Chapitre 53
Dans la noirceur du paysage étroit, Tara tentait désespérément de se relever et de courir mais une main la retenait prisonnière contre le bitume froid et humide. Un cri jaillissant de sa gorge semblait muet. Personne ne l'entendait. Les murs se refermaient sur elle, et le visage de son fantôme cherchait à rencontrer le sien.
- Non !
En nage, Tara se releva en sursaut, la respiration saccadée, cherchant son air comme si elle était bloquée.
Deux bras fermes l'entourèrent. Tara tenta de se dégager en criant si fort qu'elle s'étrangla.
- C'est moi ! Mohammed !
La pièce baignait à présent de lumière et put sentir la chaleur de son compagnon.
- C'est moi habibti, murmura-t-il en la berçant comme une enfant ; Il n'y a personne d'autre que moi.
Peu à peu, sa respiration s'apaisa, elle sanglota dans ses bras incapable de maîtriser les tremblements de son corps.
- C'était un cauchemar ma chérie, murmura-t-il d'une voix douce en balayant ses cheveux de son front.
Trempée, la jeune femme sanglotait dans ses bras. Désemparé, Mohammed voulut se lever pour aller chercher un verre d'eau mais elle s'accrochait à lui complètement affolée.
- Non ! Ne me laisse pas toute seule !
Le cœur fendu en deux, Mohammed lui prit le visage en coupe.
- Je vais simplement te chercher un verre d'eau habibti.
- Non pitié ! Le supplia-t-elle les larmes aux yeux ; reste avec moi je t'en prie !
Mohammed s'empressa de l'enlacer avec force. Son cœur se serra violemment. Il aurait voulu prendre ses peurs, voler ses angoisses pour qu'elle soit délivrée à jamais. Hélas, il n'avait pas ce pouvoir. Il avait l'impression d'être impuissant.
- Je suis là Tara, je ne te quitterais jamais, murmura-t-il avec force.
- Oh...J'ai eu si peur, dit-elle en sanglotant.
- C'était un cauchemar habibti, dit-il en continuant de la bercer tout en caressant ses cheveux humides.
Tara cala sa tête contre son épaule en cherchant désespérément à lutter contre ce fantôme qu'elle pensait à jamais disparu. Saisie de sanglots incontrôlables elle s'accrocha désespérément à son compagnon pour apaiser ses peurs. La circulation, les sirènes incessantes ressemblant fortement à celles de Rome, Tara s'était endormie le ventre noué. Ses cauchemars l'avaient rattrapé. Le silence du Khazban lui manquait. Serrant convulsivement les bras puissants de Mohammed, Tara le laissa l'allonger sur l'oreiller pour la contempler.
- Je suis là Tara, répéta-t-il en caressant son visage.
Elle plongea son regard dans le sien et lut dans ses yeux opaque une autre promesse solennel.
- J'ai fait un cauchemar, murmura-t-elle en inspirant profondément ; J'étais bloqué sur le sol et je...je ne parvenais pas à crier.
Sans cesser de caresser son visage il murmura à la base de son front des mots en arabe. La chaleur de sa langue natale suffit à la calmer comme une berceuse. Elle ferma les yeux, épuisée, le corps alourdi par les convulsions de ses muscles.
- Je suis si désolé d'avoir hurler, murmura-t-elle les larmes aux yeux.
- Ne t'excuse pas habibti, tout va bien, tu n'as plus rien à craindre.
Son cœur se serra douloureusement. Elle avait l'impression que ses efforts étaient réduits à néant. Mais la force de son regard lui prouva le contraire. Mohammed avait raison. Jamais elle n'oublierait ce qu'elle avait vécu, elle pouvait seulement l'enfouir au fond d'elle sans avoir la certitude qu'un jour, elle ne serait pas confronté à ces flashbacks terrifiants. La preuve en est ce soir, songea-t-elle en ayant l'impression d'être esseulée malgré l'imposante présence de Mohammed.
- Respire profondément, regarde-moi dans les yeux, il n'y a que moi mon amour.
- Il n'y a que toi, répéta-t-elle d'une voix dont le souffle semblait lui manquer.
Tendrement, il posa un baiser sur sa joue et se leva pour traverser la suite. Il revint avec un verre d'eau la seconde suivante.
Plaquant sa paume de main sur sa nuque il l'aida à boire puis essuya les contours de ses lèvres.
Tara s'humecta les lèvres en se redressant sur le lit. Peu à peu sa peur se dissipa et put enfin le regarder dans les yeux sans avoir peur de fondre en larmes.
- Tara ? As-tu fait des cauchemars au château ? Demanda-t-il avec une pointe de culpabilité dans la voix.
Secouant vigoureusement de la tête elle prit machinalement sa main pour entourer ses doigts autour de son pouce. Le corps balloté d'avant en arrière, elle déglutit avec difficulté.
- Jamais, peut-être un ou deux au début, confia-t-elle d'une voix à peine audible ; Les bruis sont différents ici. Les sirènes entêtantes sont les mêmes qui...Les même qu'à Rome.
- Mon amour, chuchota-t-il le visage cerné de culpabilité.
- Tu n'y es pour rien, souffla-t-elle d'une voix tremblante ; Je n'ai plus l'habitude de tous ces bruits. Dans le désert, tout est si reposant.
- Tu aurais dû me le dire Tara.
- Mohammed, tu ne pourras pas toujours me protéger de tout et encore moins des bruits extérieur.
Il soupira en baissant les yeux sur sa main. La culpabilité qui marquait ses traits lui noua la gorge. Elle n'avait pas la moindre envie qu'il se sente coupable de l'avoir emmenée ici. Elle jeta un regard sur la pendule qui indiquait quatre heures du matin. Il s'était réveillé avant même qu'elle s'extirpe de son cauchemar, elle se souvenait encore de ses bras noués autour d'elle. Quel homme aurait fait ça ? Être aussi vif qu'un prédateur, aussi prévenant...il la couvait d'un regard protecteur.
- Est-ce que tu veux bien prendre les pilules qu'il y a dans le petit sac ?
Il se leva aussitôt, se mouvant avec une grâce qui était propre à lui.
- Tu en prends souvent ? Demanda-t-il d'une voix percée d'inquiétude tout en brandissant la boîte de médicaments.
Tara haussa des épaules d'un geste qui aurait pu paraître désinvolte. Il la scrutait avec attention.
- C'est mon psychiatre qui m'a prescrit ce traitement il y a bien longtemps, expliqua-t-elle comme il hésitait à lui donner ; Ça m'aide à me calmer en cas de crise.
Tara oublia volontairement de lui dire qu'elle ne l'avait pas revu depuis des années.
- Il est au centre d'accueil ?
- Oui, c'est le Dr Wolch.
Septique, il lui donna quand même un cachet.
- Je les prends très rarement, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible.
- Je connais ce genre de traitement, c'est assez fort, nota l'homme en lui mettant les jambes sous les couvertures ; J'informerais madame Thomas que tu en reprends sans l'avis de ton psychiatre.
Tara ferma les yeux en exhalant un soupir tremblant. Connaissant Mohammed, elle aurait dû se douter qu'il ne lâcherait pas si facilement.
Il la borda, puis posa sa bouche sur son front.
- Pourquoi veux-tu informer Tina ?
Mohammed demeura longuement silencieux avant de lui répondre.
- Je n'oublie pas que tu fais partie d'un programme de réinsertion Tara, je me suis renseigné sur le centre d'accueil, je sais que tu n'as pas été à tes rendez-vous pendant deux ans. Ton traitement n'est peut-être plus adapté pour toi.
Il traça le contour de sa bouche avec son pouce avant de poursuivre.
- Je le sais par expérience habibti, les anxiolytiques peuvent devenir dangereux pour la santé.
- Je le sais, Tina me l'a déjà dit, avoua-t-elle enfin ; C'était temporaire, ça ne l'est plus.
Craignant qu'il se mette en colère, Tara détourna la tête. Au lieu de ça, il plaqua un baiser sur sa tempe.
- Je laisse la lumière allumée, murmura-t-il doucement ; Je reviens dans quelques minutes.
Tara ferma les yeux, à son tour envahie de culpabilités.
Mohammed tira soigneusement les portes et prit son téléphone pour contacter le frère de Tara. La conversation serait peut-être tendue mais il s'agissait du bien-être de Tara. Il voulait en savoir plus sur son admission et sur les différentes zones d'ombre qui l'empêchaient de la comprendre mieux.
- Klaus Kreighton à l'appareil ?
- C'est Mohammed Al Zahar, je vous appelle au sujet de Tara.
Un froid silence s'ensuivit.
- Que se passe-t-il ? Demanda-t-il inquiet.
- Rien qui puisse vous alerter, je voulais simplement savoir si Tara avait été sous traitement avant de venir chez moi.
- Au début, sous l'ordre d'un médecin de l'hôpital puis ensuite le Dr Wolch a prolongé le traitement pour quelques mois.
Mohammed se frotta la barbe pensivement tout en arpentant le salon.
- Que s'est-il passé après son agression, j'ai besoin de savoir, j'ai besoin de connaître cette partie.
Mohammed venait d'employer un ton neutre néanmoins suppliant.
- Elle a été admise Arcispedale Santo Spirito in Saxia le soir de l'agression, elle y est restée trois semaines, commença-t-il à son plus grand étonnement ; Peu de temps après, les médecins ont constaté de nombreux troubles chez Tara. Troubles de stress post-traumatique, alimentaire, ainsi que de l'anxiété. Elle était devenue muette et très sensible aux bruit extérieur. Le médecin qui s'est occupé d'elle m'a dirigé vers le centre de réinsertion le plus réputé de l'Italie. Je pense que la suite vous la connaissez.
Mohammed inspira imperceptiblement.
- Pourquoi ? Demanda Klaus Kreighton avec brusquerie.
- Tara vient de faire un cauchemar et vient de prendre un anxiolytique, je m'inquiétais et je voulais savoir...
- Elle ne devrait plus en avoir sur elle, coupa-t-il brutalement, du moins pas sans l'avis du docteur Wolch.
- C'est bien pour cette raison que je vous appelle, rétorqua-t-il sèchement.
Klaus soupira bruyamment.
- Je vais en informer Tina Thomas, déclara Mohammed en passant un coup d'œil entre les portes coulissantes.
- Vous comprenez pourquoi je n'ai pas pu l'emmener avec moi, lâcha Klaus d'une voix plus amène.
Mohammed compatissait. En effet, maintenant il comprenait pourquoi Klaus avait dû se séparer d'elle. L'atmosphère assourdissante de New-York réveillait en elle des souvenirs de cette nuit d'été. En Italie, sur cette côté silencieuse et apaisante, Tara avait pu oublier les bruits de cette ruelle animée et qui pourtant lui avait parue bien silencieuse.
- Je comprends, murmura-t-il d'une voix teintée de tristesse.
- Vous devriez informer madame Thomas sur ces anxiolytiques, elle devrait pouvoir résoudre ce problème.
- Je le ferais, merci monsieur Kreighton.
- Jamais...je n'aurais crû que ce serez vous sa voie de guérison, lâcha l'homme en articulant chaque mot comme si cela lui coûtait ; Elle va mieux, beaucoup mieux et je sais que c'est en partie grâce à vous.
Mohammed déglutit en fixant Tara.
- C'est elle qui m'a guérie, murmura-t-il d'une voix altérée.
Son interlocuteur demeura silencieux avant de déclarer précipitamment.
- Prenez soin d'elle.
Tara rouvrit les yeux lentement. Feignant de dormir depuis cinq minutes elle n'avait rien perdu de sa conversation avec son frère.
" C'est elle qui m'a guérie "
Incapable de réprimer les battements précipités de son cœur, elle se retourna pour ancrer son regard dans le sien. Grisée par des émotions plus intenses encore que la veille, elle se blottie contre lui, tout en lui criant qu'elle l'aimait.
Intérieurement.
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