale enveloppe l'école comme un manteau de plomb. Il n'y a aucun répit, aucune clémence. À peine conscients, nous sommes immédiatement plongés dans des exercices d'endurance démentiels. Courir des kilomètres dans des terrains accidentés, sous des pluies battantes ou des tempêtes de neige, devient notre quotidien. Les plus faibles tombent, et ceux qui osent s'arrêter sont abattus sans le moindre remords par les instructeurs. Seule la force importe. Seuls les survivants comptent.

Les combats rapprochés rythment les matinées. Chacun d'entre nous doit affronter ses camarades dans des duels à mort, sous le regard implacable des maîtres. Les armes varient : épées, griffes empoisonnées, incantations destructrices. Le sang coule chaque jour. Les cris de douleur, de rage et de peur résonnent dans les salles d'entraînement, un sinistre écho à la souffrance qui nous forge.

Mais c'est l'après-midi, dédiée à l'étude de la magie satanique, qui s'avère la plus dangereuse. Un simple mot mal prononcé, une syllabe oubliée, et le sort se retournent contre toi. Brûlé vif, transformé en abomination... la moindre erreur coûte cher. Les maîtres n'ont aucune patience pour les faibles ou les incompétents. Chaque leçon est une danse mortelle avec des forces qui dépassent notre compréhension humaine.

Les rares moments de repos sont hantés par la silhouette omniprésente du Prince. Il rôde dans les couloirs comme une ombre, ses yeux perçants surveillant chacun de nos mouvements. Sa présence impose une terreur sourde, une constante pression. Il est plus qu'un maître. Il est le symbole du pouvoir absolu, de la cruauté sans bornes. Des rumeurs circulent parmi nous, affirmant qu'il se délecte des chairs de ceux qui échouent, absorbant leur essence pour accroître la sienne. Que ce soit vrai ou non, je n'ai aucune envie de le découvrir.

Et pourtant, dans ce chaos de violence et de peur, une étrange exaltation m'envahit. Chaque jour de survie est une victoire. Chaque leçon apprise, chaque combat gagné me rapproche de mon objectif. L'entraînement, bien que cruel et impitoyable, forge en nous des guerriers sans pitié. Nous devenons des armes vivantes, des instruments de destruction au service du Prince. Et je me tiens au sommet de cette hiérarchie implacable.

Ainsi, dans cet enfer quotidien, je trouve une satisfaction sombre et perverse. La douleur et la mort ne sont plus mes ennemies. Elles sont mes compagnes, mes alliées. C'est dans cette souffrance que mon pouvoir grandit, que ma volonté devient de l'acier trempé dans le feu. C'est dans cette cruauté que je découvre la véritable nature du pouvoir : un pouvoir qui ne connaît ni pitié, ni faiblesse, ni amour.





À suivre ...

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