Chapitre 10



Mohammed réprima un soupir en composant le numéro de téléphone de son médecin. Après réflexions, il avait compris qu'il ne pourrait plus supporter cette situation plus longtemps. Il en était le seul responsable. Peu de temps après avoir présenté ses excuses auprès de Anaya, une silhouette frêle avait passée les portes du château. Tara Kreighton avait fini par accepter son offre. Il ignorait toujours comment elle avait réussi à l'émouvoir. Il ignorait encore pourquoi de vives pensées à son égard l'avaient troublé au point de la considérer avec douceur. Peu importe, songea-t-il en se frottant les yeux. Ce qui comptait c'était de la savoir dans une chambre confortable. Mohammed avait accomplis son devoir d'hôte.

La conversation avec son médecin fut d'abord désagréable. Forcé de reconnaître qu'il était le seul responsable du retard perdu dans sa guérison, Mohammed présenta d'abord ses excuses avant de poser cette question qui le taraudait depuis des heures.

- Si vous acceptez mon aide, votre majesté, je peux déjà vous garantir que d'ici deux semaines vous pourrez remarcher.

- Est-ce là une promesse ? Demanda-t-il d'une voix grave.

- Une promesse que je suis prêt à tenir, assura son médecin d'une voix quelque peu tremblante.

- Je l'espère bien docteur, déclara Mohammed avec une pointe menaçante dans la voix.

Lorsqu'il raccrocha, il reposa sa tête contre le dossier de son fauteuil roulant. Une douleur lancinante lui comprimait le cœur. Mais ce n'était pas une douleur physique. C'était une douleur plus intense,plus vive et elle ne le quittait pas depuis son accident.

Un petit hoquet s'entendit au fond du salon. Mohammed se retourna vivement et alors qu'il était sur le point de renvoyer cet intrus avec froideur, il vit la jeune fille du harem se retourner pour ouvrir la porte.

- Tara ? Êtes-vous perdue ? S'enquit-il vivement avant qu'elle ne tourne la poignée.

La jeune femme se tourna plusieurs fois vers lui sans répondre.

- Je...Anaya a dû se tromper...bredouilla-t-elle en secouant de la tête.

Mohammed plissa son regard et soupira en dodelinant sa tête.

- Anaya vous a dit de venir me rejoindre ici ?

- Non, elle m'a dit que je dînerais ici, elle ne m'a pas dit que vous seriez là.

Mohammed eut envie d'étrangler Anaya. N'avait-elle pas compris ses ordres ou faisait-elle exprès de pousser la jeune fille à son contact ?

- Ce n'est rien, assura-t-il doucement ; Anaya a dû se tromper.

Elle se mordit la lèvre toujours les yeux baissés sur le tapis. Il remarqua qu'elle avait changé de tenue. La robe en lin lui allait à ravir. Elle faisait ressortir la couleur saisissante de ses yeux. Quant à ses cheveux, ils étaient attaché en tresse, retombant contre son mollet.

Dieu...qu'il lui en soit témoin et qu'il le punisse pour les pensées déplacées qui prenaient dangereusement forme dans son esprit.

- Venez donc vous asseoir, proposa-t-il gentiment.

Elle hésita longuement avant de s'approcher. Sans la quitter des yeux, Mohammed étudiait son profil attentivement. Elle avait la douceur d'une enfant, le regard fuyant, les yeux si expressifs qu'il devinait aisément qu'elle avait peur. S'il écoutait le roi qu'il était, Mohammed aurait quitté son propre salon pour mettre un terme à sa souffrance. Mais il décida d'écouter l'homme qui sommeillait en lui et se rapprocha vers l'autre extrémité de la table richement garnie de mets.

Elle l'intriguait. Elle piquait sa curiosité. Il se sentait curieusement apaisé en sa présence.

- Comment trouvez-vous votre chambre.

- Beaucoup trop grande pour une seule personne.

Mohammed fronça des sourcils en dévisageant la jeune femme.

- Mais elle est magnifique, ajouta-t-elle précipitamment.

- Levez votre regard, demanda-t-il prudemment ; Vous n'avez rien à craindre Tara, je suis un homme avec des valeurs et des principes.

Elle releva les yeux pour mieux les rabaisser.

- Vous êtes bien trop jeune pour vous sentir en danger en ma présence, je ne vous ferais aucun mal.

Oh oui elle était jeune. Anaya ne perdait rien pour attendre.

- Quel âge avez-vous ? Demanda-t-il en s'approchant d'elle.

- Vingt-deux ans, murmure-t-elle en se voûtant.

Mohammed aurait dit moins, jusqu'ici persuadé qu'elle avait tout juste vingt ans.

- Et vous ? Demanda-t-elle d'une voix hésitante.

Il perçut une pointe de curiosité dans son regard bleu.

- Je suis beaucoup trop vieux pour que vous ayez peur mademoiselle Kreighton, déclara-t-il en s'efforçant de garder ses distances.

Ses lèvres fermées étaient si charnues et si rouges qu'elles donnaient l'impression d'avoir récemment croqué dans un fruit rouge.

- Vous n'avez rien à craindre, répéta-t-il comme s'il voulait se convaincre lui-même de ce qu'il disait.

Elle acquiesça silencieusement et déplia sa serviette pour la déposer sur ses genoux. Une fois cette étape franchie, Mohammed s'approcha plus près pour tendre ses mains vers elle.

Sur le moment, elle se recula, dévisagea ses mains comme si c'était la première fois qu'elle en voyait de si près.

Certes elles étaient abîmées et salies par de vieux souvenirs mais il espérait qu'elle se laisse guider.

Tara se raidit à son approche et dévisagea ses mains fermes et fortes avec appréhension. La force de son regard l'invitait à lui faire confiance. C'est ce qu'elle fit contre toute attente. Il avait été clair quant aux intentions tout à fait honorables qui l'animaient. Il agissait comme un hôte respectable. Alors elle glissa ses mains dans les siennes avec la plus grande prudence. Ce premier contact fut d'abord désagréable car ses mains étaient rêches. Ensuite, le cœur de Tara se mit à battre à la chamade lorsque ses pouces se refermèrent sur ses phalanges. Elles étaient chaudes et incroyablement fermes.

En fait, elle ne savait toujours pas pourquoi il voulait prendre ses mains. Jusqu'à ce qu'il les plonge dans une bassine en cuivre. Peut-être une tradition, songea-t-elle en regardant ses mains trembler sans pouvoir les arrêter. Il les essuya dans un chiffon rouge. Timidement, Tara détourna la tête vers la fenêtre en encorbellement pour y découvrir un magnifique coucher de soleil.

- Si vous voulez utiliser une fourchette, il y en a une près de votre assiette, lui avait-il murmuré en lâchant ses mains.

Ça y est, elle comprit pourquoi il venait de lui laver les mains. Ici, on mangerait le plus souvent avec les doigts. Si au premier abord cela semblait sale, Tara se prêta au jeu. Plus vite elle aurait mangé plus vite elle pourrait quitter cette pièce qui de toute évidence était privée. D'ailleurs elle en voulait à Anaya de ne pas l'avoir averti sur la présence du roi. Impuissante, elle s'était d'abords résignée à s'avancer vers la table avant de se sentir étrangement bien. En sécurité.

- Vous avez trouvé les robes ? Est-ce qu'elles vous plaisent ?

- Vous n'auriez pas dû.

- Au contraire, madame Thomas a insisté pour que je vous trouve des vêtements plus convenable.

Une lueur indéchiffrable passa dans son regard noir.

- Pourquoi vous ne m'avez pas dis que je portais la robe de votre arrière grand-mère ?

Les lèvres de l'homme se serrèrent sévèrement. Il semblait mécontent. Ses traits étaient si bien dessiné qu'elle fut captivée contre son gré par la façon dont il la regardait. C'était profond et mystérieux.

- Je craignais que vous le preniez mal, avoua-t-il sans la quitter des yeux ; Mon arrière grand-mère a porté cette robe après avoir été kidnappée par mon arrière grand-père.

La réaction de Tara ne se fit pas attendre. Elle hoqueta, les yeux écarquillés. L'homme détourna alors le regard sur les tapis, les yeux effroyablement assombris par le regret.

Comme s'il cherchait à dissimuler les facettes de ses ancêtres. Comme si une partie de chacun d'entre eux vivait en lui.

- Oh...murmura-t-elle simplement.

Il releva sa paire d'yeux vers elle. L'instant semblait s'être figé dans une épaisse noirceur.

- Mangez Tara, l'enjoignit-il doucement.

Elle mangea sans jamais relever les yeux. En fait, il semblait souffrir. Et lorsqu'elle se leva après avoir refusé une tasse de thé, il s'avança jusqu'à elle et lui prit la main une seconde fois. Sa main brune lui parut plus chaude encore que la première fois.

- Pardonnez-moi, je ne suis pas de très bonne compagnie.

- J'aime le silence, murmura Tara pour toute réponse.

Les prunelles de l'homme devinrent subitement mystérieuse. Il relâcha sa main pour laisser retomber la sienne sur la roue de son fauteuil.

- Bonne nuit mademoiselle Kreighton...

Tara quitta la pièce, les mains moites, le cœur battant et traversa le couloir, avec la sensation que le poids de sa présence effleurait sa nuque à mesure qu'elle s'éloignait.

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