Chapitre 2
- Si tu savais comme j'ai hâte de fermer cette porte ce soir ! Lança Inaya qui commençait tout juste à trépigner d'impatience.
Pensive, Hannah ajusta sa dernière composition florale avant de lui répondre.
- Tu as hâte parce que c'est les vacances ou parce que toute ta famille débarque depuis l'Afrique du Sud ?
Sa meilleure amie perdit peu à peu son sourire puis le transforma en une grimace.
- Je suis en train de me demander si je n'aurai pas dû partir là-bas plutôt que de les faire venir ici. Au final c'est toi qui avait raison. Mon appartement ne peut pas accueillir toute ma famille.
- Et c'est pour cette raison que j'ai ceci pour toi ! S'exclama Hannah avec enthousiasme en sortant l'enveloppe du tiroir.
- Qu'est-ce que c'est ? S'enquit Inaya en se précipitant derrière le comptoir.
- C'est un bonus que j'ai rajouté à ta prime, expliqua-t-elle en souriant. Trois chambres d'hôtel pour une semaine. Avec ça tu vas pouvoir soulager ton appartement de trois ou quatre membres de ta famille. J'ai choisi l'hôtel le plus proche.
L'effet de surprise fut tel qu'elle l'avait imaginé. Elle lui sauta dans les bras en exhalant un long soupir de soulagement.
- Tu es adorable ! Merci ! Tu ne peux pas imaginer à quel point ça va m'aider.
- Ça me fait plaisir, murmura Hannah en reportant toute son attention sur sa composition.
- Est-ce que c'est moi ou tu n'as pas l'air emballé à l'idée de fermer la boutique ? Tu n'es pas heureuse de prendre un peu de vacance.
- Si, bien sûr que si ! Répondit-elle en essayant de feindre un enthousiasme débordant.
Inaya posa ses mains sur ses hanches en levant un sourcil.
- Hannah...
- Ce n'est rien c'est juste que...je ne sais pas quoi faire de mes vacances, admit-elle en osant à peine la regarder. C'est vrai, toute ta famille est sur le point d'arriver, tu auras des tas de choses à faire tandis que moi, je n'ai pas de famille à aller voir. Ma sœur est hors sol, mon père est un fourbe égoïste et affreux.
- Tu as ta mère non ?
Hannah eut un pincement au cœur.
- Ce n'est pas très joyeux d'aller la voir, c'est déprimant et je déteste mon père pour ce qu'il lui a fait.
- Tu n'as pas de nouvelle concernant la procédure que tu as entamée ?
Hannah eut un rire sec.
- Elle est bloquée, je suis dans l'impasse.
Elle secoua de la tête en esquissant un sourire forcé.
- Laisse tomber ! Oublie ce que je viens de dire. Je vais sans doute trouver des tas d'activités à faire. Ce n'est pas parce que je suis seule que je ne peux pas en profiter.
Inaya posa sa main dans son dos en souriant.
- Tu sais je ne suis pas loin, tu pourras toujours passer à mon appartement, je suis certaine que ma mère sera ravie de te faire découvrir quelques saveurs africaines.
- Pourquoi pas ! S'exclama Hannah joyeusement.
Seulement cette joie s'effaça dès lors que son amie passa la porte de la boutique pour profiter de sa pause déjeuner. Seule derrière le comptoir, Hannah inspira profondément le parfum des fleurs qui embaumait l'air.
Sa vie n'avait jamais été aussi perturbée depuis l'époque où son père l'avait trahi pour la toute première fois. Elle avait l'impression de vivre selon les volontés de son père et non les siennes. Il fallait qu'elle s'éloigne d'ici. Qu'elle tente de se ressourcer ailleurs afin de revenir plus conquérante que jamais.
Le tintement de la petite clochette l'obligea à revenir à l'instant présent.
- J'arrive tout de suite, lança-t-elle au client qui venait de passer la porte.
Avec précaution elle posa le vase en cristal dans la réserve naturelle et fit demi-tour.
Seulement au moment de contourner la cloison qui séparait la réserve de la boutique, Hannah s'arrêta brutalement. Un courant d'air assez glacial courut sur son échine alors qu'elle observait le client au loin. Ce n'était pas un profil qu'elle avait l'habitude de voir dans sa boutique. Vêtu d'une veste noire et d'une chemise immaculé, l'homme déambulait dans les allées l'air ennuyé. Son nez aquilin lui donnait un air sombre, sa barbe naissante aiguisait cet aspect sévère. Il était grand et indubitablement robuste. Ses cheveux d'ébène s'accordait à ses épais sourcils et à cet ourlet de cils qui laissait entrevoir une couleur bleue foncé. Hannah hésita longuement surtout quand il leva sa main pour toucher un pétale de rose blanche.
Une main dont le hâle était couverte de tatouages.
Pour la première fois, Hannah fut réticente, mais s'y obligea. L'apparence des clients ne comptaient pas. Le plus important c'était de les servir.
Alors elle s'avança et le bruit de ses talons aiguilles attira son attention.
Quelque chose d'étrange se produisit alors, comme si elle venait d'être aspirée par les ténèbres. Le regard du client embrassa sa silhouette et ce à de nombreuses reprises. Ses mâchoires volontaires eurent quelques crispations très marquées.
- En quoi puis-je vous aider monsieur ? Demanda-t-elle en arborant un sourire de bienvenue.
Il ne répondit pas, créant une situation très étrange voire gênante pour elle. Son souffle se bloqua dans sa poitrine et son cœur se mit à ressentir des battements irréguliers.
- J'aimerai offrir un bouquet à ma...femme, dit-il enfin en plissant les yeux.
Hannah nota dans le timbre très viril de sa voix un accent particulièrement chaud.
- C'est pour une occasion spéciale ? Demanda-t-elle en restant professionnelle.
- Ça c'est le moins que l'on puisse dire, confirma-t-il avec un sourire étrange.
- Est-ce qu'elle s'attend à être surprise ou elle se doute de rien ?
- Ça risque d'être un choc pour elle signorina, répondit-il avec un sourire dansant sur les lèvres. Je dirai même qu'elle mettra beaucoup de temps à s'en remettre.
Perplexe, Hannah fronça des sourcils en tournant les talons pour rejoindre le comptoir. La présence derrière elle se déplaçait elle aussi, rendant l'air un peu plus lourd. Il était grand, très grand, même ses talons ne parvenaient pas à combler les centimètres qui les séparaient.
- Avez-vous des préférences ? Demanda-t-elle en tirant sur le rouleau pour découper l'habillage du bouquet.
- Je vous fais confiance, après tout vous êtes une femme.
- Cela ne veut pas dire que j'ai les mêmes goûts que votre femme, répliqua Hannah en s'efforçant de rester courtoise alors qu'elle se sentait très bien chavirer comme si ce client étrange mettait ses nerfs à rude épreuve.
- Oh vous seriez surprise de savoir que vous avez beaucoup de points communs.
Hannah esquissa un léger sourire pincé en plissant le front.
- J'en doute, dit-elle simplement. Est-ce que vous allez lui donner dans l'heure qui suit ou plutôt dans la soirée ? C'est pour savoir si je dois mettre une bulle d'eau afin qu'elles ne s'affaissent pas.
- Je vais lui donner dans la seconde qui suit, répondit le client.
Hannah releva les yeux vers lui, d'abord troublée par la couleur bleue très sombre dans son regard puis ensuite, elle fut interpellé par son sourire aux plis diaboliques. Soudain très vite, elle perdit un peu de sa bonne humeur mais surtout de sa bienveillance car il n'avait de cesse de la regarder ouvertement, fixant parfois sa gorge et ses lèvres avec insistance.
- Je vais finir par croire que c'est un bouquet conçu pour réparer une infidélité, lâcha-t-elle sèchement en ouvrant le tiroir pour prendre les ciseaux.
- Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? S'enquit-il d'une voix étrangement sereine.
Hannah haussa des épaules en baissant les yeux pour continuer son travail.
- Eh bien je trouve que votre comportement est déplacé, de plus j'ai déjà eu affaires à des hommes tel que vous. En général ils pensent qu'un bouquet de fleurs sera suffisant pour effacer leur tromperie et d'autres espère effacer une certaine culpabilité. Il y a une semaine un homme voulait un bouquet, je pensais qu'il voulait faire plaisir à sa petite amie jusqu'à ce qu'il me demande d'écrire sur la carte " Pardonne-moi mais c'est fini "
- Aïe aïe, ça fait mal ! Dit-il en feignant d'être sérieux et touché par cette histoire.
Hannah s'arrêta net pour le fusiller du regard avant de reprendre son chemin.
- Je suis ravie de constater que ça vous fait rire, marmonna-t-elle en commençant la composition.
- Je suis insensible à ce genre d'histoire assez terne et sans saveur.
Hannah préféra ne pas répondre.
- Je n'aime pas l'infidélité, malgré les apparences, c'est quelque chose qui pourrait très vite me faire...disons perdre la tête.
Elle jeta un coup d'œil furtif vers lui et remarqua une lueur sardonique traverser son regard.
- Veuillez m'excuser, ça ne me regarde pas, la vie de mes clients ne me regarde pas.
- Mais je ne suis pas un client comme les autres, s'enquit l'homme en avançant vers elle. Je suis certaine que vous l'avez remarquer.
- En effet, confirma-t-elle en glissant ses doigts délicats sur la tige d'un camélia du Japon pour le glisser dans la composition.
- À défaut de parler de moi, parlez-moi un peu de vous.
- Il n'y absolument rien a dire, s'empressa-t-elle de répondre en s'éloignant de cette odeur particulièrement musquée.
- Je suis persuadé du contraire, quel âge avez-vous ? Vous me paraissez assez jeune pour tenir une boutique comme celle-ci.
- Je vais avoir vingt-cinq ans dans quarante-deux jours et si ça vous intéresse tant que ça, j'ai sauté une classe.
Peu habituée à faire face à une telle intrusion dans sa vie personnelle, Hannah s'empressa de finir le bouquet.
- Comme c'est intéressant, dit-il après un court silence.
- Je ne vois pas en quoi ça l'est.
Elle osa le regarder dans les yeux mais le regretta aussitôt.
- Croyez-moi, ça l'est, répliqua-t-il en restant évasif.
Son air impérieux la déstabilisa et le pire c'est qu'il s'en aperçut.
- Vous aimez connaître la vie de vos clients mais vous êtes rebutée à l'idée que l'on parle de la vôtre à ce que je constate.
- Vous vous trompez, c'était une erreur, votre vie ne me regarde pas, si vous voulez tromper votre femme, ce sont vos affaires pas les miennes, répondit-elle sèchement en faisant le tour du comptoir pour gagner cette séparation qui la mettait en sécurité.
- Est-ce que le bouquet vous convient ? Reprit-elle après s'être éclaircie la voix.
- C'est vous l'experte pas moi, je vous fais confiance, répondit-il avec un sourire en coin.
La présence de cet homme mystérieux la rendait bien plus nerveuse qu'elle laissait entendre. Quand il posa le plat de ses mains sur le comptoir elle fut incapable de détourner les yeux des tatouages. Il s'agissait de chiffres plus précisément des symboles qu'utilisaient les anciens romains.
- Dans ce cas, je le trouve parfait, je suis sûre qu'elle va l'adorer.
- Oh mais je l'espère aussi, s'enquit-il d'une voix étrangement rauque.
Hannah se racla la gorge puis continua son travail jusqu'à la finition parfaite du bouquet.
- Nous vendons aussi des bougies parfumées, des parfums d'ambiance et pleins d'autres choses en rapport avec la nature, est-ce que ça vous intéresse ?
- Ça dépend, qu'avez-vous à me proposer qui pourrait faire fondre mon épouse ?
La bouche sèche, Hannah tenta d'ignorer le sourire mystérieux qu'il n'arrêtait pas d'arborer et prit les bougies parfumées sur le présentoir.
- Nous en avons d'autres mais ici nous avons...
- Passion sauvage ? Dìo ! Voilà un titre alléchant, c'est vous qui l'avez trouvé ?
Hannah réprima quelques rougeurs en secouant la tête.
- C'est notre fournisseur, mais bientôt j'aimerai créer les miennes.
- Voilà encore une chose très intéressante, laissa-t-il tomber une lueur énigmatique dans les yeux.
Hannah inspiration imperceptiblement.
- Allons, vous êtes une femme, d'après-vous laquelle lui ferait plaisir ?
- Douce nuit d'été, répondit-elle aussitôt pour en finir au plus vite.
- Donc j'en conclu que vous êtes plutôt le genre de jeune femme à préférer le romantisme avant la passion ?
- Les deux sont complémentaires non ?
- Vous avez raison, mais ça dépend pour qui. Certains vivent de la passion en oubliant d'être...romantique, d'autres déteste l'être.
- Chacun est libre de faire ce qu'il veut, si votre femme est plutôt passionnée alors...
- C'est moi le passionné, le sauvage, croyez-vous que le romantisme peut s'accorder à ça ?
Hannah haussa des épaules.
- Je suppose que oui, murmura-t-elle peu convaincue de sa propre réponse.
Il la dévisagea avec l'esquisse à peine visible d'un sourire amusé.
Cette conversation n'avait aucun sens, et elle commençait par craindre ce client au regard incandescent et presque affamé.
- Je vais vous emballer la bougie, est-ce que je dois joindre une carte au bouquet ?
- Oui, je vais vous dicter mon texte, il sera court et concis.
Hannah acquiesça avant de passer dans l'arrière boutique pour faire le paquet. Lorsqu'elle revint sur ses pas elle remarqua qu'il n'avait pas bougé d'un millimètre et que son regard déplacé était encore rivé sur elle.
Un goût amer gagna sa bouche car elle avait l'impression d'être un morceau de viande, une jeune pouliche qu'il n'hésiterait pas à mettre dans son lit le temps d'un soir si elle était assez stupide pour accepter.
- Voilà ! Annonça Hannah armée d'un sourire poli.
- Tout est parfait, reste à découvrir si elle va aimer.
- Je suis certaine qu'elle va adorer.
- Je crains le contraire signorina...
- Eh bien cela dépend de ce que je dois marquer sur la carte, répliqua-t-elle en attrapant un stylo. Que dois-je écrire ? Désolé de t'avoir trompé ? Désolé pour tout ?
Son sarcasme le fit sourire.
- Non, écrivez plutôt, puisse notre mariage durer aussi longtemps que j'en aurai décidé ma douce et tendre Hannah Halden...
Une secousse intérieur la fit frémir, son visage devint pâle alors qu'elle relevait lentement les yeux vers lui. Diabolique, l'homme au regard ténébreux se pencha en avant et rajouta :
- Ou devrais-je dire, Hannah Santi...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top