Chapitre 4
« Seulement, pour jouer un rôle, il fallait être un bon comédien. »
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Les paupières closes et la respiration sifflante, j'essayais de rejoindre le monde des songes depuis un moment. Seulement, une sensation oppressante s'amusait à écraser ma poitrine dans l'espoir d'agripper mon cœur avec voracité, prêt à le dévorer.
Et cette impression d'être épiée... Elle ne me quittait pas. Peut-être était-ce pour cette raison que je gardais obstinément les yeux clos ? Peut-être fuyais-je la réalité ? Une réalité qui commençait à me peser lourd : Brooke hantait mes pensées chaque jour, et chaque nuit. L'angoisse qui me tiraillait prenait de plus en plus d'ampleur, depuis que j'avais entendu ses pleurs.
Bientôt, un souffle chaud effleura ma joue pour se joindre à la température qui s'élevait de plus en plus. Je tressaillis avant que des sueurs, pourtant glaciales, ne dévalent ma nuque. Un murmure lointain s'éleva, comme pour me contraindre à ouvrir les paupières. Alors, hésitante, je le fis pour regarder autour de moi.
Mais je n'étais plus dans ma chambre.
Les seules lumières présentes étaient projetées par des flammes qui m'encerclaient. Leurs ombres, intensifiées par leur brasier, semblaient animer, comme si elles étaient vivantes, et donnaient un aspect effroyable à cet endroit rappelant une grotte.
Où étais-je ?
Les bras croisés contre ma poitrine, je me mis à marcher en grimaçant quand mon pied se reposa contre le sol enflammé. La bouche pâteuse, j'étouffai un hoquet d'effroi. Qu'est-ce que je fichais ici ?
L'atmosphère s'alourdit soudainement et quand la température s'échauffa encore, je plissai les paupières en scrutant les alentours avec hâte. Je n'étais pas seule, ici. Je le sentais au plus profond de moi. Quelqu'un m'observait... Cette tension ne m'était pas inconnue. Mon être me dictait de me préparer à me battre. Mon sang céleste bouillonnait, comme s'il cherchait à me pousser à prendre les armes.
Haletante à cause du brasier qui m'encerclait, je continuai d'observer les alentours, et mon sang se figea quand j'aperçus une silhouette plongée dans l'ombre des flammes. Je retins mon souffle avant de murmurer :
— Qui es-tu ?
Un silence religieux me répondit. Quand deux lueurs célestes se mirent à briller au cœur des abîmes, s'opposant aux flammes qui valsaient toujours, je manquai de reculer.
Ce regard... C'était le même que j'avais vu dans ma vision...
— Qui je suis ? ricana une voix rauque. Oh, voyons Elora, je te pensais plus intelligente que ça...
Soufflée, j'entrouvris la bouche pour répliquer, mais il reprit sur un ton glacial, bien que moqueur :
— Tu pourrais poser des questions plus intéressantes.
Méfiante, je reculai d'un pas en ignorant difficilement l'inquiétude qui me tiraillait et, vive, j'essayai de me servir de l'un de mes pouvoirs, mais une douleur m'assaillit. Mon souffle se coupa net, avant que je ne halète.
Que m'arrivait-il ?
Alors que je cherchais à m'emplir les poumons, la douleur s'intensifia pour se propager le long de ma trachée jusqu'à ma poitrine. Les yeux écarquillés, j'entrouvris les lèvres en essayant de balayer la peur qui m'enchaînait, avant de serrer les dents. Je devais me rendre à l'évidence :
Ici, j'étais impuissante.
— Oh, tu n'as pas l'air en forme, reprit mon interlocuteur.
La colère se mêla à la peur, et je me tentai de me débattre, mais ce fut vain. Quand la prise autour de moi se resserra, m'ordonnant de rester sage, je cessai de bouger, la gorge nouée.
Je n'avais aucun pouvoir, ici. Cet homme était maître de cet univers, et je n'étais qu'un pantin fait de chair. Un pantin pathétique, tremblant de peur, terrassé par la présence impitoyable de cet inconnu.
Furieuse d'être en proie à la peur, je relevai la tête vers la silhouette, le sang martelant contre mes tempes.
— Qu... Qu'est-ce que tu veux ? parvins-je à haleter.
— C'est un bon début. Tes questions commencent à être plus censées.
Ma gorge me brûla quand ma respiration se fit plus lourde, comme si une force invisible m'étranglait. Allais-je mourir aussi facilement ? Il fallait que je me réveille. Il fallait que je refasse face à la réalité, si je voulais survivre. Ce monde chimérique causerait ma perte, si je ne faisais rien...
Je tentai encore de parler, mais un râle d'agonie m'échappa. Mes traits se peignirent d'une grimace meurtrie, mes poumons en feu me priant de réagir, quand des points noirs se mirent à danser devant mes yeux agités.
— Allons, mon ange, souffla-t-il. Tu ne peux pas mourir aussi bêtement. N'es-tu pas un être-céleste ?
La douleur s'atténua brusquement pour me libérer. Mon corps s'écroula sur le sol, et je pris une grande inspiration en ignorant le sol brûlant mes paumes tremblantes. Il fallait que je réagisse, que je m'échappe de cette illusion.
La peur ne pouvait pas toujours me guider, bon sang.
Oui, j'étais un être céleste, mais cela ne signifiait pas pour autant que j'étais immortelle. Bien au contraire. Les Anges n'étaient pas intouchables. Une étoile pouvait cesser de briller, tout comme nous.
Et il le savait.
— Tu n'es pas réel..., murmurai-je bêtement.
Quelle bêtise de prononcer de telles paroles...
Son rire résonna jusqu'à mes oreilles encore sifflantes avant que les lueurs bleues qu'étaient ses yeux ne luisent avec intensité. Elles me happèrent, menaçantes, prêtes à s'ouvrir dans un brasier tenace pour me consumer avec malice.
— Réel ? répéta-t-il d'une voix amusée.
La mâchoire crispée, je me relevai, les jambes lourdes. Oui, il était impossible qu'il soit réel. Nous étions dans un rêve, et quelqu'un remodelait mon propre songe pour avoir le pouvoir sur ma personne, quitte à former un être menaçant pour m'assaillir.
Cet homme n'était que chimère...
Bien sûr que non, me murmura pourtant ma raison.
L'angoisse enserra ma poitrine. Qui voulais-je leurrer en me persuadant de tout cela ? Je ne pouvais pas accepter que cet homme soit réel et qu'il puisse m'achever dans mon propre rêve. Ici, je n'avais aucun contrôle, j'étais piégée, et ça me terrifiait.
Perdre mon sang-froid me tétanisait. Constamment.
— Tu n'as pas totalement tort, avoua-t-il. Cet endroit est onirique, c'est une illusion. Seulement, si tu meurs ici, tu mourras réellement.
Mon cœur se figea alors que ses propos confirmaient mes doutes. C'était bien une illusion, oui, je le savais. Mon rêve avait viré au cauchemar, et cet inconnu avait réussi à en faire son propre monde.
Il en était maintenant le maître.
Mais qui était-il ? Une création faite par un Démon extérieur s'amusant de mon malheur pour me mener sur une fausse piste, et si oui, qui était derrière tout cela ?
Ou était-ce un être aux pouvoirs titanesques ?
Cette possibilité me terrifiait. Le fait d'être confronté à un homme capable d'un tel pouvoir me tétanisait. S'il était bien réel, et qu'il contrôlait mon sommeil, je n'imaginais pas la puissance qu'il abritait.
— Et toi ? l'interrogeai-je enfin. Es-tu réel, ou es-tu une illusion ?
Le silence nous écrasa, brisé par les battements sourds de mon cœur. J'avalai avec peine ma salive avant de me figer quand la silhouette fit un pas. Pas assez pour sortir de l'ombre, mais suffisamment pour que je puisse percevoir son visage éclairé par la lueur des flammes. Et, devant cet air divin, je me sentis perdre pied.
Tout chez lui rappelait la concupiscence. Tout. Que ça soit ses cheveux ébouriffés d'un noir corbeau retombant en mèches rebelles devant ses yeux d'une couleur saphir, animés d'un éclat moqueur, où une puissante brute brillait, mêlé à une cruauté sans nom. Ou encore ses lèvres tentatrices, étirées en un sourire en coin, s'opposant avec la froideur de ses traits semblant taillés par le plus grand des sculpteurs. Un symbole noir, contrastant avec sa peau halée, s'étendait sur le côté de son cou, rappelant un tatouage.
Il incarnait là le contraste entre la lumière et la noirceur. La partie de son visage plongée dans l'ombre des flammes ressortait davantage encore le bleu de ses iris, quand le côté illuminé renvoyait à l'image d'un Ange.
Il ressemblait à une lumière égarée dans les ténèbres, à un Ange habité par la plus belle des noirceurs.
Une beauté à se damner.
Mais ce qui attirait le plus mon regard, c'était son aura d'un noir d'encre. Elle l'enveloppait comme une seconde peau, menaçant quiconque de s'approcher trop près de se brûler les ailes. J'en avais croisé, des Démons, mais aucun ne possédait une prestance aussi meurtrière.
Aucun.
— Suis-je réel ? répéta-t-il en arquant un sourcil.
Lorsqu'il prononça ces mots ironiques, un long frisson de peur me traversa l'échine. Il sortit enfin des ténèbres pour tourner autour de moi d'une démarche féline, menaçante. Les flammes qui dansaient autour de nous se reflétaient dans ses pupilles pour lécher le contour de ses iris dans un ballet perfide, semblable à un océan ô combien splendide.
— Supposons. Si je ne suis pas réel, tu n'y vois aucun inconvénient si je me débarrasse de toi maintenant, pas vrai ? poursuivit-il en penchant la tête sur le côté, un sourire froid étirant ses lèvres.
Ma bouche se scella. Comme il l'avait dit, s'il me tuait ici, je mourrais réellement. Les faits qui se déroulaient dans cette illusion se répercuteraient dans la réalité. J'étais prisonnière d'un pouvoir colossal. Aucune issue ne s'offrait à moi.
Face à mon mutisme, il s'approcha avec lenteur, et il saisit mon menton pour le redresser. Ses yeux se plongèrent dans les miens sans qu'il ne prononce un mot. La puissance brûlante dégagée par son corps était prête à m'engloutir sans peine. Cette force écrasante semblait vouloir s'infiltrer dans mes veines pour puiser mon énergie avec cupidité...
Le Démon qui me faisait face n'était pas n'importe qui... Pourtant, je ne cillai pas. Je le défiai du regard pour ne pas flancher. Pour ne pas exprimer toute cette peur qui me dévorait constamment.
— Tu sais, Elora, susurra-t-il ensuite à mon oreille, toi aussi, tu n'es qu'une illusion. Un pauvre sujet de Dieu. L'un de ses objets... Un pantin.
Son sourire se fit plus cruel alors qu'il scrutait attentivement mon visage blême.
Un sujet de Dieu ?
Il s'approcha et, happée par son regard semblable à un océan de vices, je tentai de faire taire mon cœur hurlant ses supplices.
— Les Anges ont tendance à oublier qu'ils sont imparfaits, continua-t-il. Vous n'êtes rien, si ce n'est des petits sbires... Pourquoi vous entêtez-vous à vous considérer comme au-dessus des autres espèces, quand on sait que vous n'êtes rien de plus qu'eux ? Pourquoi mentez-vous tant, vous, êtes censés incarner la vérité ?
Autre frisson. Je retins mon souffle, déstabilisée par ses paroles pourtant criantes de vérités. Les Anges, au fond, n'étaient qu'une œuvre de Dieu, tout comme les Hommes. Nous étions tous au même niveau. Tous pensaient avoir un objectif à atteindre, mais le résultat était le même : nous finissions par mourir. Humains ou non, nous nous élevions tous à nos débuts pour ensuite déployer nos ailes à notre fin.
Les Anges n'étaient que des menteurs, au fond, et ce Démon le savait.
— Regarde-toi, mon ange, tu n'es même pas capable de te défendre. Tu es à ma merci, dans ton propre songe.
Je gardai le silence, la gorge irritée par la bile qui remontait dans ma gorge. Oui, j'étais à sa merci. Si les songes nous permettaient d'être maître de notre monde, il avait pourtant réussi à m'élever au rang d'un simple sujet.
— Qu'attends-tu de moi ? demandai-je en soutenant son regard. Qu'attends-tu du misérable sujet de Dieu ?
Ses lèvres frémirent, et il leva un peu plus mon menton pour me couvrir d'un regard brûlant. Je tressaillis, sans pourtant me détourner. J'espérais qu'ils lisaient dans mes yeux la colère qu'il m'inspirait. Le dégoût. Je n'étais peut-être pas capable de lui faire face, ici, mais il était hors de question que je ne courbe l'échine.
— Patience, mon ange..., finit-il par répondre d'une voix rauque.
Sa prise se desserra avant qu'il ne me relâche enfin. Je continuai de le défier, furieuse, les muscles raidis de colère. J'avais l'impression qu'un seul battement de cils de sa part suffirait pour que je me consume sous la chaleur de ses pupilles.
Bientôt, il recula pour me libérer de l'emprise de son aura. Ma respiration s'alourdit à nouveau avant que le corps de l'inconnu ne semble se dissiper, son ombre s'agitant autour de lui pour finalement le dévorer.
Je rouvris les paupières en me redressant avec hâte, la respiration sifflante, le front moite de sueur. Aux aguets, je m'empressai de scruter la pièce dans laquelle j'étais, le cœur tremblant de peur.
J'étais dans ma chambre...
Un soupir de soulagement m'échappa avant que je ne pose une main sur ma poitrine, sonnée, la tête lourde de questions, l'image de cet homme ne quittant pas mon esprit.
Bon sang, que venait-il de se passer ? Avais-je fait un simple cauchemar, ou est-ce que tout cela était réel ? Était-il le fruit d'un pouvoir, ou non ? Je l'avais aperçu dans ma vision me montrant Brooke hurlant son désespoir, mais pouvais-je réellement m'avancer sans davantage d'indices ?
Une chose était certaine : il était lié à Brooke. Si je partais de là, il me serait peut-être possible de la retrouver, sachant qu'après ma vision, avec Tyler, nous l'avions cherché, en vain.
J'essuyai mon front d'un revers de main en essayant de calmer mes membres tremblants. Les questions se bousculaient, se heurtaient à une porte où les réponses semblaient sceller. La seule chose dont j'étais sûre, c'était que les meurtres étaient liés à ce Démon. Ou à cet être irréel. Mais dans quel intérêt ?
Perdue. J'étais perdue. J'avais l'impression que le chemin qu'il fallait que j'emprunte pour mener à bien mon objectif s'obscurcissait, dévoré par les ténèbres, là où des monstres patientaient pour que, au premier faux pas, ils me bondissent dessus pour mieux me terrasser.
Des sujets de Dieu...
En repensant aux paroles de cet homme, une colère sourde gronda en moi. Oui, nous étions l'œuvre de Dieu. Ses petits soldats. Si ce Démon nous considérait comme des pions, moi, je voulais nous voir comme un espoir.
À mes yeux, nous incarnions l'aide qu'attendaient les Hommes. Imparfaits ou non. Je savais que nous avions des défauts, personne n'était parfait, pas même les Anges. Loin de là, d'ailleurs. Et, même si je perdais de vue mon but premier, du moins, le but premier des célestes, je ne me détournais pourtant pas de mon objectif à moi.
Je voulais croire en nous. Je voulais continuer de nous voir comme la flamme qui permettrait de repousser les ténèbres qui étreignaient le cœur des Humains, quitte à flancher, quitte à nous affaiblir jusqu'à ce que nous nous éteignons.
Le sujet de Dieu que j'étais lutterait jusqu'au bout.
Si j'étais sur Terre, ce n'était pas avec ce désir d'être la représentation même de l'Ange, mais bien de l'espoir.
Je voulais incarner cet espoir.
***
— Qu'est-ce que tu as à me montrer de si intéressant pour être dans un tel état ? demandai-je à l'attention de Tyler d'une voix lasse. Est-ce que tu as trouvé des indices ?
Il devait être trois heures du matin ? Après m'être réveillé de ce terrible songe, j'avais reçu un appel de Tyler m'ordonnant de le rejoindre dans ce bois isolé en insistant sur le fait que c'était très important.
— On peut dire ça, oui...
— D'accord, mais est-ce vraiment nécessaire de te montrer dans cet accoutrement ? Si on croisait la route d'un Humain ?
Mon ami tenait ses deux épées entre ses mains, peu inquiet de croiser la route d'un innocent. Nous pouvions effacer la mémoire des Hommes, mais tout de même...
— C'est pas important, ça, me rabroua-t-il avant de répondre. Tu m'avais demandé d'enquêter au sujet de la fille qui avait humilié Brooke avant sa disparition, tu te souviens ? Aela, si je ne me trompe pas.
Tout en suivant ses pas, je hochai la tête. Surplombés de ce ciel sombre couvert de nuages menaçants, on avançait au cœur de cette vaste forêt où le hululement d'un hibou se joignait aux bruissements des feuilles sous le souffle léger du vent.
— Oui, murmurai-je. Ce jour-là, je n'ai pas pu intervenir, ni lui faire face, car il y avait trop de monde, mais son aura m'avait mis la puce à l'oreille. Elle n'est pas Humaine.
Je repensai au visage mesquin de la prénommée Aela, et aux larmes de Brooke. Mon sang s'enflamma malgré moi avant que je ne sente davantage le trouble de Tyler. Sceptique, j'accélérai le pas pour me poster face à lui, qui affichait un air sérieux, enveloppé par l'intensité de son aura agitée.
Comme s'il se servait d'un pouvoir en même temps qu'il me guidait.
— Qu'est-ce que... Mais tu es blessé ! remarquai-je.
— Tu as eu raison de te méfier d'elle, me confia-t-il en ignorant ma remarque. Laisse-moi t'apprendre une chose, Elora : elle n'est pas seule.
Peu surprise par son aveu, je m'empressai de le suivre quand il me tourna le dos pour reprendre sa route, et je m'attardai sur ses mains enveloppées d'une lueur enflammée.
Oui, il se servait bien de ses dons. De son Fêkir : le feu.
— Lâche-moi, satané Ange ! gronda une voix.
— Qu'as-tu fait, Tyler ? demandai-je en écarquillant les yeux.
Il ne répondit rien, et se contenta de faire quelques pas. Lorsque j'aperçus un mur de flammes, mon sang se figea. Dans cette prison ardente se dressait un homme à la crinière blonde, hurlant des injures à l'égard de mon ami, les pupilles brillantes de colère. Sa mâchoire, recouverte de bleus, prouvait qu'il s'était battu, lui aussi. Son aura verdoyante s'harmonisait parfaitement avec ses vêtements colorés, voyants.
Face à ses ailes grises, repliées dans son dos, mes jambes manquèrent de céder.
— Voici l'un des coéquipiers de cette mystérieuse fille dont tu m'as parlé, m'apprit Tyler en lançant une œillade malveillante au Démon enfermé.
— Je t'ai dit de me lâcher ! gronda-t-il en amorçant un pas.
Le brasier s'intensifia pour le menacer de tenter le moindre geste, et il cracha une autre injure en regardant autour de lui, dans l'espoir de trouver une issue. Agacé, le Démon cessa de s'agiter comme un lion en cage et laissa son corps se faire envelopper d'une intense lumière. En comprenant qu'il s'apprêtait à se téléporter, Tyler plongea dans les flammes, qui disparurent pour lui laisser l'accès, et il lui asséna un coup dans l'estomac afin de le faire tomber en arrière, le menaçant de son autre arme.
Le Démon esquissa un geste pour se défendre, mais je matérialisai mon épée pour la pointer vers lui, tout en observant Tyler du coin de l'œil, la mine inquisitrice. Notre adversaire ancra ses yeux bleus dans les miens, et mon cœur loupa un battement en repensant au regard flamboyant que j'avais vu dans mon rêve.
Dans ma vision.
Je balayai cette pensée et sifflai à mon ami :
— Je peux savoir ce qu'il se passe, ou je dois encore patienter longtemps ?
— Pour faire court, j'ai remarqué ce type en compagnie d'Aela, et j'ai attendu qu'il soit seul pour lui demander gentiment de répondre à mes questions.
— Gentiment ? cracha le concerné. Tu m'as agressé ! Quand m'aurais-tu posé tes questions ? Quand j'aurais été inconscient, peut-être ?
— Ajoute encore un mot, et je ne me contenterais pas de simplement t'assommer ! le menaça Tyler, acerbe.
Intriquée par leur joute verbale, je gardai le silence en les toisant, avant que l'agacement ne fasse siffler mes oreilles. Je tournai la tête vers le Démon, animée par une colère sourde.
— Qu'est-ce que vous voulez, toi et les autres qui t'accompagnent ? Pourquoi vous en prenez-vous à tous ces Humains ?
Un sourire mauvais tordit ses lèvres avant que ses iris ne luisent de raillerie. Déstabilisée, je ne cillai pourtant pas et levai mon épée pour que le tranchant frôle sa gorge. Son teint blêmit, mais il répondit malgré tout :
— Moi, je n'ai aucun intérêt...
Une lueur azurée m'enveloppa alors que la colère que je ressentais, minime jusqu'à présent, prenait de l'ampleur. Le Démon se tendit et ajouta :
— Je t'assure, je n'ai pas tué ces nombreuses personnes dont les infos parlent, et je suis encore moins derrière ces disparitions...
— Tu veux nous faire croire que t'es innocent ? ricana Tyler.
— Non, j'ai seulement dit que je ne les avais pas tués.
Un rictus fendit son visage avant qu'il ne se relève à une vitesse surnaturelle, ses doigts se refermant sur une dague qui se matérialisa. Il s'élança vers Tyler qui para son assaut, et je profitai du fait qu'il soit dos à moi pour lui faucher les jambes et le refaire tomber. Autre injure de sa part avant qu'il ne ricane.
— Ce n'était pas prévu que ça se passe comme ça, mais nous allons faire avec, marmonna-t-il avant que son sourire ne s'élargisse. Tentez encore quelque chose, et votre Humaine en payera les frais.
Je compris de suite qu'il faisait allusion à Brooke. Comme brûlée, je reculai d'un pas en laissait la lueur qui m'enveloppait s'éteindre, balayé par ses propos menaçants. Le bourdonnement dans mes oreilles se fit plus fort, m'empêchant ainsi d'entendre les bruits environnants.
— Où est-elle ? l'interrogeai-je froidement.
— Juste ici, répondit une autre voix.
Vive, je me tournai pour apercevoir Aela. Ses cheveux ondulés virevoltaient autour de son visage couvert de taches de rousseur. Des petites cornes se dressaient sur son crâne, quand des ailes grises battaient en silence dans son dos. Les membranes, de couleurs noires, rappelaient celles d'une chauve-souris par leur souplesse, mais aussi à cause des pointes aiguisées qui la recouvraient. Ses iris, teintaient de rouges, brillaient d'un éclat indéchiffrable, alors qu'elle se tenait près d'une autre personne agenouillée et enchaînée.
En reconnaissant Brooke, je m'apprêtai à faire un pas avant de remarquer que les liens qui l'entravaient étaient ensorcelés, à en juger la lumière qui en émanait. Sa bouche bâillonnée taisait ses hurlements, quand des larmes coulaient le long de ses joues encrassées afin d'accentuer son teint cadavérique. Son regard vitreux semblait me supplier, me prier de la sauver.
Et j'en mourrais d'envie.
— Surprise ! gloussa le Démon qui se redressa. J'avais bien peur que tu ne viennes pas, Aela ! Ce rouquin a failli me faire flamber !
— Arrête de dire des conneries, Nathan ! s'agaça Aela en nous embrassant du regard. Je dois dire que je suis impressionnée par votre persévérance concernant votre enquête sur ces meurtres. Vous êtes tenaces, pour des Anges. Je ne pensais pas que vous perdriez votre temps aussi longtemps.
Son air angélique était si trompeur. Ces traits cachaient une âme perfide. Démoniaque. Des personnes étaient si douées pour s'armer d'une facette autre que leur véritable visage. Il semblait si simple de se vêtir d'un déguisement, de maquiller sa véritable personnalité, et de jouer la comédie.
Et pour jouer un rôle, il fallait être un bon comédien. Les Démons en étaient d'excellents.
Bien que l'aura de cette femme l'avait trahie dès que j'avais posé mon regard sur elle.
— Relâchez-la, ordonnai-je. Qu'est-ce que vous lui voulez ?
L'assaut de cette panthère enflammé, dans l'hôpital, ne leur avait pas suffi ? Pourquoi s'acharnaient-ils tant sur Brooke ?
— Ce qu'on veut ne vous concerne pas ! siffla le prénommé Nathan. Vous êtes bien trop égocentriques pour comprendre nos raisons !
— Vos raisons ? s'agaça Tyler. Parce que vous avez de bonnes raisons pour vous en prendre à des Hommes innocents ?
Le bâillon de Brooke glissa, et elle en profita pour hurler :
— Elora, c'est un piège ! Je t'en supplie, aide-moi !
Sa voix se brisa alors que des larmes perlaient le long de ses joues. Une poigne invisible enserra mon cœur. Aela et Nathan se téléportèrent quand je m'approchai de Brooke d'un pas rapide.
— Non, Elora, atte...
Tyler s'interrompit soudainement. Je lançai un coup d'œil par-dessus mon épaule et l'aperçus à terre, sonné. Nathan, derrière lui, me lança un sourire carnassier, une lueur mauvaise dans les yeux, et il se volatilisa, laissant le corps figé de mon ami. Mon souffle resta en suspens avant qu'une vive douleur ne lancine mon crâne.
« Mon ange... » souffla une voix dans mon esprit.
Cette voix... Je papillonnai des cils pour reprendre contenance, le souffle de plus en plus court.
— Elora, je t'en prie ! Ne le laisse pas faire... Je... Je..., hoqueta Brooke. J'ai peur ! Je ne veux pas !
Ses cris m'alarmèrent, et je m'empressai de m'agenouiller pour analyser les chaînes qui l'entravaient, la bouche pâteuse. Il fallait que je la sorte de là. Piège ou non, cela m'importait peu. Mais bon sang, il fallait que je me dépêche pour pouvoir venir en aide à Tyler.
Et cette voix...
Brooke se débattit avec violence avant de hurler à pleins poumons, sans cesser de pleurer. Je me figeai, choquée par l'éclat brisé qui brillait dans ses yeux.
— C'est terminé ! s'écria-t-elle en me regardant à travers ses larmes. Elora, c'est fini !
— Non, on va trouver une solution, je vais t'aider, d'accord ? tentai-je de la rassurer.
Mais ces mots sonnaient si faux. Un terrible pressentiment me rongeait. Pire encore, je ne savais pas comment briser ces chaînes ensorcelées par un Démon. Seul l'un d'entre eux le pouvait...
Malgré l'effroi qui m'habitait, j'efforçai un sourire se voulant rassurant à l'attention de Brooke avant qu'elle ne souffle :
— C'est à cause de moi... Je... C'est de ma faute, Elora...
Devant ses traits rongés par la peur, je secouai la tête sans me démunir de son sourire réconfortant. J'aperçus ses épaules se détendre, alors j'en profitai pour lui dire :
— Tu n'es coupable de rien, d'accord ?
— Non, tu ne comprends pas... C'est fini..., répliqua-t-elle d'une voix blanche. Je suis fautive...
Je m'apprêtai à renchérir, mais une voix me devança :
— Et oui, ma belle. Tu as vendu ton âme au diable.
Mon souffle se coupa en reconnaissant la voix qui avait résonné dans mon esprit quelques minutes avant. Mes membres se mirent à trembler sans que je ne puisse le contrôler, et avec lenteur, je tournai la tête pour que mes yeux rencontrent des iris d'un bleu glacial. Effroyable.
Ceux du Démon de mon songe...
Il m'observa un long moment avant qu'il n'esquisse un sourire cruel, ce qui m'arracha un frisson d'angoisse. D'un pas félin, il s'approcha de nous, sans jamais se détourner de ma misérable personne.
Boum. Boum.
Mon cœur n'avait jamais frappé aussi fort. Il voulait s'échapper. Il voulait s'enfuir loin de cet homme dégageant une puissance titanesque. Tout mon être me hurlait que j'étais fichue, face à lui.
Tout.
— Ravi de te revoir, Elora, me souffla-t-il alors qu'une lueur amusée enflammait ses pupilles. Surprise de voir que je suis réel ?
Et, soudain, il se volatilisa. Brooke, qui tremblait toujours, se mit à pleurer à nouveau, tandis que je restais tétanisée, le regard dans le vide, chaque fibre de mon être vibrante de terreur.
Non. Non. Il ne pouvait pas être réel. Pas un Démon d'une telle puissance... En songe, j'avais été écrasé par sa présence, mais là... Là, j'étais carrément tétanisée...
Tout ça n'était qu'un leurre. Tyler avait peut-être réussi à piéger Nathan, mais c'était prévu... Aela et son coéquipier n'étaient que des pions... Ce Démon était maître du jeu, il menait la partie...
Une partie qu'il remportait haut la main...
Il se matérialisa à nouveau, juste devant Brooke, cette fois, et son sourire se fit plus froid. Son regard glissa sur moi avant qu'il ne flamboie. Je me redressai enfin pour amorcer un pas vers lui, prête à protéger l'Humaine, rongée par l'inquiétude et la peur, mais des ombres s'animèrent autour de moi pour agripper mes chevilles. Leurs prises me firent trébucher dans un bruit sourd. Je retombai à genoux avant de me débattre face aux griffes ombrageuses qui m'entravaient, le souffle alourdi et les mains tremblantes contre mon épée.
— Te souviens-tu de ta vision, Elora ? demanda le Démon en contemplant pourtant l'Humaine. Brooke demandait de l'aide. Je lui ai dit que je lui en apporterai. Que je la sauverai.
Mon sang martela brusquement mes tempes endolories alors qu'il tournait la tête vers moi sans se démunir de son air moqueur. Une boule d'angoisse se forma dans ma gorge pour m'empêcher de respirer convenablement. L'air sembla se figer autour de moi, lourd et suffocant.
J'étais effrayée, paralysée.
Incapable de me servir d'un quelconque pouvoir tant la pression émanant de son corps m'écrasait.
Les ombres, semblables à des mains griffues, enserrèrent leur prise lorsque je tentai de faire malgré tout un geste, et la douleur m'arracha une grimace.
Pourquoi ? Pourquoi en étais-je incapable ? Pourquoi cette peur ne me quittait pas ? C'était ma seule chance... Il fallait que j'agisse. Il le fallait...
Quand le ciel se recouvrit un peu plus, ma vision se troubla d'effroi. La bile remonta dans ma gorge, et mes mains devinrent moites. Mes membres refusèrent d'obéir, comme engourdis par le sentiment d'horreur que m'inspirait ce Démon. Honteuse, je baissai la tête, alors que la peur prenait encore plus pas dans mon corps entier. Elle m'empêchait d'agir. Elle était là, semblable à une ombre souriante avec malice, s'amusant de mes tourments, agrippants mes forces pour mieux me contrôler.
Incapable de faire quoi que ce soit, je les regardai en silence, impuissante, à l'état d'une pathétique spectatrice. Les ténèbres m'entravant n'étaient qu'un aperçu de ce que je ressentais au fond de moi. La peur bâillonnait mon âme.
— Et je tiens toujours mes promesses, Elora.
Le Démon saisit le visage de Brooke entre ses mains pour la contraindre à plonger ses yeux dans les siens. Elle sanglota et se débattit, mais elle comprit vite que c'était inutile. Elle abandonna cette lutte désespérée et céda, écrasée elle aussi par la prestance qui émanait de lui. Les traits déformés par l'angoisse, mais aussi par la résignation, elle ancra son regard dans celui de l'homme, le corps toujours tremblant, et une larme solitaire dévala ma joue.
Une seule larme, et pourtant, elle provoqua un flot d'émotions en mon sein, sans que ça ne me permette pourtant de bouger.
Ma faute. Ma faute.
Ses lèvres s'entrouvrirent alors que mes muscles se crispaient en comprenant. Enfin, je me débattis en essayant de hurler, mais aucun son ne parvint à franchir mes lèvres. Un orage grondait pourtant en moi, miroir de l'état de mon cœur, quand mes entraves enserraient leurs prises.
Je devais l'aider ! Je devais agir !
Mais les ombres de mon âme m'emprisonnaient.
Brooke, comme hypnotisée, gardait ses yeux plongés dans ceux du Démon dont les iris s'assombrissaient, semblables à ce ciel orageux. Ils se contemplèrent un long moment, en silence, dans une promesse cruelle, alors que dans mon être, c'était la tempête.
Il lui volait son âme, et je ne pouvais rien faire.
Une petite lumière s'échappa des lèvres de Brooke avant de virevolter vers le Démon, et elle explosa en des milliers de particules lumineuses rappelant des lucioles s'éparpillant un peu partout dans l'espoir de s'enfuir de cet être sombre.
Il relâcha enfin le visage de l'étudiante qui s'écroula sur le côté en silence, le teint blême. Ses yeux vides rivés dans les miens. J'eus l'impression d'y lire un tas de reproches. Mon cœur, à cette constatation, s'endiabla. Le Démon s'approcha de moi en enfouissant ses mains dans ses poches, la mine insondable. Mes paupières se mirent à brûler, tout comme ma gorge, tant j'avais envie de hurler.
Mais j'en étais incapable.
L'homme retroussa ses lèvres en un rictus, et ses iris obscurcis retrouvèrent une couleur azurée. Parfaite opposition. Le Démon remettait son masque angélique.
Sa main chaude effleura ma joue avant qu'il ne fronce les sourcils quand une larme solitaire perla le long de ma joue. Son sourire s'effaça alors qu'il me détaillait attentivement, ses doigts brûlants posés contre mon visage.
Il avait dérobé l'âme de Brooke. Il l'avait tuée sous mes yeux, et je n'avais rien pu faire. J'étais à sa merci...
Et cela m'effrayait.
— Les choses changent, Elora, et ce n'est que le début.
Ses lèvres s'incurvèrent et son souffle chaud caressa mon visage. Il s'approcha lentement pour laisser ses lèvres effleurer le lobe de mon oreille. Mon cœur se serra d'effroi, écrasé par cette tension palpable.
Meurtrière.
— Eytan, rappelle-toi de ce prénom.
Autre frisson alors que ses paroles semblaient ramper le long de ma peau. Les ombres qui me maintenaient me libérèrent enfin pour se joindre à la sienne qui s'anima pour l'englober tandis qu'il reculait. Son regard resta rivé dans le mien avant qu'il ne se fasse entièrement submergé par les ténèbres. Par sa propre noirceur. Il disparut enfin, me laissant seule et haletante, mon cœur hurlant en chœur avec ma douleur.
« Son heure était venue, mon ange... »
Une légère brise effleura ma peau en faisant virevolter mes cheveux. Des gouttes de pluie tombèrent sur mes joues brûlantes pour se joindre à mes larmes, et les effluves du bois vinrent effleurer mes narines. Mes membres s'agitèrent un peu plus, malmenés par la terreur. Par le chagrin.
C'était comme si le temps reprenait vie, quand celle de Brooke venait de prendre fin.
Un hurlement sortit enfin de ma gorge et déchira ce silence de mort pour se joindre au grondement de l'orage.
Voilà le chapitre 4 ! (à la base, il est coupé en deux parties, mais je l'ai mis en un bloc sur wattpad!)
J'étais inspirée sur ce coup, vous attendiez-vous à cette "chute" ?🙊
Nathan n'avait rien à voir avec le démon finalement 😂
Eytan signifie impétuosité, soit la violence etc ... je trouvais ce prénom original et il allait plutôt bien à notre démon, qu'en pensez-vous ? 😍
Bonne lecture et lâchez vos avis, et aussi bonne vacances ❤️
~Chapitre revu~
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