Chapitre 27

« S'il en voulait à la terre entière, c'était peut-être parce que le monde lui avait tourné le dos. »

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Le regard d'Eden pesait une tonne sur ma misérable personne. Impossible pour moi de l'affronter sans ressentir une once de peine à son égard. Comment pouvais-je lui faire face sans ciller après ce que je venais de lui annoncer ? Chacune de ses émotions me heurtait sans pitié, et ce même s'il cherchait à les taire derrière son air indéchiffrable.

Ses yeux le trahissaient. La noirceur de ses iris chuchotait les sombres vérités qu'il souhaitait terrer au fond de lui. 

— Zachary, vraiment ? demanda-t-il à nouveau d'une voix beaucoup trop calme à mon goût.

Je m'attardai sur ses jointures blanchissantes avant de m'égarer à nouveau sur ses traits se voulant détendus, mais sa mâchoire serrée montrait bien qu'il n'en menait pas large.

— Oui, affirmai-je, peu confiante.

Après l'avoir retrouvé, j'avais fini par lui raconter ma mésaventure avec Zachary, incapable de garder ça pour moi jusqu'à l'arrivée de nos amis. Je lui avais raconté ce qu'il était devenu : un monstre.

Eden, en tant qu'Elite, avait côtoyé Zachary. Ils s'étaient battus côte à côte, s'étaient protégés de l'adversité, avaient pleuré ensemble leurs coéquipiers si souvent tombés au combat et, surtout, ils avaient été amis. Je me souvenais encore de ces deux Guerriers s'entraînant parfois ensemble, de la réaction d'Eden, lorsqu'il avait appris que Zachary avait disparu.

De la noirceur qui l'avait enveloppé, quand des dires prétendaient qu'il était mort, lui aussi. Cette lueur, dans ses yeux, m'avait marquée à jamais.

Et là, il venait d'apprendre que son coéquipier était en vie, pire encore, qu'il avait choisi la noirceur, plutôt que la pureté. Comment réagir ?

Eden plongea ses doigts dans ses boucles blondes en fronçant imperceptiblement les sourcils. Sa poitrine remonta avec hâte avant qu'il ne lève la tête vers le ciel pour prendre une profonde goulée d'air, peut-être dans l'espoir de se calmer. Oh oui, j'avais si mal, face à sa propre douleur. Comme mienne, elle irradiait dans mes veines.

— Ainsi, tu penses qu'il est devenu comme les créatures que j'ai affrontées avant de venir ici ? s'intéressa-t-il.

Lorsque la vision de Zachary dévoilant sa facette si monstrueuse me revint en mémoire, je tressaillis de dégoût. Impossible pour moi d'oublier le tentacule se trouvant dans son dos, ni même les ténèbres couvrant ses yeux. L'ironie du sort était qu'il n'avait rien d'un Démon, il n'en avait pas le charme, et toute trace d'angélisme l'avait quitté.

Alors, que lui restait-il ?

— J'en suis persuadée, oui, lui avouai-je. Il était...

Ma voix se tut quand je recherchais les mots adéquats. Terrifiant ? Le mot n'était pas assez fort. Sinistre ? Encore moins.

— Monstrueux...

Eden ferma les paupières avant de me demander de lui apporter plus de détails quant à l'aspect de Zachary. Alors je lui expliquai tout, en m'attardant sur son tentacule, sur le fait qu'il n'avait pas d'ailes.

— Eden, je ne sais pas ce qui lui est arrivé pour qu'il devienne ainsi, mais c'est irrationnel. Comment est-ce seulement possible ? Jamais je n'ai vu une créature pareille. Que peut-il être ?

Mon ami ne répondit rien, perdu dans ses pensées, et peut-être même dans ses souvenirs, à en juger par l'éclat vitreux qui troublait son regard.

— Tu sais, j'ai fait le rapprochement avec les empreintes que l'on a vu, dans le marais, la dernière fois, lui confiai-je. Est-ce que tu te souviens que l'on s'interrogeait au sujet de l'étrange forme qui semblait traîner derrière les traces de pas ?

Sa bulle éclata. Il cligna plusieurs fois des cils et l'éclat de compréhension qui traversa son visage me poussa à poursuivre :

— Eh bien, je pense qu'il s'agissait d'un tentacule, le même se trouvant dans le dos de Zachary, de l'espèce qu'il est.

Oui, dans le marais, nous nous étions demandé ce que c'était. Nous avions vu des traces de pas titubantes, un peu maladroites, avant que ça ne prenne des formes plus étranges. C'était comme si, soudain, la personne avait laissé un appendice ressortir de son dos lorsqu'elle marchait dans la boue...

— C'est possible, oui, je me souviens que l'on en avait conclu que la personne était tombée. Il n'y avait que ses pas, au départ, puis une empreinte plus profonde, rapidement suivie de l'étrange forme... Est-ce qu'on peut en déduire que quelqu'un traînait là, a glissé, ou...

— Ou s'est laissé tomber quand l'appendice a déchiré son dos... Comme s'il se transformait, poursuivis-je à sa place.

— Zachary avait l'air de souffrir, lorsque ce... Ce truc est sorti de son dos ? me questionna-t-il.

Perplexe, je secouai la tête. Non, il n'avait pas semblé être en souffrance... Par conséquent, dans mon songe, lorsque je l'avais perçu, je me souvenais l'avoir aperçu retomber à terre... Bon sang... Pourquoi n'était-il pas plus clair ? Nous tenions une piste, je le sentais...

— Non, marmonnai-je. Je ne sais pas trop ce qu'on peut en conclure, au sujet de ces empreintes, mais je suis persuadée d'une chose, la personne qui traînait dans le marais a souffert. Je te l'ai déjà dit, je le sais, mais je ne change pas d'avis, à ce sujet.

Oui, quand nous regardions les empreintes, j'avais fait le lien avec Thianna et Frédérick. Je me souvenais encore de leur comportement à cause de la douleur invisible qu'ils ressentaient. Pouvait-ce être lié ? Et le tentacule, dans tout ça ?

Il manquait des informations, et ça me frustrait.

Eden me dévisagea et hocha la tête en prononçant ces quelques paroles d'une voix apaisante :

— Je veux bien te croire, je me fie à ton instinct, Elora, même si ton Fêkir te fait défaut, tu as toujours eu de bonnes intuitions. Reste à savoir quel est le lien avec la personne dans le marais, la souffrance ressentie, et les formes rappelant le tentacule dont tu me parles.

Il fronça encore les sourcils et ses yeux brillèrent d'un drôle d'éclat, il enchaîna avec rapidité :

— Comment ai-je pu oublier ?

Frustré, il ébouriffa à nouveau sa crinière et tourna en rond, comme un lion en cage, et dit :

— Quand j'ai affronté mes adversaires avant de venir ici, ils ont agi d'une étrange manière. Je me souviens qu'ils tremblaient et hurlaient...

Il plongea son regard dans le mien, et un frisson me traversa face à la lueur hantée qui y brillait.

— J'en ai conclu, moi aussi, qu'ils souffraient d'un mal invisible.

Mon cœur s'accéléra encore, alors que j'assimilais toutes les informations. Nous tenions le fil. Nous n'en étions pas loin, je le pressentais...

Un mal invisible. Un aspect démoniaque. Un comportement monstrueux. L'appendice. Mais encore ? Il y avait une zone de floue. Qu'en était-il concernant les meurtres ? Les disparitions ?

Des pas s'élevèrent. Alors que je tournais la tête, je reconnus Âlma, qui se dirigeait vers nous, tout sourire. Ses longs cheveux noirs s'agitaient dans son dos, quand ses grands yeux bleus brillaient. En la voyant, je me détendis.

Son sourire se fana bien vite devant nos mines assombries.

— Eh bien, eh bien... Vu la tête que vous faites, je doute que vous ayez de bonnes nouvelles à m'annoncer.

Eden me lança un coup d'œil et lui expliqua brièvement la situation, en lui racontant vaguement l'attaque de Zachary. Mon amie blêmit avant de me dévisager avec effroi, et elle s'approcha, à la recherche d'une blessure quelconque.

— Seigneur, tu n'as rien ! soupira-t-elle. Tu lui as fait sa fête, j'espère !

Je haussai les épaules en efforçant un sourire. Non, je n'avais rien, mais il m'était difficile de ne pas ressentir de la pitié à l'égard de Zachary malgré tout. Personne n'avait été présent pour lui tendre la main et le sortir de l'enfer. S'il en voulait à la terre entière, c'était peut-être parce que le monde lui avait tourné le dos...

Quand une main agita ma crinière, je fus sorti de mes pensées en sursautant, et je croisai un regard émeraude qui me couvrit de tendresse. Surprise, je m'élançai vers Tyler pour l'enlacer.

— Salut, mon ange préféré ! s'exclama-t-il joyeusement. Alors, prête pour l'entraînement ?

Ses bras se refermèrent ensuite contre moi, alors que je profitais de sa chaleur et de son parfum si familier. Depuis qu'Eytan lui avait sauvé la vie, je ne l'avais vu que trop peu souvent, car s'il ne se reposait pas, il gardait le silence, plongé dans ses pensées. Le voir ainsi m'avait effrayé. Qu'est-ce qui pouvait tant le tourmenter ? Pourquoi nous taisait-il ce qui le troublait ?

Mais maintenant qu'il me faisait face, que je voyais son sourire et l'éclat vivace de ses yeux, je me sentais rassurée.

— Comment vas-tu ? J'étais si inquiète ! Pourquoi ne me donnais-tu aucune nouvelle ?

— Hé, me coupa-t-il en ricanant. Calme-toi ! Je vais bien, Elora.

Je reculai pour l'examiner, troublée par son sourire. Eden me lança un coup d'œil furtif avant qu'il ne crochète le regard de Tyler qui se détourna, bien moins resplendissant. Déstabilisée par cet échange, je les dévisageai en ignorant avec peine l'atmosphère pesante.

— Que se passe-t-il ? osai-je demander. Pourquoi ai-je l'impression que vous me cachez quelque chose ?

Âlma se mordit les lèvres, hésita un instant, et sous le regard lourd des garçons, elle se lança :

— Tyler a eu des flashs, si je puis dire, lorsqu'il reprenait ses forces...

Des flashs ? Soufflée, je me tournai vers Tyler qui, nerveux, se gratta la nuque, une moue innocence peignant ses traits. Âlma, rougissante, reprit :

— On n'a pas pu t'en parler avant, car tu étais très prise... On ne voulait pas t'ajouter un poids en plus, et...

— S'il te plaît, ne tourne pas autour du pot, la coupai-je, le sang de plus en plus brûlant.

Eden, l'air sérieux, croisa les bras contre sa poitrine en me couvrant d'un regard d'une lourde intensité. Tous les trois dégageaient du trouble. Du doute. J'en avais le cœur tout retourné. Qu'avaient-ils ? Que me cachaient-ils ?

Quand les yeux noirs d'Eden se perdirent dans le vague et que Tyler se détourna encore, je sentis ma gorge s'assécher d'appréhension.

— Tyler a entendu Eytan, lorsqu'il rêvait, m'apprit Eden.

Mes jambes manquèrent de céder avant que mes tempes ne soient martelées par mon sang. Eytan ?

Piquée par l'inquiétude, mais aussi par la colère qui s'éveillait, je contemplai Tyler, le visage de plus en plus blême. Pourquoi personne ne m'avait rien dit ?

— Que t'a-t-il dit ? le questionnai-je en essayant de calmer les tremblements présents dans ma voix.

Mon ami, les joues rougies par la honte, évita encore mon regard en se dandinant.

— C'est flou, m'apprit-il pourtant. Il a fait allusion au fait qu'il m'ait sauvé la vie... J'ai cru comprendre que... Qu'il y avait un prix.

Mon sang devint lave. Je le pointai du doigt, la vision brouillée par le choc, par la honte. La honte de ne pas avoir été là pour lui. D'avoir été mise à l'écart.

— Et tu ne me l'as pas dit ? m'écriai-je. Tu es conscient que ta vie dépend de lui ? En un claquement de doigts, il peut te retirer ce qu'il t'a donné !

Ma gorge me brûla suite à mon éclat de voix. Cette histoire ne se terminerait donc jamais ? Eytan n'était pas las de se jouer de nous ? Pire encore, pourquoi aucun de mes amis ne m'avait mise au courant ? J'étais si en colère ! N'étions-nous pas une équipe ? Nous nous devions de nous entraider !

Je me sentais trahie.

— Et vous, alors ? crachai-je en désignant les deux autres. Vous auriez pu me le dire ! Pourquoi me l'avoir caché ?

— Parce qu'il s'agit d'Eytan ! explosa soudainement la brune.

Elle fit un pas vers moi, les traits tirés en une moue furieuse et les yeux brûlants, humides à cause des larmes qu'elle ravalait. Choquée par son haussement de voix, je la regardai sans mot dire, aussi surprise que les deux autres Anges.

C'était bien la première fois qu'elle me parlait ainsi.

— Tu ne comprends strictement rien, Elora ! rugit-elle. Depuis le début, ce Démon cherche à t'atteindre, en as-tu seulement conscience ? On ne t'en a pas parlé, car on sait ce que s'il s'en prend à Tyler, c'est pour mieux te blesser ! N'est-ce pas évident ?

Mauvaise, elle me toisa avec une colère sourde, ainsi qu'une tristesse profonde. Malgré mon envie de reculer suite à ses paroles, je restai debout, devant elle, heurtée par sa douleur.

— Pourquoi aurions-nous pris la peine de te dire ce que vivait Tyler, alors qu'au fond, tu t'en doutais ? Tu es la première à vous avoir dit qu'il y avait un piège ! Ne fais pas la surprise en nous rendant coupables ! Ne te mets pas en colère, alors que tout comme toi, nous sommes autant perturbés par ce qu'il se passe !

Ses prunelles brillèrent encore plus alors que sa voix faiblissait, mais elle ne céda pas à son chagrin. Elle secoua la tête en amorçant un autre pas. Mon cœur s'enserra quand j'aperçus une larme dévaler sa joue, mais la colère en moi prit le pas. Avant que je ne puisse en placer une, elle enchaîna :

— Tyler compte aussi pour nous ! Crois-tu que ça nous amuse de voir que sa vie est entre les mains d'Eytan ? Hein ? Depuis le début, on cherche à te protéger, Elora ! Il s'acharne sur toi, et nous, on est juste des pantins ! Voilà pourquoi on ne t'a rien dit ! Pour éviter ça, justement ! Pour pas que tu rejettes ta colère sur nous !

— Âlma..., tenta Tyler.

— Non, Tyler ! Il faut qu'elle comprenne qu'elle se comporte comme une égoïste ! le rabroua-t-elle sans me quitter des yeux. Tu n'es pas seule à te battre contre ces Démons. Tu n'es pas la seule à avoir quitté le Fœrî... Tu n'es pas seule dans ce combat ! Tu comprends, ça ?

Ses paroles résonnèrent dans mon esprit alors que son aura semblait brûler autour de son corps tremblant de rage. Les muscles raidis, j'ouvris la bouche sans dire quoi que ce soit, et j'avalai ma salive, sonnée.

— Alors arrête de nous reprocher des choses ! Arrête de tout vouloir gérer seule ! Nous sommes avec toi, nous avons le même objectif ! Arrête de te la jouer solo, bordel ! Tu ne vois donc pas que tu t'éloignes et que tu te mets davantage en danger ? Que tu NOUS mets en danger ? Réfléchis, Elora... Réfléchis !

Sa voix s'éteignit, et elle essuya rageusement les larmes qui avaient réussi à s'écouler le long de son visage. Tyler, peiné, s'approcher d'elle pour la serrer contre lui. Eden, quant à lui, m'observa en silence, le visage inexpressif. Il était comme vide.

À l'inverse de mon cœur.

Avais-je été à ce point égoïste ? Piquée, j'affichai un rictus froid, encaissant ses paroles criantes d'une vérité difficile à entendre, et je frissonnai en remarquant que des gouttes s'abattaient sur nous, fuyant probablement ce ciel menaçant qui nous surplombait.

Il s'était mis à pleuvoir...

— Si je veux tout gérer seule, c'est pour vous, avouai-je enfin d'une voix glaciale. Je ne veux pas que vous soyez en danger. Appelle cela comme tu veux, mais je ne dirais pas que c'est de l'égoïsme...

Et je les embrassai des yeux, les poings serrés et la tête en vrac, et je sifflai :

— Je ne suis pas seule ? Alors pourquoi me mettre à l'écart quant à ce que vit Tyler ? Tu prétends qu'Eytan cherche à m'atteindre, qu'il en a après moi... Si c'est vraiment le cas, c'est à moi de lui faire face, pas à vous !

Pour ne pas leur montrer que j'étais atteinte, j'exprimai un air agacé, mon cœur menaçant d'exploser. Impossible pour moi de digérer ses propos. L'égoïsme était, pour moi, l'un des pires défauts. Je ne pouvais pas l'être. Je ne voulais pas.

L'étais-je ?

Était-ce vraiment de l'égoïsme d'agir seule dans l'espoir de mettre à l'abri ses proches ? Ou l'étais-je justement parce qu'ils avaient une place dans ma vie, et que le danger, mesquin, rôdait comme un fantôme, prêt à frapper toutes les personnes que j'aimais ?

— Je n'ai pas envie que vous soyez en danger par ma faute. Cette situation ne m'amuse en rien, Âlma ! J'ai failli perdre Tyler, ainsi que Laurie. Qui sera le prochain, à votre avis ? Eytan n'a pas que moi dans le viseur, il nous a tous !

À bout de souffle, je me tus. Ma voix tremblait trop pour que je poursuive. Je dévisageai les trois Anges avec colère, le menton fièrement levé, un sourire forcé étirant ma bouche asséchée, ignorant avec peine la pluie qui me glissait dessus.

La tempête régnait en moi. Un tas d'émotions s'entrechoquaient dans mon cœur pour mieux le martyriser. Des questions me hantaient quand le regret me rongeait.

La pluie s'intensifia encore et un orage éclata pour déchirer le ciel gris et l'illuminer le temps d'un instant. Qu'ajouter de plus ? Il m'était impossible de mettre un mot sur mes angoisses. J'étais perdue, moi aussi. Si je n'arrivais pas à me comprendre, comment le pourraient-ils ?

— Je n'agis pas seule..., avouai-je enfin. Je cherche simplement des réponses pour pouvoir en finir. Vous savoir hors de danger me rassure...

Je m'emplis les poumons, les vêtements trempés et les cheveux retombants devant mon visage. Une impression de vide creusait mon estomac, et plus le temps passait, plus j'avais l'impression qu'elle prenait de l'ampleur.

Et ça, ça me faisait peur.

— Ainsi, je ne pense qu'à moi ? Très bien..., conclus-je.

J'opinai sans me démunir de mon rictus, les traits pourtant assombris. Âlma se détacha de Tyler, les lèvres toujours tremblantes. Eden se posta devant moi pour me surplomber, les épaules crispées et les cheveux humides.

— Qu'as-tu en tête, Elora ? Vas-tu encore te mettre dans le pétrin ?

Et, face à ses yeux sombres semblant me jauger, je le toisai avec colère, piquée par ses dires. Me mettre en danger ? Pour qui me prenait-il ? C'était ainsi, qu'il me voyait ? Tyler, en sentant que la tension s'alourdissait, fit un pas et murmura :

— Hé, c'est bon. Si le problème vient du fait qu'Eytan m'ait sauvé et qu'il y ait un prix, il suffit juste de régler la dette.

— Où tu te crois ? lui demanda Eden en lui lançant un coup d'œil par-dessus son épaule. Penses-tu que tout sera réglé avec une liasse de billets ? On n'est pas des Humains, Tyler, ce n'est pas une question d'argents !

Mon ami se rembrunit et serra les dents, piqué par les paroles glaciales d'Eden. Celui-ci reprit :

— C'est ta vie qui est en jeu ! Tu sais comment fonctionnent les Démons, non ? Il est évident que le prix sera hors de notre protée.

— Et si c'est le cas, hein ? grognai-je soudainement. Que fera Eytan ?

Seul le silence me répondit. Pourtant, tous connaissaient la réponse.

Je m'approchai de Tyler, les yeux rivés dans les siens, un peu moins en colère, face aux cernes creusant son visage.

— Eytan est un monstre, chuchotai-je. Il reprendra ta vie sans hésiter si on ne parvient pas à régler la dette. Mais ça, c'est hors de question. Je ne le laisserai pas faire. Jamais. On trouvera une solution. Je trouverai une solution.

Mon ami me contempla avec tendresse, puis il déposa un baiser sur mon front avant de m'enlacer. Je fermai les paupières un instant, la gorge serrée. Sa chaleur ne pouvait pas m'apaiser, puisque ses bras tremblaient trop autour de moi.

Il avait peur.

Et pourtant, il cherchait à se montrer confiant pour ne pas nous inquiéter.

Il était le principal concerné. Il était en danger. C'était sa vie, dont il était question, et malgré tout, il tentait de calmer les tensions, de nous rassurer.

Alors que c'était à lui d'être apaisé...

— Je ne t'abandonnerai pas, chuchotai-je en le serrant. Je te le promets. Je ne laisserai pas Eytan te faire du mal.

Il ne dit rien. Il se recula en évitant mon regard. Chagrinée, je reportai mon attention sur Âlma qui gardait son attention rivée sur ses pieds, ses cheveux noirs retombant comme un rideau devant ses traits déformés par la tristesse. Tout sourire, je soufflai :

— Maintenant que tu as dit ce que tu as sur le cœur, laisse-moi te prouver que tu t'es trompée.

J'avais un tas de défauts, mais me mettre à part pour les protéger n'était pas de l'égoïsme...

— Et toi, Eden..., poursuivis-je en me tournant vers lui.

Sans cesser de le dévisager, je me tus un instant pour affronter ses yeux d'ébènes.

— Arrête de croire que je me mets toujours en danger, parce que sache une chose : je fais tout pour nous en sortir, justement. Aie confiance en moi, au moins une fois dans ta vie. Est-ce trop te demander ?

Une petite flamme, représentation du mince espoir que je ressentais, s'alluma dans ma poitrine. L'espoir qu'il me dise qu'il avait confiance en moi.

Seulement, il ne répondit rien et laissa le silence souffler dans mon cœur pour éteindre cet espoir. Il faisait si froid dans les parfois de mon être, à cet instant.

— Je vois... Il faut croire que notre dispute avant que je ne vienne sur Terre t'est restée en travers de la gorge... Tu n'as plus du tout confiance en moi, pas vrai ?

J'aperçus un éclat illuminer son regard, mais je fus incapable de le déchiffrer. Âlma s'avança alors que la froideur dans mon âme s'intensifiait.

— Il a confiance en toi, Elora... Il est seulement inquiet.

— Pourquoi ne pas le dire, dans ce cas ? chuchotai-je.

Puis, ne supportant plus cette tension palpable, je reculai encore en gardant mon sourire factice peindre mon visage. Sourire contrastant avec la larme solitaire qui dévala ma joue.

— Tu as raison en fait, Eden. Ne dis rien. Tu risquerais de me décevoir encore plus...

Et, avant que quelqu'un n'ajoute quoi que ce soit, je leur tournai le dos pour m'enfoncer un peu plus dans le bois. J'entendis Tyler m'appeler, mais je l'ignorai, le cœur au bord des lèvres.

Mes jambes flageolaient, supportant peu mon poids, celui de la culpabilité. Mon souffle erratique m'arrachait les tripes, mais pourtant, je continuai de courir sous la pluie pour m'éloigner d'eux. Pour fuir mes problèmes, telle la lâche que j'étais.

La pluie se fit plus forte. Je trébuchai à plusieurs reprises dans la boue sans jamais ralentir ma course effrénée. Le vent fouetta mon visage dans l'espoir de me ralentir alors que les gouttes de pluie se confondaient avec mes larmes, quand ma vue troublée fixait l'horizon.

Bientôt, je ralentis en inhalant et levai la tête, les traits déformés par la tristesse. Le ciel était entièrement gris. La pluie tombait avec violence, s'écoulant sur mon visage, cheminant entre mes larmes pour mieux les effacer.

L'orage éclata, et je poussai un hurlement, hurlement bien vite étouffé par le rugissement du tonnerre. Je me frottai les yeux avant de les fermer en me concentrant sur ma respiration chaotique.

Il y avait un prix à payer pour la vie de Tyler.

Mais quoi ?

Son âme ?

Un violent frisson me parcourut et je levai encore la tête en m'écriant à pleins poumons, à m'en déchirer la voix :

— Eytan !

Mon rugissement déchira l'air, semblables aux grondements du tonnerre. Mes tripes me brûlèrent, mais je m'en fichais. Je fus prise d'un léger vertige et serrai les dents. La pluie ne s'apaisait pas. Les gouttes frappaient violemment mes joues, résumant à merveille mes ressentis.

Oh oui, l'orage grondait en moi, martelait mon pauvre cœur, hurlait ma colère, quitte à noyer mon être.

— Eytan ! hurlai-je à nouveau.

Il n'était pas loin. Je le savais. Ce fichu sentiment d'être observé ne me quittait pas et brûlait ma peau.

Pourquoi avais-je croisé sa route ?
Pourquoi ?

L'orage déchira à nouveau le ciel. J'ignorai les nombreuses émotions qui me malmenaient et serrai les poings avant de hurler encore à m'en arracher les tripes :

— Eytan ! Montre-toi !

J'avais l'impression que le monde tournait autour de moi, mais que j'étais figée au cœur de mes tourments.

Je fermai les paupières, traversée par de nombreux picotements le long de ma peau, dans l'espoir de faire outre de cette impression de sombrer. Mon corps semblait si lourd et léger à la fois. Je planais et je chutais en même temps.

Une chaleur m'inonda, semblable à une flamme éternelle me recouvrant de son enveloppe cruelle et ô combien irrationnelle. Je m'humectai les lèvres en rouvrant les paupières, prête à affronter le propriétaire rebelle et ce brasier charnel.

Une plume retomba lentement, comme si le vent ne l'atteignait pas. Comme si la pluie la traversait. Inatteignable. Comme son propriétaire.

Un long soupir m'échappa tandis que je me tournais vers le nouvel arrivant, le cœur au bord des lèvres.

Le Démon m'observait en silence, les yeux flamboyants dans l'obscurité, contrastant avec son visage si angélique.

Pourtant un cœur si noir battait dans cette poitrine.

Mon souffle s'alourdit avant que l'on ne s'observe sans mot dire. Ses cheveux furent bien vite trempés pour retomber négligemment devant les flammes bleues qu'étaient ses iris comparables aux enfers, de par leur intensité, mais aussi par la chaleur qu'ils provoquaient sur mon corps entier. J'avais l'impression que ma chair se consumait sous ses yeux.

Une goutte d'eau égarée retomba le long de sa mâchoire avant de finir sa course effrénée sous son haut, intensifiant ses traits insondables. Il n'exprimait rien. Strictement rien.

Le froid mordant, s'opposant avec la chaleur dégagée par son corps, manqua de me faire perdre pied, mais il était hors de question que je courbe l'échine. La tension, crépitante autour de nous, m'électrisait, propageait une décharge dans mes veines, accentua cette impression d'être une proie, face à lui.

Mais cette fois, je ne serai pas dévorée par le prédateur.

Je voulais discuter, et ce même si c'était une erreur, d'avoir fait appel à lui.

Impossible de faire machine arrière. Maintenant qu'il me faisait face, je devais savoir ce qu'il réservait à Tyler. Je devais en finir.

Enfin, les lèvres d'Eytan s'étirèrent en un sourire en coin, et l'éclair qui déchira le ciel se refléta dans ses yeux comparables aux cieux. Il prit enfin la parole. Sa voix rauque résonna jusqu'à mes oreilles sifflantes :

— Me voilà, mon ange.

Hey les démons !❤️

Bon j'ai eu de l'inspiration là ! Faut dire que l'autre chapitre était tout pourri, donc je voulais rattraper le coup ! Il est carrément plus long, et y a un peu plus d'action héhé ! 😂

Alors, je veux vos théories, vos avis ! 😏

Qu'avez-vous pensé du conflit ? De l'aveu du trio ? Quel pourrait être le prix à payer, selon vous ?

Et que pensez-vous d'Elora ? De ses propos ? Elle a raison, tort ? Je veux savoiiir!😂

Et la fin, que pensez-vous qu'il va se passer ?

N'hésitez pas ! Gros bisous les gros ! ❤️

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