Chapitre 29
« Comment éloigner les ténèbres quand aucune lumière n'accepte de nous tendre les bras? »
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Le jeune homme sortit du bâtiment en serrant sa veste contre lui, la lune, pleine, resplendissait au-dessus de lui. D'un œil vide, il contempla les murs gris de l'établissement en se disant que ça manquait de couleurs.
On dirait une prison, pensa-t-il.
Un nuage de fumée s'échappa de ses lèvres quand il s'éloigna de l'université qui était pratiquement déserte, à cette heure tardive. Les épaules voûtées à cause du froid mordant, il plongea ses mains dans ses poches et, dans de grandes-enjambées, il emprunta le sentier menant jusqu'à sa résidence. Ce chemin était bien plus rapide que la route principale, même si elle était moins rassurante.
Réveille-toi..., me pria ma raison, lointaine.
Le garçon, qui traversait le sentier seulement éclairé par la lune, se perdit dans ses pensées. Des pensées qui me traversèrent comme si elles étaient miennes, avant de disparaître aussi vite. Pourtant, je parvins à entendre qu'il avait hâte de retrouver son colocataire pour lui annoncer qu'il avait réussi ses examens.
Un colocataire. Il avait un colocataire.
Quand une brindille craqua, il sursauta avant d'observer les alentours de ses grands yeux noisette, et il reprit sa route, l'air angoissé. Face à la crainte qui émanait de lui, un sentiment étrange m'étreignit.
Un rêve. Ce n'est qu'un rêve, poursuivit ma raison.
Un rêve qui semblait bien trop réel. Il fallait que j'ouvre les yeux.
Qui es-tu ? avais-je envie de demander à ce garçon.
Autre bruit. Le jeune homme se tourna et aperçut quelque chose que je ne vis pas avant qu'il n'accélère le pas, le regard de plus en plus agité. Ses grandes-enjambées se transformèrent bien vite en une course effrénée. Le souffle erratique, il courut à toute vitesse et hurla quelque chose que je n'entendis pas.
Dans son dos, une silhouette se dressa, rapide, intimidante. Le garçon ne ralentit pas, ne lança aucun regard en arrière, trop apeuré pour ça, et quand il entendit les pas se rapprocher, il blêmit en manquant de trébucher.
À l'aide ! hurla-t-il.
Sa voix déchirante résonna à mes oreilles sans pourtant me réveiller. Je voulus hurler à mon tour, et en voyant la silhouette munie d'une forme menaçante dans son dos, je compris à quelle créature il avait affaire.
Un rire s'éleva, puis la forme fondit sur le jeune homme.
Mes paupières se rouvrirent brusquement alors que je redressais mon buste, la respiration chaotique et le regard agité. D'un revers de main, j'essuyai mon front en sueur et déglutis, le cœur battant la chamade. En voyant les faibles rayons du soleil traverser mon rideau pour éclairer un peu ma chambre, je me détendis, toujours agitée.
Ce n'était qu'un rêve.
Mais à cette pensée, un sentiment pesant écrasa ma poitrine, tandis que la bile remontait dans ma gorge, me malmenant sans scrupules.
Non.
Non, ce n'était pas qu'un songe.
J'étais sûre qu'il s'agissait-là d'une vision.
Je posai mes yeux sur mon horloge en bois et vis qu'il était seize heures. J'avais passé ma journée au lit, écrasée par la fatigue.
Et je savais ce que j'allais faire du reste de ma journée, et surtout, de ma nuit. Cet endroit, dont j'avais rêvé... Il fallait que j'y aille. J'avais reconnu la faculté, et surtout, pour une raison qui m'échappait, j'avais réussi à savoir où cet inconnu se dirigeait.
Soit dans sa résidence universitaire. J'avais les informations nécessaires pour rejoindre ce sentier dans lequel il avait été poursuivi.
Je ne savais pas quand cette attaque aurait lieu, mais il faisait nuit, dans mon songe. Il fallait que j'y aille dès ce soir, et le surlendemain, s'il le fallait, jusqu'à ce que ce jeune garçon soit à l'abri.
Et que j'arrête son assaillant...
J'hésitai un instant à prévenir mes amis avant de me souvenir que je ne les avais plus recontactés depuis qu'ils m'avaient annoncé que Tyler était hanté par Eytan.
Aucun risque que je les contacte. Je n'étais pas prête. Ils prétendaient que j'agissais seule ? Ainsi soit-il. Ce jeune étudiant, je le sauverais.
Seule.
***
Postée devant la faculté, je me perdais dans mes pensées depuis un moment déjà. La nuit était tombée, et les étudiants se faisaient de plus en plus rares. La lune brillait, ce soir.
Et comme dans mon rêve, elle était pleine.
En la voyant ainsi, l'adrénaline avait bouillonné dans mes veines.
C'était ce soir.
Pourtant, je n'avais toujours pas aperçu ce jeune homme. Son visage, bien qu'un peu flou, ne m'avait pas quitté, depuis mon réveil. Ses traits juvéniles et ses grands yeux m'avaient marqué.
J'attendis encore un long moment, et bientôt, plus personne ne sortit du bâtiment. Perturbée, je sortis de mon véhicule et m'en approchai avant de regarder à travers la grande porte les couloirs plongés dans le noir. Frustrée, je reculai de quelques pas en scrutant les alentours, puis perdis mon attention sur le début du sentier qu'il avait emprunté, dans mon songe.
Devrais-je y aller, ou l'attendre ici ?
Mon cœur s'endiabla bientôt, comme s'il cherchait à me faire comprendre quelque chose, et je m'approchai du sentier en lançant des coups d'œil en arrière, vérifiant que personne ne sortait de la faculté.
Bon sang, pourquoi n'avais-je pas eu plus d'indices ? Qui était ce jeune homme ? Avais-je vraiment eu une vision ? Et surtout, était-ce bien ce soir ? La lune pleine me faisait croire que oui.
Mais l'absence d'âme quelconque me prouvait le contraire...
Face au sentier, je m'arrêtai et, comme par automatisme, je me tournai encore vers le bâtiment en me rappelant des pensées du garçon dont j'avais rêvé. Il l'avait comparé à une prison...
Pourquoi, déjà ?
Troublée, je pivotai complètement vers le grand établissement et le détaillai sans bouger, animée par un drôle de pressentiment. Une prison... Bon sang, il fallait que je fasse un effort pour me remémorer du mieux que je le pouvais des indices quant à ce songe.
Des murs gris !
Alors que j'observais toujours les murs de la faculté, un vertige m'assaillit en constatant une chose : ils étaient tagués et colorés.
Et absolument pas gris comme dans mon rêve.
Mes jambes menacèrent de me lâcher en comprenant cela, et, le cœur au bord des lèvres, je me tournai pour m'enfoncer dans le sentier.
— Bon sang..., marmonnai-je en remarquant autre chose.
J'avais entendu des brindilles, dans le rêve, et surtout, le sentier qu'avait emprunté le garçon était plongé dans le noir, sauvage. Là, des lampadaires modernes le bordaient, quand le sol se voyait pavé de pierres lisses formant un chemin régulier.
Impossible...
Les battements de mon cœur s'endiablèrent encore alors que je relevais la tête, sonnée par une vérité cruelle :
Cette vision m'avait montré le passé...
D'un mouvement rapide, je rejoignis ma voiture, y pénétrai et donnai un coup rageux à mon volant, agacée.
— Tu ne me sers à rien ! m'écriai-je. Pouvoir inutile !
Le passé ? Sérieusement ? Aucun intérêt !
Frustrée, je laissai ma tête retomber contre le volant en retenant des larmes de rage, le visage du jeune homme me tourmentant sans relâche. Cela signifiait que j'avais encore failli à ma mission ?
Non.
Non, ça restait des indices... Je ne savais pas de quand datait cette scène, ni si elle avait vraiment eu lieu, mais j'y avais vu une silhouette rappelant sans mal la même créature qu'était Zachary.
Ce n'était pas à négligé.
En plus, si cette scène avait vraiment eu lieu, il y avait forcément des informations à ce sujet. Une attaque à proximité d'une faculté ne pouvait pas passer inaperçue...
Je devais en savoir davantage...
***
— Je peux savoir pourquoi vous me posez cette question ? se méfia la cinquantenaire.
La femme, qui travaillait en tant que secrétaire de département, m'observait d'un œil curieux, peu à l'aise. J'efforçai un rictus, gênée par son regard scrutateur.
— Parce que je suis membre d'un groupe de prévention de la violence et cherche à assembler des informations sur les incidents passés pour identifier les facteurs de risques.
Piètre mensonge. J'ajoutai ensuite d'une voix plus confiante :
— Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a eu de nouveaux incidents, et avec mon groupe, nous voudrions proposer des mesures de prévention efficaces et, surtout, essayer de prévenir les risques pour pouvoir les éviter.
Elle poussa un soupir, peu convaincue, mais devant l'énergie rassurante que je laissais émaner de ma personne, elle se détendit un peu et décroisa les bras.
— Vous, les jeunes, êtes bien trop curieux, marmonna-t-elle.
Et elle attacha ses cheveux roux en un chignon sans me quitter de ses prunelles de jade, ses lèvres maquillées tordues en un air las.
— Pour en revenir à votre question, non, il n'y a pas eu d'incidents à proximité de la faculté, et ce même s'il y a eu de disparitions, il y a quelques années, mais ce n'était pas près du bâtiment spécialement, même si ça concernait souvent des étudiants...
Ses sourcils se froncèrent alors qu'elle réfléchissait, perdue dans sa mémoire. Je l'observai en l'écoutant avec attention, priant pour qu'elle puisse m'apporter des réponses. Depuis ce matin, j'interrogeais les étudiants et les intervenants dans l'espoir d'avoir des indices.
Mais j'en avais eu si peu.
Tous me reparlaient des anciennes disparitions. De corps parfois retrouvés, sans preuves qu'il s'agissait d'un meurtre ou non. En aucun cas d'une attaque s'étant passée à proximité.
Ses yeux s'animèrent d'une lueur douloureuse lorsqu'elle se souvint de quelque chose.
— Par contre, si vous voulez tout savoir, un étudiant avait disparu pendant un moment avant de revenir, comme si rien ne s'était passé, ce n'était pas le premier, ni le dernier, mais la différence avec les autres, c'est qu'il a commis un acte terrible.
— Un acte terrible ? répétai-je, appréhendant la suite.
D'un hochement de tête, elle affirma mes dires et hésita avant de me dire :
— Il... Il s'est suicidé. Son colocataire, qui étudiait aussi ici, a retrouvé son corps dans sa chambre.
Le choc me frappa alors que j'assimilais ses dires. Un suicide ? Pouvait-il s'agir de l'homme de ma vision ? Elle avait parlé d'un colocataire... Est-ce que ça pouvait être lié ?
— Je me souviens encore de son visage. C'était un garçon très gentil, sérieux, et discret. Personne n'avait remarqué qu'il souffrait..., enchaîna-t-elle d'une voix peinée.
— Il n'avait pas montré des signes ?
— Non. Aucun. Avant sa disparition, il était rayonnant, et en revenant, même s'il se montrait plus discret qu'à l'accoutumée, il souriait toujours. C'est ça, le plus terrible... Il est rare que les personnes qui souffrent le plus montrent des signes quant à la douleur qu'elles ressentent.
Ses paroles, criantes de vérité, m'assombrirent la vision. Une peine intense me lancina. Cette histoire me brisait le cœur. Je n'imaginais pas l'enfer qu'avait pu vivre ce garçon pour commettre un tel acte... Personne n'avait remarqué sa souffrance, donc il n'avait reçu aucune aide, probablement.
Mais qu'avait-il pu vivre lorsqu'il s'était volatilisé, pour se retirer la vie ?
Et était-ce un suicide, ou l'attaque d'un être surnaturel ?
— Auriez-vous le nom de ce garçon ? demandai-je timidement.
Elle se pinça les lèvres, le visage teinté à nouveau de méfiance. Je laissai mon énergie angélique s'accentuer pour la recouvrir, et elle hocha la tête en murmurant :
— Il me semble qu'il s'appelait Lisandro...
Lisandro, donc ?
Je finis par remercier la secrétaire et la saluai, rongée par une multitude de questions. D'un pas traînant, je sortis du bâtiment en me répétant le nom de ce garçon s'étant suicidé. Il fallait que je poursuive mes recherches pour être certaine qu'il s'agissait du même que celui que j'avais vu en rêve.
— Elora ? Que fais-tu ici ?
Laurie s'approcha de moi en tenant sous son bras plusieurs livres, et son ordinateur.
— J'avais quelques recherches à faire, me contentai-je de lui répondre. Tu viens de finir ta journée de cours ?
Elle opina et répondit :
— Oui. Je comptais prendre le bus pour aller à la bibliothèque, j'ai encore quelques partiels à passer, je voudrais réviser.
— Je peux t'y déposer, si tu veux, j'y allais, justement, lui proposai-je.
— Avec plaisir, si ça peut me permettre d'éviter de prendre le bus de l'enfer.
Tout sourire, je la menai jusqu'à ma voiture avant qu'on ne prenne la route jusqu'à la bibliothèque municipale. Elle m'interrogea quant aux recherches que je faisais, et je lui expliquai vaguement la vision que j'avais eue.
— Donc tu as vu le passé, c'est ça ? Mais je croyais que tu avais un pouvoir qui te permettait de voir le futur ?
Les doigts serrés contre mon volant, je haussai les épaules, la nuque raidie par la tension.
— C'est plus commun que j'ai des visions qui concernent le futur, oui, mais ça n'empêche pas de voir parfois le passé.
Pour être sincère, j'avais déjà vu le passé à travers mes rêves, mais c'était plus rare, et surtout, bien plus troublant, car il m'était difficile de me repérer dans le temps. Pour ça, il fallait analyser clairement la vision, les environs, histoire d'avoir des indices quant au moment où ça se passait.
Et ça, ce n'était pas évident, plus encore à l'heure d'aujourd'hui, puisque j'étais vite déstabilisée par mes songes bien souvent flous et incohérents.
— Tu peux m'en dire plus au sujet des disparitions qui avaient eu lieu autrefois ? l'interrogeai-je en lui lançant un coup d'œil furtif.
J'avais besoin d'informations. En venant sur Téthys, j'avais déjà fait quelques recherches, j'avais même interrogé deux ou trois anciens disparus, mais ça n'avait pas fait avancer mes recherches, puisqu'ils s'étaient montrés fermés à la discussion, voire même agressifs. Si, au début, je n'en avais pas fait cas, maintenant, je me disais que ça cachait quelque chose, ça renvoyait au comportement de Frédérick, par exemple, qui avait été virulents, lorsqu'on l'avait questionné.
Et ça, pour moi, c'était bien la preuve que les anciennes disparitions étaient liées avec celles d'aujourd'hui.
Cependant, en ce qui concernait les corps retrouvés, leur nombre avait considérablement augmenté depuis l'arrivée d'Eytan par rapport à il y a quelques années. La principale distinction résidait dans le fait que les personnes disparues auparavant avaient tendance à réapparaître, tandis que la plupart des récents disparus étaient retrouvés sans vie, sans la moindre piste, sachant que c'était l'œuvre du Démon.
— Je t'avoue que j'en sais peu, m'avoua-t-elle d'une voix teintée de déception. Il y avait eu pas mal d'annonces disant que des personnes avaient disparu durant une longue période, il y a deux ans, et ensuite, plus rien, jusqu'à peu.
— J'avais fait des recherches en venant ici, et c'est vrai que les journaux parlaient peu des incidents qui ont eu lieu quelques années avant, lui confiai-je. Et puis, comme les disparus finissaient par revenir, pour la majorité, il n'y a pas vraiment eu d'enquête.
— Parce qu'à partir du moment où les personnes reviennent, ce n'est pas considéré comme grave, disons, marmonna-t-elle. Mais c'est vrai qu'à l'époque, il était rare de retrouver des corps.
Je gardai le silence en me posant davantage de questions. Bientôt, je me garai devant la bibliothèque, et on rejoignit toutes les deux une table se trouvant à l'étage, près d'une grande fenêtre, dans le fond de la pièce.
— Si tu veux, je peux rechercher des informations sur Internet ? Parce qu'ici, tu ne risques pas de trouver d'archives... Comment s'appelait le garçon dont tu m'as parlé ?
— Lisandro, mais je n'en sais pas plus.
— Ce prénom me rappelle vaguement quelque chose... Allez, ne t'en fais pas, vu que Téthys n'est pas une ville très grande, je pense qu'on va pouvoir trouver rapidement avec seulement son prénom.
— Et tu penses que ton ordinateur va trouver ? l'interrogeai-je. Je ne peux pas y croire. J'ai déjà essayé de me servir d'un PC ici, une fois, mais il ne démarrait pas.
— Si tu t'en es servie comme tu te sers de ton vieux téléphone, alors je comprends la raison pour laquelle il n'a pas démarré. As-tu seulement appuyé sur le bouton démarré ? Tu devrais apprendre à te servir de la technologie, Elora, parce que tu m'inquiètes, on dirait une mamie.
Et elle me dévisagea, appuya sur le bouton pour démarrer son ordinateur, qui s'alluma bien vite, et sourit de toutes ses dents.
— Ta-dam ! C'est magique, tu vois ?
Amusée par ses taquineries, je secouai la tête et la regardai écrire sur son clavier avec rapidité, concentrée par l'écran de son ordinateur, sachant pertinemment qu'ici, je ne trouverais rien de plus que ce que je savais déjà.
En venant sur Téthys, les premiers jours, j'avais passé des heures à chercher des indices quant à ces vieilles disparitions. Le problème était que les journaux manquaient d'informations, pire encore une fois que l'affaire avait été classée sans suite.
Alors que je cherchais des yeux quelque chose qui pourrait peut-être m'apporter une réponse, l'air autour de moi diminua quitte à m'arracher un frisson, et une brise souffla dans ma nuque. Laurie, toujours concentrée, ne remarqua pas mon trouble. Alors je pivotai un peu la tête pour croiser le regard de Brooke, dont le corps vaporeux se dressait à quelques pas du mien.
« J'ai un message pour toi. » chuchota-t-elle.
Mon cœur s'emballa. Un message ? Le souvenir de ma dernière altercation avec Eytan me revint brusquement en mémoire et me glaça le sang. En repensant à l'éclat de folie qui avait brûlé ses yeux lorsque nous avions scellé notre pacte, je sentis mes jambes trembler, et le souffle commença à me manquer.
Jamais je ne pourrais oublier l'erreur que j'avais commise. Une erreur qui me coûterait beaucoup, lorsque le Démon me demandait de récupérer son dû.
Un dû que je n'avais pas hésité à lui proposer pour qu'il laisse Tyler en paix.
Un dû qui était bêtement perdu, quand je savais que j'avais été manipulée. Que je m'étais jetée bêtement dans la gueule du loup, uniquement pour préserver la vie de mon ami...
Mais certains sacrifices en valaient la peine. J'étais prête à tout, quitte à perdre mon cœur dans cette guerre perdue.
« N'oublie jamais qu'il n'y a jamais qu'un seul être mauvais, Elora. »
Son corps brilla avant qu'elle ne poursuive :
« Wrashar. »
Le corps du fantôme commença à disparaître alors que ses yeux suppliants me frappaient la poitrine. Wrashar... Ce mot sonnait si étrangement dans mon esprit. Il me mettait mal à l'aise. Pire, il me disait quelque chose...
L'avais-je déjà entendu ?
« Tu dois te méfier, Elora, et pas uniquement d'une seule personne... »
J'entrouvris les lèvres, prête à l'assaillir de questions, mais je me souvins que je me trouvais dans une bibliothèque, et qu'on risquait de me prendre pour une folle.
« Pourquoi as-tu fait ça ? » m'interrogea-t-elle, et je compris que cette fois, ça n'avait plus rien avec le message qu'elle me transmettait.
Glacée, je ne répondis rien, le sang martelant mes tempes et la nuque endolorie. Le Fantôme étincela, secoua la tête, et ajouta d'une voix attristée :
« Préserve ton cœur... S'il te plaît... Tu... Tu es plus forte que ça, Elora. »
Et elle disparut. Tétanisée, je fixai un point invisible en ignorant mes jambes vacillantes, un filet de sueur perlant le long de mon front.
Préserver mon cœur ?
Le pouvais-je seulement ? N'était-il pas condamné, maintenant que j'avais scellé mon destin en pactisant avec Eytan ?
Je secouai la tête et, toujours troublée, je reportai mon regard sur Laurie qui me dévisageait, perturbée par mon teint probablement cadavérique.
— Que t'arrive-t-il ?
Face à mon sourire désolé, Laurie haussa les épaules, me regarda curieusement, et tourna son ordinateur vers moi en m'expliquant :
— J'ai trouvé un article qui date d'il y a deux ans et demi. La victime s'appelle Lisandro. Je ne sais pas s'il s'agit de celui dont tu as rêvé, mais lis-le, ça pourrait peut-être t'aider.
Je lus l'article à toute-vitesse, et plus j'approchai de la fin, plus mon cœur s'affola. Il était dit qu'un garçon appelé Lisandro avait disparu pendant un long mois sans qu'il ne donne aucune nouvelle et, qu'un jour, il était retourné à la faculté, comme si de rien n'était. Ses proches l'avaient interrogé, curieux de savoir pourquoi il était parti si longtemps, mais il était resté vague, voire énigmatique.
Certains de ses amis auraient même dits qu'il semblait hanté, parfois paranoïaque, comme s'il avait peur de quelque chose.
Ou de quelqu'un.
Je notai mentalement que lui, à l'inverse de la majorité des disparus revenus mystérieusement, n'avait pas montré un comportement agressif. À aucun moment il n'avait été violent. Aucun signe également alarmant. Ni chagrin expliquant son acte.
En lisant que son corps avait été retrouvé dans sa chambre, retrouvé par son colocataire, je blêmis, et fis le lien avec ce que m'avait raconté la secrétaire.
Mon cœur rata ensuite un battement avant qu'il ne m'assourdisse quand mon regard tomba sur une photo du garçon.
C'était lui.
Le même que dans mon songe.
Alors j'avais bien eu une vision du passé... Lisandro avait disparu comme un tas d'autres Humains sans pourtant que son comportement ne change... Il était dit qu'il s'était suicidé, mais quelque chose ne collait pas.
La mort de Brooke aussi, avait été considérée comme un suicide, mais il s'agissait d'une attaque surnaturelle... Il était évident que c'était la même chose concernant ce Lisandro. Mais ça remontait à deux ans auparavant, Eytan avait-il pu être là, à cette période ? Pouvait-il être derrière la mort de ce jeune garçon ?
Je n'y croyais pas... La silhouette dans ma vision était semblable à celle de Zachary, à celles des adversaires d'Eden... Quelqu'un était derrière tout ça, mais qui ?
— Je vois à ton regard que tu doutes de ce qui est écrit sur ce journal, remarqua Laurie, me sortant de ma torpeur.
— Quelque chose ne colle pas..., lui fis-je remarquer.
Un suicide. Je n'y croyais pas. Pas après avoir vu la silhouette poursuivre ce jeune garçon. Et puis, pourquoi son comportement avait été inchangé, quand celui des revenants l'avaient été ?
Je fermai les paupières en laissant ma tête retomber en arrière, frustrée de tourner en rond. Il était évident que les disparitions du passé étaient liées à celles plus récentes. Je ne pouvais pas affirmer avec certitude si Eytan avait été impliqué dans ces événements par le passé, mais il semblait clair qu'il l'était récemment, comme en témoignaient les cas de Brooke et de Frédérick.
Mais concernant Thianna, les Démons avaient prétendu qu'ils n'étaient pas derrière sa disparition...
— Pourquoi ne contactes-tu pas tes amis pour leur faire part de... De tout ça ? me demanda Laurie en désignant son ordinateur. Tu ne peux pas enquêter seule, Elora. Regarde-toi, tu es épuisée.
Je secouai la tête en gardant les lèvres scellées. Je ne voulais pas. Pire, je ne pouvais pas. Comment pourrais-je leur faire face après ce que j'avais fait ? Comment leur annoncer que j'avais pactisé avec l'ennemi ?
— Je n'ai pas besoin d'eux. Je suis sur une piste, je le sens...
— C'est lié à ce Yakari ? Celui dont tu m'as parlé ?
— Zachary ? Oui, je pense...
— Tu m'as dit que..., hésita-t-elle en vérifiant que personne ne se trouvait près de nous et elle reprit dans un murmure à peine audible. Qu'il était un Ange, autrefois, et qu'il était devenu mauvais. Penses-tu qu'il est un Déchu ?
Un rire m'échappa suite à sa demande, et je la couvris d'un regard attendri. Non, aucun risque. Les Anges Déchus n'étaient pas ainsi. Dans quel cas, une cicatrice en V aurait creusé son dos, à l'endroit où aurait dû se trouver ses ailes. Chez lui, à part cet étrange tentacule, il n'y avait rien.
— Il faut que tu comprennes une chose, vos légendes ne sont pas totalement vraies, lui indiquai-je à voix basse.
Mes ongles tapotèrent le bois de la table tandis que je sentais à nouveau mon cœur s'endiabler, malmené.
— Les Anges Déchus ne concernent pas seulement les Anges rebelles, lui expliquai-je.
Ma respiration s'alourdit ensuite. J'ignorai le sentiment écrasant de malaise qui me saisit en clignant rapidement des paupières. Je n'aimais pas parler de ce sujet.
Car, à chaque fois, je sentais mon cœur s'émietter.
— Il suffit qu'un Ange perde ses ailes pour qu'il devienne un Déchu.
— Quoi ? s'étrangla-t-elle. Tu veux dire qu'il peut perdre ses ailes même sans avoir commis un acte allant à l'encontre de ses principes ?
Oui. Un Ange pouvait devenir Déchu de différentes manières, hélas. Même s'il était innocent.
Mes ongles s'enfoncèrent dans la table alors que je détournais les yeux en contractant la mâchoire, le sang bouillonnant, vrillant contre mes tempes. Qu'avait-il de plus abject qu'être châtié pour un acte qui n'avait pas été commis ? Je trouvais cela injuste.
Impur.
Indigne d'un Ange, finalement.
— Je ne comprends pas, répondit-elle d'une voix douce. Pourquoi retirer des ailes d'un Ange, dans ce cas ?
Mes lèvres se tordirent en une moue de mécontentement alors que je réaffrontais son regard.
— Il n'y a aucune explication, sifflai-je. Un Ange n'est pas immortel, ni intouchable. C'est simple, parfois, il n'y a aucune justice. Tu peux avoir un cœur en or et, pourtant, quelque chose te tombera dessus. C'est la même chose chez nous. Il suffit qu'un Démon arrache les ailes d'un être céleste pour le condamner.
Son souffle se coupa. Ignorant l'odeur rance de la pièce se mêlant au parfum de mon amie, j'expirai avec frustration. Il y avait de l'injustice de partout, même dans mon monde. Si un Ange voyait ses ailes se faire arracher, il était impossible pour lui de les récupérer.
Il perdait tout. Absolument tout.
— Et à ton avis, repris-je d'une voix plus calme, pourquoi deviennent-ils mauvais ? Essaye d'imaginer la douleur qu'un Ange puisse ressentir en perdant ses ailes. Pourquoi des personnes sombrent-elles selon toi ?
À mesure que l'on s'enfonçait dans les ténèbres, elles semblaient prendre le dessus, se répandant dans l'âme d'une personne comme un poison, jusqu'à corrompre son cœur.
Oui, un cœur pur pouvait ternir.
Parfaite métaphore. La vie ne faisait pas de cadeaux. Beaucoup d'individus faisaient face à des embûches toute leur vie, et si elles ne parvenaient pas à se battre, elles finissaient par trébucher et sombrer. Nous étions tous concernés, Anges, Démons, ou Humain.
Zachary avait sombré, c'était évident, mais pourquoi ?
Laurie saisit mes mains tendrement, les recouvrant de sa chaleur. Je la dévisageai avant de remarquer que je tremblais. Ses yeux bienveillants plongèrent dans les miens, avant qu'elle ne serre mes doigts.
— Je ne sais pas ce que tu as pu vivre pour te mettre dans cet état, et je ne te forcerai pas à me le dire, mais sache une chose : il n'est jamais trop tard pour changer. Il n'est pas impossible d'éloigner les ténèbres.
Ses propos résonnèrent dans mon crâne meurtri par une migraine. Mes lèvres se soulevèrent en un sourire et mes épaules se détendirent un peu. Oui, j'étais d'accord avec elle. J'aimais à croire que la lumière refaisait toujours surface.
Mais il y avait des âmes condamnées.
J'en connaissais tant.
— Comment éloigner les ténèbres quand aucune lumière n'accepte de nous tendre les bras ?
Ses yeux s'arrondirent et, d'une voix étranglée, elle me demanda :
— Qu'as-tu vécu pour tenir ce discours, Elora ? Qui as-tu perdu ?
Je retirai mes mains des siennes, comme si ce geste me permettrait de repousser mes sinistres pensées. Que pouvais-je lui répondre ? Je croyais au fait qu'il n'était pas impossible de revoir la lumière, j'y croyais de tout mon cœur, mais celui-ci s'épuisait à trop espérer.
À trop se battre contre ses propres démons.
— Tiens, un revenant, remarqua Laurie en se détournant.
Je suivis son regard et aperçus James, accompagné d'Axel, dehors, posté devant le bâtiment, leurs cheveux malmenés par le vent. Les dents serrées, je toisai l'ex de Brooke. Pour moi, il était en partie fautif par l'acte de Brooke. Il l'avait poussé à renoncer à son âme. Il avait nourri son désespoir jusqu'à ce qu'elle renonce à la vie...
Comment pouvait-on détruire une personne jusqu'à ce qu'elle flanche sans même ciller ? Comment pouvait-on se regarder dans un miroir après cela ?
Axel me remarqua et laissa son regard crocheter le mien avant qu'il ne se détourne pour poursuivre sa discussion avec James. Laurie se releva pour ranger ses affaires, et je fis de même.
— Tu savais que James ne s'était plus manifesté depuis quelques semaines ? On pensait qu'il avait arrêté les cours, d'autres pensaient même qu'il avait disparu, lui aussi.
Disparu ? James ? Où avait-il pu être, ces quelques semaines ? Je serrai les dents pour ne pas exploser de rage et suivis Laurie. On sortit de la bibliothèque et, en passant devant les deux hommes, je sentis le regard de James m'écraser. Axel l'interpella, tendu, voire même gêné par la tension pesante.
Agacée par le fait qu'il me fixe ainsi, je fis volte-face pour m'approcher d'eux, le menton fièrement levé.
— Un problème, James ? m'enquis-je en esquissant un sourire carnassier. Tu as l'air perturbé.
— Fous-moi la paix, Elora, grinça-t-il.
— Te foutre la paix ? répétai-je dans un rire jaune. Tu connais le principe de foutre la paix, toi ? Ironique venant d'un mec qui a poussé son ex au suicide, tu ne crois pas !
Mes propos l'atteignirent de plein fouet. Il s'approcha de moi, probablement pour m'intimider, son aura s'agitant autour de lui. Pendant un instant, je fus troublée par ce qu'il dégageait. Tant de fureur. Tant de noirceur. Depuis quand était-il aussi sombre ?
Je soutins son regard meurtrier en essayant de me calmer. Mais, au fond, je n'avais qu'une envie : venger Brooke. Je n'arrivais pas à oublier son air détruit. Ses pleurs. Cet appel à l'aide. James avait été cruel avec elle. Il avait malmené son cœur, l'avait brisé, déchiré, et avait regardé cette pauvre femme sombrer de jour en jour sans même chercher à lui tendre la main pour l'aider.
— Dis encore une chose semblable, et je te jure que tu ne tarderas pas à la rejoindre en enfer ! cracha-t-il.
Une menace ? De mieux en mieux. Je m'apprêtai à renchérir, mais Laurie empoigna mon poignet pour me faire reculer en m'observant, les traits rongés par l'inquiétude. Le souffle du vent se fit plus violent encore, rabattant mes cheveux sur mon visage brûlant. Je les repoussai d'un geste nerveux en grinçant des dents, furieuse quant aux propos de l'Humain.
— Elora, calme-toi, s'il te plaît, me supplia Laurie.
— Tu t'entends parler ? grondai-je à l'attention de James. Tu ne ressens donc aucun regret ?
James me poussa, comme si cela me ferait taire. Ce geste suffit à me faire entrer dans une colère noire. Je me dégageai de la prise de Laurie et fis un pas vers lui en ignorant mes muscles tendus, ainsi que le ciel qui s'assombrissait.
Humain ou non, j'allais lui faire regretter. Au diable mes principes célestes.
— Elora ! James ! Arrêtez ! s'écria Laurie, affolée.
L'étudiant leva le poing, s'apprêtant à me l'envoyer en pleine figure, les yeux noircis, injectés de sang, alors que mon sourire s'accentuait, en opposition avec le doute qui m'assaillait. D'où lui venait donc cette colère ? Où était passé le garçon désespéré qui espérait que Brooke lui revienne ?
Axel s'interposa et para son coup avec son coude. James recula vivement, et il baissa honteusement la tête pour fuir le regard de son ami, courbant l'échine d'une étrange manière. La chaleur dans mes veines, signe que je m'apprêtais à laisser mes pouvoirs ressurgir, s'apaisa avant que je ne recule d'un pas.
— Ça suffit, James ! s'énerva Axel.
Et il se tourna vers moi pour me dévisager de ses yeux noisette, les traits tordus par l'agacement.
— Et toi Elora ? Qu'est-ce qui te prend ?
Je me contentai de le dévisager avec froideur en ignorant la tension pesante et le regard lourd des personnes présentes. Toujours crispée, je lançai un dernier regard d'avertissement à James et les contournai. Laurie m'emboîta hâtivement le pas, le teint livide.
Et, même si j'étais toujours en colère, mes épaules se voûtèrent avant que le regret ne me heurte. Qu'avais-je fait, bon sang ? Ce n'était pas mon genre, de perdre patience aussi vite. Surtout pas face à un Humain.
J'aurais pu commettre une terrible erreur...
— Mais qu'est-ce qui t'a pris ? s'enquit Laurie en se postant devant moi. Pourquoi t'es-tu mise dans cet état ?
— Laisse tomber, Laurie ! répondis-je avant de souffler pour me calmer. Je n'arriverais pas à te l'expliquer...
Elle haussa les sourcils, attendant que je poursuive. Dans l'espoir de repousser la boule d'angoisse qui obstruait ma gorge, je déglutis et enchaîna :
— James ne m'inspire pas. Si Brooke est morte, c'est en grande partie à cause de lui. Tu ne trouves pas que quelque chose cloche, chez lui ? Il était déjà étrange avant, mais maintenant, c'est pire !
Ce qui émanait de James m'avait fait sortir de mes gonds. Le revoir avait été comme un coup dans la poitrine. S'il dégageait déjà de la malveillance, j'avais eu l'impression que c'était pire, aujourd'hui. Son aura m'avait troublé. Voire répugné.
Mais peut-être était-ce parce que je rejetais la faute sur lui quant à la mort de Brooke ? Peut-être était-ce moi, le problème, et que lui n'avait absolument pas changé ?
La seule à avoir changé, c'était moi.
Néanmoins, cette rage qui l'avait animé ne m'avait pas échappé... J'étais persuadée que ça cachait quelque chose. Surtout que Laurie prétendait qu'il avait disparu pendant quelques semaines. N'était-ce pas là un autre indice ?
Laurie regarda autour d'elle, les pieds fermement plantés sur l'herbe, et en redressant le menton, je remarquai que certains passants nous observaient avec curiosité. Je les ignorai en reportant mon attention sur mon amie.
— Oublie, Laurie, soufflai-je.
Et, avant qu'elle ne puisse ajouter quoi que ce soit, je passai près d'elle en ignorant le mauvais pressentiment qui me rongeait.
Alors déjà bonjour les gens ! Désolée pour le retard ! ❤️
Sinon, la pêche ? Quoi de neuf les enfants ?
Et du coup, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Des petits avis ? Des théories ?
L'histoire quant aux anges déchus ? Vous pensez que Zachary est quoi ? Et Eytan d'ailleurs ?😈
La fin ? James et Axel ? Je veux vraiment des théories pour voir si vous êtes bons ! Lâchez-vous les moches !
Bon je ne sais pas quand je publierais la suite, me connaissant ça sera dans 3 ans !😆
Bisous bisous ! ❤️
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