chapitre 2

Je dormais de plus en plus mal, et pour une raison que j'ignorais, je ne pouvais plus trouver le sommeil. Je me traînai hors de mon lit jusqu’à la glace de la salle de bain et reconnut à peine le reflet que me renvoyait le miroir, celui d’une fille aux cheveux sales et à l’air hirsute, de grosses poches noires sous les yeux et des paupières lourdes. Je baillai et décidai de prendre une douche, ce qui ne pouvait honnêtement pas me faire de mal.

Je laissai couler l’eau un instant et attendit qu’elle se réchauffe. Lorsque la température me parut correcte, je me déshabillai, jetai mes vêtements dans la corbeille du linge sale et me glissai sous le jet d’eau brûlant. Tout en entreprenant de me décrasser, je réfléchissais à un moyen d’aller à cette fête le lendemain.  Nous arrivions déjà en fin de semaine; tout s'était déroulé si vite !   Kim me tuerait si je ne venais pas, mais je ne savais pas si Antoine accepterai après notre dispute de ce matin… Je tenterai le coup ce soir. Après tout, il n’avait aucune raison de refuser ma requête !

***

- L’éclipse aura lieu demain, s’exclama Antoine en posant sa sacoche dans l'entrée avant de refermer la porte.

- Je n'avais pas oublié, répondit Sam, tendu.

- Tu te rappelles ce que j'ai dit ?

Cela faisait un an qu'Antoine préparait le plan, et c'était vite devenu franchement agaçant. Malgré tout, il prit la peine de répondre une énième fois pour rassurer son oncle.

- Après les cours, tu vas directement la chercher. Elle restera à la maison toute la nuit parce qu'elle court un grand danger si elle reste dehors, récita-t-il comme il l’aurait fait avec une leçon d’histoire.

- A partir de demain, ses pouvoirs commenceront à se manifester. Il faut que tu lui en parles. Elle ne peut pas rester dans l'ignorance, et je n'ai pas le courage de lui dire. Tu sais, toute cette histoire avec sa mère, et...

- Je le ferai, ne t'inquiète pas. J'attends juste le moment opportun.

- Très bien, concéda-t-il, mais dépêche-toi avant qu'il ne soit trop tard.

***

- Vous ne m'avez pas appelée pour le dîner.

J’évitai de hausser le ton, ne sachant trop si Antoine m’en voulait encore pour ce matin. Je descendis prudemment les escaliers en sentant le poids de leur regard braqué sur moi.                  

- Tu nous as devancés, on allait venir te chercher.

Antoine repartit à ses fourneaux, et une délicieuse odeur de viande gratinée m’envahit les narines. Il ne s’est peut-être pas excusé, mais au moins il sait comment se faire pardonner.

-Ce soir c'est tomates farcies. Ça vous va ?

Il s’agit de mon plat préféré, et Antoine le sait. Comme si j’allais refuser. Ni moi ni Sam n’osait avancer une réponse, et à vrai dire je n’étais pas certaine qu’il en attendait une. Je remarquai que le couvert était déjà mis, et à en juger par les effluves divinement bonnes qui s’échappaient de la cuisine, le plat était prêt, ils n’attendaient plus que moi.

Nous nous asseyions à nos places et Antoine servit le dîner dans nos assiettes. Nous commençâmes à manger en silence.

- C'est très bon, avança Sam en essayant de meubler la conversation.

- Ça va mieux Hayden, demanda Antoine, ce matin tu avais l'air patraque.

- J’ai connu pire, dis-je en me resservant dans le plat. D'ailleurs, j'avais une faveur à te demander. Je suis invitée à une fête demain soir. J’ai ta permission ?

Il posa sa fourchette et me regarda dans les yeux. Il semblait vraiment contrarié, et je ne voyais pas pourquoi. Même Sam avait arrêté de manger et s’était raidi.  On aurait entendu une mouche voler.

- Je ne veux pas que tu sortes. Sam viendra te chercher après les cours, finit-il par dire.

- Tous les amis y seront. Je ne peux pas rater ça, je t’en prie !

- Arrête Hayley, murmura doucement Sam en me donnant au passage un coup de pied dans le tibia sous la table.

Je lui décochai un regard noir. Depuis quand m’appelle-t-il par mon nom de famille ? Je lui rendis son coup en prenant soin à taper mon pied le plus fort possible contre son genou et il esquissa une grimace avant de baisser la tête et de se plonger dans son assiette.

- C'est à cause de ce matin ? Je suis sincèrement désolée Antoine, vraiment. Mais je dois aller à la fête ! S’il te plait, juste pour cette fois...

Il secoua la tête.

-Inutile d'insister.

J'en restai bouche bée. Je lui avais tenu tête ce matin, et maintenant j’étais privée de sortie. C'était injuste !

Sans prendre la peine de débarrasser ma place ou de leur souhaiter une bonne nuit, je me levai, gravit les escaliers quatre à quatre et prit bien soin de claquer ma porte avant de m’enfermer dans ma chambre. J’entendis Antoine m’appeler pour que je range mon assiette et mes couverts dans le lave-vaisselle, mais je l’ignorai et il finit par se lasser. Plusieurs minutes passèrent avant que Sam ne s’exclame :

- Tu as bien fait, mais je crois que tu lui dois quelques explications.

Antoine lui répondit, mais trop bas pour que j’entende sa réponse.

***

            Cela faisait maintenant une bonne demi-heure que je tournais en rond dans ma chambre comme un lion en cage, ressassant ma discussion avec Antoine. Pourquoi diable Sam avait-il pris son parti ? Et quelles explications Antoine me cachait-il ? J’avais un instant songé à questionner Sam, mais s’il ne m’avait pas défendu plus tôt, je doutai qu’il accepte de me répondre, et ma fierté m’empêchait d’aller faire le premier pas. Je décidai plutôt d’appeler Kim.

La sonnerie raisonna dans ma chambre, avant que sa voix ne crie un peut trop fort :

- Allô ?

J’éloignai l’appareil de mes oreilles et répondit en mettant le haut-parleur.

- Salut Kim, je dois te parler. Je ne te dérange pas ?

- Non, absolument pas. Pourquoi, qu’y a-t-il ?

J’entrepris de lui narrer les derniers évènements de la soirée et elle m’écouta sans m’interrompre. Quand mon récit fut achevé, elle me demanda simplement :

-Que comptes-tu faire ?

- Je vais y aller quand même, déclarai-je, bien évidemment.

- Et tu vas faire le mur, demanda-t-elle en prenant le timbre grave d’un agent secret prêt pour une nouvelle mission.

Je ne pus m’empêcher de sourire. Quand il s’agissait de défier les règles ou de faire la fête, Kim était toujours de la partie, mais je n’aurai pas besoin de son aide. Ou plutôt si, une aide ne serait pas de refus, seulement Kim habite trop loin et je n’ai pas envie de la mêler à tout ça.

-Oui, mais ne t’inquiète pas j’ai déjà tout prévu.

- Je crois que ma compagnie commence à t’influencer, répliqua-t-elle malicieusement. Quel est ton plan ?

***

Je fus réveillée par les rayons de soleil. J'avais dû oublier de fermer les volets de ma chambre. Il était à peine 6h15. Je décidai de me préparer rapidement et d’aller prendre le bus.  Quelques instants plus tard, j’étais enfin prête. Je descendis prendre une pomme et une barre chocolatée pour mon petit déjeuner. Sam vint me rejoindre dans la cuisine.

- Salut sœurette. Bien dormi ? Tu me parais matinale…

- Oui. Je ne veux pas rater le bus.

- Mais...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que j’étais déjà partie. Je marchai rapidement et arrivai en moins de sept minutes. Quelques lycéens attendaient déjà sur les bancs, ainsi qu’un vieux monsieur et une dame accompagnée de son fils de cinq ans. Je reconnus Dylan et vint le saluer.

- Hey!

- Salut Hayden ! Que fais-tu ici ?

- J'attends le bus, que veux tu que je fasse d’autre ? répondis-je, moqueuse.

- Sam ne te dépose pas aujourd'hui ?

- Non, je lui fais la tête. Tu imagines, mon oncle m’a interdit de sortir ce soir et Sam n'a même pas essayé de l'en dissuader.

-  Désolé pour la fête, mais ce n’est pas si grave. Si tu veux, je peux ne pas y aller pour qu'on se fasse le ciné qu'on a annulé.

- Non, pas la peine. Je serai à la fête.

Le bus arriva et nous montâmes tout en continuant à discuter.

- Mais tu viens de dire que tu ne pouvais pas.

- Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai simplement évoqué le fait qu’Antoine n’était pas d’accord, mais j’en ai discuté avec Kim, et j’y serai.

Nous nous asseyons à l’avant et je me mets près de la fenêtre.

- Kim ? Ne l’écoute pas, ou tu risques de mal tourner, répliqua-t-il en riant.

- J’irai quand même, que ça te plaise ou non.

- OK j'abandonne. Tu as gagné, dit-il en levant les mains en signe de défaite.

Le bus démarra et nous restâmes silencieux la plupart du trajet. J’observai le paysage par la fenêtre tandis que Dylan écoutait de la musique sur son iPod. Soudain, une idée me traversa l’esprit. Kim ne pouvait pas m’aider à faire le mur car elle habitait trop loin, mais Dylan…

- Dis, l’appelai-je en lui donnant un petit coup dans les côtes pour retenir son attention, tu ne voudrais pas m’aider à sortir ce soir ?

Il retira ses écouteurs et me dévisagea en se demandant si je plaisantais ou non.

- Moi ? Hors de question que tu me mêles à tout ça, je ne tiens pas à ce qu’Antoine me fasse la peau.

- Oh Dylan je t’en prie…

Je pris mon air de chien battu le plus convaincant, mais il secoua la tête en souriant.

- Je n’ai pas de cœur, ça ne marche pas avec moi.

Mais je continuai jusqu'à ce qu'il accepte.

- Bon, ok. Mais si Antoine l’apprend, je suis un homme mort.

- Il ne s’apercevra même pas de mon absence, rétorquai-je en lui adressant un clin d’œil.

Après quelques minutes de discussion nous arrivâmes enfin au lycée. Tout se passa normalement, comme d'habitude. Apparemment, la fête de ce soir sera grandiose, ce qui  me donna encore plus envie d'y aller et de mettre mon plan à exécution. Les cours s'enchainèrent jusqu'à l'heure du déjeuner puis nous retournâmes en classe pour continuer. Le temps me semblait long, comme d’habitude, mais j’étais ailleurs et je sursautai même lorsque la cloche sonna à dix-huit heures, marquant ainsi la fin des cours et le début du week-end.  Je ramassai mon sac et fut parmi les derniers à sortir avec Kim qui n’avait pas quitté sa montre des yeux de la journée, attendant l’heure de la fête avec impatience. Dylan nous attendait à la porte et nous nous séparâmes après s’être salués. Je sortis du bâtiment et marchai un peu avant d’arriver sur l’aller centrale qui me guida jusqu’au parking à la sortie où Sam m’attendait déjà. D’un bref signe de tête, je compris que lui aussi m’avait vue et je me dirigeais vers lui lorsqu’une voix féminine m’interpella.

-Hé, attend ! Hayden, c’est bien ça ?

- Oui, c’est moi, répondis-je en souriant à Emily que j’avais immédiatement reconnue.

- Tu viendras à la fête ce soir ?

- Oui, bien sûr !

- Super, je partagerai la bonne nouvelle avec les autres. Tu peux me filer ton numéro de téléphone pour que je t’envoie l’adresse ?

Je lui donne mon numéro, la salue et repars vers la voiture. Je n’étais pas à cinq mètres de lui que Sam s’empressa de me demander qui était la fille qui m’avait adressé la parole.

- C’était qui celle-là ?

- Pourquoi ça t'intéresse ? Elle te plaît ? , demandai-je d’un air effronté dans le seul but de l’agacer.

- Non, bien sûr que non, répondit-il d’un ton sec. C'est juste que je ne l’avais jamais vue avec toi avant.

- Normal, elle est nouvelle. Elle est arrivée hier.

- Hier ? Pourtant il ne reste qu’une semaine avant la fin des cours.

- Peut-être, répliquai-je, il n’empêche que ce ne sont pas tes affaires et que je parle à qui je veux. Maintenant bouge tes fesses, on rentre. Je n’ai pas que ça à faire que de discuter avec toi sur le parking.

Il me regarda d’un air sidéré, mais une fois de plus je ne lui laissai pas le temps de répondre et coupa court à toute conversation en entrant dans la voiture avant de claquer la portière d’un coup sec.

***

- Tout se passe bien dans le monde des humains?

- Tout se passait bien jusqu'à ce que trois personnes arrivent.

- Qui sont-ils?

- Je ne sais pas mais ils dégagent une certaine aura. Je ne connais pas leurs pouvoirs. Ils organisent une fête ce soir et elle veut à tout prix y aller.

- C'est dangereux, ils peuvent la démasquer, ce soir l’éclipse aura lieu. Tu dois l'en empêcher.

- J'ai tout essayé mais elle ne veut pas se résigner. Et je crois qu'il ne faut pas insister, sinon elle risque d'utiliser ses pouvoirs sans le vouloir.

- Tu as raison. Donc assure-toi de sa protection en toute discrétion. Et n'hésite pas à utiliser tes pouvoirs s'il le faut. Tu es un enfant de l'esprit. Tu ne risques rien puisque tu peux dissimuler ton aura. Ils ne te soupçonneront pas.

- D'accord.

- Ne tarde pas à me faire part de la situation. A bientôt.

 

***

- Tu es prêt ?

- Oui, vas-y.

Je pris une grande inspiration et m’approchai du rebord de la fenêtre. Ce n’était certes pas très haut, mais assez tout de même pour que je puisse me rompre le cou. Je m’efforçai de ne pas y penser tout en priant pour que Dylan me rattrapes, et je sautai.

Ma jambe gauche dérapa sur l’herbe glissante dans un angle bizarre, mais heureusement Dylan m’avait rattrapée  à temps et s’il avait faillit tomber sous l’impact, il parvint à me reposer sur la terre ferme en gardant son équilibre. Je massai ma mauvaise jambe et mes articulations me faisaient souffrir, mais je n’avais rien de cassé. Ouf! Jusqu’à présent, tout allait à merveille, et le plus dur était derrière nous.

Comme la maison n’était qu’à trois cent mètres, nous décidâmes qu’il serait plus simple d’y aller à pied que d’appeler un taxi. Moins d’une dizaine de minutes plus tard, nous étions arrivés.

Nous entendîmes les enceintes bien avant de voir la gigantesque demeure, et le jardin de devant était rempli. Certains allongés sur l’herbe étaient déjà saouls et se contentaient de cligner des yeux d’un air hébété tandis que d’autres peinaient à allumer la cigarette qu’ils tenaient dans leurs doigts tremblants. Dylan réussit cependant  à repérer Harry et Kim, qui discutaient tranquillement à une table sur la terrasse en bois. J’étais surprise de voir que Kim n’avait pas encore abordé Shane, que je n’avais d’ailleurs pas repéré.

- Enfin! Vous en avez mis du temps, s’étonna Harry.

- Désolée. J'ai été retardée.

Il secoua négligemment le bras pour montrer que ça n’avait pas d’importance.

-Ce n’est rien. Prends ça, ajouta-t-il en sortant une paire de lunettes noires puis une autre qu’il tendit à Dylan. C’est pour l’éclipse.

A peine eut-il prononcé ses mots que la musique cessa, et je vis Shane apparaître sur la petite scène au fond du jardin, un micro à la main.

- Votre attention je vous prie ! Veuillez tous mettre vos lunettes et vous tourner de ce côté-ci, l’éclipse va bientôt commencer. Si vous ne vous êtes pas encore procuré de lunettes, adressez-vous à Harry ou servez-vous dans les bacs sur la terrasse. Bonne soirée à tous !

Tout le monde se regroupa dos tourné à l’estrade dans la direction que Shane avait pointée. Le ciel déjà assombri sembla se plonger peu à peu dans l’obscurité en même temps que le jardin.

Je sentis alors une douleur croissante m’envahir, ainsi qu’un certain mal-être. Je retirai mes lunettes, ce qui ne fit qu’empirer les choses. Mes yeux commencèrent à me brûler et je sentis mes jambes flageoler. Je manquais de tomber sur Dylan qui me rattrapa d’un air paniqué.

-  Hayden, qu’est ce qu’il y a ? Tu vas bien ? Réponds putain !

Il avait crié un peu trop fort et quelques visages se tournèrent vers lui. Ma vue commença à se brouiller, mais je perçus tout de même le geste de la main de Dylan intimant aux autres de nous laisser tranquilles, s’excusant tout en expliquant que tout allait bien.

Mes poumons se contractèrent. J’avais de plus en plus de mal à respirer. Je calai ma tête sur l’épaule de Dylan qui me soutenait déjà de tout mon poids.

-C’est la deuxième fois de la soirée que je te rattrape, dit-il pour essayer de me remonter le moral. Je suis sûr que ce n’est rien de grave, certainement un début de malaise. Je vais te ramener chez toi.

Shane se glissa jusqu’à nous alors que Dylan jouait des coudes pour me faire sortir de la foule.

-Tout va bien ?

-Oui, merci pour tout Shane. On s’en va.

-Vous êtes vraiment sûr, insista-t-il, qu’elle va bien ? Je peux vous aider si…

-Non, merci, le coupa Dylan.

Quelques « oh » appréciatifs parvinrent à mes oreilles bourdonnantes et je compris que le soleil devait être en train de réapparaître. Je m’évanouis au moment même où les premiers applaudissements s’élevèrent dans la nuit.

Chapitre corrigé par LilyJonhson

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top