Chapitre 20 - Escale au Camp Jupiter

On approche de la fin ^^ Plus qu'un chapitre et un épilogue! En attendant, j'espère que vous aimerez ce chapitre et je vous souhaite une bonne rentrée ( mais soyons réalistes, c'est une rentrée quoi...) 

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Chapitre 20 : Escale au Camp Jupiter

Will ne savait pas très bien ce qui s'était passé dans ce combat. Tout avait été vite, trop vite, et il avait essayé de garder un œil sur tout, ce qui avait abouti au résultat inverse : il n'avait pas compris ce que Lou Ellen avait fait pour battre Médée. A vrai dire, il blâmait davantage Nico sur la fin. Il avait été trop inquiet pour lui pour se soucier d'autres choses. Pourtant, en entendant Médée hurler de colère, il avait fait volte-face pour la découvrir auréolée de lumière et de brume avant qu'elle ne se prenne le sort de Lou Ellen, incapable de le dévier. Et elle avait disparu... Lou Ellen, elle, s'était écroulée. Ce qui faisait que Will se retrouvait avec deux corps inconscients sur les bras. Il jura à voix basse.

Toujours agenouillé devant Nico, il prit son pouls et s'assura que son état était stable. Il ressentait surtout une certaine faiblesse émanée de lui, mais il mit ça sur le compte de l'utilisation massive de son pouvoir il y a quelques minutes. Rien qu'en repensant à l'expression de Pasiphaé, il frissonna. Entendre le récit de ce qui était arrivé à Bryce Lawrence et le voir de ses propres yeux étaient différents. Il ne savait pas s'il trouvait l'expérience fascinante ou effrayante... sûrement un peu des deux. Il avait toujours su que les pouvoirs de Nico étaient bien plus puissants que ceux des autres demi-dieux à la Colonie, mis à part Percy. Et encore... C'étaient des jours comme aujourd'hui qui le faisaient douter. Percy maîtrisait ses pouvoirs, mais il ne les avait probablement pas testés jusqu'à leurs limites. Du moins, Will n'en avait jamais été témoin. Nico, lui, repoussait les possibles depuis son plus jeune âge. Guidé par Minos, il avait appris seul et avait progressé sans doute trop vite. Il était persuadé que ses évanouissements répétés venaient de là. Un nouveau frisson le parcourut alors que la vision de Nico s'écroulant à terre lui revint... Transformer les gens en fantôme n'était pas neutre. C'était arracher leur énergie vitale, la consistance même d'un corps... Ce n'était pas étonnant que le contre-coup soit si dur. Le Roi Fantôme portait peut-être bien son titre, mais la couronne venait avec un poids à porter.

En soupirant, Will s'assura une dernière fois que Nico allait bien, avant de se relever pour se diriger vers Lou Ellen. Ses cheveux noirs s'étalaient autour de sa tête, tournée vers le sol. Il déglutit en se baissant à sa hauteur avant de prendre son pouls. Immédiatement, il poussa un nouveau soupir de soulagement en le sentant battre sous ses doigts, régulier et stable. Avec précision, il la bascula sur le côté en position latérale de sécurité avant de porter ses mains le long de son corps. Il ressentit le même phénomène qu'avec Nico : elle était vidée de son énergie et avait une plaie sur la joue. A côté d'elle, la torche renversée rougeoyait toujours, les plongeant dans une semi-lueur orangée.

- Lou ! Will ! Nico !

La voix de Connor, portée par le vent, l'atteint avec surprise et il se releva la tête à temps pour le voir dévaler la colline, Lacy sur les talons. Ils portaient tous les deux leurs affaires et Will se précipita à leur rencontre.

- Donnez-moi de l'ambroisie, commanda-t-il sans prendre la peine de leur demander s'ils allaient bien.

- Lou ? Qu'est-ce que... ?

- Elle va bien, Nico aussi. Ils sont juste épuisés. J'ai besoin de les remettre sur pieds.

- Tiens, lui tendit Lacy avec empressement. Et du nectar.

- Merci...

Même si son instinct lui criait de soigner Nico en premier, il retourna d'abord auprès de Lou Ellen. Son corps avait été nettement éprouvé ces deux dernières semaines et elle n'en avait pas l'habitude. Doucement, il dégagea son visage tandis que Connor se laissait tomber à genoux près d'elle, le teint blême.

- Will, par les dieux, qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je n'ai pas tout vu. Mais elle s'est battue contre Médée.

- Quoi ? Mais vous étiez où ?

Concentré, il prit le temps de jeter un coup d'œil incrédule à Connor.

- Oh je ne sais pas, railla-t-il. On était peut-être occupés avec les deux autres magiciennes surpuissantes ?

Connor grimaça.

- Désolé, je ne voulais pas dire... Je suis juste... enfin...

- Je sais, coupa-t-il plus doucement, conscient d'être injuste. Crois-moi, je sais. Mais elle va bien. Son corps est juste en surchauffe. Elle a besoin de se reposer, c'est pour ça qu'elle s'est évanouie. Un peu d'ambroisie et de nectar devraient la réveiller, même si la faiblesse va encore rester un peu. Ça ira. On a les torches maintenant.

D'un coup de menton après avoir fait avaler du nectar à Lou Ellen, il désigna les trois torches disséminées près d'eux. Ce n'est qu'à cet instant que Connor et Lacy parurent prendre conscience de leur présence et ils écarquillèrent les yeux. Lacy se mit même à rire de façon incontrôlée.

- On l'a fait ! s'exclama-t-elle. On a retrouvé les torches !

Will se sentit sourire face à son enthousiasme et continua à utiliser sa magie guérisseuse, passant ses mains illuminés le long du ventre de sa patiente. Il pouvait sentir sa force vitale revenir plus forte et plus consistante.

- Elles sont même pas si incroyables que ça, commenta Connor après les avoir contemplé un instant, désabusé.

- Critique pas les attributs divins de ma mère...

- Lou !

Will s'écarta juste à temps pour éviter de se prendre un coup tandis que Connor prenait presque Lou Ellen à bras le corps pour la relever et l'attirer dans une étreinte à briser les os. Elle laissa échapper un glapissement de surprise avant de la lui rendre.

- Je vais bien, Alatir, je vais bien, assura-t-elle en lui tapotant doucement le dos.

- T'es sûre de... ?

- Connor, je suis sûre. Un peu sonnée, c'est tout...

Comme pour prouver ses paroles, elle porta la main à ses tempes, clignant des yeux, et Will lui mit un carré d'ambroisie dans la bouche. Elle mordit dedans par réflexe avant de se mettre à mâcher.

- Tu vas bien, toi ? lui demanda-t-elle. Circé, elle ne t'a rien fait ?

- A peine une égratignure, promit-il. Le poignard des Dactyles a bien fait son boulot !

- Sérieux ? Il a fonctionné ? intervint Connor, son bras toujours passé autour de la taille de Lou Ellen.

- Il faut croire que personne n'a essayé de nous duper pour une fois...

- Miracle !

Lou Ellen sourit. Will ne put s'empêcher de remarquer qu'elle s'appuyait encore largement sur Connor.

- Et vous ? Votre combat contre Autolycos ?

- Oh, on a...

- Attends, désolé, coupa soudain Will, tendu. On peut poursuivre cette conversation pendant que je soigne le Prince des ténèbres là-bas ?

- S'il t'entend l'appeler comme ça, tu sais qu'il va se rebarrer en vol d'ombres ?

- Possible !

Sur ces mots, il se releva encore une fois, attrapa son sac à dos près de Lacy et traversa la distance jusqu'à Nico à grandes enjambées. Il recommença son rituel de guérison. Derrière lui, Lou Ellen mit plus de temps à se remettre sur ses pieds, soutenue par Lacy et Connor, puis ils le rejoignirent. Le fils d'Hermès avisa Nico.

- Et lui ? Qu'est-ce qui s'est passé ? fit-il.

- Tu ne le croirais pas si je te racontais... dit Lou Ellen.

- A ce point ?

Will se mordit la lèvre et échangea un regard avec Lou Ellen. Dans ses yeux, il lut en reflet ce qu'il ressentait : elle non plus ne se remettait pas de ce qu'elle avait vu.

- Il était face à Pasiphaé, raconta-t-elle à voix basse, comme si elle avait peur d'être entendu. J'étais plus loin, je n'ai pas tout suivi de leur affrontement mais... elle a menacé Hazel à un moment.

- Mauvaise idée...

- Exactement. Du coup... Nico a lâché son épée.

Connor et Lacy froncèrent les sourcils, perplexes, et Will se concentra sur ses mains qu'il passait maintenant sur le torse de Nico pour éviter de continuer à regarder leur expression.

- Comment ça ?

- Il... il a attrapé le bras de Pasiphaé. Et il la fait... disparaître.

- Disparaître ? répéta Lacy. Ça veut dire quoi ?

- Ce que ça signifie, intervint Will. Il l'a transformé en fantôme.

La réaction des autres ne se fit pas attendre. Ils se redressèrent, abasourdis, et se mirent à parler en même temps :

- En fantôme ? Un vrai ?

- Mais il peut faire ça ? Depuis quand ?

- Elle est morte alors ? Ou il la envoyé aux Enfers ?

- Je ne sais pas ! Je ne sais pas, d'accord ? Pas un vrai fantôme, non, je ne pense pas. Pasiphaé reste immortelle. Il l'a changé en esprit, en écho d'elle-même je pense. Elle pourra reprendre un corps avec du temps, mais ça sera difficile. (Fatigué, il fit boire du nectar à Nico, remarquant à quel point il avait l'air plus jeune endormi). Il n'arrive pas à faire ça sur commande, c'est plus quand... il est en colère, je dirais. Il ne l'avait fait qu'une fois.

- Menacer sa sœur, c'est une bonne raison de se mettre en colère, jugea Connor. Enfin, surtout quand on connait le passé de Nico...

Will se passa une main dans ses cheveux, nerveux.

- Justement, ne lui en parlez pas tout de suite d'accord ? Ou ne faites pas comme si c'était un truc énorme. Il ne le vit pas hyper bien...

- Promis, murmura Lacy.

Avec un temps de retard, Lou Ellen et Connor acquiescèrent aussi. Leurs mains étaient jointes entre eux et Will haussa un sourcil, curieux. Il y vit un parfait moyen de changer de sujet.

- On pourra revenir à Autolycos dans une minute, mais juste... j'ai loupé quelque chose ? demanda-t-il en les pointant successivement.

Ils rougirent immédiatement.

- Ah... oui ça, marmonna Connor. Hum...

- On doit parler, toi ! s'exclama alors Lou Ellen en lui enfonçant son doigt dans la poitrine, l'air remonté. Je peux savoir ce qui t'as pris par tous les dieux de l'Olympe ?!

- Carrément ? Tous les dieux ?

- Connor !

- Quoi ? C'était un baiser de bonne chance, c'est tout !

Les sourcils de Will s'envolèrent.

- Eh attendez ! Y'a eu un baiser et je ne suis pas au courant ? s'indigna-t-il. Tu savais, toi ?

- Non ! se défendit Lacy. Je me battais ! (Elle tira d'un coup Lou Ellen par la manche). Il faut que je te raconte ce que Connor a fait d'ailleurs.

- Miss Brown, espèce de traitre !

Lou Ellen se tourna vers Lacy, intéressée. En attendant, elle n'avait toujours pas dénouée sa main de celle de Connor.

- Je t'écoute, Lacy.

- Il a utilisé une ruse complètement inconsciente contre Autolycos ! Il a tout misé sur mon enjôlement alors que je suis nulle pour ça !

- Il a quoi ?

- Eh, ça a fonctionné d'accord ? Même mon père l'a dit !

- Ton père ? Quoi ?

- Vous voudriez pas la fermer... souffla soudain une voix rauque. Connor a raison, si ça a marché c'était une bonne stratégie. Et tout le monde savait que vous finiriez ensemble, on peut arrêter de prétendre être choqué ?

Will baissa les yeux. Nico avait ouvert les siens, étendu sur le dos. Les mains toujours à plat sur son torse, il sentit sa tête tournée une seconde, lui aussi fatigué d'avoir autant puisé dans son pouvoir guérisseur, mais le soulagement fut plus fort.

- Nico... dit-il d'une voix tremblante.

- Oui, oui, c'était stupide, mais ça va Solace, je...

Il ne lui laissa pas le temps de terminer. Distrait par ses retrouvailles avec les autres, il avait relégué son inquiétude au fond de son esprit, mais il se rappela brusquement pourquoi il détestait voir Nico blessé : il n'était jamais sûr de réussir à le soigner. D'instinct, il attira donc Nico contre lui, horriblement conscient qu'il devait ressembler à Connor et Lou Ellen il y a quelques minutes. Mais il ne se contenta pas d'une étreinte. Il avait besoin de plus. Il avait besoin de Nico. Surtout, il avait besoin que Nico sache qu'il ne le jugeait pas pour ce qui s'était passé.

Le réduisant au silence, il prit son visage en coupe entre ses mains et s'approcha jusqu'à l'embrasser, doux et avide à la fois. Il sentit Nico se tendre une seconde, sûrement conscient comme lui de la présence des autres, avant qu'il ne s'abandonne contre lui. A nouveau, et comme souvent lorsqu'ils s'embrassaient, Will eut l'impression que c'était plus que leurs lèvres qui se rencontraient : c'était leur corps, c'étaient eux... Nico et lui, c'était un tout. Deux opposés qui s'unissaient pourtant si bien. Personne n'aurait jamais misé sur eux et pourtant Will y avait cru sans hésitation parce qu'au-delà de sa façade, Nico avait tant à offrir. Personne n'arrivait à le voir comme il le voyait : drôle, buté, attachant, outrageusement doué à Mario Kart, cynique, compatissant... Il le raccrochait à la réalité lorsque Will se perdait des heures dans l'infirmerie à aider les autres en oubliant de prendre soin de lui au passage. Il lui montrait sa vision du monde, si différente et semblable à la sienne. C'en était presque effrayant à quel point ses sentiments s'étaient développés vite, mais il ne le regrettait pas. Pas alors qu'il embrassait un Nico bien vivant au cœur battant qui répondait à ses baisers fiévreusement.

Ils finirent malgré tout par s'écarter lorsque Connor se râcla la gorge en lâchant un :

- Présence d'enfant, les gars, sérieux...

- Eh, je ne suis pas une enfant, protesta Lacy en lui donnant un coup de coude.

Les joues sûrement écarlates, Will recula, ses mains s'attardant une seconde sur le visage de Nico avant de lâcher prise. Celui-ci cligna des yeux, surpris, et il rougit aussi. Pourtant, contrairement à il y a quelques semaines, il réussit à se tourner vers les autres sans disparaître dans les ombres.

- Jusqu'au bout Alatir, grommela-t-il.

- Ah toujours là pour t'embêter, petit prince ! Un honneur !

Il fit une fausse révérence avant de reprendre son sérieux.

- Bon, tout le monde est sur pied ? On peut y aller ?

- On ne peut pas attendre avant de reprendre le Labyrinthe ? opposa-t-il. Je ne suis pas sûr que tout le monde soit en état...

- La date limite pour rendre les torches approche, on doit être à New York dans deux jours !

- Ah ah, coupa Connor en levant la main. Qui a parlé du Labyrinthe ?

Avec cérémonie, il ouvrit sa paume. Will se pencha et découvrit cinq perles transparentes à l'intérieur desquelles tourbillonnait de la brume. Il allait demander ce qu'elles étaient mais Nico fut plus rapide :

- Les perles de Perséphone ? Encore ?

- Pas exactement, corrigea Connor avec un sourire tordu. Celles-ci ne sont pas offertes par la reine des enfers, mais par le prince des voleurs !

- Hermès... Mais tu l'as vu ? Tu disais...

- Disons qu'il a eu envie de me rendre une visite paternelle, éluda-t-il. Et ces perles nous ramèneront où on veut !

Will s'illumina. Pas littéralement, mais c'était tout comme.

- Ca veut dire pas de Labyrinthe ? se réjouit-il.

- Et oui ! Alors allez-y, prenez une perle chacun. (Ils obéirent). Prenez les torches aussi, ça serait bête de les laisser en Colchide. (A nouveau, ils s'exécutèrent). Parfait ! A trois, on brise la perle et on retourne aux Etats-Unis. On se tient la main... Prêts ?

- 3...2...1, décompta Lou Ellen. Maintenant !

**

*

- San Francisco ! s'écria Nico, abasourdi. Comment on a fait pour arriver littéralement à l'autre bout du pays ?

- Ah... Il aurait peut-être fallu être plus précis que les « Etats-Unis » ...

- Tu crois ?

Exaspéré, Nico fusilla Connor du regard et celui-ci recula d'un pas, gêné. En fond, le pont du Golden Gate se détachait nettement dans la brume matinale. Il l'avait assez vu lors de ses séjours au Camp Jupiter pour le reconnaître. Le soleil californien entamait sa montée, embrasant la baie de San Francisco d'une lueur dorée et il retint un grognement de dépit.

- Alors... qu'est-ce qu'on fait ? interrogea Lacy, incertaine. On prend le bus ? On vol une voiture ?

- Lacy ! s'indigna Will immédiatement. C'est décidé, je ne te laisse plus jamais avec Connor.

- Jeune padawan, je ne pouvais pas être plus fier ! déclara ce dernier avec grandiloquence.

- N'implique pas Star Wars là-dedans !

- Les garçons...

A côté de lui, Lou Ellen roula des yeux.

- Lacy a raison, il va bien falloir rentrer.

- J'ai peut-être une idée, intervint-il sur une inspiration soudaine. (Il vit Will ouvrir la bouche mais il anticipa sa protestation). Et non, ce n'est pas le vol d'ombre.

D'après son sens de l'orientation, ils se trouvaient à seulement quelques mètres de l'entrée du Camp Jupiter. Ce n'était pas une valeur sûre, mais ça ne coûtait rien d'aller demander aux Romains un moyen de transport. Surtout, il pourrait revoir Hazel et l'excitation le gagna rien qu'à cette idée. Il n'avait pas vu sa sœur depuis la fin du mois d'août, presque deux mois plus tôt. Il n'était même pas encore avec Will à ce moment-là puisqu'ils s'étaient mis ensemble deux jours après son retour.

- Vous voyez ce tunnel ? indiqua-t-il.

- Celui entouré de Brume ? fit Lou Ellen après avoir plissé les yeux quelques secondes.

- Lui-même. Le Camp Jupiter est juste derrière.

La réaction des autres fut immédiate. Ils poussèrent un cri de surprise et Connor se mit même à sautiller sur place.

- Non, tu déconnes ? Les Romains sont juste là ?

- Ouais...

- J'ai toujours voulu voir à quoi leur Colonie ressemblait, souffla Lacy, impressionnée.

Nico fronça le nez.

- Ce n'est pas vraiment une Colonie, corrigea-t-il. Ça porte le nom de « Camp » pour une raison, c'est très... militaire. Mais aussi plus grand, il y a littéralement une ville l'intérieur. La Nouvelle Rome.

- Qu'est-ce qu'on attend alors ? dit Will avec enthousiasme. On y va ?

- Doucement. On approche avec prudence, ils peuvent être un peu nerveux.

- Ils tirent à vue ?

- Pas que je sache... Mais je préfère quand même être prudent.

Sur ce conseil en demi-teinte, il ouvrit la marche, Lou Ellen juste derrière lui. Elle le laissa mener leur groupe et il lui adressa un discret signe de tête. Elle n'avait pas vraiment le choix puisqu'il était le seul à savoir où aller, mais il savait aussi qu'il n'était pas le leader de cette quête. Le fait qu'elle porte les torches en était la preuve même. Durant leur voyage, ces dernières avaient d'ailleurs changé de forme pour s'adapter et s'étaient réduites à la taille de trois pendentifs que Lou Ellen avait glissé autour de son collier au triple croissant de lune. La symbolique de réunification était presque poétique.

Dès qu'ils pénétrèrent dans le tunnel de Caldecott, Nico sentit son corps vibrer à cause des vagues magiques de la barrière qui entourait le Camp. Il ressentait la même chose quand il franchissait les limites de la Colonie, même si la sensation ne durait dans les deux cas que quelques minutes. Il pressa le pas, conscient que Reyna, Frank et Hazel étaient juste au bout du tunnel. Littéralement. Même s'il refusait de l'avouer, il devait reconnaître que revoir Bryce Lawrence lui avait rappelé douloureusement son périple avec Reyna, mais aussi toute la guerre contre Gaïa, et il avait hâte de les revoir.

Alors qu'il gardait les yeux fixés devant lui, Will se glissa à ses côtés. Et comme souvent, il parut deviner ses pensées.

- Ca fera plaisir à Hazel de te voir, dit-il avec un sourire.

- Visite surprise, ma spécialité.

- Ouais... En parlant de surprise, hum...

Apparemment mal à l'aise, il chercha ses mots et se passa une main sur la nuque. Nico haussa un sourcil, même si au fond de lui il avait une petite idée de ce dont voulait parler Will. Son ventre se serra d'appréhension.

- C'est juste une question, d'accord ? Pas de pression, ni rien...

- Will, crache le morceau.

- Est-ce que Hazel sait pour nous ? Et... est-ce que tu veux lui dire ? On peut juste... enfin elle n'est pas obligée d'être au courant aujourd'hui si tu ne veux pas... si tu n'es pas prêt... (il buta sur ses mots puis claqua presque ses dents entre elles en fermant la bouche brusquement). Je vais me taire maintenant.

Si son niveau de nervosité n'avait pas été aussi haut à l'instant présent, il se serait moqué de Will. Au lieu de ça, la boule dans son ventre grossit. Même s'il était bien plus à l'aise vis-à-vis de sa relation avec Will qu'avant, il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir cette peur – cette honte – au fond de son esprit. C'était dévorant. Il détestait ressentir ça, il se détestait de l'imposer à Will qui n'avait été rien d'autre que patient avec lui. Surtout, ce n'était même pas tant pour lui-même qu'il avait peur, mais pour Hazel. En termes de décalage temporel, elle n'était pas mieux que lui. Les Etats-Unis des années 30 et les pensionnats pour jeunes filles n'avaient pas dû être de grands alliés LGBT+... Et il avait beau savoir qu'Hazel l'aimait, il ne supporterait pas de voir l'incompréhension ou pire le rejet sur son visage. Il avait déjà perdu une sœur...

- Nico, eh, Nico... appela Will avec douceur.

Par les dieux, il devait avoir l'air paniqué. Mortifié, il tenta de se recomposer une expression neutre et allongea le pas, la main crispée sur la garde de son épée dans un geste familier.

- Désolé...

- C'est moi qui suis désolé, je ne voulais pas... enfin je voulais juste savoir pour m'adapter, ne pas faire de gaffes...

A la simple idée que Will considère évoquer leur relation comme une « gaffe », Nico eut l'impression de se prendre un coup de poing dans la poitrine. Il aurait voulu tirer les ombres à lui et disparaître dedans, comme toujours, parce que personne – pas même lui – n'avait le droit de faire ressentir à Will ce sentiment.

- Je vais lui parler, décida-t-il brusquement. A Hazel. Enfin, je vais essayer...

- Tu veux dire... de nous ?

- Non, Will, du prochain menu de noël de la Colonie.

Son ton railleur eu le mérite d'arracher un sourire à Will.

- Question idiote, pardon. Mais tu sais que... je ne te demande rien, hum ? C'est ton choix, tu n'as pas besoin de le faire pour moi. Ça te concerne toi, toi et Hazel.

- Je sais. Mais... je ne veux pas lui mentir. Pas sur ça.

Pas sur la personne la plus importante de ma vie, ajouta-t-il dans sa tête en plantant ses yeux dans ceux de Will, comme s'il pouvait lui permettre de lire dans son esprit s'il pensait assez fort. D'une certaine façon, Will parut comprendre et il acquiesça avec solennité. Ça ne fit rien pour calmer son anxiété, mais ça apaisa déjà sa culpabilité.

- Eh les amoureux ! héla pile à ce moment Connor derrière eux. Vous nous attendez au lieu de faire des messes basses devant ?

- Je vais aller lui expliquer la situation, s'empressa de le rassurer Will. Ça serait bête qu'Hazel soit mise au courant par Connor !

- S'il fait ça, je laisserai Hadès ou Travis se charger de lui.

- Oh dur ! Je reviens !

A petites foulées, Will repartit en direction des autres et Nico n'arriva plus à entendre leur conversation. De toute façon, ils approchaient de la fin du tunnel. Il pouvait presque apercevoir la lumière de l'ouverture. Son intuition se confirma juste après le virage : il distingua soudain la sortie, gardée par deux personnes assises à même le sol en train de jouer aux cartes. En les entendant arriver, elles se relevèrent d'un bond, lance et épée en main.

- Au nom de Rome, arrêtez-vous ! proclama une voix féminine. Déclinez votre identité !

- Nico Di Angelo, William Solace, Connor Alatir, Lou Ellen Blackstone et Lacy Brown, cria-t-il en retour. Demi-dieux grecs ! On vient demander à faire une escale chez vous, on mène une quête.

- Oh... C'était prévu ça dans le protocole ? marmonna la fille à son collègue, mais Nico l'entendit grâce à l'écho des murs en ciment du tunnel.

- Je crois oui, Reyna a dit qu'on devait accueillir les Grecs s'ils venaient... Et attends ! Nico Di Angelo ? répéta-t-il. L'Ambassadeur de Pluton ?

Nico haussa un sourcil. Ça faisait longtemps qu'il n'avait plus été appelé ainsi.

- Oui...

- C'est bon, je le connais, assura le garçon. Venez !

Rattrapé par les autres, il avança jusqu'à la sortie. Il remarqua du coin de l'œil que Connor n'avait pas retransformé son épée en mousqueton, comme s'il s'attendait à devoir se battre, même s'il l'avait laissé à sa ceinture. Les vieilles habitudes avaient la vie dure. Arrivé face aux deux gardes, Nico les reconnut finalement. Il ne leur avait jamais parlé, mais il les avait vu de loin pendant ses séjours au Camp Jupiter : Leila, fille de Cérès et centurion de la Quatrième Cohorte, et Nathan, un centurion de la Deuxième Cohorte.

- Bonjour, salua Lou Ellen avec un sourire avenant quoiqu'un peu crispé. Désolée de débarquer à l'improviste, on est sur le chemin de retour de notre quête et on a... atterri ici en quelque sorte.

- Pas de problème, assura Nathan. Venez, je vais vous emmener voir les Prêteurs ! Leila, tu restes là ?

- Mouais...

Visiblement, Leila n'avait pas l'air ravi de garder le tunnel toute seule, mais elle s'y plia de mauvaise grâce. Ils suivirent donc Nathan jusqu'au pont qui enjambait le Tibre et la Principia se détacha soudain du paysage avec ses toits orangés et ses colonnes blanches qui étincelaient dans le soleil automnale. Il entendit distinctement le souffle de surprise des autres dans son dos et il sourit. Il avait tendance à oublier le côté impressionnant du Camp Jupiter. Les bâtiments, si romains, renvoyaient une image de force et de splendeur qu'il avait rarement vu ailleurs.

Alors qu'ils allaient entrée dans les limites de la Principia, un bruit de bouchon qui saute résonna soudain et Terminus, la statue sans bras, apparu pile devant eux pour leur barrer le passage.

- Halte là ! s'exclama-t-il. Vous ne pensiez pas passer les contrôles sans moi ?

- Terminus, gronda Nathan en roulant des yeux. C'est bon, ils sont avec moi.

- Certainement pas ! Aucune arme n'est autorisée à l'intérieur du Sénat et...

- Ca tombe bien, on ne va pas au Sénat. On va voir les Prêteurs.

- Ah... Dans ce cas... (Terminus fronça son nez en pierre, ce qui était assez perturbant à voir). Suivez ce chemin !

Il parut leur indiquer une direction, mais c'était difficile de l'affirmer puisqu'il n'avait pas de bras. Nathan hocha la tête.

- Merci, Terminus.

Alors qu'ils passaient la frontière pour rentrer dans Principia, Terminus les examina sous toutes les coutures, comme pour s'assurer qu'ils n'étaient pas dangereux, puis ils remontèrent le chemin pavé vers le Preatorium, les quartiers des Prêteurs. Nathan les fit traverser plusieurs pièces jusqu'à arriver devant une porte entre-ouverte qui devait mener à un bureau. Nico les voix de Reyna et Frank avant les voir.

- Je dis juste que ça pourrait être une idée pour les prochains jeux de guerre. Ça pourrait les motiver.

- Et je ne dis pas le contraire, c'est juste que je ne veux pas plus de vingt personnes à l'infirmerie cette fois-ci, sinon c'est contreproductif.

- La dernière fois...

- On a dit qu'on ne parlait plus de la dernière fois !

Nico se sentit sourire malgré lui et s'adossa au chambranle.

- Si vous voulez un vrai adversaire, vous pouvez toujours nous demander, lâcha-t-il.

D'un bloc, Frank et Reyna se retournèrent, surpris. Ils mirent une seconde à réagir, bouche entre-ouverte, et il se retint d'éclater de rire.

- Nico ! s'exclama Reyna. Par les dieux, qu'est-ce que tu fais ici ?

- J'étais dans le coin...

- On s'est perdus, dénonça Lou Ellen dans son dos.

Il grimaça. Pourtant, il ne loupa pas le sourire qui vint éclairer le visage sévère de Reyna alors qu'elle traversait le bureau en quelques enjambées pour venir l'accueillir, Frank dans son sillage. Il avança d'un pas, heureux, et il se surprit à la laisser l'attirer dans une étreinte rapide mais sincère. Il réalisa que Reyna lui avait manqué aussi. Il s'était lié avec elle durant leur voyage avec l'Athéna Parthénos d'une façon inexplicable, à la manière d'une grande sœur, et il se promit mentalement de venir lui rendre visite plus souvent. Presque à contre cœur, il la relâcha. Plus mesuré, il se contenta d'adresser un signe de la main à Frank qui lui rendit avec chaleur.

- Content de te voir, lui dit ce dernier. Alors comme ça vous êtes perdus ?

- Perdus, c'est un bien grand mot, tenta de nuancer Connor. On est dans le bon pays déjà !

- Mais du mauvais côté, non ? devina Reyna, amusée. La côte Est n'est pas vraiment par-là.

- On blâme Hermès.

Immédiatement, Connor jeta un coup d'œil vers le ciel, comme s'il s'attendait à ce que son père le punisse pour son commentaire et Nico roula des yeux.

- C'est pour ça qu'on est là, en vérité. On aurait besoin d'un moyen de transport pour rentrer. Ou de joindre quelqu'un.

- J'ai peut-être une idée de la personne à joindre, intervint à nouveau Connor. Si je peux emprunter un téléphone ?

- Ca devrait être possible, accepta Reyna.

Elle n'avait pas perdu de sa prestance. Habillée de son éternelle toge pourpre décorée de médailles militaires en-dessous de son armure, elle rejeta sa longue tresse noire brillante et ses yeux sombres brillèrent alors qu'elle leur indiquait l'extérieur.

- Venez avec moi, je vais vous montrer là où vous pourrez vous reposer et manger quelque chose. Si vous restez jusqu'à demain, on vous installera dans une Cohorte.

- Merci, c'est vraiment gentil, remercia Lou Ellen.

- C'est la nouvelle entraide romains-grecs, affirma Frank en souriant.

Comme à chaque fois qu'il se trouvait en présence de Frank Zhang, Nico se fit la réflexion que c'était décidément un type bien. Guidés par les deux prêteurs, ils ressortirent du bâtiment et se mirent à marcher au milieu de la vie de la Légion qui s'activait à cette heure-ci pour bien entamer la journée. Des centurions passaient des écuries aux bains jusqu'à l'armurerie, arme ou tartine confiture à la main. A côté de lui, Will regardait tout avec de grands yeux curieux et il s'apprêtait à lui montrer le champ de tournesol un peu plus loin lorsqu'une voix héla sur sa gauche :

- Nico !

Il eut à peine le temps de pivoter avant qu'une masse ne se jette contre lui, manquant de l'emporter dans son élan. Son champ de vision fut obstrué par des boucles sombres et cuivrées et il referma ses bras autour d'Hazel, la faisant décoller du sol à cause de sa petite taille.

- Par les dieux, Nico, quand est-ce que tu es arrivé ? dit-elle avec enthousiasme dans son oreille. Tu devais venir ?

- Pas vraiment, c'est une petite erreur de voyage. Mais je me suis dit que je pouvais passer te voir.

Un rire heureux aux lèvres, elle lui déposa un baiser sonore sur la joue et il fit semblant de s'en indigner en la relâchant.

- Je suis contente de te voir, je ne pensais pas que tu viendrais tout de suite ! Les messages Iris n'arrivent plus à passer, je n'arrivais pas à te joindre. Et... (elle parut soudain réaliser qu'il n'était pas seul). Oh bonjour...

- Salut ! firent ses amis d'une même voix, l'air amusé.

- Je ne sais pas si t'avais rencontré tout le monde cet été... Je te présente Lou Ellen, Connor, Lacy et hum... Will.

Il eut horriblement conscience de buter sur le nom de Will et tout son groupe parut le remarquer. Leurs expressions oscillèrent entre gêne et amusement avant que Reyna ne leur sauve la mise.

- Je peux continuer à vous faire visiter pendant que Nico et Hazel passent la matinée ensemble ? proposa-t-elle. Et on se retrouve après ?

- Oh je suis chargée du nettoyage des écuries ce matin...

- Tu es dispensée, assura Frank, visiblement ravi de faire plaisir à Hazel.

Cette dernière rougit et jeta une œillade incertaine à Reyna, sûrement mal à l'aise de se voir ainsi favoriser par son petit ami, mais Reyna hocha la tête pour marquer son accord.

- Il a raison. Nathan peut te remplacer aux écuries, pas vrai ?

Visiblement, ce n'était pas le travail de rêve de Nathan mais il grimaça avant d'acquiescer.

- Parfait ! s'exclama Connor. C'est quoi ce gros truc là-bas ?

Et c'est sur les explications de Frank et Reyna – « un éléphant, on s'en sert pour les jeux de guerre » – que les autres s'éloignèrent, non sans un dernier regard en arrière de Will. Hazel lui fit un sourire et ils se mirent à déambuler au hasard des ruelles. En écho, il sentit sa nervosité revenir en force. C'était étrange. Il n'avait jamais vraiment été nerveux avec Hazel. Au début, les choses avaient certes été un peu étranges, le temps qu'elle s'habitue eu monde moderne et à simplement être en vie à nouveau. Ils avaient dû apprendre à se connaître, mais aussi appréhender l'autre en tant que frère et sœur avant que les choses s'apaisent. Il détestait ressentir à nouveau cette nervosité paralysante.

- Alors ? lança-t-elle en voyant qu'il restait silencieux. Tu m'expliques ?

- T'expliquer... ?

- Ce que tu fais là ! Vous êtes en quête, c'est ça ?

- Oh... Oui, oui, on est en quête. Les torches d'Hécate ont été volées alors Lou Ellen a été chargée de les retrouver. Ça a été assez long, on a fait quelques détours, mais on a fini en Colchide pour les récupérer.

Hazel écarquilla les yeux.

- Attends, ralentis ! Les torches d'Hécate ? C'est possible de les voler ? Whoa ! Et t'as dit la Colchide ? Mais c'est en Europe !

- Je sais, c'était pas évident. Mais la prophétie parlait des « terres anciennes », on n'a pas vraiment eu le choix.

- Parce que vous aviez une prophétie ? Mais je croyais que...

- Hécate l'a donné elle-même à Lou Ellen en rêve, expliqua-t-il en se décalant pour éviter un probatio au casque trop grand pour lui qui ne devait même pas voir où il allait.

- Oh... D'accord. Et comment vous avez réussi à aller jusqu'en Colchide ? Je veux dire, vous n'aviez pas l'Argo II cette fois...

Nico ne manqua pas la façon dont sa phrase se termina dans un filet de voix teinté de tristesse à l'évocation de leur bateau. Il était impossible de penser à lui sans penser à Léo, tout sourire derrière la barre qui agitait sa manette Wii dans tous les sens. Sa mort – qui lui laissait toujours une impression étrange – avait été un choc pour tout le monde et il savait que Hazel en était encore affectée. Il lui passa un bras autour des épaules pour la réconforter. Hazel était sûrement une des seules personnes avec qui il arrivait à plus tactile. Elle et Will en tout cas... En sentant son tordre encore une fois rien qu'à la pensée de Will, il se reconcentra sur leur conversation.

- On a pris le Labyrinthe, répondit-il.

- Le... ? Celui que Pasiphaé essayait de reconstruite ? Mais je croyais que... (elle manqua de s'arrêter soudain sous le coup de la surprise et il vit le moment où elle comprit). Ne me dis rien. Celle qui avait volé les torches. C'était elle, pas vrai ?

- Elle faisait partie des voleuses oui, admit-il. Avec Médée et Circé. Elles ont été aidées d'un fils d'Hermès, mais elles ont tout organisé. Elles voulaient prendre le pouvoir des torches et le répartir entre elles.

- Ca ne m'étonne pas... Quand je l'ai affronté cet été, elle ne voulait que ça : vengeance et pouvoir.

Hazel secoua la tête.

- J'ai réussi à la vaincre avec un peu de magie, mais je savais que je ne l'avais pas éliminée complètement. (Elle coula un regard dans sa direction). Ça va ? Elle ne vous a rien fait ?

- Rien de grave, non. Et elle remettra du temps à revenir, crois-moi.

Satisfaite, Hazel ne chercha pas plus loin et il lui en fut reconnaissant. Il n'avait pas la force de lui expliquer ce qu'il avait fait à Pasiphaé – à Bryce Lawrence – en plus de tout le reste. Incapable de refreiner l'angoisse qui lui dévorait le cerveau, il se mura dans le silence et continua à marcher aux côtés de sa sœur. Il garda les yeux baissés, observant les lignes que dessinaient les pavés sur ses pieds en une veine tentative pour s'occuper l'esprit. Ils traversèrent comme ça presque l'ensemble du Camp Jupiter. Ils étaient en train de longer le mur d'enceinte de la Nouvelle Rome quand Hazel craqua :

- Bon, ça devient ridicule... Tu vas me dire ce qui se passe ?

Il releva la tête, pris de court.

- Quoi ?

- Nico, je t'ai vu à la sortie du Tartare. Tu avais presque l'air moins effrayé que maintenant. Qu'est-ce que tu as ?

Elle le força à s'arrêter en l'attrapant par le coude et il eut soudain envie de vomir. Le visage d'Hazel se contracta d'inquiétude.

- Tu veux t'assoir ? demanda-t-elle. T'as vraiment pas l'air bien. Plus que d'habitude, je veux dire.

- Merci...

- Nico, sérieusement. Je suis là pour toi si tu as besoin. Ou... tu veux que j'aille chercher Reyna ?

Malgré son anxiété, il vit clairement que la proposition d'Hazel lui coûtait, comme si la simple idée de le laisser seul ou de ne pas être la personne à qui il voulait parler la heurtait plus qu'elle ne voulait bien le laisser paraître. Il s'empressa de secouer la tête.

- Non, non, surtout pas... En fait, c'est à toi que je voulais parler.

- Oh... murmura-t-elle. D'accord, pas de problème. Je t'écoute.

- Mais... ce n'est pas facile à dire. Je ne sais pas trop par où commencer.

Maintenant qu'il y était, il se retrouvait effectivement à ne pas savoir comment annoncer la vérité à sa sœur. Il n'avait jamais vraiment eu à le faire jusqu'à présent : Cupidon l'avait forcé à avouer la vérité à Jason, Percy avait été davantage une page à tourner qu'une véritable confession, Will avait simplement deviné, et les gens à la Colonie avaient compris en le voyant avec Will. Aujourd'hui, les choses étaient différentes. Stressé, il décida de prendre un chemin détourné pour aborder le sujet et il se râcla la gorge :

- Ok, hum... La question va peut-être te paraître bizarre, mais qu'est-ce que tu sais des changements... sociaux on va dire du siècle dernier ?

Hazel fronça les sourcils, perplexe.

- Euh... Ce que tu m'avais dit, ce que les autres m'ont expliqué et ce que j'ai pu voir toute seule. Par exemple, sur les gens de couleur, ce n'est plus pareil.

Nico acquiesça. Il se souvenait encore de l'expression de sa sœur quand elle lui avait demandé où est-ce qu'elle devait s'assoir dans le bus qu'ils avaient pris pour traverser San Francisco après sa sortie des Enfers et qu'il avait dû lui expliquer qu'elle pouvait choisir n'importe quelle place.

- Voilà, ça en fait partie. Maintenant, les gens acceptent... des choses. Sur les autres personnes, sur les relations, sur l'amour... Il y a eu des évolutions.

- Tu veux dire la façon dont on peut... sortir avec des personnes sans être marié aujourd'hui ? Ou même... faire d'autres choses ?

- Oui, c'est vrai aussi...

A peine conscient de ce que disait sa sœur, il essaya de réfléchir plus vite. Il avait bien conscience de s'emmêler dans cette conversation, mais les mots semblaient se brouiller dans sa tête puis se coincer dans sa gorge avant de réussir à sortir. En face de lui, Hazel pris un air catastrophé.

- Ne me dis pas que... Enfin, tu n'as pas... Tu sais ? Avec une fille et... ? Je croyais que maintenant on ne pouvait plus tomber enceinte si facilement et...

- Quoi ? coupa-t-il, abasourdi.

- Ce n'est pas ça dont tu parles ?

- Non ! Non, jamais ! Absolument pas !

Choqué par le tour qu'avait pris la discussion, il secoua la tête avec véhémence pour renforcer ses paroles et frissonna. L'idée même le révulsait. De son côté, Hazel expira de soulagement et s'éventa soudain le visage avec sa main.

- Oh par les dieux, merci, souffla-t-elle. Tu m'as fait peur.

- Hum, oui donc... peu importe. (Il secoua la tête, encore perturbé). Ce n'était pas ce que je voulais dire. Mais... tu sais ce que tu as dit ? Le fait que je pouvais être avec une fille ?

- Oui ?

- Disons que c'est à moitié vrai.

A nouveau, Hazel fronça les sourcils.

- Pourquoi ? Il y a une fille, mais elle ne veut pas... être avec toi ?

- Non plus. Je suis avec quelqu'un. C'est juste que...

Le cœur battant si fort qu'il en avait mal partout, il déglutit. Le visage de Will s'imposa alors à lui et il se jeta dans le vide.

- ... que ce n'est pas une fille.

Voilà. Il l'avait dit. Les mots avaient jailli de ses lèvres, libérateurs, et il n'arriva pas à détacher ses yeux du visage d'Hazel pour voir sa réaction. Elle mit du temps à réagir, comme si elle n'arrivait pas tout à fait à entendre – dans les deux du terme – ce qu'il venait de dire. Il vit d'abord la perplexité sur ses traits, puis la compréhension, puis la stupeur... Nico sentit les larmes lui monter aux yeux. Il tenta de les ravaler. Il n'avait jamais pleurer devant Hazel, il ne voulait pas commencer aujourd'hui. Surtout pas sur cet aveu. Pourtant, en même temps que son esprit s'écroulait, rongé par l'angoisse d'une attente insupportable, son corps s'exprima. Il se mit à trembler et il tenta de le cacher en jouant avec sa bague tête de mort, sans succès. Il avait l'impression d'être prêt à s'effondrer comme une maison sous l'assaut d'un tremblement de terre.

Il tenta malgré tout de garder la face. Le dos droit, il lui laissa le temps d'appréhender la révélation qu'il venait de lui faire et resta immobile. Du moins aussi immobile qu'il pouvait se le permettre à cause des tremblements qui l'agitaient. Il se demanda ce qu'il ferait si sa sœur décidait simplement de tourner les talons pour s'éloigner ou si elle se mettait vraiment en colère. Il ne savait même pas s'il aurait le courage de la rattraper. Parce qu'au fond, il n'avait pas la force de la retenir et de plaider sa cause : si elle le rejetait, ça confirmerait ce qu'il avait craint. Même s'il aimait Will, ce qu'il était restait anormal. Sa mère l'aurait enfermé dans une église si elle avait su avant de prier Hadès en personne. Il sentit un autre sanglot gonfler dans sa poitrine et il serra les lèvres à s'en étrangler. Son état dû suffisamment inquiéter Hazel pour qu'elle réagisse enfin. Elle le dévisagea, une myriade d'émotions dans ses prunelles, puis elle sembla lui ouvrir les bras instinctivement.

- Oh Nico... murmura-t-elle.

Il ne parvint pas à maintenir sa façade plus longtemps. Il s'effondra contre elle. Le visage enfoui dans son épaule, il refusa de laisser couler ses larmes, et il s'agrippa à sa sœur de toutes ses forces. S'il la tenait suffisamment fort, peut-être qu'elle ne partirait pas...

- Calme-toi, Nico, ça va aller... Je... Ca ne change rien, d'accord ? Je t'aime et ça ne change rien. (Elle passa une main affectueuse dans ses cheveux comme pouvait le faire Bianca quand ils étaient plus jeunes). Tu m'entends ? Rien du tout.

Il ne comprit pas dans un premier temps. Un bruit sourd lui emplissait les oreilles, le coupant du monde extérieur, et Hazel le berça doucement. Elle se mit alors à répéter ses paroles inlassablement jusqu'à percer la brume de son esprit. Le soulagement faillit faire flancher ses genoux. Il se sentit respirer à nouveau et il finit par s'écarter, brusquement rassuré. Il avait toujours aimé la compassion et la douceur d'Hazel, mais jamais plus qu'aujourd'hui.

- Tu es sûre... ? articula-t-il difficilement.

- Bien sûr ! Par les dieux, Nico, évidemment ! Je... j'avoue que je ne comprends pas tout. Frank m'a un peu expliqué parce que... enfin il y a quelques couples ici qui sont comme ça. Au début, ça m'a fait bizarre, mais... tu es mon frère. Et ça, rien ne pourra le changer, je te le promets.

Nico ne doute pas un instant d'Hazel. La sincérité irradiait d'elle. Ça ne l'empêcha pas de tressaillir au choix de ses mots : « des couples comme ça », « bizarre »... Mais il ne pouvait pas l'en blâmer. Il avait encore lui-même ces réflexions et il n'oubliait pas qu'ils avaient eu tous les deux la même éducation catholique. Il se doutait que l'idée même lui paraissait contre nature, mais Hazel était Hazel : elle se concentrait sur le positif, sur l'amour, sur eux.

- Merci... souffla-t-il. Par les dieux, Hazel, merci...

- Je t'en prie, tu n'as pas besoin de me remercier. Allez, respire. Voilà c'est bien. (Elle s'assit sur l'herbe, près de la route, et il l'imita). Donc... tu aimes les garçons, c'est ça ?

- Oui...

- Que les garçons ?

Il se raidit, mais elle continua, l'air mal à l'aise et déterminée en même temps en enroulant une mèche de ses cheveux autour de son doigt.

- Hum, Frank m'a dit que certaines personnes pouvaient aimer les deux... Ou même plus, mais j'ai encore du mal à tout comprendre. Je vais me renseigner, promis ! Je veux juste savoir...

Devant son ardeur, il sourit.

- C'est bien, c'est une bonne idée. Mais oui, juste les garçons.

- D'accord... Et tu le sais depuis longtemps ?

- Depuis mes onze ans je pense...

- D'accord, répéta-t-elle en hochant la tête, l'air sérieux. Onze ans...

Elle se mordit la lèvre. Il l'observa un instant, essayant de comprendre ce qu'elle pensait derrière ses grands yeux bruns, mais elle était indéchiffrable.

- Je suis désolée si je t'ai donné l'impression que tu ne pouvais pas me le dire avant, lâcha-t-elle soudain. Ce n'était pas mon intention.

Pris au dépourvu, il mit quelques secondes à réagir.

- Non, non, protesta-t-il. Ce n'était pas à cause de toi, Hazel. C'était juste... J'avais besoin de temps. Pour l'accepter moi aussi, tu vois ?

- Oh... Oui, je comprends.

Nico détourna le regard vers le paysage. A mesure que les minutes s'égrenaient, il sentait son esprit et son corps s'apaiser. Il était aussi fatigué, comme s'il avait effectué plusieurs vol d'ombre de suite, mais il supposait que c'était dû au contre-coup. Plus que tout, il était reconnaissant envers Hazel qui souriait doucement d'un air tranquille près de lui.

- Eh Nico ?

- Oui ?

- Quand tu as dit que « c'était à moitié vrai »... Ça veut dire que tu sors avec un garçon ?

Il aurait dû le voir venir. Il ne l'avait pas fait. Immédiatement, il se sentit rougir et Hazel émit un cri enthousiasme.

- Par les dieux, mais oui ! Dis-moi !

- Hazel...

- Oh allez ! Je... le connais ?

Il ne manqua pas son hésitation, ni la façon dont elle buta sur le « le », mais il supposait que ça lui prendrait un peu de temps pour être habituée. Il appréciait déjà l'effort.

- Plus ou moins, répondit-il finalement. Tu viens de le voir.

Hazel écarquilla les yeux.

- Connor Alatir ?

- Quoi ? Non ! Di immortales, t'es tombée sur la tête ?

- Oh pardon... Alors c'est... comment il s'appelait ? Will ?

- Will Solace, confirma-t-il.

Il aurait aimé le nier, mais un sourire impossible à réprimer lui monta aux lèvres. Hazel se mit à rire. Il la repoussa, gêné, et elle alla rouler dans l'herbe sans cesser de rire.

- Hazel !

- Désolée, désolée ! C'est juste... toi. Je n'ai pas l'habitude de te voir comme ça. Mais je suis contente pour toi, Nico, sincèrement.

Non, il ne doutait pas de sa sincérité. Et au fond de son esprit, il se demanda si Bianca aurait réagi comme Hazel. Il ne le saurait jamais, mais il préférait se dire que oui. Ça n'avait pas tant d'importance à vrai dire. C'était sa vie et Hazel l'acceptait. Il pouvait commencer à arrêter de s'accrocher à un souvenir.

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