Chapitre 42
Tara affronta ses yeux noirs pendant de longues secondes puis s'éloigna vers le lit pour y déposer son gilet. Inutile de se protéger avec ce tissu qui lui donnait chaud, songea-t-elle en se mordant la lèvre. Mohammed semblait réellement inquiet pour elle et cette attention à son égard suffit à la détendre. Tara inspira profondément puis se retourna pour arrimer son regard au sien. Hélas il était dos à elle. Son dos musclé semblait souffrir dans cette chemise blanche et elle remarqua qu'il avait relevé ses manches. Pendant un instant, Tara s'imagina dans ses bras, alanguie à ses côtés sans se soucier au lendemain. Son corps réagissait de façon si brutale à son contact que parfois elle se demandait si elle n'était pas en train de devenir folle. Jadis des années, Tara n'était plus qu'un corps lourd et épuisé passant ses journées enfermée dans une chambre aussi vide que l'était son intérieur. Elle se souvenait encore de ce bruit sourd dans ses oreilles lorsqu'elle était seule la nuit. Elle avait peur. Perdue dans une sorte de pénombre dans laquelle elle était retenue prisonnière. Et depuis qu'elle l'avait rencontré, Tara avait l'impression d'être plus légère et plus combative.
- Viens manger Tara.
Quittant sa torpeur en balayant ses réflexions d'un geste imperceptible, elle le rejoignit sur les coussins éparpillés sur le sol. Il lui tendit une boîte en polystyrène qu'elle ouvrit aussitôt. Une délicieux odeur lui monta au nez. Tara se lécha la lèvre inférieure et sentit les mains de Mohammed entourer sa taille afin de la faire choir entre ses cuisses.
- Tu es ma prisonnière à présent, décréta l'homme sur un ton enjoué.
Tara ne bouda pas son plaisir d'être ainsi plaquée contre son torse puissant et profita de l'infime brise d'air qui caressa sa peau.
- Qu'est-ce que c'est ? S'informa Tara en mordillant une frite.
- C'est un kebab, tu vas voir c'est délicieux.
Mohammed rompit le pain pour lui mettre un morceau dans la bouche. Il frôla sa bouche avec son pouce et savoura la texture lisse de ses lèvres. C'est la première fois qu'il partageait un moment aussi simple et pourtant intense avec une femme. Ils étaient là, assis sur le tapis persan entouré de coussin.
- C'est délicieux ! S'écria la jeune femme en posant inconsciemment sa main sur son pouce.
Elle venait de refermer ses doigts autour. C'était la première fois qu'elle osait le toucher sans trembler. Mohammed décala ses cheveux de sa nuque pour distinguer sa joue gauche. Bien-sûr elle rougissait. Bravant l'interdit, il planta un baiser au creux de sa tempe et pu voir la veine de son cou palpiter.
- Parle-moi de toi, lança-t-elle en prenant un autre morceau.
- Que veux-tu savoir ?
- Ton enfance par-exemple, proposa-t-elle après une longue hésitation.
- J'ai eu une enfance heureuse, confia-t-il en songeant à sa mère ; J'ai étudié deux ans en Angleterre puis j'ai poursuivi mes études ici auprès de mon père.
- Est-ce que c'est difficile d'être roi ? Demanda-t-elle en pivotant légèrement sa tête vers lui.
Inexorablement, son regard se porta sur sa bouche.
- Dans les premiers jours oui, mais mon père m'a tout appris.
- Tu n'as jamais souhaité être quelqu'un d'autre ?
- Si...lorsque je suis seul et pourtant si entouré, avoua-t-il en relevant les yeux vers les siens ; Un éleveur par-exemple.
Elle rit en fronçant des sourcils.
- De chèvres ? Hasarda celle-ci en reportant son attention sur ses frites.
- Peu m'importe, dit-il d'une voix distraite, trop occupé à l'observer manger.
- Tu as souffert ? Se risqua de demander Tara en faisant allusion à son accident.
- Atrocement, répondit-il à sa plus grande surprise.
- Je suis désolé, lui dit-elle précipitamment.
Après une pause qui lui brûla la gorge comme un lancinant cisaillements, Tara déclara ;
- J'étais trop sonnée pour avoir mal, confia-t-elle d'une voix tremblante ; J'ai eu mal après mon réveil.
- Tara...
- Si je le pouvais, je reviendrais à cette soirée et je ferais les choses différemment.
Il la prit par la taille et la souleva avec une facilité déconcertante. Maintenant, elle lui faisait face.
- Tu n'as rien à te reprocher tu m'entends ?
Sa voix ruisselait de colère qui semblait destiner à son agresseur.
- Si, j'aurais dû respecter l'horaire, rétorqua-t-elle les lèvres tremblantes ; C'était notre première sortie, j'étais tellement excitée.
Elle déglutit avec difficulté puis reprit ;
- Et il y avait cette boite à musique, souffla-t-elle les larmes aux yeux ; Je me souviens encore de l'air de musique.
Elle sanglota si fort qu'il dut agripper ses bras frêles pour l'apaiser.
- Je...je me disais que si je continuais à écouter la berceuse j'arriverai à la voir, l'imaginer.
- Qui ça ? Demanda-t-il en lui prenant le visage entre ses mains.
Tara ne parvenait plus à contrôler ses larmes.
- Celle qui m'a abandonnée, lâcha-t-elle désespérément.
- Je me disais que...si je fermais les yeux je pourrais peut-être la voir dans ma tête.
- Tara, murmura-t-il en essayant à mal de chasser les larmes qui ruisselaient sur son visage.
Elle secoua de la tête désespérément.
- Si j'avais écouté les autres filles je...
- Non ! La coupa-t-il en l'obligeant à le regarder ; Tu n'es pas responsable, tu n'as pas à avoir honte est-ce bien clair ?
Elle hocha de la tête le regard néanmoins brisé.
- C'était un violeur qui sévissait depuis des années, tu n'es pas la seule Tara.
- Certaines sont mortes.
- Mais toi tu es vivante et lui non, répliqua Mohammed en pressant ses pouces sur ses pommettes ; Il est mort dans d'atroces souffrances et toi tu es en vie.
Forcée de reconnaître qu'il avait raison, Tara plongea son regard dans le sien et y lut une détermination sans faille. Elle ne s'était jamais ouverte de cette façon. Même son frère ignorait ce qu'elle ressentait au plus profond de son cœur.
- Je suis en vie oui, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible ; Mais à quel prix ? J'ai l'impression qu'il m'a tout volé.
- Tu demeures la même Tara, répliqua-t-il fermement ; Tu as simplement peur et c'est tout à fait normal.
- Tu crois que j'arriverai à vaincre mes peurs ? Demanda-t-elle les yeux remplis d'espoirs.
- Bien-sûr, confirma ce dernier toujours sur le même ton sérieux ; Tu as fait d'énormes efforts Tara.
Elle détourna brièvement le regard sur le tapis persan.
- Tu as besoin de temps et moi je veux juste te sentir près de moi, reprit-il doucement ; Jamais je n'aurai pensé dire ça un jour mais...j'ai besoin de toi.
Tara sentit son cœur se gonfler d'une émotion indicible. Il relâcha son visage et passa le revers de sa main sur sa joue pour essuyer le sillon de larmes.
- Plus de larmes maintenant, déclara-t-il comme une exigence ; Continue de manger et ensuite nous irons dormir.
À la force de ses bras et la retourna puis écarta une seconde fois ses cheveux de sa nuque. Un frisson naquit au creux de son épine dorsale, elle pouvait sentir son souffle contre sa nuque.
- Je me sens honoré aujourd'hui, confia-t-il d'un murmure ; Tu t'es confiée à moi et je me sens vraiment privilégié.
- Tu l'es, confirma Tara en reniflant ; Tu es le premier à qui je parle à cœur ouvert.
Il murmura quelque chose dans sa langue d'origine et sensuelle puis lui frotta les épaules énergiquement. Un silence tomba alors dans la chambre mais curieusement, l'un comme l'autre semblait l'apprécier. En réalité Tara en avait besoin pour remettre de l'ordre de sa tête. Irréaliste était le mot idéal pour décrire cette situation. Lui, roi du Khazban, elle petite fille abandonnée et violée en creux de ses jambes musclées, ayant le sentiment d'être unique. Mais pour combien de temps ? Était-elle capable de supporter une idylle ?
Un goût désagréable lui monta à la gorge tandis qu'une question lui brûlait les lèvres. Alors elle lança ;
- Je peux te poser une question ? Demanda-t-elle en se risquant à se prendre une gifle imaginaire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top