Chapitre 34

« Sourd aux supplices, il avait quiconque à l'usure sans aucune démesure.  »

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— Allez, Tyler ! Sinon, on va tout louper ! m'écriai-je.

Tyler, volant derrière moi, soupira. J'entendis ensuite le battement de ses ailes prendre de la vitesse avant qu'il ne se poste à mes côtés. Il me lança un coup d'œil complice et, bientôt, il me devança sans mal.

— T'es lente, Elora ! se moqua-t-il sans jamais ralentir.

Son rire s'éleva jusqu'à mes oreilles. Piquée, j'accélérai à mon tour en savourant la sensation du vent s'échouant sur mon visage, entre mes plumes. S'en suivit d'un affront, là où chacun de nous cherchait à être le premier à arriver à destination. L'ondoiement provoqué par nos ailes semblait faire vibrer le ciel dans lequel nous planions, alors qu'on surplombait le Fœrî en riant.

Bientôt, on posa nos pieds par terre, sur un sol rocailleux aux reflets lapis, et on avança en discutant de notre dernier entraînement. Depuis peu, nous avions intégré le rang des Ascendants. J'étais si fière d'être enfin une vraie Guerrière, de développer de nouveaux pouvoirs, et surtout, de mettre à profit mon Fêkir.

La première fois que j'avais eu une vision, j'avais ressenti une énorme déception, en plus de terreur. Du haut de mes dix ans, je m'étais dit qu'un tel pouvoir me serait inutile, moi qui voulais avoir un don tel que Caïn, ou encore Tyler.

Mon frère m'avait rassuré en me répétant que la prémonition était plus utile que je ne le pensais, que si je parvenais à lire à travers mes rêves, je pourrais en faire un bon usage. Je me souvenais encore de son sourire lorsqu'il avait affirmé qu'avec ce Fêkir, je pourrais prévoir un tas de choses.

J'avais souri, rassurée de savoir que je n'étais pas si inutile que ce que je pensais.

Maintenant, un demi-siècle après, je comprenais le sens de ses paroles. Mon Fêkir m'avait été d'une grande aide plus d'une fois. Pouvoir rêver du futur, l'appréhender, et le déjouer, c'était formidable.

— Eden est censé nous rejoindre ici ? me demanda Tyler alors qu'on s'approchait d'une foule d'Anges.

— Normalement oui, lui répondis-je en saluant les visages m'étant familiers. Il m'a dit qu'il viendrait ici immédiatement après son entraînement.

On continua d'avancer en saluant parfois des Anges, cheminant près de la rivière qui serpentait, là où une brume d'un bleu surnaturel en émanait. Au loin se dressait une montagne rocailleuse, source même de l'eau qui s'en écoulait dans un spectacle resplendissant. La cascade en son centre, plus impressionnante que les autres, rappelaient un rideau vivant, quand d'autres, plus petites, s'écrasaient contre les rochers.

Je laissai mon regard se promener autour de moi, ravie de redécouvrir ce paysage. Des grosses fleurs impressionnantes se tenaient debout, avec, au centre de leurs pétales, des sortes de cristaux transparents. Même si le sol était rocailleux, d'une couleur bleutée, il y avait des sentiers fleuris qui se confondaient à des parcelles d'herbe. De nombreux arbres se dressaient avec assurance, leurs feuillages allant du rose au violet s'agitant sous la brise du vent. Le ciel, qui nous surplombait, se voyait s'assombrir lentement.

Il y avait du monde, ce soir. Un phénomène rare allait avoir lieu, et c'était un évènement à ne pas louper. J'avais si hâte de pouvoir y assister. Il avait lieu tous les cent ans. Le dernier en date était avant ma naissance.

— Comment va Caïn, d'ailleurs ? s'intéressa Tyler.

— Bien ! Il a dû aller sur Terre pour veiller sur sa Protégée, mais d'après ses dires, il n'y restera pas longtemps.

— Tant mieux, qu'il n'y reste pas longtemps, ça fait un moment que tu ne l'as pas vu, il doit te manquer ! C'est bien, que sa Protégée ne soit pas complètement Humaine, ça lui permet de pouvoir revenir dans notre monde.

Oui, sa protégée était une demie Sorcière, donc sa place était à la fois sur Terre, et dans mon monde. Cependant, Caïn me manquait tout de même, mais c'était ainsi. Le rôle d'un Ange Gardien était de protéger au péril de sa vie son Protégé. L'Humain lui étant assigné devenait son tout. Rien n'avait plus d'importance, si ce n'était veiller sur lui.

Et Caïn n'échappait pas à cette règle, même si j'avais encore du mal à l'accepter. Il m'était difficile de me dire que sa vie ne dépendait plus que de celle d'une Mortelle. Pourtant, même si son cœur battait pour la protéger, je savais qu'il cognait aussi pour ses proches. Pour moi.

Tyler décida de s'asseoir sous un arbre aux épaisses feuilles aux nuances rosées, alors que le sol rocailleux voyait quelques morceaux d'herbes chatoyer sous les rayons du soleil qui déclinait petit à petit. J'admirai le paysage d'un œil égaré, le sourire aux lèvres. Toutes ces couleurs qui s'harmonisaient me donnaient l'impression de faire un rêve éveillé. Ce monde était magnifique.

Ce coin plus particulièrement, davantage encore en cette période.

— Eden ! Par ici ! s'écria soudainement Tyler, qui me sortit de ma torpeur.

Je remarquai Eden se tenir plus loin, accompagné de Zachary, un Elite également. Je l'avais aperçu plusieurs fois, et avais discuté avec lui qu'à de rares occasions, mais je savais qu'il comptait beaucoup pour Eden.

Et puis, j'aimais bien, son sourire empli de bienveillance et son regard améthyste luisant de vivacité. Il dégageait de bonnes ondes, et c'était tout ce qui comptait. Je me fiais au jugement de mon ami. S'il s'entendait bien avec, c'était pour une bonne raison.

Eden, encore vêtu de sa tenue d'entraînement, s'avança, posté au côté de Zachary, qui portait le même équipement. Tous les deux avaient quelques bleus couvrant leur peau, et mon ami avait même un œil eu bord noir. J'en déduisis rapidement qu'ils avaient dû se battre pour se former, aujourd'hui.

— Enfin ! poursuivit Tyler en regardant les deux Anges prendre place à nos côtés. J'ai cru que vous ne serez jamais là à temps !

— Détends-toi, Tyler, m'amusai-je. Il reste encore un petit quart d'heure. Ils sont là, c'est le principal.

— D'toute manière, qu'ils soient là ou non, le plus important c'est que moi j'y sois, ronchonna mon ami en affichant un petit sourire.

— Moi aussi, je suis content de te voir, Tyler, le charria Eden en lui lançant un clin d'œil.

Zachary, plus discret, afficha un sourire, amusé par mes amis. Bien vite, on discuta de leur entraînement. Eden nous raconta qu'ils avaient appris une nouvelle technique de combat. L'Ange à la longue crinière blonde enchaîna en nous expliquant que, bientôt, ils partiraient en mission à proximité de nos terres, et que cela permettrait à leur Légat d'évaluer leur niveau.

Et, bientôt, un enfant passa près de nous, tout sourire, ses petites ailes bleutées s'agitant dans son dos. Il fonça dans les bras de sa mère et pointa la montagne rocailleuse du doigt en s'exclamant :

— Regarde, maman ! Ça commence !

Tous se turent, et les regards se braquèrent dans la même direction. Je remarquai enfin que le soleil s'était couché, et que la lune régnait en maîtresse. Bien vite, un fin anneau violacée émergea du ciel pour l'entourer sans jamais la toucher, flamboyant de mille feux.

Un sourire étira mes lèvres, alors que mon cœur battait à tout rompre, pressé d'assister au spectacle qui allait bientôt se dérouler sous nos yeux.

Le ciel, qui ne s'était pas vêtu de son éternelle ornement noire et infinie, se teinta petit à petit de cet halo améthyste, dégagé par le anneau entourant la lune pleine. Les étoiles, constellant le firmament, valsaient en silence et gracieusement pour l'illuminer davantage encore. Les cristaux protégées des pétales se mirent à étinceler à leur tour, en réponse au phénomène qui se déroulait au-dessus de nous.

Bientôt, des petites lumières s'allumèrent dans les feuilles des arbres. Des Fées. Virevoltant dans un ballet resplendissant, elles laissaient leurs ailes projeter de la poussière bioluminescentes autour d'elles, sur les feuilles, sur le sol, les ornant majestueusement, créant un spectacle d'autant plus enchanteur dans l'obscurité de la nuit.

Je me perdis dans la contemplation du ciel magique, qui se voyait peint de différentes nuances lavande, jusqu'à prendre des teintes plus sombres, quand la lune, en son sein, ne cessait de resplendir, accompagné de cet anneau. C'était comme si tous les deux cherchaient à ne former qu'un, sans qu'ils ne puissent pourtant se toucher réellement.

C'était si beau, et si triste à la fois. Le sentiment qui m'embrasa m'obstrua la gorge, et je compris que ma sensibilité prenait encore trop d'ampleur sans que je ne puisse la contrôler.

Et, en silence, j'observai mes amis, sans perdre mon sourire. Tyler, la bouche entrouverte, observait le paysage avec fascination, le visage éclairé par la lueur du ciel. Eden, les yeux brillants de fascination, contemplait ce qui l'entourait, avant qu'il ne remarque mon regard. Ses lèvres s'étirèrent en un doux sourire, et une chaleur bienvenue se diffusa dans ma poitrine face à ses traits si détendus. Si apaisés.

J'étais si contente, de l'avoir près de moi, ce soir.

Zachary, à ses côtés, semblait perdu dans ses pensées, en plus d'être égaré dans la contemplation du ciel. Une lueur nostalgique brillait dans ses iris de la même couleur que la voûte céleste, ce soir. Il semblait si lointain.

Et face à ce regard si triste, je m'interrogeai. Comment pouvait-on avoir l'air si nostalgique alors que le monde nous permettait de frôler du bout des doigts le Paradis ? La lumière nous inondait tous, était-il seulement possible de se voir terni par l'ombre de nous tourments ?

Qu'est-ce qui le rongeait tant ?

Je ne comprenais pas.

Mais qui étais-je pour le juger ? Je savais que j'étais quelqu'un de bien trop optimiste, d'après mes proches. Caïn me disait que c'était une très belle qualité, mais qu'il ne fallait pas que j'oublie que, parfois, la vie nous frappait sans pitié, qu'elle brisait tous nos espoirs.

Il m'avait répété que c'était normal, parfois, de flancher, de tomber, même, et de ressentir une profonde affliction. Selon lui, accepter parfois que les choses ne tournaient pas en notre sens n'était pas un mal. Le principal était de réussir à se relever, et à reprendre la route pour retrouver la voie menant jusqu'à la lumière.

Et qu'importait si le sentier était semé de noirceur.

Mais ça, je ne voulais pas le croire. Je voulais continuer d'emprunter le chemin lumineux. Ne jamais renoncer, et ne jamais trébucher.

J'étais bien naïve...

Perdue dans la contemplation de ce ciel noir, couvert de nuages gris, je me remémorais d'un lointain souvenir depuis quelques minutes maintenant.

Un souvenir que j'avais oublié...

Et comment l'avais-je pu ? Comment avais-je pu négliger un tel souvenir ? Je me souvenais encore de ce sentiment de bien-être qui m'avait animé. De mon sourire si sincère. Si innocent. De l'insouciance d'Eden. Du bonheur de Tyler.

Et surtout, de l'air si nostalgique de Zachary.

En me perdant dans la contemplation de la lune pleine, j'avais laissé ma mémoire me tendre les bras pour me guider dans un passé si lointain. Ce ciel améthyste, qui s'était dévoilé à nous il y avait de cela des années, avait été le dernier que j'avais vu avant que tous les malheurs ne s'abattent sur moi.

Les paroles de Caïn, prétendant que le principal était de se relever... Comment avais-je pu les oublier ?

Un sourire triste étira ma bouche alors que je reprenais ma route, empruntant le sol pavé cheminant près de l'église de Téthys. Plus jeune, j'étais bien naïve...

Optimiste ? Je n'y croyais pas. Idiote ? Oui.

Comment avais-je seulement pu croire que rien ne me ferait flancher ? Que jamais je ne me tromperais de voie ? Je l'avais perdu, cette voix, quitte à en perdre la voix...

Et ce depuis la mort de Caïn.

Pire maintenant que j'avais pactisé avec Eytan. En scellant un accord avec lui, je m'étais davantage plongée dans les abîmes me détournant de ma véritable voie.

N'avait-elle jamais été la bonne ?

Perdue encore dans mes pensées, je repoussai ces vieux souvenirs pour me recentrer sur la raison pour laquelle j'étais ici, à cette heure si tardive.

Quelques heures avant, alors que je rentrais chez moi après un entraînement avec Âlma, j'avais eu un énième moment d'absence. Une vision m'avait agité. J'y avais ainsi vu un trentenaire devenu monstre, près de l'église de Téthys, s'attaquer à un jeune homme.

Après avoir repris mes esprits, j'avais appelé Eden pour lui dire de partir jusqu'à l'église, étant donné qu'il vivait à proximité. Je m'étais dépêchée de le rejoindre pour le retrouver debout, face à un corps sans vie.

Ce même trentenaire que j'avais vu. En remarquant son appendice, ses dents aiguisés, et ses yeux entièrement noirs, égarés dans le ciel infini, j'avais ressenti un trouble intense.

Eden m'avait expliqué avoir été contraint de le tuer, malgré son désir de lui arracher des réponses. L'homme avait cherché à assaillir un jeune homme qui passait par là. Mon ami, plus rapide, s'était interposé et, sans hésiter, l'avait terrassé, pour sauver l'âme de cet innocent.

Après qu'on se soit débarrassé du corps, Eden m'avait avoué avoir réfléchi quant au lien unissant ces personnes devenues créatures, en précisant qu'il ne savait pas quoi penser du fait qu'on pense que chacune d'elles avaient en son âme une trace de noirceur. Il m'avait avoué que c'était le cas de Zachary, qui semait le doute. Pourquoi un être anciennement pur aurait tant sombré ?

Il avait ajouté qu'il pensait que Zachary n'était pas le seul Ange à avoir subi un tel changement. En effet, d'après lui, les créatures qu'il avait affronté avant de venir sur Terre étaient probablement des êtres célestes.

— Certains d'entre eux avaient des ailes décharnées... Squelettiques. Je pense avoir fait face à des Anges commençant à se transformer, Elora, avait-il dit.

Et ses propos avaient faits échos à mon songe concernant Zachary. Bien que flou, je me souvenais toujours de son corps rampant, et des formes osseuses traînant près de lui. Des ailes squelettiques.

Mais si sa théorie s'avérait être bonne, qu'est-ce qui pouvait expliquer le fait que des Anges changent tant ? N'étaient-ils pas censés être purs ? Des cœurs si blancs pouvaient-ils se tenir tant ? Le cas des Déchus existaient, oui, mais il restait une part lumineuse en leur sein.

Ce n'était pas le cas de ces monstres qui se répandaient de plus en plus...

Mes pas résonnant entre les murs de maisons qui m'entouraient, je marchai sur le sol pavé, les yeux dans le vague.

Alors que je m'approchais de l'église, je remarquai l'ombre de la croix surplombant le crochet se joindre à la mienne. Je fronçai les sourcils en remarquant une silhouette ailée, et je relevai la tête pour apercevoir un corbeau fondre le ciel de ses grandes ailes.

« Wrashar. »

Je sursautai quand la voix de Brooke s'éleva dans mon dos. Son corps fantomatique luisit dans la pénombre alors que ses yeux m'observaient. Le mot qu'elle avait prononcé... Il ne m'était pas inconnu. Que signifiait-il ?

Les particules du corps de Brooke s'intensifièrent et m'aveuglèrent un instant. Elle entrouvrit les lèvres pour poursuivre d'une voix blanche :

« Attention. Méfie-toi des apparences, Elora. Il faut que tu te dépêches. Tu mèneras à bien ta mission quand tu comprendras qui il est. »

Il ?

Je m'apprêtai à l'interroger, mais ses yeux vitreux se plongèrent dans les miens, et sa bouche s'affaissa pour lui donner un air chagriné. Elle tendit une main vaporeuse vers moi et, à mon plus grand désarroi, j'aperçus une larme brillante perler le long de sa joue.

Et, lorsqu'une brise souffla, son corps disparut. Ma main se referma dans l'air avant que je ne fronce les sourcils, perturbée par ses dires. Un croassement s'éleva jusqu'à mes oreilles sifflantes, et j'aperçus à nouveau un corbeau. Posé sur le sommet de la croix, il riva son regard dans le mien avant de déployer ses grandes ailes pour prendre son envol dans un silence de plomb et disparaître dans l'ombre d'une ruelle près de l'église.

Sans attendre, je m'élançai à sa suite, les tempes frappées par mon sang bouillonnant.

J'aperçus, devant moi, l'oiseau battre des ailes au sein de la pénombre. J'accélérai le pas en ignorant l'appréhension tordant mes entrailles. Bientôt, mon corps plongea dans les abîmes glaciaux, mes jambes tremblotantes et la gorge serrée.

Aucun bruit ne brisait ce silence religieux, si ce n'était mes pieds frappant le bitume. J'accélérai le pas avant que l'oiseau ne disparaisse complètement dans un battement d'ailes. Le souffle frénétique, je continuai d'avancer pour apercevoir deux lueurs bleues briser l'obscurité et éloigner les ténèbres maîtresse de ces lieux.

Je me figeai un instant en remarquant la silhouette d'Eytan, plongé au cœur de la noirceur. Immobile, je l'observai sans savoir si je devais m'approcher ou non des halos qu'étaient ses yeux.

Approcher de cette lumière chimérique en sachant que les ténèbres m'accueilleraient, ou rester dans l'ombre ?

Je savais déjà la réponse. Qu'importait le chemin que j'emprunterai, je savais que les ténèbres m'attendaient.

Alors je m'approchai en suivant la voie menée par ses yeux. Une voie que j'empruntais bêtement depuis peu, et qui causerait ma perte

Bientôt, ma vue s'adapta à l'obscurité et je fis face au Démon, le menton fièrement levé et les muscles serrés. Lui m'observait du haut de son mètre quatre-vingt-dix, les lèvres étirées en un sourire. Son torse remontait régulièrement, contrairement au mien qui reflétait mon angoisse.

— Ravi de te revoir, mon ange, souffla-t-il, la voix moqueuse.

Je gardai le silence en le dévisageant. Ses cheveux noirs, indomptables, accentuaient son air rebelle, ses traits angéliques, des traits bien trop trempeurs qui cachaient une âme damnée. Sa peau halée, dévoré par sa propre noirceur, intensifiait ses iris étincelants, affrontant les ténèbres qui nous emprisonnaient, pour mieux m'entraver.

Ironique, quand on savait qu'il incarnait les ténèbres.

Comment aimantée, je m'attardai sur l'encre de son tatouage recouvrant la partie gauche de sa nuque. Il émanait de ce symbole une puissance écrasante. La forme noire, semblant être faite de ténèbres, partait du creux de son cou en une ligne droite pourvue de formes épineuses de chaque côté, avant qu'elle ne se courbe, le long de son cou, en une spirale se rapprochant du point central tout en s'affinant, munie d'une pointe acérée émergeante vers la droite avant qu'elle ne se termine, surmontée d'un point positionné entre le début de la spirale et la courbe finale. Je remarquai que l'encre continuait sous son haut, détachée du reste du tatouage pour se perdre sous le tissu noir.

Que pouvait-il représenter ?

Le symbole était à la fois élégant et redoutable. C'était tout lui, au fond. Angélique et démoniaque. Pureté et noirceur valsant dans une même danse.

Eytan était un péché à lui seul, la représentation même de la luxure. Une luxure ô combien obscure. Sourd aux supplices, il avait quiconque à l'usure sans aucune démesure.

— Tu n'as pas l'air heureuse de me revoir, mon ange.

— Je suppose que tu as envoyé Brooke pour que je vienne jusqu'à toi, finis-je par dire d'une voix sourde.

Et je fis un pas en ignorant les plaintes de mon corps m'intimant de ne pas jouer à ce jeu. Il me détailla à travers ses longs cils sans se démunir de son sourire.

— Dis-moi pourquoi, poursuivis-je sans me détourner de lui. Dis-moi ce que tu attends de moi.

Et pas seulement maintenant.

Que veux-tu, Eytan ? Qu'attends-tu de moi ? Que t'apportera mon prix ?

Je m'approchai encore. Quand la chaleur de son corps se heurta au mien, les palpitations de mon cœur s'endiablèrent sans pourtant que je ne lui démontre quoi que ce soit. C'était comme si les sensations qui m'animaient cherchaient à m'alerter, à me dire de m'arrêter, pour ne pas finir embraser.

Bientôt, ma poitrine frôla son torse alors que je m'engouffrais davantage encore dans le brasier qui le recouvrait, rappelant sans mal les flammes de l'enfer. Je plongeai un peu plus mes yeux dans les siens et remarquai la lueur fiévreuse qui y domiciliait, quand son sourire espiègle s'amplifia.

On s'observa en silence. Même si la tension qui nous enveloppait était écrasante, je n'en avais que faire. Le désir d'obtenir mes réponses était plus forte que le reste. L'affronter ne m'effrayait pas. Pas quand je savais qu'il détenait toutes les clés pour mettre en lumière mes questions.

— Ou vas-tu encore fuir, Eytan ? le provoquai-je. Vas-tu encore te volatiliser par peur de me faire face ?

Ses yeux se plissèrent sans qu'il ne se démunisse de son air amusé. Le confronter ne servait à rien. Peut-être que le provoquer fonctionnerait ? J'en doutais, mais qu'avais-je à perdre ?

Il ne pouvait pas me tuer, pas tant qu'il ne m'avait pas réclamé son dû.

— Tu risques de te brûler les ailes, Elora, susurra-t-il.

Mais ce jeu, je l'avais déjà perdu.

Il inclina la tête vers moi. Quand son souffle chaud s'échoua sur mon visage, mes muscles se raidirent. Nullement déstabilisée, je soutins son regard céruléen, animée par un élan de confiance dont je ne soupçonnais pas l'existence. Peut-être qu'il me venait de ma lassitude ? Du désespoir qui se développait en mon sein et dont Eytan se nourrissait sans mal ?

— N'est-ce pas ce que tu attends, au fond ? répondis-je dans un souffle.

La lueur qui embrasa ses pupilles ne m'échappa pas. Ses traits restèrent inchangés, quand il fronça un peu les sourcils, et je sus, à cet instant, que mes paroles avaient fait effet.

— Je suis peut-être un simple pion sacrifié dans ton jeu, Eytan, mais si tu veux pouvoir me manipuler à ta guise, dis-moi quelles sont les règles. Donne-moi le moyen d'avancer comme tu le souhaites.

S'il tenait entre ses doigts habiles les fils de la marionnette que j'étais à ses yeux, je voulais savoir sur quel pied danser. Qu'importait la finalité qu'il me réservait. Je m'en fichais.

Puisque je savais quelle serait ma destinée.

En pactisant avec le diable, j'avais accepté de lui remettre mon âme entre les mains, d'une certaine manière. J'avais accepté de renoncer à être maîtresse de mon propre destin.

Et, étrangement, je n'avais pas peur.

— Mon ange, tu prétends être manipulée, mais tu es la seule à te manipuler toi-même.

N'était-il pas las de parler de manière si énigmatique ? Pensait-il réellement ses propos dénués de sens ?

Bien sûr qu'il me manipulait. Dès l'instant où j'avais croisé son regard, la première fois qu'il m'avait face, j'avais compris que je ne deviendrais qu'un pantin. Une marionnette désarticulée soumise à ses sombres desseins.

— Dis-moi ce que tu fais là, lui enjoignis-je en ignorant ses dires.

Aucune réponse. Il sembla même s'amuser du silence qui planait. Le vent souffla un peu, soulevant mes cheveux autour de mon visage. Agacée, mais aussi frustrée, j'avançai encore pour que nos nez se frôlent et que nos yeux se défient. Ses iris s'assombrirent, comme voilés, alors que son sourire se faisait plus menaçant. Même si j'étais proche de lui, troublée par sa proximité, je ne me démontai pas. J'avais besoin d'une réponse.

Au moins une. Rien qu'une...

D'un geste presque délicat, il replaça une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Malgré l'envie de reculer, je restai face à lui, sans jamais me détourner de son regard embrasé, calculateur. Il détailla mes traits sans mot dire, me happant de ses pupilles bien trop intenses. Avec lenteur, il égara ses doigts sur ma joue, et son rictus s'amplifia, alors que son toucher laissait une traînée incandescente le long de ma peau.

Ma vision se troubla à son contact brûlant, et quelquechose, en mon sein, sembla se fendre. Mes jambes flageolèrent avec violence,alors que ma tête s'alourdissait. J'entendis un hurlement lointain, malgré mesoreilles bourdonnantes, et un flash m'aveugla. 

Ensuite, une image traversa mon esprit et mon sang se figea en reconnaissant le visage ensanglanté d'Axel.

Le souffle erratique, je m'éloignai du Démon qui m'observait avec attention, l'air innocent. Les muscles raidis par l'angoisse, je papillonnai des cils en prenant une profonde inspiration, chamboulée par cette vision d'Axel. D'une voix éraillée, je sifflai entre mes dents :

— Que lui as-tu fait ?

— Ce que je lui ai fait ? répéta-t-il sur un ton joueur.

Agacée, je m'approchai de lui et plongeai mes yeux dans les siens en ignorant mon sang qui s'enflammait ainsi que la tension qui nous submergeait. Le Démon arqua un sourcil, amusé par la situation.

— Je l'ai vu, Eytan... J'ai vu Axel à ton toucher.

Son rictus suffisant s'effaça et son regard se fit plus froid. Malgré ses traits mauvais, je ne perdis pas contenance. Pas quand chaque fibre de mon corps s'agitait, proclamant qu'Axel était en danger.

— Et alors ? Serais-tu en train de m'accuser, mon ange ?

— Oui, je t'accuse ! m'agaçai-je. Pour une raison qui m'échappe, tu en as après lui. Pourquoi aurais-tu cherché à obtenir des réponses à son sujet en prenant possession de son corps, sinon ?

J'attendis une réponse qui ne vint jamais, mais quand ses lèvres frémirent, comme s'il se retenait de répondre, ou de rire, je compris que j'avais vu juste. Eytan en avait après Axel.

— Alors je répète ma question : que lui as-tu fait ? insistai-je d'une voix glaciale.

Le Démon ne répondit pas de suite. Il se contenta d'ourler à nouveau ses lèvres en un sourire malicieux, et il amorça un pas pour que ses épaules me surplombent. Son ombre, qui semblait l'habiller gracieusement, comme une fumée noire, me recouvrit, comme si elle cherchait à m'intimider, à me dévorer, sans que ça ne me fasse courber l'échine.

J'avais déjà les pieds dans les ténèbres.

— Actuellement, je te fais face, mon ange, comment veux-tu que je lui fasse quoi que ce soit ? m'interrogea-t-il.

Ses lèvres s'approchèrent des miennes lentement. Je retins mon souffle en le voyant faire et, soudain, il dévia jusqu'à mon oreille. Son souffle frôla ma peau sensible et m'arracha un frisson incontrôlable. Je relevai le nez sans rien exprimer, malgré mes jambes lourdes et les battements frénétiques de mon cœur.

— Mais tu devrais plutôt partir le retrouver, si tu ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose de fâcheux, souffla-t-il.

Lentement, il recula un peu pour que ses yeux plongent dans les miens. En voyant tous ses vices dans leur profondeur, prêts à m'emmener avec eux jusqu'à son âme damnée, je sentis un trouble m'assaillir. Il caressa mes traits mauvais d'un regard brûlant, contenant une fureur à peine dissimulée, en opposition avec son rictus.

— Alors dépêche-toi. Ne crois pas que prendre du bon temps avec toi me dérange, loin de là, mais tu as l'air pressé. On rattrapera le temps perdu, promis.

— Tu...

— Tu vas m'injurier ? m'interrompit-il. Évite, ça serait dommage que tu t'enfonces davantage dans ta perdition.

Mon cœur rata un battement suite à ses propos. Mon sang quitta mon visage, ce qui ne lui échappa pas. Il recula encore, me libérant de l'étreinte de sa puissance, bien que sa chaleur continue de m'entraver, et son ombre, à sa suite, se retira de ma propre silhouette pour caresser le sol.

— Ne me regarde pas comme ça, mon ange, glissa-t-il, comme si j'étais la cause de tous tes malheurs.

Mais c'était le cas...

Il était la cause de l'enfer qui s'ouvrait sous mes pieds.

C'était lui, qui avait provoqué ma déchéance, mon déclin, qui avait précipité ma chute. Eytan ne m'avait peut-être pas poussé dans le précipice qu'était devenue ma vie, mais il avait soufflé à mon oreilles des promesses qui m'avaient donné envie de m'y jeter sans regret. Il m'influençait plus que de raisons.

Et je ne faisais rien pour changer cela.

Bien au contraire, j'acceptais.

— Tu es la seule responsable de tes choix, Elora, ajouta-t-il à voix basse. Des choix qui me conviennent parfaitement.

Et, sans rien ajouter de plus, il s'éloigna encore pour que les ténèbres qui le drapent l'engloutissent entièrement pour que son corps ne devienne plus qu'une ombre. Ses yeux, d'autant plus ressortis par sa noirceur, crochetèrent une dernière fois les miens, flamboyants d'une lueur démente, avant qu'il ne se volatilise enfin.

Le carillon de l'église se fit entendre au même instant qu'il disparut, résonnant au milieu de la nuit, envahissant l'air nocturne, le tintement des cloches résonnant à mes oreilles.

Les jambes pesant une tonne et la tête menaçante d'exploser, je pris une profonde goulée d'air, chamboulée par la conversation que je venais d'avoir avec Eytan. La bulle qui semblait m'entourer éclata, quand une évidence me frappa :

Axel était en danger

Hello les petits diables ! 😘

Vous allez bien ? Vos épreuves sont terminées ? Vous êtes en vacances ? 😋

Voilà le chapitre 29 avec du retard, encore, désolée !

Qu'en avez-vous pensé ? Des avis ? Des théories ?

Vous vous doutiez du pouvoir inné d'Elora ? Et qu'avez-vous pensé du message de Brooke ?

De la conversation avec Eytan ? Que se passera-t-il ? 😏

Dites-moi vos théories ! Et si vous n'avez pas compris des choses, dites-le moi, j'essayerai de vous expliquer ! Bisous ! ❤️

~Chapitre revu~

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