Chapitre 71
Quelques heures plus tard, Tara se tenait sur le balcon de leur suite pour écouter les chants du fleuve. Elle s'entoura de ses bras lorsque l'air devint subitement frais. Peut-être était-ce le signe de mauvais présages ?
Non, se dit-elle intérieurement. Rien ne pourrait lui retirer son bonheur. Tara était trop heureuse pour avoir peur.
- Tu vas avoir froid Tara.
Elle sourit, lorsqu'il entoura ses bras autour de sa taille pour la réchauffer contre son corps puissant.
- Je suis tellement heureuse, murmura-t-elle en calant sa tête contre son torse.
- Moi aussi je le suis Tara...
Soudain, elle se rendit compte qu'elle ignorait la sensation qu'il avait ressenti à l'annonce de sa grossesse. Mohammed avait longtemps crû qu'il n'aurait jamais d'enfant. Amalia avait tout fait pour lui faire croire qu'il n'était pas capable de donner un héritier à son pays. Et même si cette merveilleuse nouvelle était arrivée dans des circonstances chaotiques elle voulait savoir ce qu'il avait ressenti.
- Quand tu as su que j'étais enceinte qu'est-ce que tu as ressenti ?
Elle le sentit se raidir. Il garda un long moment le silence avant de déclarer ;
- J'étais anéanti, confia-t-il au creux de son oreille ; J'ai crû qu'il était mort puis ensuite, je n'ai pas réussi à laisser la joie m'envahir.
Il marqua une pause dans laquelle Tara sentit son cœur se serrer.
- Comment aurais-je pu être heureux alors que tu étais dans un lit, seule, les yeux bandés.
Pétrifiée, Tara se mit à trembler contre lui. Elle se rendit compte qu'il avait beaucoup souffert.
- Je suis désolé Mohammed...je....
- Mais ensuite, la coupa-t-il en plantant un baiser sur le sommet de sa tête ; Quand tu m'as souri en posant tes mains sur ton ventre comme si cette nouvelle valait tous les malheurs du monde, intérieurement j'ai souri à mon tour.
Bouleversée par cette confidence Tara ne put réprimer les larmes qui ruisselaient sur ses cheveux. Il enfouit son visage au creux de son cou pour y parsemer des petits baisers.
- Tu as toujours été convaincu que tu ne pouvais pas avoir d'enfant, j'étais tellement heureuse lorsque le médecin m'a annoncé ma grossesse que je n'ai songé qu'à toi.
- Tu es si bienveillante et si généreuse habibti.
Mohammed se battait intérieurement pour réprimer son envie de lui avouer pour le deuxième bébé. Au fond de lui, il avait sentiment que ce bébé était bien présent dans son ventre. Il avait la conviction que cet enfant inattendu était là. Devait-il lui dire pour lui insuffler des forces supplémentaires ?
- Viens à l'intérieur te réchauffer je dois te dire quelque chose.
Il devinait ses petits sourcils se froncer légèrement. Craignant pour elle et pour leur enfants, il l'installa sur la chaise.
- Il faut que tu manges Tara.
- Tu devais me dire quelque chose, lui rappela-t-elle d'une voix inquiète.
- Pas tant que n'aura pas manger, contrat-il fermement.
Elle ne manqua pas de lui montrer sa déception sur ses lèvres. Mohammed n'avait pas l'intention de céder.
- Ouvre la bouche, ordonna-t-il en rapprochant sa chaise de la sienne.
Elle obéit à son plus grand soulagement. Les saveurs de l'Italie semblaient la rendre heureuse. Tant mieux, songea-t-il en essuyant sa bouche avec son pouce, car plus il la regardait plus Mohammed avait l'horrible sensation de voir son corps s'affaiblir de jour en jour.
La jeune femme lui mentait. Derrière cette façade bienveillante et derrière les sourires qu'elle lui gratifiait, il pouvait sentir sa peur. La peur de ne plus jamais voir, la peur de ne pas être assez forte pour affronter son passé. Ses joues étaient creusées. Tara essayait de le tromper mais il n'était pas dupe. S'il pouvait voir ses yeux, elle lui aurait offert un regard signifiant qu'elle touchait le fond de l'abîme.
- Tu ne peux me tromper habibti, tu le sais n'est-ce pas ?
- Que veux-tu dire ?
- Je peux sentir ta peur Tara, tu essayes de montrer que tout va bien mais je sais que c'est faux chérie, ouvre la bouche.
Tara serra les rebords de la chaise le ventre noué. Elle essayait de tromper le monde mais Mohammed n'était pas le monde.
- Tu as le droit d'avoir peur, poursuivit-il doucement comme s'il ne voulait pas la brusquer.
- J'ai peur, avoua-t-elle en relevant la tête, sentant le poids de son regard sur elle ; Mais si je commence à la laisser m'envahir, je vais sombrer Mohammed.
- Tu es déjà en train de sombrer Tara, rétorqua-t-il en reposant la fourchette dans l'assiette ; Seulement tu ne le vois pas mais moi je le vois. Tu refuses de t'alimenter, tu trembles la nuit et tu....dieu ! J'ai l'impression d'être impuissant.
Interdite Tara l'entendit se lever brutalement puis il se mit à arpenter le petit salon.
- Si tu parles de ma cécité temporaire alors oui, je suis terrifiée à l'idée de ne plus jamais revoir ton visage, déclara Tara d'une voix enrouée ; Mais je suis confiante et tu devrais l'être aussi.
- Je suis confiant ! S'emporta-t-il sans cesser d'arpenter la pièce ; Mais si jamais tu...
- Alors c'est ça ? Coupa-t-elle en gardant la tête droite ; Tu te sens coupable de ce qu'il m'est arrivé ? C'est pour ça que tu réagis si brutalement tu t'en veux encore ?
Le silence qui s'ensuivit lui confirma ses dires. Mohammed était dans un perpétuel remord qui le rongeait de l'intérieur. Pétrifiée dans le trou noir qui de dressait devant elle, Tara attendait désespérément qu'il lui réponde.
- Si je n'étais pas parti, si je ne t'avais pas quitté rien de ça ne serait arrivé, déclara l'homme d'une voix égale à la douleur qu'il ressentait.
- Nous aurions pris cette voiture ensemble, commença Tara en serrant ses doigts les uns contre les autres ; Où tu aurais appelé un médecin qui aurait emprunté cette route. Une famille peut-être...et ces gens auraient pu périr, nous aurions pu périr tous les deux.
Ignorant où il se trouvait dans la chambre, Tara préféra baisser la tête.
- Nous avons eu de la chance Mohammed et c'est cette chance qui m'aide à tenir même si au fond de moi, cette pénombre me terrifie.
- Je n'aurai ni repos ni sommeil tant que tu ne seras pas guérie, fit-il valoir avec force.
Tara frissonna jusqu'à la racine de ses cheveux. Ses lèvres tremblaient.
- Tu essayes de te punir d'une chose qui n'est pas de ta faute Mohammed, rétorqua Tara sur un ton ferme ; Je croirais entendre mon frère.
- Maintenant je le comprends, assura-t-il d'une voix faussement calme ; Je comprends ce qu'il a pu ressentir et je comprends pourquoi il a tué cet homme.
Tara fut sur le moins de rétorquer mais il l'en empêcha.
- C'est exactement ce que je ferais avec Raoul.
Elle se figea mortifiée.
- La vengeance ne résout rien Mohammed elle n'apporte rien et Klaus en est la preuve vivante ! Au début tu te sens bien et ensuite tu n'as rien d'autre qu'un sentiment de vide immense et une culpabilité qui te ronge.
- Il a essayé de te tuer, son crime ne restera pas impuni, grogna-t-il entre ses dents serrées.
- Mais je suis vivante.
- As-tu réagi de la même façon pour ton frère Tara ? Lança l'homme si vite qu'elle en eut le tournis ; Quand il a étranglé ce monstre à mains nus.
- Ce jour-là j'étais prostrée dans une chambre d'hôpital à chercher les ombres de ce monstre partout, dit-elle d'une voix tremblante, en réalisant qu'elle lui demandait de ne pas faire une chose qui à l'époque l'avait soulagée.
- Pourquoi serait-ce différent pour moi ? En sachant que j'aurai pu te perdre ? Ton frère aurait-il laissé Raoul s'en tirer aussi facilement ?
Piégée par ce raisonnement qui pesait contre elle, Tara préféra ne pas répondre.
- Comment peux-tu me demander de rester calme alors que j'aurais pu te perdre et que...tu es aveugle sans savoir si tu vas recouvrer la vue ? Que tu es enceinte ?
- Je te l'ai dit Mohammed, je garde espoir pour nous et pour notre enfant.
- Nos enfants ! Rectifia rageusement l'homme en laissant incrédule et esseulée dans la noirceur.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top