Chapitre 3 - Une lame à la main

Et comme promis, le chapitre 3 dans la foulée ! J'espère qu'il vous plaira! 

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Dans un cliquetis constant, Will fouillait la salle d'armement pour trouver de épées et des poignards en vue sa quête imminente. Il soupesa l'équilibre d'une épée à la lame émoussée dans sa main droite, fit quelques manœuvres avec, puis décida que ça n'allait pas faire l'affaire. Il n'avait jamais vraiment été attiré par les armes blanches. Trop lourdes, trop encombrantes. Même les poignards avaient l'inconvénient de devoir se rapprocher de son ennemi. Depuis son arrivée à la Colonie, Will avait privilégié les arcs et les flèches. Il n'était pourtant pas le plus doué des enfants d'Apollon à cet exercice : Kayla le battait à plat de couture et Michael Yew, son frère ancien Conseiller-en-chef dont il avait pris la succession, n'avait pas son pareil lorsqu'il s'agissait de mettre dans le mille. Avec un pincement au cœur, Will songea à l'arc de Michael, toujours accroché au-dessus de la porte de leur bungalow en signe d'hommage. Les plus jeunes, arrivés après la guerre contre Cronos et la Bataille de Manhattan, demandaient souvent pourquoi cet arc en particulier trônait au mur. Will sentait toujours sa gorge se fermer quand il leur expliquait et encore plus lorsqu'ils hochaient la tête poliment, comme il était d'usage à la mention d'un frère décédé qu'on ne connaissait absolument pas.

- Tu trouves quelque chose ? Fit une voix dans son dos.

Will sursauta.

- Par les dieux, Nico ! Cria-t-il. T'as voyagé par les ombres, c'est ça ?

- Non, je sais juste être discret.

Avec un demi-sourire effronté, Nico s'adossa au mur, juste à côté de la rangée d'épées suspendues, et désigna celle qu'il tenait toujours à la main.

- Pas trop ton style, non ?

- Pas vraiment, admit-il, défait. Mais je me disais qu'il m'en fallait une...

- Pourquoi ? Tu as un ton arc, tes flèches. Ça sera plus utile.

Will reposa l'épée et haussa les épaules.

- Je ne sais pas, c'est assez dur de s'en servir en combat rapproché. Je me disais que si on était plusieurs à en avoir, ça serait sûrement plus sûr. Je veux dire, Lacy et Lou Ellen ne brillent pas par leurs talents d'épéiste et Connor préfère souvent éviter les approches frontales. Si tu te retrouves tout seul à devoir te battre...

- Je m'en sortirai.

- Ton ego est pire que je pensais.

Nico roula des yeux.

- Will, tu n'as pas besoin de devenir le meilleur épéiste de cette Colonie en une nuit juste pour moi. Tout le monde pourra aider, toi compris.

- Comment ? En vous guérissant après les batailles ?

- Est-ce que j'ai dit ça ? Rétorqua Nico. Tu n'es peut-être pas le meilleur archer, mais tu sais encore tirer et viser. Sérieusement, ne t'inquiète pas pour ça.

Mais Will ne put s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil aux épées devant lui. Rationnellement, il savait que Nico avait raison. Chacun ses points forts. Ne jamais sous-estimer un demi-dieu. Austin n'en avait pas l'air comme ça, mais son adaptation jazz des Beatles au saxophone pouvait être une arme puissante. Et il supposait que Nico n'avait donc pas tort : son arc et ses flèches étaient des atouts non négligeables qui pouvaient faire des dégâts considérables quand il arrivait plus ou moins à s'en servir. Il suffisait de demander à Connor, la fois où il s'en était pris une dans le pied par mégarde. Pourtant, Will n'arrivait pas à s'enlever de l'esprit qu'il n'était pas aussi utile que quelqu'un comme Annabeth, Percy ou Jason. Pour les avoir tous vu pendant la bataille contre Gaïa, il savait que chacun d'eux pouvait se battre contre plusieurs ennemis simultanément et leur donner du fil à retorde.

- Eh !

Nico claqua brusquement des doigts devant son visage. Will cligna des yeux.

- Je rêve où je dois être l'optimiste de nous deux, Solace ? Qu'est-ce qui t'arrives ?

- Rien, désolé, désolé... T'as raison ! Je vais prendre mon arc et mon kit de secours !

- Mieux.

- Enfin, c'est toi qui insistais pour venir en quête avec moi, ne pût-il s'empêcher d'ajouter. Comme si je ne savais pas me débrouiller.

Il regretta ses mots à peine eurent-ils franchi ses lèvres. Nico recula comme si Will l'avait physiquement poussé et son attitude détendue s'envola aussitôt. Pour un peu, il aurait presque pu voir un mur d'ombre se dresser entre eux tant le visage de Nico se durcit et Will s'en voulut immédiatement.

- Si tu ne veux pas que je vienne, tu n'as qu'à le dire à Lou Ellen, dit-il froidement.

- Nico, non, ce n'est pas...

- Je vais lui dire de me remplacer par quelqu'un d'autre. Laisse tomber.

Il fit volte-face, prêt à s'en aller, mais Will lui saisit le poignet avant qu'il ne soit hors de sa portée. Littéralement et métaphoriquement.

- Arrête, dit-il. Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu le sais bien. Je suis tendu, d'accord ? Je sais que je n'en donne pas l'air, mais je le suis. A vrai dire, je ne suis jamais parti en quête. Et Lou Ellen compte sur moi. (Il inspira profondément, son cerveau tournant à mille à l'heure). Je vais devoir aussi laisser l'infirmerie... Je sais, on n'est pas nombreux en ce moment mais quand même... Si quelqu'un tombe, ou se casse un os, ou se blesse sur le mur de lave ou...

- S'embroche sur une épée ?

- Exactement ! Et... (il s'interrompit lui-même et dévisagea Nico). Tu te moques de moi, là ?

Malgré ses efforts, Nico ne parvint pas à réprimer un rictus.

- Will, au risque de révéler le secret le mieux gardé de cette Colonie, tu n'es pas leur mère. Ils peuvent se débrouiller sans toi.

- Tu crois ?

- Non. Mais dis-toi au moins que Connor sera avec nous, ce qui minimise les risques.

Will émit un rire étouffé. Fatigué, il laissa son front reposer contre l'épaule de Nico, leur corps si proche qu'il pouvait le sentir respirer. Respirer était un bon signe pour Will : c'était synonyme de vie. Pendant une seconde, Nico se raidit puis il se détendit. Il avait fallu des semaines pour qu'il soit à l'aise avec les contacts physiques. Will soupçonnait que c'était dû à deux choses : la première, assez évidente, était que Nico n'avait simplement pas l'habitude et avait vécu seul, isolé des autres, bien trop longtemps ; et la seconde était lié à son habitude de se fondre dans les ombres. A force de dématérialiser son corps ainsi, les sensations physiques pouvaient en être altérées.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu sais, souffla-t-il. Pendant la réunion. Je veux que tu viennes avec nous.

Nico déglutit.

- Tu n'avais pas le choix de toute façon, répondit-il. Mais après, je suis sûr que Drew serait ravie de prendre ma place.

- N'y penses même pas, Di Angelo.

Lentement, il releva la tête. Nico ne s'écarta pas et Will lui en fut reconnaissant. De près, il distinguait les nuances sombres dans ses yeux et il s'émerveilla à nouveau en constatant à quel point les orbes des enfants des Trois Grands pouvaient refléter leur parent divin. Pour avoir soigner Percy un nombre incalculable de fois, il savait que ses prunelles prenaient souvent la couleur de l'océan, tandis que celles de Jason viraient parfois au bleu d'un ciel d'été ou d'un ciel d'orage selon les circonstances. Nico ne faisait pas exception. Le noir de ses yeux paraissait se mouvoir comme de l'encre... Non, se corrigea-t-il mentalement, comme les eaux du Styx. Du moins, les eaux du Styx telles que Will se les imaginait.

Sans réfléchir, il se pencha en avant, et embrassa Nico. Il le sentit se tendre à nouveau, mais au moins il ne s'écarta pas, même si n'importe qui pouvait entrer dans l'armurerie et les surprendre. Will envoya une prière mentale à son père pour éviter que ça n'arrive : Nico en serait traumatisé pour trois ans minimum. Pourtant, ce fut lui qui attira Will un peu plus contre lui et il se laissa faire. Ses mains vinrent se glisser sur les hanches de Nico. Il le savait par expérience, embrasser pouvait être déstabilisant au début : trop physique, trop détaché... Un baiser se jouait au-delà des lèvres, c'étaient les corps qui se retrouvaient, et il l'avait très vite mis en pratique avec Nico. Il supposa qu'il avait bien fait car une seconde plus tard, il le sentit passer une main sur le côté de son visage, contre son cou, jusqu'à son épaule, comme s'il lui interdisait de se dégager. Will approfondit le baiser.

Au bout de longues secondes, il dû pourtant s'écarter, haletant. Les yeux de Nico s'étaient réduits à une tête d'épingle. Il ouvrit la bouche deux fois, incapable de trouver les mots, puis se râcla la gorge.

- Désolé, marmonna-t-il, j'en avais envie je crois...

- Hum... fit Nico.

Il avait les lèvres rouges. Will eut envie de l'embrasser à nouveau, mais ce fut Nico qui reposa ses lèvres contre les siennes un court instant.

Will allait à nouveau l'attirer contre lui lorsque Nico se recula, hagard une seconde, puis une lueur déterminée s'alluma dans ses yeux. Il tendit le bras et attrapa l'épée la plus proche avant de la lui tendre.

- Tu sais quoi ? Dit-il d'une voix encore mal assurée. On va quand même t'entraîner un peu avant de partir.

- Quoi ?

- Tu disais que tu ne voulais pas être inutile, c'est ça ? Même si je pense que ton arc te suffit, on va faire en sorte que tu saches un minimum te battre avec.

- Je sais déjà... Chiron m'a entraîné comme les autres, tu sais.

- Lame vers l'avant, garde vers l'arrière.

- Nico !

Will voulut à nouveau objecter, puis il se rappela ses propres paroles. Après tout, il l'avait voulu et rien ne valait un des meilleurs épéistes de la Colonie comme prof. Surtout si le dit prof était sexy dans son jean noir et son t-shirt des Ramones.

- Allez Solace !

Des deux mains, Will empoigna son épée. Il ne savait pas si Nico avait fait exprès, mais celle qu'il avait prise était bien mieux équilibrée que la précédente. Inspirant profondément, Will se mit en position. Autour d'eux l'armurerie était assez vaste et ils arriveraient à se mouvoir sans problème, même si l'espace ne valait pas l'arène de combat. Ça serait sûrement un bon exercice pour des futurs affrontement en lieu clos. D'un geste maîtrisé – et un peu frimeur aussi sans doute – Nico fit tournoyer son épée en fer stygien qui jeta une lumière crue sur les angles de son visage. Il attaqua en premier.

Will eut le temps de lever sa nouvelle arme avant que leurs lames ne s'entrechoquent dans un bruit sourd. Il se sentit horriblement gauche, mais il n'eut pas le temps de s'appesantir sur ce sentiment que Nico revenait à la charge. Pour quelqu'un de si frêle, il était rapide. Will, au contraire, avait l'habitude de viser et d'être stable sur ses pieds pour tirer. Un combat de la sorte demandait d'autres aptitudes, comme celles de se déplacer constamment tout en maintenant sa garde et en attaquant l'adversaire. Nico visa son flanc gauche et Will riposta par une des premières bottes que Chiron lui avait apprises. Le fils d'Hadès la bloqua avec une facilité insultante.

Les bras tremblants, Will tenta de se décaler sur le côté, mais Nico le suivit et ils tournèrent en arc de cercle, face à face. A nouveau, Nico lança l'offensive. Will se laissa glisser au sol pour éviter le coup, puis roula sur lui-même. Il essaya de faucher les jambes de Nico, mais celui-ci sauta au dernier moment. Son corps décrivit un retourné et il se campa sur ses pieds, l'épée au clair. Will se releva. Impatient, il repoussa ses boucles blondes qui lui revenaient sur le front. Nico suivit son geste des yeux. Il espérait l'avoir un minimum déconcentré, mais Nico lui donna tort une seconde plus tard en visant son buste. Will se plaqua contre le mur. Déterminé à ne pas se faire balader de bout en bout, il joua le tout pour le tout et se jeta en avant de manière peu conventionnelle. La manœuvre déstabilisa assez Nico pour qu'il perde l'équilibre et recule de plusieurs pas, chancelant, avant de remonter sa garde et de parer. Leurs épées se croisèrent à nouveau.

A présent face à face, miroir l'un de l'autre, ils se défièrent du regard. Le fer contre le bronze, les ténèbres contre la lumière, le soldat contre le guérisseur.

- Euh... Vous vous êtes disputés ?

Ils s'écartèrent d'un bond. Connor, qui venait de parler, se trouvait dans l'embrasure de la porte avec Lou Ellen et Cecil, perplexe. Will rougit.

- Non, s'empressa-t-il de dire. On s'entraînait.

- Ah... Bah c'est flippant, commenta Cecil.

Will toussota, gêné, et reposa l'épée à sa place. Nico remit la sienne à sa taille. Il ne commenta pas sa prestation en duel et se contenta de se diriger vers la sortie, le visage neutre.

- Je vais préparer notre départ avec Argus, dit-il. Je vous laisse gérer le reste. On se retrouve après.

Et juste comme ça, il était parti. Will grogna. Le Roi Fantôme, tu parles, songea-t-il. Le Roi de l'Esquive, oui ! En face de lui, Lou Ellen, Cecil et Connor s'approchèrent prudemment en jetant des coups d'œil autour d'eux. En vérité, ils n'avaient pas dérangé grand-chose pendant leur combat. Nico maîtrisait bien l'espace : pas un seul présentoir à épée n'était tombé. Connor attrapa un poignard en bronze qui traînait et le lança en l'air. Il retomba dans la main tendue de Lou Ellen.

- Pas mal, apprécia-t-elle.

- Vous êtes venus chercher une arme ? Demanda Will.

- Non, on est venus manger au restau, se moqua Connor. Apparemment, l'armurerie est recommandée sur Tripadvisor !

- Question idiote, réponse idiote, justifia Cecil face au regard noir de Will.

Il leur accorda le point.

- Bon les gars, allez ! Continua Cecil. Puisque vous êtes décidés à partir sans moi, autant que je vous aide à choisir une arme. Ça me rendra utile.

- Je suis désolée, vraiment, dit Lou Ellen et Will eut l'impression que ce n'était pas la première fois qu'elle s'excusait. J'allais te choisir quand je me suis souvenue qu'on pouvait être cinq, mais le message de Rachel est arrivé... On devait prendre un enfant d'Aphrodite.

- Et soyons honnête, tu n'es pas assez beau pour passer pour l'un d'eux, lança Connor.

- Eh !

- J'aurais quand même préféré Cecil maquillé de la tête au pied plutôt que Drew, affirma Lou Ellen.

Will éclata de rire en s'imaginant le tableau. Il remarqua que Lacy n'était pas avec eux et il se demanda où la petite fille avait bien pu passer. Enfin, petite fille... Elle devait bien avoir douze ans maintenant. Il se souvenait encore de son arrivée puisqu'il l'avait soigné dès qu'elle avait passé la frontière de la Colonie, épuisée et terrorisée après trois jours de poursuite par une Empousa. Elle s'était littéralement écroulée contre lui, une méchante plaie au front, et il l'avait emmené à l'infirmerie pour lui expliquer plus en détails sa nouvelle vie tout en la soignant.

- Et Lacy, où elle est ?

- En train de préparer les vivres en cuisine. Histoire de tenir quelques jours au moins.

- J'espère que ça ne va pas trop la perturber...

- Quoi ? De faire des sandwichs ? Fit Connor en attrapant une lance à la pointe rouillée.

- Non, abruti. Partir en quête.

A côté de lui, Lou Ellen fronça le nez devant une hache plus grosse qu'elle et se dirigea vers les armes plus légères.

- Je pense que ça ira, dit-elle. On sera avec elle pour l'entourer au moins. (Elle plongea la main dans une boîte et en sorti un collier en forme de triple croissant de lune entrecroisé). Oh joli !

- Je ne suis pas sûr que ça aide beaucoup pendant un combat, railla Cecil.

Mais Will s'approcha, intéressé. L'armurerie regorgeait d'armes en tout genre et il savait que même un objet à l'apparence banal pouvait se révéler être tout autre chose. Il attrapa la chaîne argentée entre ses doigts et la leva à hauteur du regard. Les croissants de lune, en bronze céleste, tranchaient avec la couleur de la chaîne mais semblaient presque émettre une lueur fantomatique. Par instinct, Will appuya au centre, là où les trois croissants se rejoignaient. Le collier disparu, remplacé par une longue épée étrange : elle était tricéphale. La lame principale, semblable à celle d'une épée classique, était accompagnée de deux plus petites qui partaient de la garde, comme une sorte de trident. Lou Ellen siffla, impressionnée.

- Qu'est-ce que c'est ? Dit-elle en caressant la lame du doigt. Je n'ai jamais vu une arme comme ça...

- Aucune idée, dit Cecil.

Connor s'approcha et scruta l'épée.

- Je crois que c'est un... (il chercha ses mots). Rah, c'était un nom bizarre... un saï, si je me rappelle bien ! Oui, c'est ça. C'est japonais. Le collier appartenait à une fille de notre bungalow, une indéterminée. Elle avait déjà au moins seize ans quand on est arrivés avec Travis et on ne la connu qu'un été. Elle s'est faite tuée juste après... Mais elle était asiatique et portait toujours ce collier. On a dû le remettre ici quand elle est morte.

Sa voix dérailla une seconde. Parfois, Will oubliait que Connor était le plus âgé de leur petit groupe et qu'il était celui qui avait passé le plus de temps à la Colonie. C'était facile à oublier en vérité : Connor paraissait souvent plus immature qu'eux tous et donc bien plus jeune. Pourtant, il avait presque trois ans d'écart avec eux. A bientôt dix-huit ans, Connor était un des rares pensionnaires aussi âgés qui restaient à l'année. Il était moins seul l'été puisqu'il y avait encore Percy, Annabeth, Clarisse... Mais même eux ne reviendraient sûrement plus aussi souvent. D'ailleurs, il n'était même pas sûr de revoir Clarisse l'été prochain. Quant à Travis, il avait commencé ses études et pris la décision de se calmer après des années de turbulence et de mauvais coups. Will se demanda si Connor arriverait vraiment à suivre le même chemin.

- Maintenant que j'y pense, c'était sans doute une fille d'Hécate, mais on ne le savait pas, reprit ce dernier pensivement.

- Comme moi au début, souffla Lou Ellen.

- Ouais... Mais t'as été une super sœur, soeurette ! Assura Cecil.

Lou Ellen sourit.

- Merci... (Elle appuya sur la garde de l'épée et elle se retransforma en collier). Je crois que je vais prendre ça !

- Bon choix, approuva Will d'un ton docte. Trois lames pour une déesse au visage triple. Jolie symbolique.

Son amie approuva. D'un geste, il lui fit signe de s'approcher et elle s'avança vers lui avant de soulever sa masse de cheveux noirs. Il lui glissa le collier autour du cou et referma la chaîne. Les trois croissants de lune reposaient parfaitement contre sa peau blanche.

- Une arme de trouvée ! Compta Cecil. A qui le tour ?

- Je prendrai mon arc et mes flèches, dit Will.

Son combat avec Nico l'avait finalement conforté dans son idée : les épées classiques n'étaient pas pour lui.

- Connor ?

- Je prendrai mon épée. Simple, fiable, efficace !

- Tout le contraire de toi, se moqua Lou Ellen.

- Eh ! Protesta-t-il.

Il lui donna une chiquenaude sur le front qui la fit loucher et tout le monde éclata de rire.

- Sois sympa avec moi ! Exigea Connor. Je reviens juste de quête et voilà que je repars pour toi. Aucun repos pour les braves ! Aucune stabilité ! Aucune grâce matinée !

- Je crois que l'instabilité c'est ton truc de toute façon, lança Cecil.

Le commentaire se voulait humoristique et leur arracha à tous un sourire, mais celui de Connor se teinta malgré tout d'une certaine amertume.

- Peut-être bien... souffla-t-il.

Will aurait voulu trouver les mots pour le réconforter – de quoi, il ne savait pas vraiment – mais le moment de faiblesse de Connor passa aussi vite qu'il était arrivé. Il secoua la tête, agitant ses boucles châtains, et retrouva son air espiègle de toujours. Will se détendit en écho. Au moins, c'était un spectacle familier qu'il pouvait gérer.

- Bon, on ferait mieux d'y aller non ? Déclara-t-il en frappant dans ses mains. Lacy a peut-être besoin d'aide pour se préparer et il faudrait qu'on parte avant la fin de la journée.

- Et on commence par quoi ? Je veux dire, on sait où on va ? Par où on commence ? Fit Connor, les mains plongés dans les poches de son jean.

Will se tourna vers Lou Ellen et haussa un sourcil en guise de question. Il supposait que sa mère lui avait donné un indice ou qu'elle savait où ils devaient se rendre dans leur recherche des torches, mais elle baissa la tête, ses longs cheveux noirs lui couvrant le visage. Comme elle était petite – elle lui arrivait à peine au menton – il n'arriva pas à lire son expression.

- Justement... dit-elle d'une voix traînante et embarrassée. Je ne sais pas trop en fait...

- Quoi ? S'exclama Connor.

Ses sourcils en accent circonflexes s'envolèrent.

- Je sais, je sais ! Mais ma mère n'a rien dit. Genre, vraiment rien !

- Oh c'est pas vrai...

Ils étaient ressortis de l'armurerie et Will donna un coup dans un caillou devant lui de dépit. Il le regarda rouler au loin.

- Finalement, je crois que je suis content de ne pas faire parti de votre quête, lâcha Cecil. Vous êtes mal barrés !

- Merci, mec, grommela Connor.

Soudain plus moroses qu'avant, ils remontèrent le chemin vers la Grande Maison en silence. Du coin de l'œil, Will pouvait voir la concentration de Lou Ellen et il se doutait qu'elle se repassait sa conversation onirique avec sa mère en boucle pour y trouver une information qu'elle aurait oublié. Il sentit lui-même une migraine germer au niveau de ses tempes. Maintenant qu'il y pensait, il n'avait aucune idée de l'endroit où pouvaient se trouver les torches d'Hécate. Ils n'avaient aucun indice sur ceux qui les avaient dérobés non plus. Si Hécate avait voulu les aider, elle s'était bien loupée.

Sur leur route, ils passèrent devant l'infirmerie et Will fit attendre les autres à l'extérieur alors qu'il y faisait un crochet pour rassembler les fournitures dont il avait besoin. Dès qu'il passa la porte, il fut assailli par une odeur d'herbes médicinales et de désinfectant qu'il appréciait particulièrement. Il savait que beaucoup de pensionnaires ne l'aimaient pas car elle était pour eux synonyme de blessures et de batailles, mais pour lui cette odeur lui évoquait un refuge. L'infirmerie, c'était son domaine. C'était celui où il maîtrisait les choses, où il pouvait aider les autres et être utile, où tout était à sa place et avait une propriété scientifique ou magique à laquelle il pouvait se raccrocher. Will aimait l'infirmerie.

Pendant longtemps, il avait été l'enfant d'Apollon sans trop de talent. Tous ses frères et sœurs brillaient pourtant par leurs dons et leurs aptitudes : briller était une seconde nature quand votre père était le dieu du Soleil. Kayla n'attendait que ses seize ans pour participer au Jeux Olympiques en tir à l'arc, Austin excellait à tout ce qui touchait de près ou de loin à la musique, Lee Fletcher et Michael Yew avaient tous les deux été des combattants et des archers de talents, et il ne parlait même pas des anciens enfants d'Apollon comme De Vinci, Shakespeare ou Apollinaire. Par les Dieux, comment Will aurait pu rivaliser avec celui qui avait peint la Joconde ?

Le pire dans tout cela : il s'était révélé plutôt médiocre en musique, en tir à l'arc ou en art. Un comble ! Au début, il s'était même demandé si Apollon n'avait pas fait une erreur en le revendiquant. Ça aurait bien été son genre après tout. « Oups, mauvais gamin ! Désolé, j'étais distrait par la nymphe qui passait ! Mais non, non, celui-là, c'est pas mon mioche. Impossible ! ». Chaque jour, Will s'était attendu à ce que Chiron vienne le trouver pour lui annoncer la nouvelle. C'était d'ailleurs comme cela qu'il s'était retrouvé à sympathiser avec les Hermès. Il s'était dit, sans doute naïvement du haut de ses neuf ans, qu'il valait mieux qu'il se fasse des amis dans ce bungalow puisqu'il devrait y aller après qu'Apollon se soit rendu compte de son étourderie. Il s'était lié avec Cecil en premier, puis ils avaient admiré les frères Alatir ensemble. Plus âgés, ils leur avaient paru si cools à faire les quatre cents coups et à mettre Annabeth en colère. Petit à petit, Travis et Connor étaient devenus ses amis aussi, même s'ils passaient moins de temps avec eux à l'époque.

Et puis un jour, la fille de leur groupe était arrivée. Il revoyait encore Lou Ellen franchir la barrière magique du pin de Thalia. Elle tremblait comme une feuille et ses yeux grands verts si saisissants s'étaient écarquillés de terreur. Sa cheville cassée soutenait à peine son poids. Du haut de ses dix ans, Will s'était alors donné pour mission de l'aider à atteindre l'infirmerie. Appuyée sur lui, elle avait clopiné tant bien que mal et il était resté avec elle tout le long. Mais Lou Ellen n'avait pas eu de chance : elle était arrivée à la Colonie pile à la fin d'une partie de Capture à l'Étendard et l'infirmerie était bondée. Assise misérablement sur son tabouret de fortune, elle attendait donc qu'un guérisseur s'occupe d'elle, dents serrées.

Ce jour-là, Will avait senti ses pouvoirs réellement s'éveiller pour la première fois. C'était comme si un rayon de soleil bienfaisant s'était infiltré en lui pour ressurgir par ses paumes et, sans savoir comment, il avait pris la cheville de Lou Ellen en coupe entre ses mains instinctivement. Une douce lueur s'était alors diffusée de sa peau vers la fille d'Hécate. En moins de cinq minutes, sa cheville était guérie. Ça avait été une révélation pour Will, mais aussi pour la Colonie. D'un coup, il s'était vu propulser guérisseur, puis trois ans plus tard pensionnaire en charge de l'infirmerie. Il avait cultivé une passion pour la médecine et s'était entraîné sans relâche. Malgré le poids de sa responsabilité, il se sentait utile.

- Bon, Will, tu te grouilles ? Cria brusquement la voix de Connor.

Will s'ébroua et ses souvenirs s'évanouirent. Avec précipitation, il fourra divers baumes, onguents, bandages, carrés d'ambroisie et gourdes de nectar dans son sac à dos ; puis il ressortit au pas de course. Connor claqua de la langue.

- Pas trop tôt !

- Désolé, je voulais être sûr de ne rien oublier. (Il remarqua alors que ses amis n'étaient plus que deux). Où est Cecil ?

- Mort d'attente.

- Connor, réprimanda Lou Ellen en roulant des yeux. Il est reparti dans son bungalow. Julia et Alice ont apparemment mis la main sur un stock de bombes de mousse à raser. Il doit gérer la situation avant d'avoir tout le Camp à dos. Il nous souhaite bonne chance.

Will hocha la tête, déçu de ne pas pu lui avoir dit au revoir. Ils se remirent en chemin et il coula un regard en direction de Connor, soudain suspicieux.

- Une réserve de bombes de mousse à raser, hein ? Dit-il.

- Il est possible que ça soit la mienne, admit-il, un rictus en coin accroché aux lèvres.

- Connor !

- Eh ! Elle date, cette réserve ! On l'avait fait avec Travis après la Bataille de Manhattan. C'était il y a plus d'un an !

- Et tu n'as jamais pensé à t'en débarrasser ? Dit Lou Ellen, moitié amusée, moitié accusatrice.

- Et gâcher un trésor pareil ? Jamais !

Will roula des yeux.

- Il faut grandir à un moment, Connor.

A ces mots, Connor se rembrunit. Will n'insista pas.

Ils étaient tous les trois arrivés en haut de la colline où, comme prévu, Nico les attendait. Il était accoudé contre la camionnette de la Colonie dans laquelle il avait visiblement chargé plusieurs sacs que laissait voir le coffre ouvert. Son épée en fer stygien était toujours pendue à sa taille, mais il en tenait une autre, en bronze céleste, dans sa main et il avait passé sa fameuse veste d'aviateur par-dessus son t-shirt noir. Will fit un effort pour ne pas trop le regarder et tourna son attention sur Lacy qui se tenait à ses côtés. Nico n'était pas le plus grand des demi-dieux, mais à côté de lui Lacy paraissait encore petite. Elle avait troqué sa robe à fleurs de ce matin pour un jean et un pull rose plus pratiques et ses cheveux blonds aux mèches caramel étaient relevés en chignon sur le sommet de sa tête, comme si elle espérait gagner quelques centimètres grâce à lui.

Dès qu'ils arrivèrent à leur hauteur, Nico tendit l'épée en bronze à Connor.

- J'ai été te la chercher, indiqua-t-il. Pour gagner du temps.

- Merci.

Will eut juste le temps de voir le caducée gravé sur la garde de l'épée avant que celle-ci ne se transforme en mousqueton que Connor attacha à sa ceinture d'un geste coutumier.

- Prêts ? Demanda Nico.

- En quelque sorte. Lou ne sait pas où on va.

Les joues de Lou Ellen s'enflammèrent.

- Ce n'est pas ma faute ! Les torches pourraient être n'importe où je te rappelles ! Je n'ai pas de radar intégré. En plus, c'est ton truc les objets volés, non ?

- Ca ne fonctionne pas comme ça, protesta Connor en levant les mains.

Will plaça soigneusement son sac dans le coffre avec le reste des affaires rassemblées par Nico et Lacy. Il était en train de se demander si ça valait bien le coup de partir aujourd'hui sans information lorsque Nico reprit la parole :

- J'ai peut-être une idée de là où on pourrait commencer.

- Sérieux ? Vas-y, parle, petit prince ! Encouragea Connor.

Will n'eut pas besoin de se retourner pour voir le regard noir que Nico dû jeter à Connor. Il ne savait pas bien d'où venait ce surnom, mais d'après ce qu'il avait compris, Connor l'avait trouvé avec Travis et les autres membres de leur quête qui les avait conduits aux Enfers le mois dernier. Une histoire de petit prince des Enfers ou quelque chose comme ça. De toute façon, Will n'avait pas tout à fait digérer le départ brusque de Nico qui, sans prévenir, s'était lancé avec les frères Alatir dans une mission dangereuse. La prochaine fois qu'il avait Travis sous la main, il lui dirait deux mots.

- En fait, c'est Lacy qui a eu l'idée, avoua Nico.

- Oh... c'était juste... enfin juste une suggestion, balbutia-t-elle quand ils la regardèrent tous, surpris.

- On parlait de ton rêve, Lou Ellen, et des paroles d'Hécate. Lacy a suggéré qu'on rendent visite à Mélinoé. Après tout, ta mère l'a évoqué, non ?

- Euh oui, acquiesça Lou Ellen, les sourcils froncés. Mais quel est le rapport avec les torches ?

- Pour l'instant, aucun, admit Nico. Mais Mélinoé sait souvent des choses qui échappent aux autres divinités ou entités mythologiques. Les fantômes font partie de ses émissaires et sont témoins des actes aussi bien sur Terre que dans le monde infernal. Autant commencer avec elle, on pourra peut-être avoir des réponses.

Ils échangèrent tous un long regard interrogateur, mais ils laissèrent Lou Ellen prendre la décision. Finalement, elle hocha la tête.

- C'est un plan ! Dit-elle avec fermeté. Allez, en route. Où est Argus ?

Lacy se mordit la lèvre.

- Il est parti chercher une livraison de Coca Light pour Monsieur D.

- Pardon ? S'exclama Will.

- Donc Chiron nous a confié l'autre camionnette du Camp, dit Nico. Vous saviez qu'il y en avait plusieurs, vous ?

Will songea qu'il aurait dû le savoir, mais il l'apprenait. Anxieux, il lorgna le volant, puis leur petit groupe d'ados.

- Qui va conduire ? Demanda-t-il, circonspect.

- Techniquement, je sais conduire, fit valoir Connor. Travis m'a appris sur un parking vide et j'ai déjà pratiqué à la ferme chez mon grand-père.

- Techniquement ? Répéta Lou Ellen.

- Bah, je n'ai pas encore mon permis à proprement parler, mais...

- Non, coupa Will, catégorique.

Il refusait de montrer dans une voiture conduite par un fils d'Hermès sans permis. Plus que tout, il refusait d'y laisser Lacy, à peine douze ans, y monter.

- Oh allez, insista Connor.

- Hors de question.

- J'ai presque dix-huit ans.

- Et tu n'as pas de permis.

- Comment tu veux qu'on fasse sinon ?

Nico parut gêné, puis dit visiblement à contre-cœur :

- Je suppose que je peux demander à Jules-Albert.

- Qui ça ? S'enquit Lacy.

- Un cadeau de mon père. Je pense qu'il croyait bien faire. C'est un chauffeur français.

- La classe ! Lança Connor.

- Qui est aussi un zombie.

- Oh non-correction : l'horreur !

Will eut du mal à cacher sa surprise et Lou Ellen grimaça carrément. Lacy blêmit.

- Bon tu préfères quoi, Solace ? Moi ou le zombie ?

Connor le défia du regard. Par-dessus son épaule, Nico lui renvoya un regard d'excuse et Will se reprit immédiatement. Hors de question que Nico se sente mal ou jugé.

- Très bien, accepta-t-il en soupirant. Connor, prends le volant. Mais tu as interdiction de toucher à l'autoradio.

Avec un sourire triomphant, Connor attrapa les clés que Nico lui lança au vol et ils montèrent tous dans la camionnette. Départ pour une quête incertaine en vue de retrouver les torches d'une déesse. Beau voyage en perspective. 

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Verdict ? ^^

Petite précision: je vais changer mon jour de postage, ça sera désormais le lundi ! Donc on se retrouve le lundi 8 mars pour la suite ! ;) 

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