Chapitre 9 - La lumière du soleil
Nico se réveilla, un cri dans la gorge. Pendant plusieurs secondes, il fut incapable de savoir où il se trouvait. Dans son esprit, les brumes de son rêve continuaient à tournoyer et il chercha à l'aveugle son épée, pris de panique. Ses doigts ne rencontrèrent qu'une masse informe sous les couvertures et il mit un moment à comprendre qu'il s'agissait de... Will. Il retira sa main comme s'il s'était brûlé, le souffle court. La brume commença à se dissiper.
A mesure qu'on son esprit s'éclairait, Nico sentit sa respiration revenir à la normale et il s'enfonça un peu plus dans son oreiller, le cœur battant. Déjà, les images du Tartare, l'odeur de soufre, la sensation d'étouffement de l'amphore, le souvenir des ténèbres du Labyrinthe s'éloignaient. Il n'était même plus capable de dire ce qui l'avait vraiment réveillé. Ses cauchemars mêlaient souvent plusieurs choses incohérentes et il n'était pas rare qu'il se retrouve à marcher dans le Labyrinthe, Minos à ses côtés, lui chuchotant des paroles à l'oreille, avant qu'il ne bascule soudain dans le Tartare sans raison. Plus rien n'avait de sens dès qu'il dormait.
Les premiers temps, juste après Gaïa, il n'arrivait presque plus à dormir. Il se réveillait plusieurs fois par nuit, incapable d'articuler un son, paralysé. Will avait été le premier à remarquer que quelque chose n'allait pas. Pendant les trois jours que Nico avait passé à l'infirmerie, il n'avait pas réussi à cacher sa fatigue et Will, toujours perspicace, avait deviné. Il avait alors mis en place un système de veille et de sommeil, même pendant la journée, pour que son corps ait le repos nécessaire. Quand il était de garde à l'infirmerie, peu importe l'heure, il essayait de rester le plus possible avec lui, tout simplement à parler ou à le veiller pour pouvoir le réveiller au moindre signe de détresse. La première fois, Nico lui avait presque donné un œil au beurre noir en lui envoyant son poing dans la figure, surpris. Will avait été plus prudent ensuite. Les semaines suivantes, alors qu'ils tournaient autour de leurs sentiments et que Nico était incapable de savoir vraiment ce qu'il ressentait pour lui, Will était resté à ses côtés. Tous les matins, il se glissait dans sa cabine en même temps que l'aurore et Nico, toujours réveillé, lui parlait de ses cauchemars. Ça n'avait pas été facile. Certains matins, il refusait net d'en parler et Will proposait une partie de Mario Kart à la place jusqu'au petit déjeuner. D'autres fois, il se contentait de lui tenir la main pendant que Nico mettait en mots les images terrifiantes qui l'avaient assailli toute la nuit. Etrangement, elles paraissaient toujours moins effrayantes racontées à la lueur du soleil avec Will à ses côtés.
Puis, ils avaient commencé à sortir ensemble et les cauchemars s'étaient espacés. Sans le réaliser, Nico avait commencé à aller mieux, à reprendre du poids. Ça ne voulait pas dire qu'il n'avait plus d'insomnies, mais elles étaient devenues plus rares. Il fallait croire que l'attaque d'hier, le poids de la quête, et la rencontre avec Mélinoé avaient réveillé ses souvenirs.
Nico soupira. Il tourna la tête et le radio-réveil lui renvoya ses chiffres fluorescents : 7h13. Beaucoup trop tôt à son goût, mais il s'étonna que Will soit encore endormi. Comme tous les enfants d'Apollon, il avait tendance à se lever avec le soleil. Ce qui était très agaçant quand Nico voulait faire la grasse matinée. L'ironie de la situation ne lui échappa pas et il grogna, frustré et fatigué. Ses yeux se portèrent sur Will mécaniquement.
Allongé sur son flanc gauche, bouche légèrement ouverte, Will dormait visiblement profondément. Utiliser se pouvoirs de guérison la veille avait dû le fatiguer plus qu'ils ne l'avaient tous cru. Ses cheveux blonds ondulaient sur l'oreiller et derrière ses oreilles. Il avait sérieusement besoin d'une coupe de cheveux. Dans la semi-pénombre, les faibles rayons du soleil que laissaient filtrer les rideaux éclairaient les quelques tâches de rousseur qui parsemaient son nez et ses pommettes. Nico ne l'aurait admis à personne et pour rien au monde, mais il avait passé beaucoup trop de temps à observer ces tâches de rousseurs. Gêné, il détourna vite le regard, comme si Will allait ouvrir les yeux et le surprendre.
Doucement, il se redressa en position assise et se rendit compte que sa gorge était sèche comme du papier de verre. Il déglutit. Pendant plusieurs secondes, il resta immobile, incapable de décider si ça valait la peine de se lever, puis il abdiqua. Repoussant la couverture, il balança ses jambes sur le côté en tentant de faire le moins de bruit possible. Will ne bougea pas. Sur la pointe des pieds, Nico traversa la chambre et enjamba la pile de DVD près de l'armoire. Le parquet était chaud sous ses pieds.
Dans le couloir, il essaya de se rappeler le chemin qui menait à la cuisine et ses souvenirs de la veille le guidèrent. Quand il passa devant le salon, il distingua la silhouette de Lacy blottie sur le canapé à travers la porte vitrée. Au sol, Connor et Lou Ellen avaient visiblement poussé leur matelas gonflable l'un contre l'autre et Nico retint un sourire en voyant le fils d'Hermès sur le dos, la bouche grande ouverte, endormi. Il aurait tout donné pour avoir un appareil photo sous la main. Travis aurait sûrement payé cher pour obtenir un cliché pareil.
- Déjà débout, mon grand ?
Nico fit un véritable bond.
- Oh mon dieu, désolée ! S'exclama Naomi Solace à voix basse. Je ne voulais pas te faire peur.
- Non, vous... Enfin, je...
Une main sur la poitrine, Nico se concentra sur les battements frénétiques de son cœur qui pulsait à coups sourds.
- Je ne pensais pas que vous étiez réveillée, se contenta-t-il de dire piteusement.
- Oui, j'ai eu du mal à dormir... Je me suis dit que je pouvais vous préparer un petit déjeuner.
- C'est gentil à vous, mais on ne veut pas...
- Vous ne me dérangez pas, affirma-t-elle avec un sourire. Crois-moi, j'ai l'habitude de rentrer dans une maison vide alors avoir Will et ses amis un peu avec moi, c'est un plaisir. (Elle baissa soudain les yeux et son sourire se fit plus amusé). Est-ce que c'est le sweat du club de tir à l'arc auquel j'emmenais Will ?
Horrifié, Nico baissa les yeux. Il portait toujours effectivement le sweat jaune criard de Will et son bas de jogging trop grand pour lui. Ses joues s'empourprèrent.
- Euh... Oui... Il me l'a prêté pour dormir.
- J'aimerais dire que ça te va bien, mais...
- Vous n'avez pas à mentir pour moi. C'est affreux. Je crois que Will l'a fait exprès.
Naomi éclata de rire. Elle avait un rire plus mélodieux que son fils.
- Désolée, dit-elle à nouveau en portant son main contre ses lèvres. Ça doit être son sens de l'humour, j'imagine. Je ne sais pas de qui il tient ça, mais sûrement pas de moi.
- Apollon est très certainement responsable, approuva Nico.
Sa tentative d'humour fit sourire encore un peu plus Naomi. Puis, elle parut se souvenir des autres qui dormaient encore et elle indiqua la cuisine sur sa droite.
- Viens, chuchota-t-elle, je vais te donner quelque chose à manger.
- Oh je n'ai pas vraiment...
Mais elle s'était déjà déplacée. Résigné, il la suivit en veillant à ne pas trébucher sur son stupide jogging. Alors qu'il s'asseyait à la table de la cuisine, légèrement mal à l'aise de se retrouver seul avec elle, Naomi se mit à fouiller dans son frigo presque vide.
- Je n'ai plus de jus d'orange... déplora-t-elle. Du jus de grenade peut-être ? J'en achète à l'épicerie au coin de la rue et...
- Non, déclina-t-il d'une voix sourde.
Elle lui jeta un coup d'œil surpris et il se râcla la gorge, embarrassé.
- Je veux dire, non merci... Je n'aime pas trop la grenade.
- Oh... d'accord. De l'eau ?
Il hocha la tête et se fustigea mentalement. Pourtant, à la simple idée du goût de la grenade, son estomac se contracta et il repensa aux pépins auxquels il s'était péniblement accroché dans l'amphore. Il ne pouvait plus voir ou manger de la grenade depuis.
Avec reconnaissance, il se saisit du verre d'eau que Naomi lui tendait. Sa main trembla à peine. Il l'avala d'une traite et immédiatement la brûlure sèche de sa gorge s'apaisa. Dès qu'il le reposa, la mère de Will le reprit pour le remplir à nouveau.
- Merci... souffla-t-il.
- Aucun problème. Je peux au moins t'offrir de l'eau, c'est la moindre des choses. J'avais pensé à faire des pancakes, mais je viens de me rendre compte que je n'ai plus de farine. Je pense qu'on va devoir se contenter à nouveau de cookies.
- Ils étaient très bons, la rassura Nico.
Elle sourit.
- C'est gentil, mon grand.
Un silence gênant et apaisant à la fois tomba sur eux. Nico voyait bien que Naomi était aussi peu à l'aise avec lui et que lui avec elle, même si elle faisait des efforts. Elle avait la même expression butée que son fils, cette même attitude de fausse nonchalance, et Nico se demanda si elle ressentait cela à cause de sa relation avec Will ou tout simplement parce qu'il était... lui. Après tout, il avait l'habitude que les gens se sentent mal à l'aise en sa présence. Personne n'aimait côtoyer la mort.
- Tu avais aussi du mal à dormir ? Demanda soudain Naomi, ses grands yeux bruns fixés sur lui.
Visiblement, Will tenaient ses prunelles bleues comme le ciel de son père.
- On peut dire ça... marmonna-t-il.
- Je sais que vous faites parfois des mauvais rêves. Will m'a expliqué.
- Oui, c'est vrai. Des visions souvent... Là, c'étaient plus des... des souvenirs.
- Des mauvais souvenirs ?
Nico détourna le regard. Il aurait aimé avoir sa bague en tête de mort pour jouer avec, mais il l'avait laissé sur la table de chevet de Will. Faute de mieux, il fit tourner son verre entre ses mains.
- Quelque chose comme ça, oui, admit-il.
- Je comprends, dit-elle. Je me suis inquiétée pour Will toute la nuit. Je ne suis pas bête, je sais que vous n'êtes pas juste en vacances dans le coin. C'est une quête, c'est ça ? Vous devez... faire ou trouver quelque chose ?
- Oui...
- Mais... les monstres ? Ce n'est pas comme à la Colonie, n'est-ce pas ?
Nico ressentit sa détresse. Il aurait aimé lui mentir, édulcorer la réalité, mais il n'avait jamais été doué pour ça.
- Non, ils peuvent nous sentir dans le monde extérieur. Mais on n'en a pas encore vu beaucoup. La guerre a été dure pour eux aussi. Et de toute façon, on a de quoi se défendre, ne vous inquiétez pas.
Naomi sourit tristement et se passa une main dans ses cheveux courts.
- Tu demandes l'impossible à une mère, Nico, dit-elle. La tienne te dirait sûrement la même chose.
Cette fois, il se figea. Violemment, l'image de Mélinoé prenant l'apparence de sa mère lui revint. Il pouvait presque entendre sa voix, son accent italien, sentir son parfum... Mais tout se brouillait, lointain, et il en aurait presque hurlé de frustration. Il se souvenait à peine d'elle. Il avait dû rester silencieux trop longtemps, ou faire une expression étrange, car les yeux de Naomi s'écarquillèrent soudain et elle parut affolée.
- Mon dieu, s'exclama-t-elle, je suis désolée ! Je... j'ai oublié, Will m'avait dit... On se voit très peu, j'ai dû mal à me souvenir de tout et...
- Ce n'est pas grave...
- Si, c'était indélicat de ma part... Je... Désolée, Nico.
Dans sa panique, elle ne semblait pas se rendre compte que son accent texan ressortait et il trouva presque étrange la prononciation de son prénom.
- Je vous jure, madame, ce n'est rien.
Il mit autant de ferveur qu'il pu dans sa voix. Naomi, bien que toujours agitée, se calma et elle hocha la tête. Elle ne le reprit même pas sur son « madame ». L'air mal à l'aise, elle se leva pour attraper un paquet de cookie dans le placard. Elle l'ouvrit avec tant de force que le papier se déchira sur toute la longueur et elle les déposa dans une assiette, exactement comme hier soir. Puis, elle plaça l'assiette devant eux et se rassit. Nico ne toucha à rien.
- Je crois que je suis un peu à cran, admit-elle finalement avec un rire nerveux. Je sais que tu comptes beaucoup pour Will...
En disant ça, elle lui jeta un coup d'œil en biais et Nico se retrouva sans savoir quoi répondre, pris au dépourvu. Les mots « il compte aussi pour moi » restèrent coincés dans sa gorge. « Compter » semblait faible par rapport à ce qu'il ressentait.
- Tu sais, j'ai conscience de trop m'inquiéter pour lui, reprit-elle en voyant qu'il restait muet. Mais je n'ai plus l'habitude de le savoir en danger. La Colonie m'avait apporté une tranquillité d'esprit. Ce n'était pas si dur quand il était petit, mais en grandissant les monstres se sont fait plus nombreux... La Colonie l'a sauvé.
- Elle a sauvé beaucoup d'entre nous, convint Nico.
Il ne s'était pas attendu à dire ça un jour, mais il réalisait maintenant que c'était vrai. Le fait qu'il ait survécu à dix ans, seul et perdu dans le monde extérieur sans entraînement, relevait du miracle. Formateur, mais miraculeux quand même. En tentant de s'imaginer Will dans la même situation, il frissonna. Will, éternel optimiste, qui mettait la santé des autres avant la sienne...
- Vous étiez au courant ? Demanda-t-il, soudain curieux.
- Que Will était un demi-dieu ?
Nico hocha la tête. Il savait que la nature semi divine de leur progéniture se révélait être une surprise pour certains parents qui tombaient des nues et trouvaient enfin une explication aux évènements étranges qui entouraient leurs enfants.
- Bien sûr que je le savais ! Répondit Naomi, presque amusée. Apollon ne s'est pas vraiment montré discret quand je l'ai rencontré.
Nico émit un rire étouffé.
- J'imagine bien...
- Tu l'as déjà vu ?
- Euh... Oui. Drôle d'histoire. C'est lui qui m'a emmené à la Colonie, le jour où j'ai appris pour... tout.
Il fit un geste vague de la main censé englober la mythologie grecque entière. Naomi haussa un sourcil et piocha un cookie.
- Un homme étonnant, non ? Dit-elle.
- J'ai surtout trouvé ses haiku agaçants pour être honnête, avoua-t-il.
Naomi roula des yeux.
- Ne m'en parle pas ! Si je dois réécouter un seul haiku sur ma beauté lumineuse, mon dieu. Dis-moi que Will fait mieux que son père !
Nico manqua d'avaler de travers. Il espéra de toutes ses forces ne pas avoir rougi et songea à Will, assis au pied de son lit dans le bungalow d'Hadès, le visage éclairé par la lueur de l'écran de la télévision sur laquelle ils jouaient à Mario Kart. Parfois, pour l'embêter, il lui sortait sans prévenir des répliques de films. Et il aimait les choisir dans les films romantiques idiots, ce qui ne manquait jamais de le déstabiliser et de le faire rougir.
- Euh, non. Pas de haïku, réussit-il à articuler.
- Bien. Au moins un point de son éducation que j'aurais réussi.
Elle fourra un autre cookie dans sa bouche, l'air plus détendu qu'il y a quelques minutes. Nico l'enviait.
- Tu sais, avant de rencontrer Apollon je ne voulais pas d'enfant, dit-elle, songeuse. J'essayais de percer dans la musique, ma carrière commençait à décoller et je vivais surtout la nuit. Je ne me voyais vraiment pas être mère. J'avais à peine 25 ans...
- Et il vous a fait changer d'avis ?
- Non, pas vraiment... Apollon est beaucoup de choses, mais je ne peux pas dire qu'il me soit apparu comme « le père responsable dont j'avais absolument besoin ». C'était plutôt l'inverse. Il m'encourageait à poursuivre mon rêve et à vivre de ma musique. Il me disait que j'avais du talent. Je n'arrivais pas y croire... Le dieu de la musique me disait ça à moi, une gamine paumée du Texas. Je n'avais aucune chance, je suis tombée amoureuse.
Le regard lointain, Naomi semblait perdue dans ses souvenirs et Nico observa le léger sourire nostalgique qui flottait sur ses lèvres. Il ne connaissait pas grand-chose à la musique, il ne savait pas si elle était vraiment douée. D'après Will, sa mère était surtout connue dans le monde de la country, elle avait un succès modeste mais une vraie reconnaissance du métier, ce qui lui convenait. Pourtant, même si elle n'était une star internationale, Nico savait une chose : Naomi Solace était une femme spéciale. Il le fallait pour attirer l'attention d'un dieu, surtout un dieu comme Apollon.
- Et Will est arrivé ? Devina-t-il.
- C'est ça. (Elle émit un rire étouffée, l'air encore incrédule après toutes ces années). Je n'étais pas sûre que ça soit possible, mais... voilà c'est arrivé. J'étais enceinte, pas mariée, musicienne. Mes parents ont manqué de faire un arrêt cardiaque je pense quand je leur ai annoncé.
Ça, Nico n'avait aucun mal à l'imaginer. Son passage dans le Léthé lui avait pratiquement fait oublier tout ce qui concernait son enfance, mais des brides lui revenaient parfois. Et il se souvenait des regards et des chuchotements qui suivaient sa mère, à Venise, quand elle les emmenait lui et Bianca sur le marché. Une femme non mariée avec deux enfants... ça avait fait jaser. Indifférente, sa mère marchait pourtant toujours la tête haute, le coin de la bouche relevé comme si elle riait intérieurement. Après tout, elle avait été choisie par le dieu des Enfers en personne. En comparaison, il imaginait que les rumeurs n'étaient pas grand-chose.
- Ma mère m'a dit que j'étais folle de garder le bébé, continua Naomi. Que j'allais me retrouver mère célibataire, qu'il ne resterait pas... Et moi... Oh j'étais naïve. Je pensais qu'il serait là pour moi et Will.
- Les dieux ne restent jamais longtemps, dit Nico. Parfois, c'est même pour le mieux.
- Je ne sais pas... Oui, j'imagine.
Elle secoua la tête et contempla la photo de Will accrochée sur le frigo. Nico suivit son regard. Il sentit un sourire fleurir sur son visage alors que le petit Will de six ans fronçait le nez en grimaçant face à la caméra.
- Retenir le soleil, souffla Naomi. Impossible. Comment j'ai pu croire... Quelle idiote.
Frustrée contre elle-même, elle secoua la tête. Nico ressentit un élan de pitié pour elle et pour tous les mortels qui avaient vécu la même chose. Pour toutes les Naomi Solace et les Sally Jackson, des femmes fortes et volontaires, assez brillantes pour être vues depuis l'Olympe. Il aurait voulu lui dire, s'il en avait eu le courage, qu'elle n'était pas stupide d'avoir cru aux paroles d'Apollon ni d'avoir voulu une vraie famille pour son fils. Que l'amour ne se contrôlait pas et qu'il en savait quelque chose. Que rien n'était plus douloureux, beau et brutal que l'amour. Cupidon le lui avait prouvé.
- Mais tu sais, je ne regrette rien, reprit soudain Naomi, l'air déterminé. Apollon n'est peut-être pas resté, mais il m'a donné Will. Je... Il ne pouvait pas faire plus. Moi qui croyait que j'étais incapable d'être mère... Mon dieu, mais je n'ai jamais aimé quelqu'un aussi fort de ma vie. Mon petit garçon...
Elle fixa intensément la photo de Will. Nico n'était même plus sûr qu'elle lui parle véritablement. A travers ses mots, il entendait surtout son inquiétude.
- Je vous promets que vous le reverrez, lança-t-il brusquement, sans savoir d'où lui venait cette absolue nécessité de la rassurer. Je vous promets de le ramener à la Colonie. On va réussir cette quête et rentrer sains et saufs. Tous.
Naomi se tourna vers lui, étonnée. Elle le dévisagea un long moment et Nico se demanda ce qu'elle voyait. Un garçon perdu avec un sweat jeune trop grand et ridicule ? Un garçon effrayant et étrange ? Il soutint son regard, le cœur battant. Et alors, elle fit quelque chose d'inattendu. Elle tendit le bras par-dessus la table et attrapa sa main dans la sienne. Les doigts glacés de Nico se refermèrent autour des siens mécaniquement.
- Je sais, dit-elle avec conviction. Je sais aussi que Will peut se débrouiller seul. Mais... je suis contente que tu sois à ses côtés. Vraiment.
Elle serra sa main pour ponctuer sa phrase et Nico eut soudain le sentiment qu'elle ne parlait pas seulement de la quête. Un poids qui pesait sur sa poitrine et dont il n'avait pas eu conscience sembla s'envoler.
- Merci... articula-t-il difficilement. Merci...
- C'est un plaisir, mon grand.
Avec une dernière pression, Naomi relâcha sa main. Presque en même temps, des bruits de pas se firent entendre derrière eux, et Nico se retourna sur sa chaise. Dans l'embrasure de la porte, Will les observait, l'air ensommeillé et heureux en même temps. Un sourire idiot jouait sur ses lèvres.
- Will, enfin debout !
- Désolé m'man... Je voulais t'aider, je pensais pas dormir si tard.
- Oh ne t'inquiète pas, il n'y a rien à faire. Je dois vraiment aller faire des courses, il n'y a plus rien ici.
- Je peux... commença-t-il.
- Non, je m'en occupe. J'en ai pour dix minutes en allant à l'épicier au coin de la rue. Ça vous laisse le temps de vous préparer et on reparle après, d'accord ? J'imagine que vous allez devoir repartir vite...
Le sourire de Will s'effaça.
- Sûrement vers midi maximum, oui...
Naomi soupira et son expression se fit plus sombre. Nico aurait aimé leur accorder plus de temps, leur dire qu'ils pouvaient rester plus longtemps, mais Hécate avait donné une date butoir et les heures filaient vite. Will avait raison : ils devraient partir avant le déjeuner.
- Je m'en doutais, admit-t-elle. Bon alors je vais y aller. Tu peux dire à tes amis qu'ils peuvent utiliser ma salle de bain aussi pour aller plus vite. Et donne un de mes t-shirt à Lou Ellen si elle veut, le sien est couvert de sang.
- D'accord...
- Et toi, Nico, je te dirais bien que tu peux garder ce sweat mais...
- Ça ira, dit-il précipitamment. Merci, madame Solace.
Naomi se contenta de rire. D'un pas léger, elle sortit de la cuisine et ébouriffa les cheveux de son fils au passage. Will fit mine de protester, mais Nico voyait bien qu'il n'y mettait pas de beaucoup de cœur.
- Désolé, dit-il en s'avançant vers lui dès que sa mère eu disparu. Elle est souvent un peu... trop. Oui, je crois que c'est le mot.
- Et moi qui pensait que tu tenais ton côté mélodramatique d'Apollon.
- Eh ! Je ne suis pas mélodramatique !
- C'est ça, Solace.
Nico eut un rictus et Will le repoussa, amusé. Il manqua de perdre l'équilibre, perché sur son tabouret de cuisine. Pour une fois, il faisait la même taille que Will et pouvait le regarder dans les yeux sans avoir à lever la tête, ni se mettre sur la pointe des pieds.
- Tu sais, ma mère a raison, dit Will en souriant avec moquerie. Tu peux garder le sweat si tu veux. Le jaune te va plutôt bien !
- Tais-toi.
- Non, mais vraiment ! Tu...
- Will, tu vois cette ombre, juste là ? Je vais disparaître dedans et tu ne me reverras jamais si tu termines ta phrase.
Will éclata de rire, puis prit une expression faussement sérieuse.
- Ca irait à l'encontre des ordres de ton médecin.
- Mon médecin est un idiot, répliqua Nico sans hésitation.
Cette fois, Will le repoussa plus vivement et il serait sans doute tombé à la renverse, surpris, si Will n'avait pas passé ses bras autour de lui en une seconde. Coincé entre son torse et la table de la cuisine, il tenta de garder une façade agacée. Le sourire en coin de Will lui fit bien comprendre qu'il échouait lamentablement. Son cœur s'emballa quand la main de Will vint se poser sur son genou pour l'aider à garder l'équilibre et il se redressa légèrement jusqu'à ce qu'ils soient face à face. Il était si proche de Will qu'il pouvait sentir la chaleur irradier de sa peau. Il avait déjà remarqué ce détail à plusieurs reprises et Will aimait bien plaisanter en disant que Nico le prenait pour son radiateur personnel, mais avoir le dieu du soleil en héritage avait ses avantages.
Irrépressiblement, ses yeux furent attirés par les lèvres de Will. Il aurait voulu combler la distance entre eux, mais il avait trop conscience du fait que Naomi pouvait revenir à tout moment, qu'elle pouvait les entendre depuis le hall... Son ventre se tordit avec appréhension et il se détesta. Il aurait aimé pouvoir embrasser Will sans réfléchir. Il aurait aimé pouvoir lui prendre la main sans vérifier qui se trouvait autour. Il aurait aimé arrêter d'avoir peur.
Une boule se glissa dans sa gorge. Il revit le sourire cruel de Mélinoé lorsqu'elle avait évoqué ses nouveaux fantômes et sa rencontre avec Cupidon. Au simple souvenir du dieu de l'amour, son cœur cogna encore plus douloureusement contre ses côtes, mais pour une raison totalement différente. L'écho de la sensation de honte qu'il avait ressenti ce jour-là raisonna en lui. Mécaniquement, son esprit fit s'enchaîner les visages : Jason, choqué et démuni ; Cupidon, implacable et puissant ; Mélinoé, glaçante et cruelle ; sa mère, douce et forte à la fois ; Bianca... Le souffle de Nico se bloqua. Il ferma les yeux de toutes ses forces.
- Nico ? Murmura soudain Will, sérieux.
La tension entre eux changea brusquement de nature et Nico se maudit intérieurement, incapable de calmer la panique qui l'envahissait. Will prit son visage en coupe entre ses mains.
- Eh, souffla-t-il. Eh, Nico, regarde-moi. Tout va bien.
- Désolé... Je...
Il avait l'impression de recommencer la scène de la veille quand ils avaient dû partager un lit et sa gorge se serra un peu plus. Il manqua de sursauter en entendant la porte d'entrée claquer, signe que Naomi venait de partir faire les courses.
- Respire, indiqua Will. Ça va aller, tout va bien.
- Will...
- Je comprends, ne t'inquiète pas. Tout va bien, répéta-t-il pour la troisième fois. C'est moi, je n'aurais pas dû...
- Non...
La faible protestation de Nico sonna comme un murmure. Pourtant, il aurait voulu se faire entendre. Will n'avait pas à se remettre en cause alors qu'il était clairement le problème ici.
- Je voudrais ne pas être comme ça, avoua-t-il, frustré.
Will fronça les sourcils. D'un coup, son expression se fit plus dure et il recula d'un pas.
- Comme ça quoi ? Lâcha-t-il d'un ton soudain plus cassant. Comme quelqu'un qui n'est pas normal parce qu'il aime les garçons ?
Ses mots mirent du temps à prendre sens dans l'esprit de Nico. Abasourdi, il écarquilla les yeux et sa voix retrouva sa puissance :
- Quoi ? Non ! Se récria-t-il. Will...
Il tendit le bras et l'attira à nouveau contre lui. Will se glissa entre ses genoux, la mâchoire contractée, et Nico déglutit.
- Je ne voulais pas dire ça dans ce sens-là, dit-il. C'est juste que... Je parlais de moi, de comment je n'arrive pas à... enfin tu sais... J'essaye mais...
Il avait horriblement conscience de ne pas arriver à exprimer ce qu'il ressentait. Les mots lui obstruaient la gorge et n'arrivaient pas à prendre forme. Sa frustration augmenta et il considéra vraiment un instant de se glisser dans l'ombre qu'il avait mentionné il y a quelques minutes. Fuir lui semblait terriblement tentant. Pourtant, comme toujours, Will comprit. Ses traits d'adoucirent et il vint prendre sa main dans la sienne, entremêlant leurs doigts ensemble.
- Oh Nico, souffla-t-il.
- Je suis désolé... répéta-t-il.
Apparemment, c'était la seule phrase qu'il arrivait à prononcer.
- Je vais devoir le redire combien de fois ? Dit Will avec un soupir exagéré. Tu n'as pas à l'être, Nico, par les dieux ! C'est plutôt moi qui devrait m'excuser, je te pousse alors que tu n'as pas envie de...
- Non...
C'était ça, le problème. Nico en avait envie. Il voulait laisser Will l'embrasser, mais son cerveau n'arrivait pas à se déconnecter lorsqu'ils n'étaient pas juste tous les deux, à l'abris du monde extérieur. Brusquement, une colère sourdre contre lui-même gronda au creux de son ventre. Il n'était pas effrayé d'affronter des dizaines de monstres sur un champ de bataille, ils n'étaient pas effrayés de descendre en Enfer... Ou du moins, il arrivait à surmonter sa peur dans ces moments-là. Il devrait être capable d'avoir le même état d'esprit avec Will.
- Ca prend juste du temps, c'est tout, le rassura Will. Ce n'est pas bien ou mal, c'est juste ce dont tu as besoin. Et je te le promets, je serai avec toi quoiqu'il arrive.
La colère fut remplacée par une vague de soulagement et Nico resserra sa prise autour de la main de Will.
- Merci... souffla-t-il.
Will roula des yeux et Nico fut à peu près sûr qu'il s'apprêtait à lui dire qu'il n'avait pas besoin de le remercier, mais il le coupa dans son élan. Ordonnant à son cerveau de se taire pour quelques secondes, il se pencha et déposa doucement ses lèvres contre celles de Will. Ce dernier émit un hoquet de surprise, mais lui rendit son baiser en une seconde. Ses lèvres étaient brûlantes contre les siennes et se mouvaient avec lenteur et avidité en même temps. Maintenant qu'il avait commencé, Nico n'eut pas la volonté de s'écarter et sa peur se réduisit à un murmure inaudible au fond de son esprit. Il attira un peu plus Will contre lui.
Sa poitrine était littéralement comprimée par ses émotions, mais la pression qu'il ressentait à cet instant était plaisante et n'avait plus rien à voir avec celle qui l'avait assailli il y a quelques secondes.
Will avait cet effet sur lui : il chassait les ombres aussi sûrement que les rayons du soleil.
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Encore une fois, je me suis éclatée à écrire ce chapitre et j'espère vraiment qu'il vous a plu !
Prochain post : chapitre 10 - lundi 31 mai
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