Chapitre 18 - Et le prince des voleurs devint roi
Merci à tout le monde pour vos retours sur le dernier chapitre, ça m'a fait super plaisir ! ^^
Je voulais vous demander : qu'avez vous pensé de la scène plus "explicite" que d'habitude entre Nico et Will ? J'avoue que celle-ci était la première que j'écrivais - même si j'en prévois d'autres pour mes autres fanfics - mais du coup je vous demande votre avis pour me rendre compte !
Bonne lecture !
*******************************************************
Chapitre 18 : Et le prince des voleurs devint roi
Connor ressortit à l'air libre, le corps tremblant. Pourtant, il prit à peine le temps de faire un pas avant de se retourner et d'attraper la main de Lacy pour la tirer derrière lui. Elle s'effondra presque contre lui. Derrière eux, Nico, Will et Lou Ellen émergèrent à leur tour du Labyrinthe. Leurs expressions devaient refléter les émotions qui se trouvaient sur la sienne : le choc, la peur, le soulagement. Il n'avait pas cru possible qu'ils sortent tous de là vivants à la seconde où la Propétide avait saisi Lacy et lui avait placé un couteau sous la gorge. Mais il n'avait pas prévu non plus le mur d'ombre de Nico, ni l'intervention d'Aphrodite en personne. Enfin en personne... Il exagérait. Les Dieux ne pouvaient pas communiquer ni entrer en contact direct avec les mortels, il l'avait compris ces derniers mois. Aphrodite avait joué un peu avec les règles, mais il supposait qu'elle était la spécialiste des moyens détournés. L'amour n'était jamais sans ruses après tout.
- Ca veut pas partir... ça veut pas partir... balbutia soudain Lacy en se frottant frénétiquement le visage.
Le sang de la Propétide qu'elle avait poignardé en plein cœur maculait encore sa peau en de grandes traînées écarlates. Connor ressentit littéralement un coup à l'estomac en voyant sa détresse et il lui attrapa la main pour la faire cesser.
- Attends, doucement miss Brown...
- Enlève-le !
- Lacy, calme-toi, enjoignit Will avec douceur. Viens-là, je vais t'aider.
Instable, Lacy s'approcha de lui. Il lui saisit les épaules et l'entraîna quelques pas à l'écart avant de sortir une bouteille d'eau et des mouchoirs de son sac. Ils se contentèrent de les regarder, démunis. Connor secoua la tête.
- J'ai cru... je vous jure, une seconde j'ai cru qu'elle...
- Moi aussi, avoua Lou Ellen. Sans Aphrodite... sans toi, Nico...
- Je lui ai simplement fait gagner du temps. Elle l'a poignardé toute seule.
- N'empêche, le mur... C'était impressionnant et... Nico !
Connor se retourna à moitié juste à temps pour voir le fils d'Hadès s'affaisser contre Lou Ellen. Elle lui passa une main dans le dos pour le soutenir et il réalisa avec malaise qu'elle y arrivait bien trop facilement pour quelqu'un de si petite. Nico avait peut-être repris du poids depuis la fin de la guerre, mais il flottait encore bien trop dans son t-shirt noir.
- Eh, petit prince ? Tout va bien ?
- Oui... juste...
Il serra les dents, comme s'il se battait avec lui-même, avant de soupirer.
- J'ai juste besoin d'ambroisie et de nectar. Dès que Will aura terminé avec Lacy, dites-lui de venir me voir.
Connor cligna des yeux, surpris. Il ne s'était pas attendu à ce que Nico avoue avoir besoin d'aide si facilement. Peut-être que sa conversation avec Will dans l'hôtel à Rome lui avait fait plus de bien qu'il ne le pensait. Dans tous les cas, l'aveu devait déjà lui coûter car il s'éloigna lui aussi pour aller s'assoir dans l'herbe et ni lui ni Lou Ellen n'osa le suivre.
Brusquement, Connor se demanda où ils étaient. Il se mit à tourner sur lui-même. Il se trouvait au milieu de nulle part dans une étendu d'herbes balayée par un vent iodé. Quand il se retourna complètement, il vit alors la falaise qui surplombait la mer. Le bruit des vagues lui emplit soudain les oreilles et il se demanda comment il ne l'avait pas remarqué avant.
- On est... en bord de mer ? déduisit-il.
- Perspicace... commenta Lou Ellen. Non, je crois qu'on est en Colchide. Ça y est.
La main en visière devant ses yeux, elle observait le paysage. Ses cheveux noirs lui battaient les épaules, pris par le vent côtier, et il retint l'impulsion de la regarder plus longtemps. Il la revoyait assise dans l'atelier des Dactyles, l'air terrifié mais déterminée à sortir ce qu'elle avait sur le cœur. Et ça le rendait malade parce qu'elle avait eu peur de lui. De sa réaction. Il ne pouvait pas l'en blâmer. Il n'avait pas toujours été réglo avec elle : il savait qu'elle avait le béguin pour lui plus jeune, il en avait joué plus d'une fois ; puis ils avaient grandi et elle s'était affirmée, il en était venu à la considérer comme une amie fidèle à la Colonie... Et puis Travis était parti. Son monde avait volé en éclats, il en avait regardé les débris sans savoir comment les ramasser ou les recoller entre eux. S'il n'était plus une partie des « jumeaux Alatir », il ne savait plus ce qu'il était. Cette période n'avait pas été facile. Il avait eu l'impression d'en vouloir à la terre entière : à son frère, à sa mère, à son père, à Luke, aux Dieux, à la Colonie... Lou Ellen l'avait vu. Elle n'avait pas cherché à le confronter, elle s'était juste tenue à ses côtés tout l'été, infaillible et drôle. Elle avait fait en sorte que le mois de septembre soit le plus normal possible en multipliant les activités avec lui. Sans elle, il n'était pas sûr qu'il aurait réussi à surmonter sa colère pour se réconcilier avec Travis pendant leur quête improvisée pour sauver Alice.
Penser à la quête lui fit penser à Dylan. A Dylan et Travis. Il avait eu tendance à se moquer de son frère en constatant ses sentiments, mais il en voulait aussi à Dylan d'être partie sans rien dire, en laissant son frère comme ça. Aujourd'hui, même s'il n'était pas parti, il se demandait s'il n'avait pas la même réaction de fuite face à la confession de Lou Ellen. Elle lui avait avoué ses sentiments et il n'avait pas su comment réagir... Il n'était même pas sûr d'être prêt à s'engager dans tout ce que demandait une relation. Leah lui avait bien fait comprendre lorsqu'elle avait rompu avec lui qu'il n'était pas le petit ami idéal. Drew n'avait été qu'un baiser un peu physique un soir de solitude. Lou Ellen méritait mieux.
- Eh Connor. Tu m'écoutes ?
- Quoi ? sursauta-t-il.
Lou Ellen plissa les yeux.
- Tu vas bien ? Les Propétides... ?
- Non, non, elles m'ont rien fait. Désolé, j'étais... plongé dans mes pensées. (Il se râcla la gorge, gêné). La Colchide du coup ? T'es sûre ?
- Disons que je le sens, nuança-t-elle, l'air toujours suspicieuse. Les torches ne doivent pas être loin...
- C'est vrai ? intervint soudain Lacy en revenant vers eux tandis que Will se glissait aux côtés de Nico un peu plus loin.
Connor se tourna vers elle. Les traces de sang avaient disparu de son visage, mais il pouvait voir des larmes humides dans ses prunelles caramel et son cœur se serra à nouveau. Il tenta de se rappeler de la sensation qu'il avait eu lorsqu'il avait tué un monstre pour la première fois. Il ne s'en rappelait pas, réalisa-t-il alors, perturbé. Il se souvenait de son premier combat contre une chimère en colère, mais il avait été avec Travis et le satyre qui les avait amenés à la Colonie. C'était lui qui avait réussi à se débarrasser du monstre. De manière générale, il avait toujours été avec Travis. Peut-être que c'était pour cela que les choses lui avaient toujours parues moins traumatisantes : son grand frère avait été à ses côtés.
- Oui, je perçois leur pouvoir, dit Lou Ellen en balayant les alentours du regard. Elles sont toutes proches...
- Ca veut dire que Médée, Pasiphaé et Circée le sont aussi...
- Belle déduction, fils d'Hermès. Mais avant d'arrivée jusqu'à elles, il faudra d'abord passer un dernière obstacle : moi.
Connor fit volteface. Il mit une seconde à trouver la voix et encore une à apercevoir l'homme qui venait d'émerger des arbres un peu plus loin. Il était grand avec une silhouette fine et élancée. Au début, Connor crut qu'il s'agissait d'un vieillard à cause de ses cheveux argent, mais l'homme le détrompa en s'approchant. Il saisit son épée en même temps que les autres. A sa gauche, Nico s'était remis sur ses pieds et il espéra que Will avait eu le temps de lui redonner un minimum de forces.
- N'approchez pas ! ordonna Lou Ellen, autoritaire. Qui êtes-vous ?
- Ravale tes ordres, fille d'Hécate. Je ne suis pas à ton service. (Il sourit, ironique et sinistre à la fois). Disons même que je suis le gardien des torches.
- Le gardien de Médée, Circée et Pasiphaé vous voulez dire, lança Connor avec condescendance.
L'homme vrilla son regard sur lui. Il avait le menton long et le nez pointu, ce qui lui donnait un air d'oiseau de proie.
- Ah le voici. Nous entendons parler de votre petit groupe depuis un moment, mais tu étais celui qui m'intéressait le plus, petit frère.
Il eut l'impression de se prendre le surnom en pleine tête et écarquilla les yeux.
- Comment... comment vous m'avez appelé ?
- Petit frère voyons. Oh ne t'en fais pas, je suis sûr que notre père aurait été fier de moi aujourd'hui. Après tout, je fais honneur à son titre de Prince des voleurs.
- C'est vous... souffla soudain Will. Mélinoé l'avait dit : « Le voleur qui ne peut se faire prendre. Le fils du prince des voleurs en personne, aussi insaisissable qu'une tempête de neige ».
- Je vois que Mélinoé s'est améliorée en matière poétique. Une tempête de neige... (il secoua la tête en riant). Belle façon de vous révéler mon identité sans rien dire.
Connor fronça les sourcils.
- Quoi ?
- Voyons petit frère, tu ne me connais donc pas ? Je suis Autolycos, fils d'Hermès et de Chioné !
- Chioné ? La déesse de la neige ?
Autolycos parut agacé.
- Non, pas celle-ci. Il y en avait une autre avant que cette fille de Borée ne vol toute l'attention. Ma mère a été courtisé par deux dieux : Apollon et Hermès. Elle a mis au monde des jumeaux, chacun fils de l'un des dieux. Sa fierté lui aura coûté la vie... Elle clamait partout que sa beauté lui avait valu les faveurs de deux dieux. Artémis l'a tué d'une volée de flèches pour la punir de son audace et de son insolence. (Il n'eut pas l'air très affecté par l'histoire et se contenta de rouler des yeux). Je suppose que Mélinoé se trouvait spirituelle avec son jeu de mot.
- C'est surtout bien tordu, marmonna Connor.
- Comme toutes les histoires impliquant les dieux, petit frère. Tu devrais commencer à le comprendre.
Connor grimaça. Malheureusement, il avait assez d'expérience pour être d'accord avec Autolycos.
- Ça suffit ! coupa Lou Ellen. Nous sommes venus chercher les torches et nous ne repartirons pas sans !
- Et que comptes-tu faire contre trois magiciennes infiniment puissantes ? Voyons, ton échec est écrit dans le fil des Parques avant même que tu ne te lances dans le combat. Renonce à ta folie et je vous laisserai repartir.
- Pourquoi ? Vous avez peur de nous affronter ?
- Moi ? Mais regardez-vous, demi-dieux. Une gamine qui sait à peine tenir une dague, un fils d'Apollon incapable de se battre, un voleur qui a trouvé meilleur que lui, une fille d'Hécate incapable de contrôler ses pouvoirs à leur paroxysme et un garçon qui ne pourrait même pas entrer dans une flaque d'ombre sans s'y dissoudre.
- Eh ! Meilleur que lui ? répéta Connor, indigné. Ne vous jetez pas des fleurs !
Autolycos éclata de rire, l'air sincèrement amusé.
- Ne te voile pas la face, petit frère. Contrairement à toi, j'ai eu la bénédiction de notre père. Il m'a accordé le don de voler sans me faire prendre ! Comment crois-tu que ces trois sorcières aient réussi à s'emparer des torches ?
- Mais pourquoi ? Qu'est-ce que vous y gagnez ? intervint Lacy, perplexe.
- Oh rien de particulier. La reconnaissance, le pouvoir, la protection. Imagine-tu, fille d'Aphrodite, la renommée qui suivra mes pas quand mon exploit sera connu ? Moi, le fils au nom oublié, je deviendrai le Prince des voleurs.
Connor tressaillit. Ce titre, c'était celui de son père. Personne d'autre ne pouvait se l'accaparer. D'un mouvement de poignet, il fit décrire un tour à son épée qui voltigea presque entre ses doigts avant de se caler fermement au creux de sa paume.
- Prince peut-être, nargua-t-il, mais tu sais comment on me surnomme ? Le roi de l'embrouille. Allez, viens un peu pour voir !
- Oh petit frère... Ne dis pas que je ne t'ai pas laissé ta chance.
- Connor ! Non !
Il ne laissa pas le cri de Lou Ellen l'arrêter. Déterminé, il s'élança vers Autolycos et leurs lames s'entrechoquèrent dans un bruit sourd. Il feinta sur le flanc droit, mais son adversaire était rapide. Et surtout, il avait une essence divine pour lui. Ses mouvements étaient rapides, précis, violents. Mais Connor était entraîné. Toutes ces années d'apprentissage lui revenaient sans efforts : toutes les fois où ils avaient affronté Luke, sûrement un des meilleurs épéistes de leur génération, lui revinrent en mémoire. Un combat n'était jamais plus qu'une stratégie qui se déployait au rythme des mouvements du corps.
Autour de lui, il perçut les autres se mettre en mouvement. Plusieurs animaux étaient sortis de la forêt et se joignaient maintenant à la bataille. Connor écarquilla les yeux en voyant un loup passé près de lui pour se jeter vers Nico qui le repoussa d'une parade parfaitement exécutée.
- Surpris, petit frère ? se moqua Autolycos. Ais-je omis de mentionner que je pouvais transformer l'apparence des animaux que j'avais volé ? Crois-moi, ils sont nombreux. Incroyable ce que qu'un simple poulet dérobé à un paysan peut devenir dangereux quand on lui donne des crocs et une fourrure de loup !
- C'est de la triche ! Aucun talent ! Moi, je fais tout à l'ancienne !
- Et c'est ce qui causera ta chute. Aucun don accordé par notre père, rien de spécial. Juste un simple fils d'Hermès comme il y en eu des centaines dans l'histoire. Tu ne seras qu'un nom dans une liste d'anonymes.
Connor serra les dents. Avec force, il para le coup qu'Autolycos tentait de lui porter et le repoussa d'un coup de pied en plein ventre.
- Ah ouais ? fit-il, haletant. Au moins, les gens qui comptent retiendront le nom de ma mère !
- Ta mère ? Une pauvre mortelle !
- Une pauvre mortelle au coup de casserole prodigieux ! (Il décrivit un arc de cercle pour tenir son opposant à distance puis cria de toutes ses forces). Lou !
Il pria pour que Lou Ellen ait entendu et compris ce qu'il lui demandait. Heureusement pour lui, elle ne lui faisait jamais défaut. En périphérie en train de se battre contre une lionne rugissante, elle prit le temps de lever la main et agita ses doigts : Connor sentit alors son épée se changer sous sa peau. Il ne tenait plus son épée en bronze mais une casserole brillante. Et il se fit un plaisir de l'asséner en plein dans la figure d'Autolycos.
Pris par surprise, il n'eut pas le temps d'esquiver. La force du coup l'envoya à terre et un craquement résonna dans sa mâchoire. Connor se permit un rictus mesquin.
- De la part de Holly Alatir, mon vieux, chantonna-t-il.
Laissant Autolycos sonné au sol, il s'élança vers Lacy aux prises avec un chien enragé presque aussi gros qu'elle. Il agita sa casserole vers lui pour détourner son attention.
- Eh ! Médor ! Viens un peu par-là !
Le molosse aboya en montrant les dents. Lacy se glissa alors dans son dos et lui planta sa dague avec force. Le chien se dissout immédiatement.
- Parfait, miss Brown ! Maintenant, viens avec moi.
Le souffle court, il entraîna Lacy dans son sillage, slalomant entre les animaux qui s'agitaient souvent en tout sens. Il supposait qu'Autolycos n'avait pas la puissance nécessaire pour tous les contrôler en même temps. Plus loin, Nico et Will étaient dos à dos, tenant en respect un véritable ours brun et il hésita une seconde à aller leur prêter main forte avant d'entendre le grognement de détresse de Lou Ellen. Il se retourna au moment où elle envoyait valser un serpent géant par-dessus le bord de la falaise.
- Lou ! appela-t-il.
- Ils sont partout ! dit-elle en arrivant vers lui. C'est infernal !
- Je sais et je veux que tu partes. Prends Will et Nico avec toi, va chercher les torches !
Elle le dévisagea.
- Pardon ? Mais t'es tombé sur la tête !
- Non, au contraire. Ça m'arrive de réfléchir. Souviens-toi de la prophétie !
- Quoi ?
Il n'eut pas le temps d'expliquer qu'un bouquetin en furie fonça brusquement sur eux, cornes en avant. Ils firent un bond pour l'éviter. Lacy le fusilla du regard.
- Je m'en occupe, déclara-t-elle en réaffermissant sa prise sur ses dagues.
Et elle se jeta dans la mêlée pour se battre contre lui. Lou Ellen écarquilla les yeux, haletante, et lui saisit le bras.
- Connor, il faut y retourner !
- Non, attends, s'il te plait ! Lou, écoute-moi ! plaida-t-il en la retenant. La prophétie le disait : « un ennemi pour un héros ». Lacy a vaincu les Propétides, ennemies d'Aphrodite. On est en train d'affronter monsieur fils de Chioné-pas-vraiment-Chioné et d'Hermès. C'est mon ennemi, c'est sûr.
- Et alors ?
- Et alors il en reste trois ! Médée, Pasiphaé et Circée. Trois ennemis, trois héros : toi, Nico et Will. Vous devez y aller ! Si elles s'enfuient avec les torches...
- Mais ça veut dire vous laissez seuls ! Hors de question !
Exaspéré, il la saisit par les épaules et la secoua doucement, comme pour la réveiller. Elle se dégagea d'un mouvement sec.
- Lou, regarde autour de toi. C'est un voleur, pas un magicien. Il n'arrivera pas à maintenir son tour de passe-passe longtemps. Dès que les animaux seront partis...
-... vous serez toujours deux contre un presque dieu mineur, compléta-t-elle. C'est non, Connor.
- Tu veux récupérer les torches, oui ou non ? s'énerva-t-il.
- Oui ! Bien sûr que oui ! Mais pas en payant un prix impossible ! Pas en te perdant...
Sa voix se réduisit à un souffle et il vit alors ses grands yeux verts s'emplirent de larmes. Un poing parut se refermer sur son estomac. Il détestait ce genre de situation. Il aimait l'adrénaline qui pulsait dans ses veines, il aimait la fièvre des combats, la ruse qui l'animait, les répliques à trouver pour énerver l'adversaire... Mais il haïssait les choix comme ceux-là. Surtout, il détestait les imposer aux autres.
- Qu'est-ce que tu racontes, Lou ? tenta-t-il de plaisanter d'un ton léger. Ce n'est pas comme ça que tu te débarrasseras de moi... Allez, s'il te plait. Va chercher les torches qu'on puisse faire un barbecue en rentrant.
Lou Ellen émit un rire étranglé. Frustrée, elle secoua la tête, puis contempla le champ de bataille autour d'eux une seconde avant de serrer les mâchoires.
- Très bien, accepta-t-elle, déterminée. Mais t'as intérêt à lui mettre la raclée de sa vie.
- Tout pour vous, miss Blackstone !
- Hum... Et Connor ?
- Ouais ?
- Si je ne réussis pas...
- N'importe quoi.
- ... je veux être sûre d'une chose. Tu... tu ne m'en veux pas, hein ? Pour ce que je t'ai dit chez les Dactyles ?
Elle le regarda en face, tendue, et il sentit le même malaise que tout à l'heure le reprendre à la simple idée que Lou Ellen ait peur de lui. Et soudain, il prit sa décision. Il n'était peut-être pas sûr de lui, mais il ne douterait jamais d'elle.
- Non, souffla-t-il. Absolument pas.
Avec lenteur, comme pour lui laisser le temps de reculer si elle le souhaitait, il se pencha alors et il entendit sa respiration se coincer dans sa gorge une seconde avant qu'il ne pose ses lèvres contre les siennes. Il n'approfondit pas le contact, se contentant d'un baiser léger et doux, véritable promesse qu'ils se retrouveraient pour mettre des mots sur ce geste spontané. Sa peau était chaude et humide contre la sienne, il pouvait ressentir toute la rage de la bataille dans son souffle... Par les dieux, il était en train d'embrasser Lou Ellen Blackstone et il aimait ça.
A contre cœur, il se força pourtant à reculer. Il resta déstabilisé une seconde, le temps que son cerveau veuille bien reprendre le cours des évènements, et il vit Lou Ellen battre des cils, perplexe aussi.
- Oh Connor, je vais te tuer d'avoir fait ça maintenant... murmura-t-elle.
- Je sais. C'est tout moi, ça. (Il sourit, moqueur, puis il la poussa doucement en avant). Allez, vas-y. Je gère !
- Si Lacy n'a serait-ce qu'une égratignure, je te le ferai payer Alatir !
Sur cette dernière invective, elle partit alors en courant vers Nico et Will. Connor ne chercha pas à vérifier qu'ils partaient tous : il avait un voleur à battre. Justement, Autolycos commençait à se relever, remis de son coup de casserole. Désormais debout et de mauvais humeur, ils se toisèrent à plusieurs mètres d'écart avant de reprendre leur combat là où ils l'avaient laissé. Heureusement pour lui, le sort de Lou Ellen s'était estompé et il avait retrouvé son épée. Il n'hésita pas à s'en servir. Se laissant glisser au sol, il tenta de faucher les jambes d'Autolycos qui se contenta d'esquiver avec souplesse.
- Tu ne fais pas le poids contre moi, petit frère ! rugit-il. J'ai appris à Héraclès lui-même à abattre ses ennemies à coups de poings ! J'ai voyagé avec les Argonautes !
- Les Argonautes ? Mais je les connais ! J'ai même vu l'Argo II cet été. Sacré bateau ! T'as peut-être entendu de mon pote Percy Jackson ? Grand, musclé, imbattable, une intelligence remarquable ? Ah non pardon, ça c'est sa copine Annabeth !
- Tu parles trop !
- Ma mère me l'a dit souvent ça aussi...
Avec un cri de rage, Autolycos lui porta un coup en direction du ventre et il roula à terre pour l'éviter. Le nez dans l'herbe de Colchide, il vit du coin de l'œil les animaux disparaitre les uns après les autres alors que Lacy se battait encore avec un tigre aux dents effilées. Pourtant, même ce dernier s'évanouit en quelques secondes et Lacy se retrouva dépourvue d'ennemis, perplexe. Il eut alors une idée. Contractant ses muscles, il roula à nouveau sur lui-même pour être sur le dos au lieu de se relever. Autolycos plaça immédiatement son épée au creux de sa gorge, victorieux au-dessus de lui.
- Ne bouge plus, petit frère. La partie est finie.
Connor déglutit. Il envoya une prière mentale à son père pour que son plan fonctionne, puis relâcha sa prise sur son épée d'un geste exagéré pour que Lacy le perçoive, mains en évidence.
- Eh, Prince des voleurs ? dit-il d'une voix tremblante mais vive. Tu sais comment une fille d'Aphrodite fait pour voler sans ses mains ?
- Quoi ?
- Elle utilise sa voix !
Autolycos fronça les sourcils. Il n'eut pas le temps de réagir que la voix de Lacy s'éleva alors, haute et claire :
- Lâche !
L'ordre frappa, percutant, et Connor tressaillit. S'il avait encore tenu son épée, il l'aurait lâché tant l'injection de Lacy était forte. Malheureusement pour Autolycos, il avait la sienne. Ses mains s'ouvrirent contre sa volonté et l'épée tomba, aspirée par la gravité. Connor se redressa alors, la rattrapant, et il la plongea en avant dans un élan désespéré. La lame traversa son propriétaire qui poussa un râle de surprise et de douleur.
- Désolé mon vieux, dit-il en resserrant sa prise autour de la garde, mais j'ai déjà un grand frère. Et tu ne lui arrives pas à la cheville !
D'un tour de bras, il enfonça un peu plus l'épée et Autolycos disparut dans un cri de rage impuissant. Une vague de soulagement le parcourut et, épuisé, il se laissa retomber sur le dos avec l'impression que son souffle était coincé quelque part entre ses poumons. Les pas de Lacy se précipitèrent dans sa direction avant qu'elle n'agenouille près de lui.
- Par les dieux, Connor ! C'était...
- Incroyablement courageux ?
- Stupide ! s'écria-t-elle, les larmes aux yeux. Je n'avais jamais réussi... je ne savais pas...
- J'avais confiance en toi, miss Brown. L'enjôlement n'est peut-être pas ton truc, mais tu es une fille d'Aphrodite. Alors c'est vrai, tu n'auras jamais le talent de Piper ou Drew, mais il ne faut jamais sous-estimer la panique et la peur. Ça a réveillé ta jolie voix !
Bouleversée, Lacy le dévisagea un long moment, un peu comme le faisait sa mère quand elle paraissait se retenir de lui dire en face à quel point il était un idiot. Puis, d'un coup, elle lui donna un violent coup dans l'épaule.
- Aïe ! protesta-t-il. Mais ça va pas ?!
- Tu l'as mérité ! Je le dirais à Lou Ellen !
Il écarquilla les yeux.
- Non, tu ne peux pas...
- Je vais me gêner !
- Mais qu'est-ce qui est arrivée à la gamine silencieuse ?
- Elle t'a eu en partenaire de quête, répliqua Lacy avec mordant.
Connor la dévisagea alors à son tour. Il la contempla, soudain sérieux, et réalisa seulement à cet instant qu'elle avait effectivement changé. Physiquement, elle avait toujours ses cheveux blonds, ses yeux caramel et son visage en forme de cœur. C'était autre chose. C'était le feu qui brillait dans ses prunelles, sa posture assurée, son aura guerrière.
- Lacy Brown, souffla-t-il, je crois bien que tu as grandi...
- Et elle n'est pas la seule j'ai l'impression, ajouta une voix profonde derrière eux.
Ils sursautèrent. Au bord de la falaise, dos à la mer déchaînée, se tenait un homme. Il avait une stature athlétique et élancée même si son corps était noyé dans un jogging et un t-shirt du marathon de New York. Ses cheveux poivre et sel étaient balayés par la brise marine, mais il ne paraissait pas dérangé par l'assaut du vent, fermement campé sur ses pieds chaussés de Reebok aux petites ailes dorées. Et si Connor avait encore un doute concernant son identité, le portable qu'il tenait à la main, marqué d'un caducée sur la coque, acheva de le convaincre. Devant lui se tenait simplement Hermès. Son père.
- Papa... laissa-t-il échapper.
- Fiston ! Ravi de te voir. Bien joué cette ruse, je n'aurais pas mieux fait. Ça apprendra peut-être un peu l'humilité à ton frère. Ah ce que quelques millénaires peuvent changer quelqu'un. Il n'était pas du tout comme ça avant, tu peux me croire.
- Je... mais qu'est-ce que tu fiches ici ?
- Quoi ? En Colchide ? Mais c'est ma destination de vacances préférée voyons.
Connor le dévisagea, toujours assis à même le sol avec Lacy. Cette dernière parut soudain mal à l'aise et observa Hermès presque avec crainte avant de se révéler et d'épousseter son jean.
- Je vais... enfin... Récupérer nos affaires. Et faire un tour, voir si je peux aider les autres au cas où si le combat tourne mal.
- Quoi ? Non, attends, Lacy je...
- Tu devrais rester, insista-t-elle avec un regard éloquent. Ça ira.
Avant qu'il n'ait pu argumenter, elle s'éloigna à pas rapides non sans avoir fait une légère révérence en direction du Dieu olympien.
- Seigneur Hermès...
Son père lui rendit son salut en inclinant la tête, puis il se reconcentra sur lui. Connor resta prostré. Il avait pensé au jour où il rencontrerait son père, évidemment. Il s'était fait des scénarios des milliers de fois et il avait écouté chaque mot du récit de Travis quand celui-ci lui avait raconté sa rencontre avec leur paternel. Mais là, Hermès le prenait au dépourvu. Il était en plein milieu d'une quête. Ses amis – dont Lou Ellen bon sang – étaient en train de se battre avec un trio de magiciennes plus puissantes qu'Hermione Granger et il venait d'affronter le voleur le plus agaçant de la création. Et Hermès, dans son timing toujours si impeccable, avait décidé de débarquer maintenant !
- Tu n'as pas l'air heureux de me voir, observa celui-ci en s'avançant.
- Passe un coup de téléphone la prochaine fois...
- Les communications...
-... sont inaccessibles en ce moment, je sais. On arrive à peine à faire passer un message Iris ces derniers jours. (Il se releva péniblement et plissa soudain les yeux). Comment t'es arrivé jusqu'ici d'abord ? Je croyais que Zeus avait interdit aux Dieux de communiquer avec les mortels.
Un léger sourire fit frémir les lèvres d'Hermès. Un sourire malicieux qui mit Connor mal à l'aise avant de comprendre pourquoi : il voyait le même lorsqu'il se regardait dans un miroir.
- Allons fiston, je suis le Dieu des messagers. J'ai mes ficelles. Evidemment, je ne vais pas m'attarder, mais je me suis dit que je pouvais bien te rendre une petite visite. Ton frère a déjà eu droit à la sienne, même si je pense que je repasserai bientôt le voir. Après tout, on a des choses à se dire, tu ne crois pas ?
Cette fois, une lueur équivoque brilla dans les yeux de son père et Connor déglutit. Il n'oubliait pas la dernière fois qu'ils s'étaient vus dans son entrepôt. Le jour où Travis et lui avaient volé son caducée sur les ordres de Perséphone. Il souvenait encore du regard de son père alors qu'ils disparaissaient, emportant son attribut divin, et il ne put s'empêcher de faire le parallèle aujourd'hui avec les torches d'Hécate. D'une certaine façon, il n'avait pas été mieux qu'Autolycos : lui aussi avait joué au voleur ultime. Pourtant, il n'avait pas vraiment parlé à son père ce jour-là, trop occupé à mener à bien sa mission. Et il se demandait justement combien de temps celui-ci mettrait à le retrouver. Il savait que Travis avait eu droit à une conversation en tête-à-tête dans un train, peu après la mort de Luke. Connor n'avait jamais été jaloux de son frère, mais il devait avoué qu'il avait ressenti une pointe de ressentiment au creux de l'estomac en constatant que son tour n'arrivait pas. Travis et lui avaient toujours été à égalité pour tout, c'était étrange de ne pas l'être, surtout sur cette question. Mais il semblait qu'Hermès avait décidé de rétablir l'équilibre aujourd'hui.
- Ecoute, si c'est pour ton caducée... commença-t-il, mal à l'aise.
- Ce n'est pas que pour ça. Mais disons que j'aurais préféré éviter cette situation. J'avais sous-estimé Perséphone. Ah et dire qu'elle refuse de me le rendre... Tant pis pour elle, elle affrontera la colère de Zeus si elle continue à jouer à la plus maligne.
Connor déglutit. Il avait l'impression que l'affaire prenait des proportion qu'il n'avait pas envisagé.
- C'était un peu de ta faute, jugea-t-il dans un accès de bravoure ou d'inconscience.
- Je te demande pardon ?
- C'est toi qui a demandé à Travis d'aller chercher Alice aux Enfers. On a juste fait ce qu'il fallait pour la sortir de là.
Hermès vrilla ses yeux aux couleurs changeantes droit sur lui et il retint un mouvement de recul, persuadé d'avoir été trop loin, mais son père finit par secouer la tête.
- Je suppose que je le mérite, convint-il. Mais c'est une affaire entre ton frère et moi, ne t'en inquiète pas.
- Entre Travis et toi, hum ?
- Connor...
- Je répète ma question : qu'est-ce que tu fiches ici alors ? claqua-t-il plus sèchement qu'il ne le voulait.
Il était épuisé, le corps douloureux. Il venait de parcourir le pays pendant dix jours, arpenté les dédales du Labyrinthe, affronté de nombreux ennemis, embrassé Lou Ellen, supporté la mauvaise humeur de Nico, voyagé en vol d'ombre... Il arrivait à bout.
- Je pensais qu'on avait des choses à se dire, toi et moi, se contenta de répondre Hermès sans se départir de son calme sous lequel couvait malgré tout une tempête.
- Papa... Les autres ont peut-être besoin de moi.
- Non, crois-moi. Hécate a bien énoncé sa prophétie pour une fois. Un héros pour un ennemi. Et tu t'es débarrassé du tien brillamment.
- Si tu le dis...
Gêné, il baissa les yeux et contempla ses baskets qui avaient vu des jours meilleurs.
- Allons Connor, ne fais pas ça. Je sais que tu voulais me parler.
- Tu sais, hum ? Et alors quoi, maintenant que tu es là je devrais tout déballer ? Me plier à ton timing ? Ca fait des années que je veux te parler, c'est vrai ! Mais je ne crois pas t'avoir vu souvent quand je t'adressais mes prières parce que maman avait du mal à boucler les fins de mois ou que Travis s'était blessé sur le mur de lave de la Colonie ! Tu n'as jamais été là ! Pour le Dieu des messagers, t'es assez nul en communication, laisse-moi te le dire.
- Justement. Je suis un Dieu. Je ne pouvais pas être là, pas comme tu l'aurais voulu. Ça ne veut pas dire que je ne me souciais pas de toi, ou de ta mère et ton frère.
- C'est ça... C'est ce que tu as dit à Luke aussi avant qu'ils nous trahissent ?
Amener Luke dans la conversation était un coup bas, il en avait conscience. En écho à ses paroles, le visage de son père se ferma brusquement et une fureur divine anima ses traits, presque palpable. Connor recula. Le statut d'Hermès était facile à oublier sous ses airs de trentenaire sympathique habillé d'un jogging en nylon, mais il ne fallait pas s'y tromper : il n'avait pas devant lui que son père. Il avait aussi un Olympien.
- Je ne m'aventurerai pas sur ce terrain si j'étais toi, mon fils, prévint-il.
- Pourquoi ? Je sais que c'était la faute de Luke, crois-moi. Il a fait ses choix, il a décidé de nous trahir ! Mais toi... Toi, tu n'as rien fait.
L'accusation parut atteindre sa cible et, mesquinement, il prit plaisir à voir l'expression de son père se décomposer une seconde avant que son masque de fureur sous-jacente ne se remette en place.
- Quand vas-tu comprendre, Connor ? s'exaspéra-t-il sur un ton qui lui rappela celui de sa mère. Je ne peux pas toujours tout faire, je ne peux pas toujours intervenir ! Il y a des choses que les Parques décident et je ne peux aller contre ! C'est cela aussi être un Dieu : endosser les espoirs de l'humanité et ne pas pouvoir y répondre. Parce qu'à la fin de la journée, vous n'êtes que ça. L'humanité. Des mortels qui vivent, espèrent, tombent et se relèvent. Ça ne serait pas vous rendre service que de vous voler cela.
Le cœur au bord des lèvres, Connor battit des paupières, pris au dépourvu par les larmes qui lui montèrent soudain aux yeux. Il avait l'impression de ressentir une frustration impossible à endiguer. Elle lui dévorait les entrailles et se rependait dans son corps parce que malgré tout ses efforts, il n'arrivait pas à entendre et à comprendre les mots de son père. Luke avait été la trahison la plus douloureuse de sa jeune vie. Il avait placé sa confiance en ce frère plus âgé, ce héros qui maniait l'épée comme personne et qui l'avait accueilli alors qu'il n'était qu'un gamin perdu dans le Bungalow d'Hermès. Et Luke avait ensuite détruit tout ce qu'il avait construit. Il avait foutu en l'air leur vie, rongé par sa colère et sa rancœur. Connor n'avait jamais compris. Les Olympiens n'étaient peut-être pas parfaits, mais Cronos présentait une alternative bien pire. Rejoindre ses rangs revenaient à s'en prendre à la Colonie, soit la seule maison qu'il n'ait jamais eue et qui l'ait accepté tel qu'il était. Il aimait Denver de tout son cœur, mais il savait aussi qu'il n'y avait jamais eu la même place. Tout l'amour de sa mère n'avait rien pu y faire. S'entendre répéter toute son enfance par ses professeurs et des directeurs d'écoles qu'il n'était voué à rien l'avait marqué... La Colonie, elle, l'avait accepté. Mais Luke avait laissé sa colère l'aveugler sans se rendre compte qu'il ne blessait pas les Dieux dans le processus, pas réellement du moins. Il les blessait eux.
- Je ne comprends pas, avoua-t-il d'une voix chevrotante à cause des larmes de frustration qu'il refusait de laisser couler. En quoi c'est une bonne chose de nous laisser endurer tout ça ?
- Oh Connor... (Pour la première fois, Hermès parut le prendre en pitié). Tu as bien vu les Dieux que tu as croisé pendant cette quête, non ? Deimos, Phobos, Mélinoé... Même Autolycos. Les émotions façonnent l'humanité tandis que le passage du temps anéanti les émotions. Ce n'est pas un hasard si vos adversaires vous ont d'abord épuisé émotionnellement... C'est leur seul façon de ressentir quelque chose au milieu des siècles qui se ressemblent. Tu ne réalises pas la chance que tu as de pouvoir pleinement vivre ça.
- C'est une vision assez déprimante...
- Certainement. Mais avoir un corps de Dieu Olympien compense. Je ne fais pas mon âge, tu ne penses pas ?
Hermès ponctua sa remarque d'un clin d'œil et Connor laissa enfin échapper un éclat de rire.
- Ca peut aller, jugea-t-il en faisant un mouvement de main mitigée.
- Comment ça « ça peut aller » ? Espèce de sale gosse !
- Tel père tel fils ? C'est ce que dit le dicton !
La répartie lui était venue sans réfléchir, mais il ne s'attendait pas à voir l'expression d'Hermès s'adoucir brusquement, presque paternelle, alors qu'un sourire simple fleurissait sur son visage.
- Oui, sûrement... souffla-t-il.
Connor se mordit la joue, gagné par une émotivité qui ne lui ressemblait pas. Il n'arrivait pas à réaliser qu'il avait enfin cette conversation avec ce père si absent, ce père qu'il admirait pourtant plus que tout.
- Et en même temps, non, nuança Hermès après un instant de réflexion. Je pense que cette quête t'a prouvé quelque chose.
- Ah bon ? Quoi ?
- Que tu étais plus que mon fils. Que tu étais plus que l'enfant de Denver ou le frère de Travis. Tu es ta propre personne, Connor. Et je sais que ça te fait peur et que tu ne sais pas où va te mener le chemin qui t'attend. Mais ne doute pas de toi. Tu n'as pas besoin d'être les « jumeaux Alatir » pour prouver ta valeur ni pour trouver ta voie. L'avenir est différent pour chacun d'entre nous.
- Mais aller à la fac comme Travis entraîne plus de fierté...
Hermès balaya la remarque de la main.
- Être fier de Travis n'empêche personne – et surtout pas ta mère ou moi – de l'être tout autant quand ça te concerne. (Il sourit d'un air tranquille, les mains plongées dans les poches). C'est ça que tu veux entendre ? Que je suis fier de toi ?
- Je ne veux rien entendre... protesta-t-il, embarrassé, mais son ton ne le convint même pas lui-même.
Hermès ne fut pas dupe.
- Parce que je le suis, Connor, tu sais. Fier de toi, je veux dire. De tous mes enfants, tu es sans doute celui qui me ressemble le plus. Tu as un sens de l'aventure, un goût de la découverte... Je ne suis pas le Dieu des voyageurs ni le gardien des routes et des carrefours pour rien. Tu n'as pas besoin d'attaches pour trouver qui tu es. Tu verras, le monde a beaucoup à offrir, même si c'est important d'avoir un point d'ancrage quelque part. Je ne doute pas que ton frère remplira ce rôle à merveille.
A la mention de Travis, Connor sentit un manque pulser en lui. Il réalisa qu'il n'avait pas pu son frère depuis des semaines. Eux, les inséparables. Son père avait raison : les voyages présentaient des nombreux attraits, mais rien ne valait de rentrer à la maison. A vrai dire, il avait hâte de rentrer...
- En parlant de carrefour, reprit alors Hermès avec une nonchalance feinte, toi et la fille d'Hécate... ?
- Non ! coupa-t-il, catégorique alors que ses joues s'embrasaient. Non, on ne va pas parler de ça.
- Allons, un père doit se tenir au courant de ces choses-là.
- Absolument pas ! Il n'y a rien avec Lou.
- « Rien ». C'est comme ça que les jeunes appellent embrasser de nos jours ?
Mortifié, il se cacha le visage entre les mains. Il devait ressembler à un soleil rougeoyant.
- Papa... marmonna-t-il d'un ton plaintif. On peut revenir sur toi qui joue mon conseiller d'orientation plutôt ?
- Bien, bien... Mais je crois que tu n'as pas besoin de moi, mon garçon. Il faut juste que tu arrêtes de te demander sans cesse ce que les autres pensent de toi et que tu avances sur le chemin que tu auras choisi.
- Mais justement... Je ne sais pas ! Je ne suis pas Travis, je n'ai pas la patience de changer le monde et rendre la justice en restant assis sur un banc de faculté pendant cinq ans. Je veux agir maintenant. Et surtout... je crois que je ne veux pas de cette responsabilité.
Attentif, Hermès pencha la tête sur le côté et lui fit signe de continuer.
- Je veux dire, c'était drôle d'être Conseiller en chef avec Connor mais... Je ne suis pas fait pour diriger tout seul. Mes plans, mes mauvais coups, mes ruses. Ça n'engage que moi. Que ça soit sans conséquence ou pendant une quête, je ne veux pas être comme Travis à être celui qui prend en charge les autres.
- On en revient toujours à ça, non ? Être comme Travis ?
Un poids dans la poitrine, Connor ferma les yeux. Evidemment qu'il en revenait toujours à ça. Il aimait son frère, il était son héros. Hercule, Thésée, Percy ou Jason... Ils pouvaient bien sauver le monde tant qu'ils voulaient, ils n'étaient pas son grand frère. Son modèle. Celui qui l'avait accompagné toutes ces années.
- Ecoute-moi bien, Connor, soupira son père. Il faut que tu comprennes quelque chose. Travis emprunte une voie et ce n'est pas grave si tu ne prends pas la même. Ça ne veut pas dire que vous serez moins proches pour autant. Ça ne veut pas dire que tu décevras qui que ce soit. Et ce n'est pas égoïste de vivre pour toi. Tu as bien plus à offrir au monde que tu ne le crois.
Les mots d'Hermès résonnèrent en lui, porteurs d'un espoir nouveau. Il n'avait pas réalisé jusqu'à présent à quel point il avait eu besoin de les entendre. Il avait eu besoin de la confirmation que grandir ne signifiait pas forcément prendre un chemin classique et préconçu. Il n'avait jamais été doué pour suivre ce type de voie de toutes façons. Il n'y avait qu'à prendre cette quête en exemple : il avait en partie convaincu les autres de partir pour l'Europe alors même qu'ils n'en avaient pas eu l'autorisation. Il pouvait continuer à être lui-même sans rester coincé sur place. Si Travis évoluait sans pour autant changer sa nature profonde, lui aussi pouvait être fidèle à ce qu'il était. Il n'avait pas besoin de renier l'enfant terrible au fond de lui. Cette constatation parut lui donner un nouveau souffle et il se sentit soudain respirer plus librement.
Une étincelle chaleureuse brilla dans les yeux de son père.
- Alors ? Convaincu ?
- Ouais, je crois...
- Magnifique ! se réjouit-il en frappant dans ses mains. Je ne devrais pas m'attarder dans ce cas, Zeus va bien finir par remarquer mon absence. Avant de partir, je voulais juste te dire une dernière chose au sujet de ton combat contre Autolycos.
- Laquelle ?
- Tu as un coup de casserole presque aussi formidable que celui de ta mère !
La phrase mit une seconde à monter à son cerveau. Puis, incapable de se retenir, Connor éclata de rire.
- Merci, dit-il en riant encore. Plus beau compliment que tu pouvais me faire !
- N'est-ce pas ?
Il sourit. Malgré toutes ses erreurs, il aimait son père. Autant qu'on pouvait aimer un Dieu en tout cas.
- Eh papa, fit-il en se rappelant brusquement un détail. Les Dactyles ont dit que ce sont eux qui avaient fabriqué mon épée. Que c'était une commande de ta part... ?
Il laissa la fin de sa phrase en suspens, comme une question muette. Hermès eut un sourire énigmatique.
- Suggérerais-tu que je t'ai offert un cadeau déguisé ?
- Je ne sais pas... Est-ce que c'est le cas ?
- Ah Connor ! Aucune ruse ne t'échappe, pas vrai ?
Ce n'était pas véritablement un aveu, mais c'était tout comme. Connor sentit une chaleur bienveillante s'épanouir dans sa poitrine et il avala la boule brûlante qui venait de se glisser dans sa gorge.
- Merci papa... murmura-t-il. Merci pour tout...
- Avec plaisir, mon garçon. Et pour te montrer que la prière que tu m'adresseras à la fête des pères ne sera pas veine, voilà un dernier cadeau.
Sans prévenir, Hermès lui tendit son poing fermé et Connor mit une seconde à réagir, surpris, avant de tendre sa paume ouverte. Son père y laissa tomber un objet. Curieux, il le saisit entre deux doigts et le leva à hauteur de regard pour l'examiner. Il s'agissait d'une petite fiole qui contenait cinq perles translucides dans lesquelles tournoyaient une brume opaque.
- Qu'est-ce que... elles ressemblent aux perles de Perséphone !
- Elles ont un peu le même but, avoua Hermès. Mais au lieu de te ramener à un endroit précis, elles te mèneront là où tu veux aller. Un bon voyage a besoin d'une destination après tout ! Ou plutôt d'un point de retour.
Incrédule, il releva les yeux pour dévisager son père et comprit soudain. Il venait de lui offrir leur moyen de rentrer aux Etats-Unis sans repasser par le Labyrinthe ! Il se retint de le prendre dans ses bras et se contenta de sourire, extatique.
- Pour tous arriver ensemble à votre destination, prenez-vous la main, on ne sait jamais, conseilla quand même son père. Ça te donnera une excuse avec la fille d'Hécate.
- Papa !
Mais Hermès se contenta d'éclater de rire. Puis, doucement, il recula, bras écartés, avant de lui adresser un salut ironique.
- Bon voyage, Connor !
- C'est ça... Oh et papa ! Si tu veux parler de fille avec quelqu'un, va voir Travis. Je crois que... le départ de Dylan l'affecte plus qu'il ne veut bien le dire.
- J'y songerai, promit-il avec indulgence.
Il s'éloigna encore un peu jusqu'à arriver au bord de la falaise. Là, son corps fut enveloppé par le vent et son image se mit à vaciller avant d'être emportée dans l'immensité. Et Connor sourit, apaisé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top