Chapitre 15



Mohammed se figea. Il capta dans ses yeux océans une couleur ambrée qui l'empêcha de reprendre le contrôle de la situation. Mais de quelle situation parlait-il ? Celle qui se déroulait sous ses yeux ?

De toute évidence la jeune femme les avait entendu parler. Avait-elle entendu chaque mot qu'il avait prononcé ? Même les pires ?

- Je pensais que vous dormiez miss Kreighton.

- Difficile en votre présence, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible ; Elle marque les esprits.

D'abords vexé, Mohammed leva un sourcil étonné par sa réponse qui sonnait plus comme un compliment.

- Je suis un roi, lui rappela-t-il en reposant la compresse sur son front ; C'est mon devoir de marquer mon autorité.

Elle se mordit la lèvre en détournant les yeux vers la fenêtre. La lumière semblait la déranger.

- Vous désirez que je ferme les rideaux ?

Elle lui répondit négativement de la tête et dévia son regard au sien.

- Pourquoi cherchez-vous à connaître mon histoire ? Demanda-t-elle alors d'une voix chevrotante.

- Je m'informe, dit-il simplement.

- Alors pourquoi ne pas vous informer sur les autres patientes ?

En plus d'être incroyablement belle, elle était intelligente. Un sourire flotta sur ses lèvres puis il reprit son sérieux.

- Je n'ai pas besoin de connaître leurs histoires, il suffit de les regarder pour comprendre.

Tara ne s'était jamais sentie aussi vulnérable. Mohammed Al Zahar se tenait à quelques centimètres de son visage. Chacun de ses traits racontait une histoire dans laquelle, aucune fin semblait joyeuse. Tina s'était battue dur comme fer devant ses exigences. Chaque mot qu'elle avait prononcé à son égard était la triste réalité de ce qu'elle ressentait au plus profond de son codeur. Mais l'homme au regard ciselé avait eu raison sur un point.

Il avait le profil idéal pour lui faire ressurgir toutes ses peurs même les plus inavouables. Son regard presque animal contrastait encore avec le léger sourire qui rehaussait ses lèvres.

- Louise Milo par exemple ? Murmura-t-elle en tentant vainement de résister à cette peur qui la tenaillait.

Il fit mine de réfléchir.

- Celle qui a eu l'audace de séduire l'un de mes hommes ? Oh...je dirais qu'elle tente désespérément de plaire ce qui m'amène à penser qu'elle mise tout sur son corps. Un corps qui souffre cruellement.

Sa main ferme remplaça la compresse. Tara ne put s'empêcher de frissonner sous la chaleur de cette main d'homme posé sur front comme si ce dernier lui appartenait.

- Veuillez excuser son comportement, murmura-t-elle pour chasser cette chaleur étouffante qui se diffusait dans son corps.

- À une seule condition...laissez-moi juste rehausser vos coussins.

Tara n'eut pas le temps d'accepter qu'il avait déjà glissé sa main sous sa nuque pour surélever sa tête. Son cœur se mit à battre si vite qu'elle dut inspirer profondément. Alarmé, il reposa sa tête contre les coussins et retira sa main doucement.

- C'est fini, chuchota-t-il en remontant les couvertures.

Tara serra ses mains contre la couverture alors qu'il la dévisageait profondément. Embarrassée par ses yeux noirs de jais posés sur elle, Tara se racla la gorge.

- Alors, puis-je connaître vôtre histoire ?

L'expression du roi se ferma aussitôt. Il ne restait plus que des fissures. Sa main hâlée se ferma en poings. Tara regretta aussitôt d'avoir émis une telle demande. Avait-elle été trop loin ?

Elle avait beau être immunisée par son histoire, elle n'en demeurait pas moins une inconnue. D'ailleurs, Tara n'était pas de nature curieuse.

- Il y a trois ans, j'ai rencontré une femme lors d'une soirée à Paris, commença-t-il d'une voix si grave qu'elle n'était pas sûre de vouloir entendre la suite ; Je l'ai d'abord prise comme maîtresse puis pour femme. Amalia feignait la douceur devant moi, devant mes hommes et mon pays. Sauf qu'au début je ne l'avais pas remarqué.

Tara vit son regard se perdre dans le vide. Ses mâchoires tressautèrent violemment sous les souvenirs qui semblaient ressurgir dans son esprit.

- Je venais d'être roi, accaparé par mon devoir j'ai vu en elle l'épouse idéale pour le royaume.

Sa voix...était à présent rêche.

- Alors je l'ai épousé, persuadé qu'elle deviendrait l'épaule sur laquelle je pourrais compter à chaque instant de ma vie. Mais six mois suivant notre mariage, son comportement à subitement changé, certains me rapportaient qu'elle se comportait de façon indigne d'une reine.

Il inspira brusquement.

- J'ai refusé d'écouter, jusqu'au jour où je l'ai fait suivre dans tous ses déplacements. Un jour elle s'est rendu dans une clinique de Khazban.

Il sonda son regard au sien. Tara prit peur devant la colère qui ruisselait dans ses yeux opaque.

- Trois jours plus tard, alors que nous étions en route pour un dîner d'affaires, je l'ai questionné, j'ai tenté de la piéger pour qu'elle me dise pourquoi elle s'était rendue dans cette clinique. Sous la pression, elle a fini par m'avouer qu'elle était enceinte.

Tara baissa les yeux pour échapper à la foudre qui se lisait sur son visage.

- Après tant de mensonges, j'ai alors saisi mon téléphone pour avoir confirmation de la clinique.

Il n'y avait plus que de la fureur dans ses iris. Tara sut que la suite serait terrible.

- Le médecin m'a bien confirmé qu'elle était enceinte. Et alors que je songeais déjà à comment appeler mon enfant, le médecin a perdu tout contrôle, sa voix s'est mise subitement à trembler. Je me suis tourné vers cette...femme qui subitement, s'est mise à pâlir.

Tara sentit le matelas trembler sous les tremblements de ses poings appuyés dessus. Plus il s'enfonçait dans la narration de son histoire plus son visage se transformait en quelque chose de terrifiant.

- Ce jour où elle est entrée dans cette clinique c'était pour mettre un terme à sa grossesse, lâcha-t-il d'une voix si froide...si...détachée et pourtant si brisée.

Tara ne sut quoi répondre. Son cœur se serra devant cet inconnu dont les traits se chargèrent soudain de souvenirs qui semblaient atroces.

- Lorsque le médecin m'a avoué qu'elle avait avorté, j'ai fait une sortie de route. J'ai perdu le contrôle du véhicule.

Puis un rire amer s'échappa de sa gorge.

- Le plus risible c'est qu'elle s'en est sorti avec quelques égratignures et un poignet foulé.

Mohammed sentit son intérieur se déchirer. Depuis ce jour, il n'avait jamais reparlé de cette histoire. Il plongea la compresse dans la bassine en cuivre et la reposa sur le front de la jeune femme.

- Je suis resté deux mois dans le coma, reprit-il en tapotant son front ; Je ne pouvais plus marcher, les médecins ont parlé d'un miracle lorsqu'ils se sont aperçut que tout n'était pas perdu pour moi.

- Je...suis...je suis vraiment désolé pour vous, bégaya-t-elle en ramenant les draps contre elle.

Mohammed rompit le silence dans lequel il se souvenait de ce marasme qui l'avait englouti chaque jour un peu plus ;

- Elle a tué mon enfant, murmura-t-il en dévisageant ses yeux de biche briller comme une nuit nimbée d'une pleine lune ; C'est un crime qui ne restera pas impuni.

- Le...la vengeance n'amène rien votre altesse.

Mohammed esquissa un sombre sourire.

- Est-ce la réponse que vous avez donné à votre frère lorsqu'il a tué ce monstre qui vous a arraché votre innocence ? Demanda-t-il d'une voix douce.

La jeune femme la couvrit d'un regard incertain avant de baisser les yeux.

- Bien, chuchota-t-il satisfait.

Il se leva alors, pour s'éloigner d'elle aux souvenirs des paroles tranchantes de Tina Thomas. Il avait eu beau lui raconter son histoire, Mohammed avait bien senti les résistances de la jeune femme à chacune de ses approches.

Étendue sur ce lit majestueux inoccupé depuis des années, cheveux auréolés autour de son visage, elle le regardait comme si elle avait l'horrible impression d'être une proie.

Sa proie.

Assez pour aujourd'hui, songea-t-il en avançant vers les deux portes ornés de fresques.

- Reposez-vous mademoiselle Kreighton, je demanderais à Anaya de vous apporter une petite collation en fin de journée.

- Il vaudrait peut-être mieux que je retourne dans ma chambre.

Mohammed dut faire marche-arrière en la voyant se relever difficilement. Vif comme l'éclair, il la rattrapa de justesse avant la chute. Immédiatement, une fragrance envoûtante lui chatouilla les narines. Plaquée contre le torse de son hôte, Tara se sentit bête et affreusement gênée. Ses bras puissants s'étaient refermés autour de sa taille. Elle avait provoqué ce contact et ne pouvait que s'en vouloir d'être ainsi touchée. Malgré la faiblesse de sa vision encore trouble elle aperçut autour de sa large taille un poignard dans son écrin.

Elle n'eut pas le temps de s'en inquiéter car déjà, il l'obligea à s'allonger et elle n'y opposa aucune résistance.

- Assez de cascade pour la journée, dit-il d'une voix de gorge ; Vous êtes bien mieux ici.

Tara se rallongea sous son regard impassible.

- Ne boudez pas ce plaisir d'être un peu en paix, rajouta-t-il en se redressant de tout sa hauteur.

Sur ce, il quitta les lieux d'un pas ferme, imposant son autorité d'une main de maître et referma les portes.

Tara sentit les battements de son cœur ralentir. Tout devint subitement très calme et reposant. Incapable de continuer à se battre contre sa raison qui lui chuchotait de partir, Tara leva son regard sur le plafond sur lequel était représenté des écritures en en arabe. Bercée par les arabesques historiques ornés de dessins soulignées par de minuscules particules en or, Tara sombra dans un profond sommeil.

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