Chapitre 24 : Histoires funestes
Une créature aux cristaux roses s'approcha de moi d'un pas hésitant et gauche. Elle me fixa nerveusement avant de prononcer un son inaudible. Elle se racla la gorge pour se donner du courage, se redressa de toute sa hauteur et me fis un grand sourire les yeux pétillants.
"Voulez-vous bien m'aider à mettre la table ? demanda-t-elle d'une voix douce
- Volontiers, acceptai-je en coulant un regard entendu avec mes coéquipiers, eux-mêmes abordés par les créatures.
- Eh bien, suivez-moi !"
Elle eut le mouvement de m'attraper par le poignet puis se ravisa en voyant ses griffes aussi longues que des doigts humains. Elle retint sa main de justesse et m'adressa un sourire désolé. Je le lui rendis et me lança à sa suite. Elle me mena vers, ce que je pensais être, le milieu du village. C'était un grand cercle de terre entouré par les maisons et où trônait des restes d'un feu de joie. La place était très grande et des tables en bois foncé étaient disposées aux extrémités. Sur chacune se trouvait un drap blanc plié proprement, des assiettes taillées dans la pierre et des couverts de bois clairs.
La créature s'empara de la montagne d'assiette et de couvert et me désigna le tissu blanc. Je le pris en le dépliant et commençais à l'installer sur la table en lissant les plis.
"Oh pardonnez-moi ! s'écria la créature en manquant de renverser toute la vaisselle. Je ne me suis pas présentée ! Je me nomme Lily-Rose, enchantée !
- Enchantée, je suis Arwen." répondis-je en lui prenant les couverts sur le dessus de la pile d'assiettes.
Un ange passa. Ce silence devenait malaisant et en voyant Lily-rose se dandiner un pied sur l'autre, j'en conclus que pour elle aussi.
"Malgré votre malédiction, c'est un village plutôt mignon que vous avez là, dis-je pour combler le manque de conversation.
- Votre remarque me fait très plaisir, seulement je pense que chacun des gens vivant ici déteste cet endroit, expliqua-t-elle la mine sombre.
- À cause des conditions de vie ? J'admets qu'elles pourraient être meilleures.
- Effectivement nos conditions de vie sont quelque peu déplorables... Nous devons marcher une vingtaine de minutes pour avoir de l'eau, la nourriture est très rare, les marais du Sud sont habités par une créature effrayante (je frémis en pensant au serpent géant que nous avions rencontré), les oiseaux ne trouvant plus de nourriture ailleurs ont commencé à nous chasser... énuméra-t-elle en soupirant. Seulement je pense que ce n'est pas le pire, c'est vrai nous pouvons toujours nous adapter !
- Quel est le pire alors ? demandai-je en commençant à placer les couverts autour des assiettes déposées par Lily-Rose.
- Thorns ne vous en a pas fait part ? De notre malédiction, ajouta-t-elle devant mon visage déconcerté.
- Oh, si, il nous a parlé de comment c'était arrivé, ç'a dû être un réel calvaire...
- Ça l'est encore, affirma Lily-Rose en tournant autour de la table, la pile d'assiette dans les mains.
- Comment ça ?
- Eh Bien la malédiction ne nous affecte pas seulement physiquement, mais aussi mentalement sur le long terme, commença-t-elle en alignant les assiettes, le regard rivé sur le disque de pierre. C'est ce qui est arrivé à mon frère, Lily-bleu, continua-t-elle après un silence. Une nuit, je m'en souviens comme si c'était hier, une nuit glaciale, à peine un mois après nos transformations, il s'est réveillé en sursaut. De la mousse noire dégoulinait de sa bouche, ses yeux n'affichaient qu'un regard sauvage, ses cornes avaient doublé de volume, tout comme ses griffes. Ses yeux et ses cristaux d'un magnifique bleu pleuraient un liquide visqueux noir... (Elle racontait ça en gardant le regard dans le vague, comme si elle revivait la scène.) Il s'est jeté sur ma mère puis lui a arraché violemment une oreille, ensuite il lui a griffé le visage avec tant de rage. Je m'étais blottie dans une couverture, aussi je pleurais sans pouvoir rien faire. (Les larmes commencèrent à perler au coin de ses yeux. ) Il a fini par arracher la jugulaire de notre mère dans un grognement sanglant.
Mon père s'est jeté sur lui pour l'éloigné de sa femme. Lily-bleu n'en a fait qu'une bouchée (elle frissonna en y repensant). D'un coup de patte agressif, il lui a carrément arraché la tête. Celle-ci a roulé vers moi, j'étais horrifié par la scène et aucun son ne passait la barrière de mes lèvres. (Elle effleura ses lèvres du bout de ses griffes. ) J'allais être la prochaine tandis que je n'avais aucun moyen d'alerter quelqu'un. Il s'est tourné vers moi d'un geste brusque, le sang de nos parents incrusté dans sa nouvelle fourrure. Je ne le reconnaissais pas. Je suis sortie de ma couverture, après je suis partie me cacher derrière notre grand miroir.
Lorsqu'il a vu son reflet, Lily-bleu m'a semblé revenir à lui-même. Il n'avait plus ce regard de meurtrier. Il s'est observé pendant un temps dans la glace, s'est tourné pour constater ses actes, puis il a brisé le miroir en hurlant. Je n'ai pas pu réprimer mon cri. Il a envoyé valdinguer ce qui restait du miroir pour se trouver en face de moi. Il a planté son regard dans le mien, a murmuré des mots inaudibles, mais que j'avais parfaitement compris... "Désolé". Puis, il s'est tranché la gorge avec un bout du miroir qu'il tenait."
Elle acheva son récit en posant la dernière assiette qu'elle contempla un moment. Je me sentais si mal en m'imaginant ce que ça avait dû être de voir son propre frère tuer ses parents et se suicider juste devant elle. Lily-Rose se nettoya la fourrure à grands coups de patte, comme si elle voulait se débarrasser du sang de son frère qui avait giclé quand il s'était tranché la gorge. Je pris ses pattes griffues dans mes mains. Elle me regarda brièvement et m'adressa un faible sourire avant de se reprendre.
"Oh, mais je ne désirais pas t'effrayer ! Nous avons développé des médicaments pour éviter ce genre d'accident, s'empressa-t-elle d'ajouter en chassant la tristesse de ses yeux. Je pense qu'on en a terminé avec les tables ! s'exclama-t-elle tout sourire.
- En effet.
- Permets-moi de me retirer, je dois allez m'occuper du linge du village.
- Tu ne veux pas d'aide ? proposai-je.
- Oh non ! Mais je pense que Vidia acceptera ta demande, déclina Lily-rose en désignant la prénommée Vidia qui sautillait pour atteindre quelque chose de trop haut pour elle.
- Je vais l'aider de ce pas alors ! À ce soir à la fête !
- À ce soir ! Et... Arwen, m'appela Lily-Rose, merci de m'avoir écouté."
Lily-rose tourna les talons et s'en alla. Je la regardai partir, claudicante. Pauvre créature aux blessures encore ouvertes, pensais-je, un pincement au cœur. Je pris la direction opposée et m'approchai de la créature nommée Vidia. Elle avait des cristaux de couleur violette et semblait avoir des difficultés avec sa petite taille. Je me raclai la gorge pour l'avertir de ma présence. Elle se retourna vers moi.
"Oui ? C'est pour quoi ?
- Je suis venue t'aider.
- Oh super ! Viens par ici, et par pitié, attrape-moi cette foutue ficelle !" supplia-t-elle en pointant une ficelle qui s'était logée dans la fissure du poteau de bois.
Je m'étirai de tout mon long pour frôler la cordelette une dizaine de fois avant de l'attraper d'un petit bond. Je la délogeai de sa fissure puis la tendis à Vidia. Elle m'entraina alors un peu plus loin dans une maisonnette. À l'intérieur survivaient des torches accrochées sur le mur avec un mètre les séparant chacune. Une table en bois était placée au centre de la pièce ronde, dessus se trouvaient quelques bougies qui éclairaient faiblement les outils. Vidia m'expliqua comment faire des guirlandes avec des longues lianes provenant des marais et des fleurs qui me paraissaient fanées avec leurs pétales translucides. Tandis que nous nous attelions à notre tâche, Vidia se lança dans de longues explications à propos de ces fleurs. Sûrement que mon regard avait trahis ma curiosité.
"Ce sont des Flowerescences. Des fleurs qui s'illuminent la nuit, lors du zénith de la Lune. Elles doivent capter de la lumière, c'est pour ça qu'il y a autant de torches. Mais nous ne pouvons pas les laisser dehors, la lumière provenant des nuages gris est trop forte et brûlerait les cellules permettant leur illumination. J'ai veillé personnellement à ce que cette salle soit à la fois baignée d'une certaine quantité de lumière tout en gardant la présence de l'obscurité. Tu verras, lorsque la Lune sera haute dans le ciel, vers minuit, l'axe de ses rayons iront pile taper dans les pétales de nos fleurs. Ça activera alors leur fonctionnement, les illuminant pour le reste de la nuit, ça s'avèrera être magnifique ! Ces fleurs se révèlent si fragiles, si jolies et tellement complexes, je suis fière de les avoir trouvées et étudiées !
- Je vois que tu t'y connais bien en plante ! dis-je admirative.
- Ahaha oui... Je suppose que Lily-rose t'a parlé de son drame, j'ai vu comment elle est partie."
Je hochai la tête, le cœur serré en repensant à cette funeste histoire.
" Et bien, moi, c'est mon père qui est devenu ce qu'on appelle un Enragé, lorsqu'ils succombent à la malédiction. Mais, il n'a tué personne. En réalité il n'a pas terminé sa transformation et s'en est rendu compte avant. Dans un excès de désespoir, il s'est précipité vers les marais, là-bas, une plante l'a étranglé. Quand je l'ai retrouvé, j'ai commencé à étudier les plantes des marais pour comprendre pourquoi.
- Je... Je suis désolée...
- C'est bizarre de raconter ce drame à quelqu'un. Tout le monde ici a perdu des proches, ils t'en parleront forcément, car nous n'avons personne à qui nous confier, dit-elle le regard dans le vague. Enfin, cessons de parler de moi, on prépare une fête, pas un enterrement ! lacha-t-elle en revêtant son masque joyeux.
- Tu as raison.
- Parle-moi un peu de toi, allez, à ton tour de te confier.
- Oh tu sais, je ne vais pas pouvoir te dire grand-chose. Je suis amnésique.
- Tu n'as aucun souvenir ? Même pas de ta famille.
-Non. Tout ce que je sais, c'est que je suis l'héroïne d'une prophétie.
- Ceci explique la créature divine, pensa Vidia. Quelle prophétie peut t'amener sur ces contrées désertiques ?
- Je suis sûr que cela va te ravir, je suis la personne qui va sceller le conflit des royaumes Jumeaux et ainsi lever la malédiction !" m'exclamai-je le sourire aux lèvres et en levant des bras victorieux.
Vidia stoppa son mouvement net. Ses yeux s'écarquillèrent et me fixèrent avec effroi. Je baissai mes bras légèrement mal à l'aise. J'aurai imaginé que cette nouvelle l'aurait fait sauter au plafond, pas qu'elle me regarderait comme si j'étais un monstre ou un fantôme. Je balayai la pièce du regard un instant puis me décidai à briser ce silence.
"Est-ce la joie qui t'empêche de parler ou...? demandai-je lentement.
- Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, avoua-t-elle la voix tremblante. Cette prophétie est tellement... Funeste !
- Hein ? Mais pas du tout elle dit que je vais régler tous les problèmes de cette terre ! Je peux comprendre qu'en me voyant tu doutes de mes capacités, mais je ne suis pas seule et avec l'aide de mes compagnons je suis persuadée que nous allons triompher, n'est point d'inquiétude, m'empressai-je de me justifier.
- Que connais-tu de la prophétie des royaumes jumeaux ? demanda Vidia le regard sombre.
- Eh bien... Seulement ce que la reine Blanche m'a compté :
“Arrivant des aires,
Avec de grands yeux verts,
De longs cheveux blancs immaculés,
Arwen Konsui,
Héroïne de la prophétie,
Ramènera la paix,
Scellant le conflit entre l'ombre et la lumière à jamais „ "
Je répétais les mots de la Reine Blanche le plus fidèlement possible tandis que je voyais Vidia froncer les sourcils. L'atmosphère pourtant si détendue au début était devenue électrisante. Tout cela me mettait mal à l'aise, j'avais l'impression d'être une enfant qui croyait tout connaitre alors qu'elle ignorait tout.
"Cette foutue vipère aux écailles blanches ne cessera donc jamais de mentir ! rugit Vidia en tapant du poing.
- Que veux-tu dire ? (Je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un de ce monde crache ainsi sur la reine blanche.)
- Elle t'a pondu cette prophétie grotesque pour se débarrasser de sa sœur !! grinça-t-elle la voix grave. Je vais te révéler la vraie prophétie des Royaumes Jumeaux :
Pouvoir maléfique,
Pouvoir angélique,
Ensemble forme l'équilibre.
Un yin-yang parfaitement équilibré,
Qui, un jour, se verra séparé.
Cette séparation scindera la terre en deux,
Et annoncera la fin des jours heureux.
Enfant de la lune, roi des ombre et héroïne étrangère,
Ensemble devront résoudre ce conflit,
Prenez garde, surveillez vos arrières,
La difficulté est de connaitre son véritable ennemi.
Une quête périlleuse,
mensonges, non-dits, confiance fragile,
Une destination dangereuse,
Combats, obstacles, épreuves difficiles,
C'est dans la mort que se terminera l'histoire.
Tentez de ramener l'espoir."
Elle acheva sa récitation. Cette prophétie me fit l'effet d'un coup de poing dans les côtes. Trop de choses se bousculaient dans ma tête, de nouvelles questions. Je sentis mes jambes fléchir et ma tête tournoyer. Pendant un instant, je crus que j'allais m'évanouir. Je m'appuyai sur le mur et me laissai glisser doucement au sol. Je ne voulais pas la croire, je ne pouvais pas la croire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top