Chapitre 68
Mohammed considéra le médecin les lèvres scellées. Avait-il bien entendu ?
Brusquement, tout autour de lui devint sombre aussi sombre que l'était le monde de Tara. Cette nouvelle ravivait l'espoir qu'il avait perdu. Un autre enfant ?
- Vous en êtes sûre ? Demanda-t-il enfin.
- C'est encore un peu tôt, admit-elle en inclinant sa tête ; Mais j'en suis quasiment persuadée votre altesse.
Mohammed secoua de la tête en s'approchant d'elle la respiration subitement lourde.
- Docteur Adzira, commença-t-il sombrement ; Derrière cette porte se trouve la femme que j'aime au point de ne plus pouvoir respirer à l'idée de la perdre. Elle fait mine d'être optimiste mais je sais au fond de moi qu'elle est complètement terrifiée.
Mohammed s'interrompit pour lui laisser le temps d'assimiler ce qu'il lui disait.
- Si je rentre dans cette chambre pour lui annoncer qu'elle attend deux enfants et que quelques jours plus tard il s'avère que c'est faux, elle sera complètement anéantie.
Adzira baissa les yeux, visiblement troublée par son avertissement.
- Je ne veux pas que vous en soyez " Quasiment persuadée " Je veux du concret.
À bout de patience, il chercha désespérément le souffle nécessaire pour poursuivre.
- Je veux pouvoir rentrer dans cette chambre et dire à ma femme que la vie lui offre un cadeau inestimable.
- Votre majesté, bredouilla celle-ci gênée ; Je pourrais vous confirmer la présence de cet enfant la semaine prochaine.
Mohammed serra convulsivement ses mâchoires. Il avait bien fait d'insister, songea-t-il en la dévisageant. Une telle nouvelle devait être confirmée avec plus de précision. Hors de question pour lui de donner à Tara un faux espoir qui pourrait l'anéantir. Selon la tradition c'était à l'homme d'annoncer le sexe de l'enfant, c'était à lui seul de rentrer dans cette chambre porteur de bonnes nouvelles. Alors Mohammed décida de taire cette nouvelle à moitié confirmée et d'attendre de voir cet enfant.
- Alors nous attendrons une confirmation plus précise, conclut-il en inclinant sa tête.
Sur le point de remonter les marches, Adzira déclara ;
- Il faudrait qu'elle s'alimente davantage, précisa-t-elle fermement ; Peu importe la nature de cette grossesse, elle trop faible.
Mohammed acquiesça silencieusement et reprit la montée des marches. Elle avait raison, Tara avait maigri depuis l'accident et devenait plus fébrile de jour en jour. Il la rejoignit, le cœur serré en la voyant allongée les mains sur le ventre, le regard qui ne pouvait plus contempler rivé sur le plafond.
- Je peux sentir ta présence, murmura-t-elle en redressant sa tête vers lui.
Mohammed esquissa un vague sourire et s'approcha d'elle.
- Qu'est-ce que t'a dit le médecin ?
- Qu'il fallait que tu manges un peu plus pour prendre des forces.
Elle esquissa une moue contrite. C'était tellement difficile de ne voir que cette partie de son visage. Ses lèvres étaient maintenant la seule façon pour elle de communiquer.
- Les nausées ont disparues, le médecin a raison, dit-elle en se pinçant les lèvres.
Il caressa ses lèvres puis fit descendre sa main sur son ventre. Si les suppositions de la gynécologue s'avéraient vrais, Mohammed deviendrait l'homme le plus heureux au monde même si un suffisait à le remplir de joie. Tara l'avait sauvé. En peu de temps elle lui avait offert tout ce dont il rêvait. Pour parfaire son bonheur il fallait qu'il puisse voir ce bonheur dans ses yeux. Pour l'heure, il retenait son souffle chaque seconde de chaque heure.
La vie l'avait privé de parents. Elle lui avait arrachée son innocence...hors de question qu'elle lui arrache la vue.
- Je t'aime Tara, je t'aime tellement.
- Moi aussi je t'aime Mohammed.
Elle leva la main à la recherche de son visage. Mohammed la guida en prenant sa main pour la poser sur sa joue.
- Chaque relation à son lot de malheurs mais tant que nous nous aimons c'est le principal.
- J'ai fait un mariage chaotique, j'ai fini dans un fauteuil roulant, tu as été abandonné sur le parvis d'une église, agressée et maintenant plongée dans une horrible cécité.
Mohammed sentit son propre visage trembler à mesure qu'il s'approchait de son oreille.
- Tu ne crois pas que vous avons déjà eu notre lot de malheurs habiba ?
Ses lèvres se pincèrent nerveusement. À l'évidence elle savait qu'il avait raison. C'en était trop pour lui. Il voulait vivre heureux et offrir à Tara ce qu'elle méritait.
- Mais nous avons notre petit miracle, murmura la jeune femme en posant sa main sur son ventre.
- C'est bien plus qu'un miracle Tara c'est le fruit de notre amour et de ton combat silencieux que tu mènes depuis des mois.
Tara avait du mal à retenir ses larmes.
- C'est grâce à toi, chuchota-t-elle en se mettant sur le côté pour se blottir contre lui.
Elle pouvait le voir dans son esprit et c'est son visage qui l'aidait à surmonter sa cécité. Ce grand guerrier imposant...de cette force émanant de lui et qu'elle pouvait sentir contre elle.
- Tu es en train de réécrire l'histoire du pays habibti, chuchota-t-il d'une voix rauque.
- Tu parles du bébé ?
- Essentiellement.
Elle lui sourit.
- Je changerais l'histoire de ta famille lorsque nous aurons notre deuxième enfant votre altesse.
- Tu veux plus d'enfant ? Demanda-t-il d'une voix qui trahissait sa nervosité.
Tara perçut de la tension dans sa voix. Il frictionnait son ventre énergiquement.
- Oui et toi ?
- Évidemment !
Soulagée, Tara se redressa sur le lit, toujours aiguillonnée par cette peur qui l'envahissait chaque fois qu'elle essayait de le regarder sans trop savoir où il se trouvait.
- Tant mieux parce que je veux des tas d'enfants, nous en aurons tellement que...
- Doucement habibti, murmura-t-il quand elle essaya de se lever.
- Oh...j'ai parfois l'impression que je vais être capable de me lever seule.
Il l'aida à se mettre sur ses jambes.
- Où veux-tu aller ?
- Sur la terrasse, j'aimerais prendre un peu l'air.
Il la guida jusqu'à la terrasse et déjà le parfum sauvage des fleurs du jardins l'aida à s'apaiser.
- Comme c'est agréable, dit-elle en se laissant tomber sur le transat.
- Par Allah comment fais-tu pour ne pas...
- ....avoir peur ? Déduit-elle avec un triste sourire aux lèvres ; J'ai passé huit ans de ma vie à avoir peur des moindres mouvements, des moindres regardes, des bruits...
Tara inspira profondément en réprimant un sanglot.
- Si jamais je sombre à nouveau dans cette peur, alors je...
Tara secoua la tête, incapable de poursuivre. Si jamais elle se laissait aspirer par les ténèbres alors tout ses efforts n'auraient servis à rien.
- Je suis confiante Mohammed, ce n'est qu'une question de temps, tu verras.
Derrière cette promesse, elle entendit des voix s'élever dans l'air.
- Que font-ils ? Demanda-t-elle émue d'entendre les voix de ces étrangers venus prier pour elle.
- Ils prient.
- J'aimerais pouvoir les remercier.
- Tu le feras bientôt habibti.
Tara serra ses poings contre ses hanches, bouleversée par cet amour qu'on lui portait. Elle resta allongée sur la chaise-longue à écouter ces voix jusqu'à la tomber de la nuit.
Mohammed entreprit de la déshabiller et de la plonger dans l'eau chaude parfumée. Hormones ou une simple émotion, Tara se mit à pleurer silencieusement lorsqu'il entreprit de la laver avec une tendresse infinie. Il lui retira son pansement, prenant le soin de lui laver délicatement les cheveux. Tara garda ses yeux fermés sous les conseils du médecin même si elle mourrait d'envie de les ouvrir. Attentif, attentionné, Mohammed avait délaissé ses obligations de roi pour s'occuper exclusivement d'elle. Aziz mettait tout en œuvre pour l'informer des moindres décisions à prendre et relever fièrement le défi qui lui avait donné Mohammed.
Chaque fois qu'il était sur le point de lui refaire son pansement, il embrassait chacune de ses paupières fermées. Le cœur battant pour l'amour indicible qu'il lui portait, Tara parvint à trouver sa bouche pour y déposer un baiser.
- Merci docteur, chuchota-t-elle en lui souriant.
- Ce fut un plaisir...
Après ce petit moment de tendresse, Tara se mit à songer longuement sur l'épreuve qu'elle subissait, dans un profond silence brisé par leurs respirations entremêlés. Au bout d'une longue réflexion, Tara en était venu à la conclusion suivante ;
Pour passer cette épreuve douloureuse et terrifiante Tara voulait faire de cette faiblesse une force pour en affronter une autres. Seulement...Mohammed serait-il d'accord ?
Rien n'était moins sûr.
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